Qu’on le veuille ou non, nous gardons des images précises de
l’Indien. La télévision a fait cela, le cinéma surtout et les cours d’histoire.
Je frissonnais en lisant les pages de mon Histoire
du Canada où l’on décrivait les terribles Iroquois, les attaques contre les
colons pour les scalper, violer les femmes et voler les enfants ou qui
capturaient les missionnaires pour les torturer et les faire mourir à petit
feu. De telles images restent dans la tête qu’on le veuille ou non. Thomas
King, un métis, un intellectuel né aux États-Unis, un écrivain et enseignant au
Canada, présente une image autre de l’Indien et de ses luttes.
L’Indien malcommode
raconte l’histoire de la conquête de l’Amérique du Nord par les Européens. On
connaît à peu près la venue des Français dans la vallée du Saint-Laurent, les
coureurs des bois qui sillonneront l’Amérique et les Anglais plus au Sud, dans un
territoire qui allait devenir les États-Unis d’Amérique. Nous connaissons l’histoire
des Européens, les débuts difficiles, l’adaptation à un climat hostile, les
façons de vivre, les contacts avec les autochtones, les guerres et la conquête
de l’Ouest par les Américains, l’affaire Louis Riel dans l’Ouest canadien.
Nous n’aimons pas
trop nous attarder à ce volet du passé parce que ce n’est pas l’aspect le plus
glorieux du Canada.
L’installation des
Européens en terre d’Amérique, il y a plus de 400 ans, a eu des conséquences
terribles sur les peuples autochtones, les différentes nations qui peuplaient ce
vaste territoire.
Tout a bien mal
commencé avec les Espagnols. Maladies qui déciment la population, guerre et
esclavage. On tiendra même un concile pour se questionner sur l’Indien, se demander
s’il était vraiment humain et surtout s’il possédait une âme comme le Blanc
supérieur. On finira, avec la sagesse des Saints-Pères, par lui concéder une
âme, même s’il n’était pas tout à fait un humain. L’Indien s’était arrêté dans
l’évolution des bipèdes et se retrouvait au dernier rang de l’espèce, derrière
les Asiatiques et les Noirs juste bons à être des esclaves. C’est donc dire le
respect que l’on avait pour lui.
Territoire
Deux modes de vie se
sont affrontés lors de cette conquête. Les sédentaires, obsédés par la terre
qu’il fallait cultiver, rendre productive et qui donnait richesse à son
possesseur. La terre qui appartenait à la tribu et qui servait à la chasse, à
la pêche, à la vie nomade. On parlait de territoire quand on avait affaire aux
nations indiennes et de possession individuelle avec les Blancs. Nous avons là
le nœud de tous les affrontements.
Les Blancs arrivent
de plus en plus nombreux, refoulent les tribus indiennes vers l’Ouest,
s’approprient de vastes territoires, provoquent des affrontements, des guerres
où des tribus entières furent massacrées. Tout cela devait se calmer quand les
nations indiennes furent incapables de continuer la lutte. On leur réserva des terres
dans les lieux les plus rudes, les plus hostiles à l’agriculture. Des espaces
que l’on grugea constamment selon les besoins. Une longue et triste histoire de
dépossession, de massacres, de fourberies, d’exterminations et de racisme.
Indien mythique
Une fois les
territoires conquis et les Indiens parqués dans les Réserves, on pouvait
ressusciter un Indien mythique, le valoriser dans des productions
cinématographiques. Le western, ce film typiquement américain, devait mettre en
scène un Indien qui n’avait plus rien à voir avec la réalité. Il était le
cruel, le sanguinaire, celui qui buvait le sang de ses ennemis, le barbare que
l’on avait décrit dans mon Histoire du
Canada, celui que le cow-boy finissait toujours par tuer. Il y avait le bon
Indien aussi qui collaborait avec les Blancs, parlait parfaitement leur langue,
avait même fait des études et devenait une sorte d’Européen amélioré, un
mélange de sauvage et de civilisé. Le Chingachgook du Dernier
des Mohicans de James Fenimore Cooper est le prototype de ce personnage
impossible, le bon sauvage de Jean-Jacques Rousseau, celui que l’on a voulu
civiliser en créant des pensionnats. On kidnappait littéralement les enfants
dans les populations autochtones pour les enfermer dans ces prisons où ils
devaient oublier leur langue, leur culture, leurs habitudes de sauvages.
Que dire des traités
que l’on n’a jamais respectés, des trahisons, du racisme, de la haine envers
ces peuples que l’on aurait voulu rayer de la terre. Des exemples qui nous font
comprendre les revendications territoriales de l’Approche commune, la crise
d’Oka et bien d’autres problématiques contemporaines comme la reconnaissance
des métis.
Un livre important,
fondamental pour comprendre l’autre histoire de l’Amérique, celle des vaincus,
des méprisés, des victimes de ce Nouveau Monde qui s’est construit sur le
mensonge, le viol, le meurtre et le mépris des principes de justice. Tout cela
avec la complicité des religions et des croyances européennes qui faisaient des
Blancs des porteurs de vérité. Un livre vrai, senti, pas du tout revanchard, plein
d’humour qui dresse un portrait formidable d’une histoire que plus personne
maintenant ne devrait ignorer. Un livre de chevet pour nous ouvrir la
conscience et les yeux et l’esprit et l’âme peut-être.
L’indien malcommode
de Thomas King est paru aux Éditions du Boréal, 25,95 $.
Ce qu’il a écrit :
Nous
sommes nombreux à penser que l’histoire, c’est le passé. Faux. L’histoire, ce
sont les histoires que nous racontons sur le passé. Et c’est tout. Des
histoires. La définition habituelle donne à croire que la narration de
l’histoire est neutre. Anodine. Et bien sûr, c’est tout le contraire.
L’histoire est peut-être la série d’histoires que nous racontons sur le passé,
mais ces histoires ne sont pas que des histoires. Elles ne sont pas choisies au
hasard. En gros, les histoires nous parlent des grands hommes et des hauts
faits. De temps à autre, on mentionne quelques femmes célèbres, non pas parce
qu’il s’agit de reconnaître la contribution capitale des femmes, mais par
mauvaise conscience. (p.18)
…
L’Amérique du Nord a depuis longtemps des
rapports avec les peuples autochtones, mais en dépit de l’histoire que les deux
groupes partagent, l’Amérique du Nord ne voit plus les Indiens. Ce qu’elle
voit, ce sont des objets : des bonnets de guerre, des chemises perlées,
des robes en daim avec des franges, des pagnes, des serre-têtes, des lances
emplumées, des tomahawks, des mocassins, du grimage et des colliers
d’ossements. (p.71)
…
Les Cherokees appellent leur exode de la
Géorgie « nunna daul isunyi » ou « la piste où ils ont pleuré ». Des quelque 17
000 Cherokees, plus de 4000 moururent sur le chemin de l’exil. Certains
historiens estiment qu’il en mourut bien plus. D’autres disent qu’il en mourut
moins. Peu importe le chiffre exact, la piste des Pleurs représenta peut-être
le plus grand massacre d’Indiens de l’histoire de l’Amérique du Nord. (p.107)
…
Le Canada admet qu’ils furent environ 150
000, donc le nombre doit être beaucoup plus élevé aux États-Unis. Pour ces
enfants, les pensionnats furent, à tous égards, un piège mortel. Ces enfants
furent dépouillés de leur culture et de leur langue. Près de 50 pour cent des
élèves perdirent la vie à cause de la maladie, de la malnutrition, de la
négligence et des mauvais traitements. Cinquante pour cent. Un sur deux. (p.142)
…
À la fin des années 1980 et au début des
années 1990, l’Amérique du Nord a décidé que les terres autochtones seraient
des endroits parfaits pour y enfouir ses déchets. Les entreprises de gestion
des déchets — qui traitent un peu de tout, des matières inoffensives aux rebus
nucléaires — se sont mises à envahir le pays indien armées de colliers de
verroterie et de promesses, résolues à convaincre les chefs des tribus que la
conversion de leurs terres en décharges était rentable. (p.235)