dimanche 11 juillet 2010

Michèle Nevert s’aventure au pays de la folie

«Textes de l’internement» de Michèle Nevert présente un ensemble de témoignages révélateurs d’une époque heureusement révolue.
Depuis sa fondation en 1873, l’Hôpital Louis-Hypolithe Lafontaine, autrefois Saint-Jean-de-Dieu, conserve les dossiers des patients. Un cas unique au Québec qui permet de lever le voile sur les soins médicaux et les conditions de vie dans ces institutions. Cet asile a accueilli pendant plus d’un siècle des hommes et des femmes qui éprouvaient des problèmes de santé mentale.
«Pour l’heure, l’estimation de ces archives dépasse le chiffre vertigineux de 100 000 et comprend, outre les informations cliniques habituelles pour chaque patient, plusieurs textes et manuscrits produits par ces derniers.» (p.13)
Certains documents ont retenu l’attention de Michèle Nevert et des chercheurs qui l’assistent. Un travail de patience tout à fait remarquable.

Témoignages

Ces dépêches ont été écrites par des hommes et des femmes qui ont séjourné à l’hôpital pendant des périodes plus ou moins prolongées. Les chercheurs ont retenu les dépositions de religieuses, de médecins et certains individus qui ont fait des études avancées. De quoi avoir un aperçu de la vie dans cette institution.
«Ce sont les lettres que les patients adressent à leur médecin qui constituent, de fait, la plus grande part des manuscrits asilaires trouvés à Saint-Jean-de-Dieu.» (p. 25)
Ces témoignages de première main sont souvent pathétiques. Toute la détresse du monde perce dans ces cris de désespoir et ces récriminations. Tous demandent à quitter l’asile, veulent retrouver une vie « normale » auprès des leurs.
Pourquoi ils se retrouvent à Saint-Jean-de-Dieu ? C’est parfois difficile de savoir. Certains ont demandé à y entrer quand d’autres ont été « placés » par leurs proches. Il faut savoir qu’à une époque, il suffisait de la signature du mari pour faire interner une épouse. Le contraire était à peu près impossible.

Quelques cas

Sœur Marie-de-Nazareth a passé trente-trois ans à l’institution pour refus d’obéissance, semble-t-il. Voilà un caractère certes difficile, mais était-ce une raison pour l’interner ? Était-elle saine d’esprit ? Elle ira même jusqu’à écrire au pape pour plaider sa cause et pouvoir réintégrer sa communauté.
Tous se plaignent des traitements, du psychiatre, du personnel religieux, des gardiens, de la nourriture et des autres patients. Le long plaidoyer de Roméo, avocat au barreau de Montréal et député-pronotaire à la Cour supérieure, est particulièrement significatif. Il dénonce le comportement des médecins, la violence des gardiens qui effectuent des représailles sur certains patients, la religieuse responsable des départements. Il le fait avec une belle précision et une certaine forme d’humour.
«Ledit Dr. Richard, soit dit en passant aussi celibataire endurci qu’ivrogne d’habitude, était caché en la chambre de l’ex-patient « perpétuel »  feu M. Guy, en compagnie du gardien prive dudit Guy, un certain Charbonneau lequel, de mes yeux vu, partageait sa monotone occupation entre les soins à donner a son malade et surtout les taloches, coups de poing et autres mauvais traitements avec force « injections » de prieres forcees…» (p. 173)
Un témoignage important parce qu’il s’agit d’un homme cultivé qui décrit ce qu’il voit et semble capable d’une certaine objectivité.

Stupéfaction

Plusieurs hommes et femmes ont vécu des enfers. Alice Roby pourrait s’ajouter à cette liste de gens sacrifiés par un système impitoyable. «Textes de l’internement» de Michèle Nevert ajoute une page à l’histoire révoltante des Orphelins de Duplessis.
Une lecture difficile cependant, souvent bouleversante et émouvante. La reproduction manuscrite de certains textes révèle l’état de ces hommes et de ces femmes.
Dommage que l’on ait choisi de garder la graphie originale de ces lettres. Bien sûr, elles témoignent du désordre ou de la confusion des patients, mais une certaine correction orthographique aurait rendu la lecture plus facile à celui qui ne fait pas une exploration clinique de ces affirmations. Ces missives restent difficiles à déchiffrer, éloigne le lecteur du vécu de ces hommes et de ces femmes qui lancent un cri désespéré. Une certaine mise en forme aurait aussi été souhaitable pour faciliter la compréhension, donner toute la place à la détresse de ces hommes et de ces femmes qui ont connu la marge du monde.

« Textes de l’internement » de Michèle Nevert est publié aux Éditions XYZ.