jeudi 27 juillet 2006

Daniel Castillo Durante étonne son lecteur

 Le Québec a ouvert les bras aux immigrants qui sont venus enrichir notre littérature. Certains posent un regard original sur notre société et d’autres décrivent des univers insolites qu’ils ancrent dans cette terre où ils ont choisi de vivre.
Plusieurs de ces arrivants sont devenus des figures connues, menant des carrières enviables. Sergio Kokis, Ying Chen, dans ses premiers ouvrages, l’étonnante Félicia Mihali et Dany Laferrière, l’incontournable, sont de cette liste qui peut s’allonger.
Je lis Sergio Kokis depuis «Le pavillon des miroirs», n’arrive pas à trouver en David Homel tout le talent qu’on lui prête. Ying Chen, après des débuts éclatants, ne sait plus à quoi s’accrocher. Son errance aura-t-elle eu raison de son imaginaire? Felicia Mihali nous ouvre un monde particulièrement fascinant.
Daniel Castillo Durante arrive avec «La passion des nomades» après avoir écrit des essais sur Sade et Ernesto Sabato. Il s’est aussi arrêté sur le rôle «des paroles migrantes au sein des cultures aux prises avec la mondialisation», précise-t-on, en quatrième de couverture.

Drame

Juan Carlos Olmos, consul argentin au Canada, est assassiné de trois balles dans le dos. Daniel Castillo Durante lance son roman comme un polar, mais l’important n’est pas cette mort. Le lecteur apprend rapidement qu’Ana Stein, l’une des maîtresses du consul, a tué ce grand coureur de jupons. Un homme qui est allé d’une femme à une autre, faisant de la séduction et de l’amour un art.
Gabriel, à Buenos Aires, apprend la mort de son père. Il décide de venir à Montréal pour savoir ce qui s’est passé. Le fils en veut à ce père qui l’a abandonné avec sa mère. Il dérive un peu dans cette grande ville du Sud qu’il aime viscéralement.
À Montréal, Gabriel croise Ana Stein, une femme d’une très grande beauté. Une étrange relation d’amour et de haine s’amorce avec l’ancienne maîtresse de son père. Il ira jusqu’à l’épouser, subjugué par cette femme d’une froideur à faire trembler malgré la dévotion qu’elle porte à Juan Carlos Olmos.

Texte

Le migrant qu’est Durante fait redécouvrir la réalité québécoise et secoue nos habitudes. Le quotidien prend une teinte particulière et le lecteur devient un explorateur de son propre pays.
«Si Rubens et Rembrandt reprenaient leurs pinceaux, il leur faudrait traverser l’Atlantique pour retrouver leurs modèles. Il suffisait de s’installer à n’importe quel coin de rue pour les voir surgir à gogo. Des fesses fortement développées un peu partout, belles et frétillantes sous le ciel haut perché de Montréal.» (p.82)
Ottawa n’échappe pas au  regard implacable de Durante qui bouscule juste ce qu’il faut, sait détecter nos travers et nos obsessions.
«L’architecture McDonald’s de certaines rues du centre-ville le prit au dépourvu. Elle n’était pas omniprésente, mais quelques échantillons ici et là suffisaient à gâter le paysage urbain. Des gratte-ciel décrochés de toute perspective humaine déclenchèrent chez lui un sentiment d’étouffement. Impossible d’y flâner, les mains dans les poches, tel un bohémien qu’un parfum de femme ou l’arôme du café frais font revenir sur ses pas. La boulimie commerciale qui rongeait beaucoup de façades finit par le rebuter.» (p. 61)
Il s’agit de Montréal, bien sûr. Et ce n’est pas tout!
«Montréal, vue de loin, accrochait le regard mais, au fur et à mesure que Gabriel l’approchait, ses charmes s’estompaient. On aurait dit une de ces cocottes que la proximité révélait dans toute sa déchéance. En toute bonne foi, il se demanda s’il ne fallait pas la contempler à distance. Pour être un bon immigrant, il eût fallu qu’il se déprenne de Buenos Aires. Mais en serait-il capable?» (p.112)
Écrivain plein de ressources et d’intelligence, Daniel Castillo Durante s’avère un formidable conteur. Ses phrases qu’il lance comme des harpons accrochent le lecteur pour ne plus le lâcher. Des personnages de feu et de braises, des hommes et des femmes possédés par une passion qui emporte tout. Tous vivent à la limite de l’obsession et de la folie. Un roman particulièrement troublant. Et quelle écriture! Je vais devenir un fidèle de cette nouvelle figure encore peu connue.

«La passion des nomades» de Daniel Castillo Durante est publié chez XYZ Éditeur.