Nicolas Dickner a fait une entrée remarquée en littérature, en 2005, avec «Nikolski». Un roman traduit en dix langues. Son second livre, «Tarmac», ne décevra pas les nombreux lecteurs qui ont adopté ce jeune écrivain. Hope aboutit à Rivière-du-Loup avec sa mère Ann Randall, en août 1989. Elles arrivent de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, fuyant l’Apocalypse qui doit survenir d’un moment à l’autre. La famille Randall s’est fait une spécialité de prédire la fin des temps.
«Mary Hope Juliet Randall, dite Hope, était la plus jeune représentante d’une famille qui, depuis une époque imprécise - mais que d’aucuns situaient sept générations en arrière -, souffrait d’une grave obsession pour la fin du monde.» (p.18)
Tous connaissent une illumination et la date fatidique surgit comme une révélation. Ann croit qu’en fuyant vers l’Ouest, elle et sa fille échapperont pendant un temps au grand cataclysme. Clin d’œil au mythe du recommencement qui a présidé à la conquête de l’Ouest américain. Le mythe de la frontière aussi qui s’est déplacé depuis quelque part en Asie. Elle doit trouver une nouvelle date. Le grand bouleversement se fait tirer l’oreille et elle se perd dans ses calculs.
Hope semble échapper à l’obsession familiale et mène une vie à peu près ordinaire, même si elle n’est pas menstruée, une anomalie pour une fille de son âge. Michel et elle deviennent inséparables.
Fins du monde
L’actualité témoigne à tous les jours de petites fins du monde. Le mur de Berlin s’est écroulé et l’empire russe est démantelé. Les protagonistes vivent la fin de la Guerre froide. Un équilibre est rompu.
«Les maisons anciennes avaient des caves, des cryptes, des celliers, des vides sanitaires ou des cachettes à kalachnikovs. Mais le sous-sol du bungalow nord-américain est différent. Il est isolé, chauffé, meublé, équipé avec des lits, des congélateurs, des chambres froides, la télévision, le téléphone et des jeux de société… …Le sous-sol moderne est apparu durant la guerre froide, c’est le produit d’une civilisation obsédée par son avenir. Mais quand on y pense bien, la dernière fois qu’autant d’Homo sapiens ont habité sous terre, ça remonte à l’âge de pierre.» (p.47)
17 juillet 2001
Hope, s’amusant avec des dés, trouve une date. Elle se bute au 17 juillet 2001, le jour où tout s’écroulera. Cela aurait pu être le 11 septembre de la même année ou l’an 2000 où tous les ordinateurs devaient tomber en panne. Les signes se multiplient, nourrissant son obsession. La date de péremption sur les boîtes de ramen Captain Mofuku tombe le 17 juillet 2001. Tout bascule quand elle découvre le livre des prophéties d’un certain Charles Smith. Le gourou prédit lui aussi la fin du monde pour le 17 juillet 2001.
«Je lisais et relisais l’encadré, incrédule, répétant qu’il s’agissait d’une simple coïncidence, mais Hope ne voulait rien entendre. À son avis, les probabilités qu’un autre illuminé annonce la fin du monde pour le 17 juillet 2001 s’élevaient à environ 1 sur 16 milliards. Cette découverte nous coupa subitement toute envie de fêter.» (p.147)
Hope part pour New York pour rencontrer Smith. D’étape en étape, elle se retrouve à Tokyo, une ville qui a connu une «fin du monde» avec l’explosion de la bombe atomique.
Monde familier
Le monde de Nicolas Dickner est à la fois familier et étrange. Les frontières sont abolies, les nations de plus en plus floues. Avec la mondialisation, tous se gavent des mêmes images à la télévision, consomment les mêmes aliments, partagent les mêmes hantises et les mêmes angoisses. L’identité est plus incertaine que jamais, les gens sont à peu près semblables et pareillement hallucinés. Les hommes et les femmes sont de plus en plus nomades, en quête de sens et d’ancrage. Et comment échapper à la malédiction génétique? Dickner nous plonge dans une réalité où l’équilibre se rapproche de la folie.
L’écriture dépouillée et d’une efficacité remarquable tient en haleine du début à la fin. Nicolas Dickner a relevé le défi du second roman.
«Tarmac» de Nicolas Dickner est publié chez Alto Éditeur.