jeudi 6 avril 2006

Jocelyne Saucier permet de connaître l'Abitibi

Jocelyne Saucier est une écrivaine fort discrète. Je l’ai croisée à Montréal et elle est venue à Jonquière alors que l’Abitibi était à l’honneur au salon du livre. Suzanne Jacob, Louise Desjardins et elles tentaient de cerner l’écriture de l’Abitibi. Elle nous offrait «Les héritiers de la mine», un roman formidable. Cette discrétion ne l’a pas empêchée d’être sur la liste de ceux qui frappaient à la porte des prix du Gouverneur général et France-Québec en 1997 avec «La vie comme une image», son premier livre.
Je n’ai cessé de parler des «Héritiers de la mine» depuis. En 2000, au Salon du livre de Montréal, je négligeais mes «plus belles années» pour m’attarder dans cette famille qui gravite autour d’une mine abandonnée dans un coin perdu de l’Abitibi. Les vingt et un enfants de la tribu Cardinal terrorisent un village, chassent tout le monde et évoquent l’Âge d’or. Un roman marquant!
Six ans plus tard, Jocelyne Saucier nous ramène à Rouyn, à l’époque où cette ville accueille Ukrainiens, Italiens, Polonais, Chinois et Finlandais. Ces immigrants tentent de réinventer le monde, le pays abandonné qu’on oublie difficilement. Un territoire neuf où tous les excès peuvent germer. Les militants gardent un œil sur Moscou, sillonnent une région aussi vaste qu’un pays, se précipitent quand les grèves éclatent. Tous rêvent du «Grand soir».
Jeanne Corbin est jeune, belle et intelligente. Elle est membre du Parti communiste canadien, vit sur les routes, grimpe sur les tribunes et harangue les travailleurs.
En 1933, elle est à Rouyn. Un journaliste, le père de la narratrice de «Jeanne sur les routes», entend son discours. Il est touché par la grâce et devient un apôtre du communisme. Des grèves éclatent chez les bûcherons et les mineurs. Elles sont sauvagement réprimées.
Jeanne est emprisonnée. Rouyn alors est une ville rouge où des milliers de camarades s’agitent. Le fameux discours du 9 décembre devient la Bible des trois petites filles du journaliste qui en apprennent chaque mot comme les commandements du petit catéchiste. Elles jouent et répètent ce drame où le capitalisme et Jeanne la rouge se heurtent.
«Jeanne Corbin est entrée dans nos vies le 9 décembre 1933. Elle arrivait de Timmins, une ville minière du nord-est ontarien où le comité central l’avait détachée un an auparavant. Elle n’était pas en disgrâce, bien au contraire, le quatrième district du parti, qui comprenait l’Abitibi et le Nouvel-Ontario, était un des noyaux communistes les plus actifs du pays. Elle y occupait le poste de secrétaire de la Ligue de défense ouvrière tout en gardant la responsabilité de la presse communiste francophone.» (p.27)
Jeanne Corbin meurt de la tuberculose, devient l’icône, la femme que ce journaliste ne cessera d’idolâtrer même si le discours ne passe plus.

Dure réalité

Un roman d’amour, de foi et de militantisme, de rancunes et de rages qui broient les êtres; de générosité et d’abnégation aussi avec le géant Vaara, un militant finlandais et tenancier de tripots, qui empêche la famille du journaliste de crever de faim. Les idées nourrissent bien mal.
Une époque fabuleuse que Jocelyne Saucier ressuscite. On idolâtre Jésus aussi bien que Staline à Rouyn, dans les années 30. «Jeanne sur les routes» nous plonge dans cette époque où des militants sacrifiaient tout à la cause.
Une histoire humaine qui rappelle des luttes et des combats en ces temps où le cynisme est de bon ton. Jocelyne Saucier montre que le Québec d’alors n’était pas ce troupeau tranquille qui courbait l’échine devant le regard des curés. Des hommes et des femmes militaient et pouvaient mourir pour leurs idées. Et plusieurs syndicalistes se souviendront des «camarades» qui infiltraient les syndicats et prônaient la lutte des classes dans les années 1970. Ils voulaient réinventer le travail et les façons de vivre. «Le capital» de Karl Marx remplaçait alors la Bible de Jérusalem. Ce roman redonne vie à ces croyants qui ont contribué à changer le Québec. Il y a là matière à un film fascinant, mais qui osera s’y frotter à l’ère de «Loft Story».

«Jeanne sur les routes» de Jocelyne Saucier est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/368.html