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jeudi 25 septembre 2025

LES HUMAINS NE SAVENT QUE SE RÉPÉTER

LES HOQUETS de la planète inquiètent de plus en plus et, les écrivains, ne restent pas les bras croisés devant ce phénomène. Christiane Vadnais, dans «Les ressources naturelles», nous entraîne dans une utopie bien québécoise. Une partie de l’estuaire du Saint-Laurent est avalé par une sorte de trou noir où rien ne peut survivre. Toute vie animale et végétale a disparu de ce lieu. Est-ce que ce vide peut s’étendre sur tout le pays? Même les navires n’arrivent plus à traverser un brouillard épais comme de la mélasse. Clémence Saint-Pierre, la porte-parole du groupe Torrents, une entreprise qui tente de régler les problèmes environnementaux, doit calmer les craintes des protestataires et d’une population de plus en plus inquiète. Née dans la région du golfe Saint-Laurent, Clémence est personnellement touchée par ce problème. Ses parents se sont toujours tenus en marge en prônant des idées qu’elle doit contrecarrer maintenant. Clémence a fui pour étudier et faire sa place à la ville, échapper à une terrible solitude, à une vie où le quotidien happe toutes les énergies. Elle est passée si l’on veut de la rébellion à la collaboration.

 

Le Québec et la planète sont en bien mauvais état. Les régions périphériques ont été dévastées et pillées. Ici et là, quelques travailleurs s’acharnent encore à extraire ce qui reste de minéraux. C’est devenu le refuge des contestataires, des écologistes et des environnementalistes qui ne croient plus aux promesses des élus et aux mesures qu’ils proposent pour enrayer les fléaux de la pollution. Ces activistes vivent dans de petites communautés isolées, en autarcie, mais peuvent aussi passer à l’action et constituer une menace pour les gouvernants qui les tiennent à l’œil. 

 

«On nous a livré un monde en crise qui, pour rester soutenable, doit constamment être contenu. Alors, quand des feux brûlent, nous arrosons. Quand des eaux montent, nous érigeons des murs. Si le désert progresse, nous l’irriguons. Les abeilles meurent, nous envoyons des robots caresser les pistils des fleurs. À la hausse des températures, nous répondons par la diffusion d’une poudre de diamant dans la stratosphère, renvoyant la lumière vers l’étoile d’où elle est venue.» (p.22)

 

La technologie a fait des bonds prodigieux. Les robots réalisent des miracles et toutes les tâches que l’on peut imaginer. On a même réussi à ressusciter des espèces disparues. 

 

MISSION

 

Clémence, dans la tour de Torrents, un havre artificiel est en mission avec ses collègues. Ils ont le sentiment d’être là pour préserver et restaurer toute la vie aquatique, aérienne et terrestre.

 

«Chez Torrents, nous travaillons pour quelque chose de plus grand que nous-mêmes, pour les oiseaux, les insectes et leurs montagnes, pour les dentelles de forêts giboyeuses, les plaines vierges de mines et les rivières encore sans barrage. Nous travaillons pour la limpidité de l’air, pour les ciels très noirs, ceux qui vous absorbent jusqu’au silence, et pour le fleuve qui scintille au pied de la tour. Nous travaillons pour la majesté du dehors, sans laquelle rien n’est possible.» (p.27)

 

Cette entreprise séduisante au premier coup d’œil a des failles, comme Christiane Vadnais ne tarde pas à le démontrer. Ce paradis élevé au cœur de Montréal, face au fleuve, fait oublier les ambitions démesurées des dirigeants qui cherchent à tout contrôler. 

Lilas, la patronne aime et désire le pouvoir. Le sauvetage de la planète sert à masquer des pulsions primaires qui poussent des individus à vouloir tout régenter. Un idéal, un travail admirable, une tâche nécessaire qui finit par claudiquer avec de tels dirigeants. 

 

CONSCIENCE


Clémence prend conscience peu à peu que tout ce qui l’entoure est factice, faux et trompeur. Là encore, on cherche à exploiter les gens les plus brillants au nom d’un idéal. Les beaux discours qu’elle doit répéter finissent par sonner creux et elle n’arrive plus à masquer ses doutes et ses troubles. 

 

«Je m’assois près du bassin, pacifiée par la délicatesse de l’ombrelle, des filaments, du tout petit œil-caméra. Cet être m’évoque ce que je me suis toujours imaginé du golfe; le calme suspendu des profondeurs, la singulière perfection de la vie. Me reviennent les images de la péninsule telle que je l’ai connue, enfant : ses plages granuleuses, leur froide incandescence zébrée d’algues noires.» (p.43)

 

Un combat pour régénérer les forêts ravagées, les océans vidés, pour ramener la vie sous toutes ses formes, particulièrement dans le trou noir du golfe Saint-Laurent. Un effort colossal qui a pris une mauvaise direction. Tout ce que l’entreprise fait est de mécaniser le monde. Autant dire remplacer tout ce qui est vivant par des machines qui donnent l’illusion du réel. 

Il n’y a plus rien de naturel dans le Montréal de Christiane Vadnais. Les oiseaux sont des petits drones, tout comme les insectes, et les humains avalent une quantité impressionnante de pilules. Ils doivent être efficaces et devenir des héros et des héroïnes qui ne doutent jamais. 

 

RÊVE

 

Clémence fait d’étranges songes où elle se retrouve dans le corps d’une renarde qui voit et ressent la tragédie qui frappe son environnement. 

 

«Parfois, la renarde de mes rêves marche sur le toit, près du cadre de la fenêtre. Je ne comprends pas ce qu’elle fait là, sans protection face aux tempêtes, aux canicules, aux drones, aux prédateurs, aux vapeurs d’usine des cités industrielles. Tout pourrait lui crever la peau. Quand elle se glisse dans la chambre pour se serrer contre moi, ses yeux clos comme des secrets, ses os minces me bouleversent. J’oublie les problèmes et tout ce à quoi je tenais. Plus rien ne compte que de sentir, au contact de sa fourrure, que j’existe encore.» (p.115)

 

Clémence va comprendre plus tard que des contestataires lui ont fabriqué des rêves en squattant son cerveau et en la manipulant. Les clans, celui de Torrents et les révolutionnaires se battent pour prendre le contrôle des esprits en réunissant des individus, un jeune à un plus âgé, ce qui permet de prolonger l’existence d’un vieillard grabataire. Une forme d’égoïsme où une caste vole pour ainsi dire le corps des plus jeunes pour vivre éternellement. Un autre rêve de l’humanité que de contrer la mort. On fusionne aussi avec des bêtes pour comprendre et ressentir l’environnement différemment.

Un roman étrange, déroutant, qui inquiète, un monde en décrépitude qui subit tous les dérèglements climatiques. Chose certaine : nous devons muter et changer nos manières de voir et de penser, pour sauver la Terre. Toutes les découvertes et les prodiges de l’intelligence artificielle finiront par se tourner contre nous et à nous précipiter dans l’abîme. 

Si tout se déglingue sur la planète, il y a la nature humaine qui cherche par tous les moyens à dominer les autres et à établir des pouvoirs qui ne profitent qu’à un petit groupe. Ça, ça ne change pas. La Terre est en danger et l’écrivaine nous le fait ressentir dans nos corps et nos esprits. Et, peut-être qu’avant de sauver notre monde, il faut s’arrêter et regarder en soi. C’est ce que Clémence comprend au bout de sa quête. 

 

VADNAIS, CHRISTIANE, «Les ressources naturelles», Éditions Alto, Québec, 2025, 256 pages, 26,95 $.

https://editionsalto.com/livres/les-ressources-naturelles/

mardi 23 septembre 2025

DIRE LA VÉRITÉ POUR RETROUVER LA PAIX

POURQUOI n’ai-je jamais lu Martine Delvaux, même si je connais son nom et que j’ai pu surprendre plusieurs de ses interventions dans les journaux et les médias sociaux? Il y a nombre d’écrivains et d’écrivaines qui échappent à mon attention, malheureusement. On publie environ 900 ouvrages par année au Québec. Je devrais parcourir trois volumes par jour pour avoir une vue d’ensemble sur notre planète littéraire. Madame Delvaux, féministe bien assumée, vient de lancer un récit au titre intriguant. Je n’ai pu résister. Il était temps que je me risque dans son univers et que j’oublie les réactions que ses propos soulèvent régulièrement. Elle revient avec «Il faut beaucoup aimer les femmes qui pleurent» sur un roman paru il y a une dizaine d’années, à une rupture amoureuse qu’elle avait maquillée en fiction hétérosexuelle quand il s’agissait d’un amour avec une femme. Une publication qui l’avait laissée sur son quant-à-soi, avec le sentiment de ne pas avoir fait ce qui aurait dû être fait alors.

 

Franchise et honnêteté. Ce sont peut-être les qualificatifs qui expliquent la démarche de l’écrivaine. Dire la vérité, se libérer du mensonge, d’un événement qu’elle a raconté, mais qu’elle a trafiqué en substituant un homme à une femme. Tout était différent et le lecteur était orienté dans une fausse direction, une autre histoire. L’écrivaine se retrouvait en porte-à-faux avec des propos que le lectorat prenait pour le «réel absolu». Normal, parce que la relation entre un écrivain et son lecteur repose sur la vérité et la confiance. C’est là où tout se passe. Les lecteurs et les lectrices, moi y compris, doivent croire aux affirmations des auteurs. Sinon, la magie de la fiction n’opère plus et la lecture devient sans intérêt. Ce lien est nécessaire pour qu’on s’approprie une histoire, pour qu’on prenne les mots au pied de la lettre pour suivre les personnages et leurs aventures. 

 

«Parce que je ne suis pas venue à bout d’une histoire vécue il y a maintenant plus d’une décennie, et parce que le livre que j’en ai fait, déjà, est trop propre, trop lisse, enragé, oui, mais pas assez, trop prudent, trop craintif, il manque d’aspérités. Quelque chose a été évité, escamoté, refoulé, quelque chose qui mérite d’être amené dans la lumière non seulement parce que ça fait partie de mon histoire, et donc aussi de l’écriture, mais parce que c’est plus grand que mon histoire, c’est plus grand que moi, ça concerne une des expériences les plus compliquées qu’on puisse connaître comme être humain : aimer.» (p.10)

 

Défaire ou refaire un roman. Peut-on réussir cet exploit? Je ne pense pas. On ne peut que faire un autre livre avec un même sujet. Parce que, dix ans plus tard, Martine Delvaux est une autre et qu’elle n’a pas le même regard sur son vécu, ce drame qui a bouleversé son existence. C’est un récit différent que j’ai dans les mains, plus direct peut-être, pas tellement enragé, avec des personnages vrais tout en gardant sa distance par pudeur ou je ne sais quoi en ne nommant jamais les gens dont il est question. Il n’y aura qu’une lettre pour identifier son amoureuse, un Z pour la tenir au loin. L’amante reste évanescente, un peu irréelle et floue. Nous n’avons aucun trait de celle dont elle est tombée éperdument amoureuse, celle qu’elle a épousée et qui lui a déchiré le corps et l’âme. Je n’aime guère que l’on s’approche de la vérité sans franchir le pas, sans nommer les gens qui sont concernés dans un récit. C’est comme si on s’empêchait d’aller au bout de sa réalité et que l’on maquillait le tout encore une fois. 

 

«Dans ce livre-là, celui où je n’ai pas tout dit, qu’est-ce que j’avais refusé de raconter par crainte qu’on me le fasse payer? Qu’est-ce que j’avais retenu de peur d’être mal comprise ou jugée, critiquée, condamnée? J’ai craint qu’on me fasse du mal, oui, d’où cette petite lâcheté, mais j’ai aussi eu peur, moi, que je le veuille ou non, de blesser.» (p.24)

 

J’ai ressenti cette peur d’être jugé et ridiculisé en écrivant «Le réflexe d’Adam» où j’ai tenté de jongler avec ce qui poussait un homme à la violence et au meurtre. Pourquoi Marc Lépine a pu assassiner quatorze femmes et à en blesser treize autres le 6 décembre 1989. La «tuerie de Polytechnique» a marqué l’imaginaire de bien des Québécois et Québécoises. C’était moi qui étais blessé et qui souffrais devant cet acte impossible. C’était moi, mon frère, mon semblable qui avait commis l’irréparable. Pourquoi cette fureur, cette démence, la colère contre des femmes qui veulent faire leur vie?

J’ai cherché ce germe de violence en moi, cette rage qui pouvait surgir pour éclabousser mes proches. J’avais peur parce que, dans ce récit, je secouais mes craintes et mes vulnérabilités, mon éducation de mâle, mes regards, les liens entre les hommes et les femmes, la littérature et les histoires que j’avais racontées dans mes romans. Surtout en m’inspirant de l’une de mes tantes, ma marraine, dans «Les oiseaux de glace», une femme battue et tuée dans son corps et son âme, isolée comme une ombre dans les marges de la société.

Les héros qui m’avaient fasciné dans l’enfance et qui faisaient face à la mort sans broncher devenaient suspects. J’avais peur que l’on m’attaque, que l’on me ridiculise. Je n’avais pas prévu l’indifférence et cette phrase lapidaire à «La bande des six» de Radio-Canada. Chantal Joli avait lancé alors en souriant : «On en a assez des hommes roses». 

C’était comme si on me tirait à bout portant.

 

FRANCHISE


 Martine Delvaux, dans ce nouveau récit, avec un certain recul, raconte cet amour fou qui l’a poussée à se nier et à accepter de devenir une femme dépendante et soumise. C’est possible, même dans un couple de lesbiennes. Elle va plus loin, cependant. Elle déborde sur son vécu et sur la société, sur ses démarches à l’université. Elle dit comment cette passion ravageuse a transformé son écosystème, et peut-être son regard et sa façon d’empoigner la vie.

 

«Après la rupture, pour soigner ma dévastation, faire le ménage dans mon champ de ruines intérieur, j’ai décidé de mettre Rome à la place de Z. J’ai remplacé le corps de cette femme par les rues de cette ville sublime qui avait elle aussi pris mon cœur. Ses couleurs faisaient monter mes larmes, et aussi la manière dont le bleu du ciel et la lumière du soleil en découpaient le profil, comment le vent chaud caressait la peau. Je n’allais pas venir à bout de cette ville, comme je n’étais pas venue à bout de mon amour pour Z., mais j’avais opéré un glissement.» (p.61)

 

Revenir à soi par l’exil, dans une ville, une solitude où elle pouvait se permettre tous les débordements, les larmes, mais aussi la vie qui la secouait dans toute sa beauté. Elle a consulté, suivi une thérapie, pour pleurer devant un homme silencieux et muet. Parler pour être entendu même si, avec un psychiatre, nous ne sommes jamais certains de rien. 

Et, toujours retrouver le chemin de l’écriture pour aller plus loin dans son vécu, dans son soi, pour toucher là où ça fait le plus mal. Des mots, des phrases pour se voir, être consciente de respirer et de penser, pour se ressusciter, à la fois différente et semblable. Plus fragile, mais peut-être aussi plus solide.

 

«Je me dis parfois que cette histoire d’amour aura été le déclencheur véritable de ce que mes détracteurs se plaisent à nommer ma radicalité, sans savoir de quoi ils parlent. Ils sont convaincus que c’est parce que je suis mal tombée en matière de relations avec des hommes (ce qui est par ailleurs vrai) que je suis devenue une criss de féministe frustrée. Pourtant, c’est bien mon amour pour cette femme-là qui a fait de moi la féministe que je suis aujourd’hui, débusquant au passage la misogynie et la haine des défenseurs de la droite.» (p.70)

 

Un récit émouvant dans lequel Martine Delvaux réussit à nous faire ressentir sa douleur, sa terrible déception devant Z., qui se comporte comme une despote et qui soutient l’indéfendable. On la sent, on la respire comme si elle était près de nous dans ses larmes et ses hoquets. Martine Delvaux s’y révèle dans sa vulnérabilité et sa quête de certitudes malgré les embûches qu’elle a vécues dans son enfance. C’est dans et par l’écriture qu’elle est le mieux. Les mots lui permettent de s’accorder avec le monde et la vie. 

Il faut du courage pour plonger dans un moment qui vous a bouleversé et qui vous a laissé telle une naufragée. Audace, franchise et amour de la vérité. Même au risque de se retrouver une fois le livre paru dans une plus grande solitude qu’avant, sans certitude, puis que personne n’a écouté ce que vous vouliez dire. C’est ce que j’ai vécu avec la publication du «Réflexe d’Adam», comme si j’avais crié dans une forêt ou la toundra aussi vaste qu’une galaxie. C’est peut-être plus terrible que l’affrontement et l’empoigne parce que, là au moins, on se sent vibrant et avec les autres.

 

DELVAUX MARTINE : «Il faut beaucoup aimer les femmes qui pleurent», Éditions Héliotrope, Montréal, 2025, 156 pages, 24,95 $. 

 https://www.editionsheliotrope.com/livres/il-faut-beaucoup-aimer-les-femmes-qui-pleurent/

vendredi 19 septembre 2025

QUI LIT ENCORE DES ESSAIS AU QUÉBEC

ÉTIENNE BEAULIEU n’y va pas par quatre chemins dans «Un essaim de poussière» où il parle de l’essai et le défend envers et contre tous. Selon lui, ce genre littéraire n’a pas la place qui lui est due dans notre monde des lettres. Il se demande pourquoi la fiction occupe le haut du pavé et qu’elle fait courir les foules dans les salons du livre. Surtout que les prix importants se multiplient pour le roman, le théâtre ou la poésie quand l’essai est laissé pour compte. Il y a des gratifications consacrées à ces ouvrages, bien sûr, mais elles restent dans l’ombre. C’est peut-être vrai, mais l’essai a ses ténors. Je pense à Serge Bouchard, Gérard Bouchard et Mustapha Fahmi, Frédérique Bernier et Sara Danièle Michaud pour n’en nommer que quelques-uns. Beaulieu répète que cette réflexion (merci à Michel de Montaigne de l’avoir imaginée) est cruciale dans un monde qui claudique et qui ne sait à quoi s’accrocher pour inventer l’avenir et contrer la catastrophe du présent.

 

Étienne Beaulieu raconte sa «collision» avec l’essai quand il était étudiant, lors d’une visite au Colisée du livre de Québec pour se procurer des lectures à bas prix. Il fouillait dans les bacs de bois poussiéreux où tous les volumes gisaient dans un désordre et un fouillis fascinants. Il y avait bien quelques affichettes pour identifier les romans, le théâtre ou la poésie, mais l’essai demeurait invisible dans la galaxie des écrits oubliés. Il allait à l’aventure, sans savoir sur quoi il allait tomber, ouvrant un bouquin ici et là, au hasard, s’accrochant à une phrase qui lui donnait le goût d’extirper un ouvrage du chaos. 

Tout se mélangeait, sans hiérarchie et vedettes, autant le travail d’un écrivain nobélisé que celui du plus obscur des poètes qui avait confié son recueil à une petite maison d’édition qui avait duré le temps d’une gloire du matin et qui n’avait jamais eu droit à une ligne dans un journal ou une revue. Tout était à 1 $ sans discrimination et sans favoritisme. 

Tous pour un et un pour tous. 

Égaux dans la poussière et le silence. Il y a quelque chose de fascinant dans ces lieux. J’ai fait comme Étienne Beaulieu et j’ai passé des heures à fouiller ici et là pour trouver «mon livre», celui que je rapportais chez moi, lui donnant une autre chance de vie. 

 

«Un jour, je tombe sur un livre intrigant dans la belle collection “Nénuphar” de chez Fides, la couverture est sale et toute plissée. Qu’est-ce que c’est que ce truc? Ça n’a pas l’air d’être de la poésie, que je lisais presque exclusivement. Ce n’est pas non plus un roman, ni du théâtre, le titre est bizarre et ne me dit rien : La ligne du risque. L’auteur m’est inconnu, un certain Pierre Vadeboncoeur, dont le nom me fait penser à un soldat obscur de l’époque coloniale. Les grosses pages blanches ont une texture un peu pâteuse. J’ouvre au hasard et un passage me saute au visage (il faudrait faire entendre ici le roulement des r, le léger nasillement des années 1950 et tout le crépitement des vieilles ondes radio): “Borduas fut le premier à rompre radicalement. Sa rupture fut totale. Il ne rompit pas pour rompre; il le fit pour être seul et sans témoin devant la vérité. Notre histoire spirituelle recommence à lui.” J’ai été foudroyé. J’avais 17 ans…» (p.10)

 

Une sorte de chemin de Damas pour l’étudiant qui découvrait une parole, un texte qu’il recherchait sans doute inconsciemment, qu’il pourrait apprivoiser aussi quand il aurait l’audace de se lancer dans l’écriture. 

 

«Tout était là, donné d’un seul coup d’un seul que j’allais mettre des décennies à digérer lentement : la rupture, la voix, la solitude, la recherche de vérité, l’élan spirituel, voilà ce qu’est un essai.» (p.11)

 

Une prose impossible à confiner dans une catégorie sans que ça déborde et échappe aux contraintes et à toutes les définitions. Le mot le dit : c’est une tentative dont on ne peut prévoir les bonds. Une expérience avec ses risques et périls. Une forme qui s’abreuve à toutes les sources. C’est pourquoi ce genre d’écrit est si difficile à cerner, même si Beaulieu tâche d’y arriver tout au long de son ouvrage. Une prose caméléon qui prend toutes les apparences.

 

SON LIVRE


Il y a des livres qui nous attendent. Pour moi, ce fut «L’homme unidimensionnel» d’Herbert Marcuse. J’étais à l’université, étudiant en littérature française; autant l’avouer, la plupart de mes cours m’ennuyaient. La grammaire comparée, la phonétique, c’étaient sans intérêt pour moi. J’avais surtout l’impression de régresser dans ces cours où je devais reprendre des ouvrages lus déjà depuis longtemps. Depuis la fin du primaire, j’étais un coureur de livres qui aimait l’aventure, les découvertes, la poésie de Guillevic, d’Alfred Desrochers, les romans de Jean Giono qui me troublaient avec ceux d’Henri Bosco. 

Je n’avais pas beaucoup d’argent à Montréal, mais j’allais souvent à la librairie pour trouver de quoi pour la semaine avant de passer à l’épicerie. Avec «L’homme unidimensionnel», j’ai dû me priver de repas ce soir-là, mais cela n’avait pas d’importance. Je me retrouvais dans une terre inconnue et secouais des vérités qui seraient miennes toute ma vie, je le devinais. 

Je l’ai parcouru d’un élan, sans lever les yeux presque, pour recommencer tout de suite en soulignant ici et là, rendant le livre impraticable pour n’importe qui. Trois, quatre fois certainement avant de me redresser dans un matin tout rouge et étourdi. J’avais oublié les cours, les travaux et les collègues. Marcuse me tenait à la surface de l’eau pour que je respire. 

Le philosophe et sociologue mettait le doigt sur un malaise que je ressentais à l’université. Tous les cours voulaient me confiner dans un moule, me faire devenir un autre parfaitement prévisible quand j’étais fait pour l’errance et la maraude. Il fallait rejeter tout ça pour me trouver, pour écrire de la poésie et parvenir un jour à porter la tuque de l’écrivain. 

J’ai marché les trottoirs de la ville avant de sauter dans le train, avec ma valise pleine de livres, pour retourner dans mon village de La Doré, pour renouer avec ma famille que j’avais trahie en prenant la direction de Montréal au lieu du bois. J’étais un transfuge de classe, monsieur Jean-Philippe Pleau, mais aussi un renégat.

 

PRÉSENCE

 

Étienne Beaulieu a raison. Sur mon blogue, quand je m’attarde à un essai, peu importe le sujet et sa pertinence, je soulève peu de réactions et rarement de commentaires. Ça ne m’empêche pas de m’entêter et de continuer de jongler avec ces réflexions qui donnent des balises dans la course effrénée qu’est la vie. Je ne suis pas un vrai chroniqueur, mais un lecteur qui écrit sur ses lectures.

L’essai est «de la plus haute autorité», comme aurait dit mon ami Victor-Lévy Beaulieu. Il se situe du côté de l’être et de l’âme, du pourquoi et du comment, du cheminement et de l’incroyable aventure de devenir humain.

 

«Mon but dans le présent essai est de rapatrier le mot dans son véritable territoire, de bien le distinguer de la prose d’idées et de lui rendre toute sa force et sa puissance évocatrice sans qu’on ait besoin désormais de lui accoler aucun adjectif, serait-ce même celui de “littéraire”, qu’on prononcerait avec un accent de corvidé grasseyant.» (p.59)

 

Monsieur Beaulieu sait très bien qu’il ne parviendra pas à bousculer la fiction et les témoignages de vedettes aussi éphémères que les météorites. 

Le plus important reste ce moment où à dix-sept ans, un mot l’a accroché et l’a guidé depuis. 

«Rupture».

Quand on rompt avec la société ou avec des manières de dire et de s’interpeller, nous en payons toujours le prix. Monsieur Borduas l’a vécu difficilement. Et je suis demeuré un écrivain de la marge parce que je me suis interdit de porter les habits d’une institution. Je n’ai eu qu’une vocation : celui de la lecture.

 

RÉPIT

 

Le plaidoyer d’Étienne Beaulieu est vibrant, mais il m’a fallu prendre des répits pour me vider l’esprit de tous les tourbillons de cet écrivain. Je suis allé me perdre dans le bois et les dunes pour respirer, être, me rassurer en mettant les mains sur l’écorce d’un pin rouge centenaire ou encore tenter de déchiffrer les confidences des mésanges ou le regard curieux de la renarde qui m’avait suivi dans la plus étrange des discrétions. 

Peut-être que c’est la force de cet ouvrage d’être une sorte d’aimant qui vous ramène toujours à une seule et même question. Cette parole intime, chuchotée dans un lieu retiré où l’on sent la vie bourdonner tout autour. De très belles pages aussi sur la démarche d’Yvon Rivard, dont je viens de lire la réflexion sur la violence. 

Malgré de nombreux retours sur la notion de genre de l’essai, Beaulieu se questionne sur les événements qui nous aspirent, nous font claudiquer, nous gardent souvent à côté du chemin que nous avions choisi de suivre. «Un essaim de poussière» est un livre un peu étrange qui vous attire comme un trou noir. 

Et j’ai recommencé ma lecture depuis la première phrase. «Je me souviens de cette immense salle presque toujours vide…» Je me suis attardé aux passages que je souligne au marqueur jaune. J’ai retraversé les chapitres de Beaulieu en effectuant de grands bonds, m’étourdissant dans son envie de se dire, de secouer le monde, de fouiller dans nos habitudes et les scories de nos écrits. 

Je suis parvenu à me rassurer ou à m’inquiéter encore plus en me demandant pourquoi l’essai fait problème à notre époque. C’est que la pensée est déficiente, le questionnement qui engendre la discussion n’existe presque plus. Nous sommes du temps des assertions et de la proclamation, du vrai et du faux amalgamés. Nous hurlons comme les crieurs autrefois sur le parvis de l’église pour vendre nos opinions. La réflexion lente, le dialogue, la méditation sont obsolètes dans notre monde médiatique et les réseaux de toutes les diffamations. 

Bien sûr que je vais remettre mes pas dans ceux de Beaulieu parce que sa démarche est nécessaire. Il est toujours important de suivre les empreintes de ceux et celles qui prennent le sentier du recueillement. C’est comme ça que nous nous approchons de l’humain qui sommeille en chacun de nous, de cet autre qui ne demande qu’à être réveillé. 

 

BEAULIEU ÉTIENNE : «Un essaim de poussière», Éditions Varia, Montréal, 2025, 168 pages, 26,95 $.

 https://groupenotabene.com/publication/un-essaim-de-poussiere/

 

jeudi 18 septembre 2025

PERSONNE N’EST INDIFFÉRENT FACE À L’ART

UNE BONNE idée que celle de Vava Sibb! Son recueil de nouvelles : «Je ne suis pas une nature morte» nous entraîne dans des musées où les visiteurs peuvent contempler des chefs d’œuvres de la peinture et les pièces marquantes de grands créateurs. L’auteure emprunte l’uniforme des hommes et des femmes qui surveillent discrètement, au fond de la salle, immobiles, mais qui saisissent tout et font en sorte que tout aille bien. Des gardiens que personne ne voit et à qui on n’adresse jamais la parole. Mais que se passe-t-il dans la tête de ces surveillants impassibles, muets devant des gens qui n’en ont que pour une œuvre qu’ils veulent scruter et admirer? Peut-on fréquenter pendant des jours de grandes réalisations picturales sans être touché, contaminé d’une certaine façon par la beauté et le récit d’un tableau? Vava Sibb imagine «les effets collatéraux des œuvres d’art» sur ceux et celles qui s’exposent quotidiennement à elles. Nous voici face à «La Joconde» de Léonardo de Vinci, tout près de Monet, du «Bassin des nymphéas», des «Demoiselles d’Avignon» de Picasso, de «Numéro 31», de Jackson Pollock. Et, bien sûr, «Le baiser» de Klimt pour rêver. L’écrivaine nous garde pour la fin «La nuit étoilée» de Vincent Van Gogh.

 

D’abord «La Joconde» de Léonardo de Vinci, un génie qui a su échapper à son époque par son travail. Une toile toujours d’actualité après plus de 500 ans : un chef-d’œuvre de la Renaissance peint sur bois de peuplier, avec un arrière-plan atmosphérique. Surtout, l’inoubliable sourire de son sujet. Avec un regard qui semble suivre le visiteur quand il se déplace dans la salle. 

Un gardien, pendant ces jours et ces semaines, ne peut s’empêcher de faire face au tableau, de se sentir surveillé par cette dame mystérieuse qui ne le quitte jamais des yeux. L’écrivaine imagine des liens entre l’œuvre et l’employé, quelque chose de subtil, d’intime, qui le rejoint dans ses désirs profonds. 

Julien rêvait d’être comédien dans «Sourire de glace», d’incarner de grands personnages, mais rien n’a été comme il le souhaitait. Que des petites apparitions, une phrase à dire et au revoir. Il voulait être celui que l’on admire, qui attire tous les regards et il n’a été qu’un figurant sans nom et sans visage. Et, dans l’uniforme de gardien de musée, devant «La Joconde», il prend conscience de son insignifiance, de ses désirs brisés. Il ne peut le tolérer. Tous ces visiteurs qui n’en ont que pour elle, il ne peut le supporter.

 

«C’était le lent pouvoir destructeur de la foule et le sentiment de l’absurde indifférence qui le rongeaient. De toute évidence, personne ne pouvait lutter contre la force d’une telle œuvre, encore moins contre son pouvoir d’attraction, son mystère. Julien, lui, se mit à ressentir comme une amputation. Il pédalait sans fin dans l’œil d’un dangereux cyclone qui charriait sans relâche son lot de fans et d’amateurs. Il était devenu transparent, anonyme et inexistant pour la deuxième fois.» (p.21)

 

Rien de pire que de se sentir inutile, insignifiant et un rien du tout. Julien perd la boule devant la dame qui garde son sourire énigmatique.

 

DRAME

 

Simon vient de perdre son épouse Léa et a du mal à reprendre pied. Il cherche des repères, tout ce qui faisait de ses jours un chapelet de gestes et de petits bonheurs. Et voilà qu’il est happé par une toile de Monet, une œuvre que sa femme aimait particulièrement. Il a l’impression de s’approcher d’elle en regardant le tableau, sent une irrésistible attirance, comme si quelqu’un le poussait vers cette mare pour se glisser dans une autre dimension. 

 

«L’éternité parlait à Simon. Phénomène qu’il n’analysait pas mais dont il pouvait mesurer l’effet. Étonnamment, la confusion du ciel et de l’eau captée par le peintre œuvrait comme l’une des meilleures sauvegardes de la mélancolie. La connivence des flous unissait l’état de l’homme au motif. Le jeu des transparences et de l’opacité le maintenait à flot. Parfois, absorbé par le souffle ténu de la scène, par le clapotis imperceptible des touches de peinture, par d’impérissables frissons de surface, il répondait avec un temps de retard aux demandes des visiteurs qui esquissaient un signe de la main. “Oui? Vous dites?” reprenait-il alors, émergeant de cette dissolution momentanée.» (p.33)

 

Si Julien se sentait ignoré par «La Joconde», Simon, lui, est magnétisé par l’étang de Monet qui miroite et scintille devant lui. Une manière d’aller vers sa femme, Léa, de retrouver le monde perdu. 

 

FUITE


Betty voulait changer de vie en s’installant à New York et en devenant la gardienne attitrée des «Demoiselles d’Avignon» de Pablo Picasso. Tout de suite, elle sent que cette toile dégage une énergie particulière et qu’elle touche ceux et celles qui s’approchent. «Elle avait cependant remarqué que Picasso et ses Demoiselles lui donnaient parfois l’illusion d’une beauté retrouvée.» C’est comme si le travail du maître engendrait une envie furieuse d’être, de se dire et de se mettre au monde. Cette poussée irrésistible se traduira par une fièvre créatrice. 

Picasso lui accorde l’occasion de s’aventurer dans son passé pour en faire surgir des formes et des couleurs. L’œuvre de ce créateur devient un catalyseur qui permet à Betty de muter et de changer de peau. C’est aussi l’un des étranges pouvoirs de l’art que de provoquer, de stimuler pour aller vers une vie où nous pouvons installer nos propres balises et imposer notre regard.

 

GARDIEN

 

John a été gardien de prison et le voilà dans un musée, devant une toile de Jackson Pollock dont il ne sait rien. Ce n’est pas un amateur d’art. Il ne l’a jamais été. Indifférent, il regarde les visiteurs, surveille, une habitude de son ancien travail et écoute les commentaires des guides. 

Et peu à peu, il sent un magnétisme qui se dégage du tableau, une frénésie d’éclatement qui lui fait penser à la naissance d’un monde, à un Big Bang qui engendre une nouvelle galaxie. C’est peut-être la plus belle interprétation que l’on peut faire de Pollock. L’œuvre devient un déclencheur qui pousse le gardien à jongler avec des questions et peut-être à voir les visiteurs autrement.

 

«Un jour, justement, alors qu’il était attentif, il entendit que “la peinture accidentée de Pollock contribuait à créer des rythmes de surfaces, sans fenêtre sur le réel. Le travail répétitif, la performance gestuelle faisaient appel à la part inconsciente de l’artiste mais également à sa volonté de composer. On ne pouvait donc pas parler ici de hasard, pas plus que de séduction colorée, et pourtant le magnétisme du tableau rendait le spectateur captif, prisonnier de la toile.”» (p.64)

 

Il ne pourra se contrôler. Il y a un psychiatre dans la foule, facilement reconnaissable pour l’observateur qu’il est. Ce sera le moment de bouger pour se libérer du poids de son ancienne vie.

 

MUTATION

 

Le tableau de Gustav Klimt sera tout aussi important pour Sophia, une ancienne femme de chambre qui avait l’habitude «d’effacer» le passage des voyageurs ou encore la rencontre d’amants pour une nuit à défaut d’une vie. Elle s’abandonnerait volontiers dans les bras de l’homme évoqué dans la scène qu’elle a devant elle. Un rêve, une belle tendresse, peut-être de la nostalgie qui lui permet d’acquérir une personnalité et une assurance qui lui faisaient défaut. Elle sera visible dorénavant, l’une de celles que l’on regarde.

J’avoue avoir un faible pour la dernière nouvelle de «Je ne suis pas une nature morte», celle où un tableau de Van Gogh, un ciel hypnotique semble avaler le monde dans une formidable spirale, une mouvance qui se love et aspire l’univers. Peter n’aura de repos qu’en quittant tout pour se retrouver dans le lieu même qui a fait naître cette œuvre, au cœur de la pulsion créatrice. 

 

«C’est ainsi qu’un soir de grande clarté, Peter se rendit à proximité du monastère Saint-Paul-de-Mausole, là où le peintre avait été interné. Il s’assit sur une souche et se planta plein cadre. Le tableau réel était là. La nuit vibrait, pure, indifférente à ce minuscule résidu d’homme, ridicule devant le mystère de la vie, devant l’insondable Grand Tout qui le dominait. Tour à tour, Peter se sentit esclave et maître du monde.» (p.93)

 

Un texte magnétique et fascinant. 

Les toiles significatives provoquent, permettent d’échapper au temps et aux modes pour toucher ceux et celles qui regardent peut-être avec leur âme. L’art est là pour bousculer, pour inventer une réalité différente avec d’autres yeux pour s’approprier notre environnement. 

Vava Sibb joue habilement avec les forces et le magnétisme des œuvres d’art et se livre à des danses étranges et inquiétantes. Chose certaine, personne «n’est une nature morte» devant un tableau de maître. Voilà du vivant, de l’émotion et des pulsions qui aspirent et peuvent vous pousser dans un avenir plus intense et plus vrai, vous ouvrir toutes les dimensions de l’être. Une quête d’identité pour tous les personnages.

 

SIBB VAVA : «Je ne suis pas une nature morte», Éditions de La Pleine Lune, Montréal, 2025, 104 pages, 21,95 $.

 https://www.pleinelune.qc.ca/titre/713/je-ne-suis-pas-une-nature-morte