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jeudi 16 janvier 2020

COURAGEUSE VIRGINIE FRANCOEUR

VIRGINIE FRANCOEUR A DÉCIDÉ de bousculer des manières de faire dans le monde de l’éducation. Les universités oublient de plus en plus leur rôle, soit de permettre à des étudiants d’acquérir des connaissances qui en feront des êtres responsables, conscients des enjeux de la société, et ce pendant toute leur vie. En un mot, éduquer de meilleurs citoyens qui peuvent agir pour le mieux de leurs semblables. De plus en plus, les institutions de haut savoir, on peut aussi englober les cégeps, se transforment en établissements technologiques. Que ce soit en art ou en science, tous forment des spécialistes dans un domaine précis et limité. Ces diplômés ignorent la littérature et la philosophie qui remettent en question notre rôle et notre responsabilité de vivant dans l’univers.

Certains livres arrivent dans ma boîte aux lettres et je me demande s’ils s’adressent véritablement à moi. C’est le cas de Sciences et arts de Virginie Francoeur, la romancière que j’ai aimée dans Jelly Bean, une fiction qui secoue l’humain dans des dimensions étonnantes. Et surtout, avec en sous-titre : Transversalité des connaissances. Autrement dit ces savoirs qui se partagent et peuvent devenir un bien commun. Je l’ai placé dans la rangée des livres à lire. Il y en a plusieurs comme ça qui attendent depuis longtemps et qui ne retiendront jamais mon attention, seront oubliés avec l’arrivée de nouvelles publications.
La période des Fêtes étant un moment de rattrapage, je me suis risqué dans cet ouvrage que l’auteure a eu la gentillesse de me dédicacer. Je souligne un segment de sa grande écriture qui occupe tout l’espace d’une page : « … le même objectif de se questionner sur les paradigmes dominants et de se rebeller ! » Je suis toujours prêt à emprunter les chemins de cette contestation et surtout de découvrir les couleurs qu’elle peut prendre.
Voilà un travail bien présenté avec préface d’Isabelle Hudon et postface de Bernard Voyer qui a fait parler de lui lors de ses terribles expéditions. Très rapidement, madame Hudon a su titiller ma curiosité. Les cours à l’université sont de plus en plus spécialisés et techniques, oubliant la dimension humaine. Virginie Francoeur se fait plus précise dans son introduction.

L’université, comme institution, a subi une transformation radicale depuis le siècle des Lumières. On s’éloigne paradoxalement de la mission essentielle de l’éducation telle que l’envisageait le philosophe Jean-Jacques Rousseau : enseigner à vivre. Les programmes universitaires offerts sont de plus en plus spécialisés. (p.1)

Un peu plus loin, l’écrivaine et chercheure se montre encore plus incisive et critique.

À ce titre, je réalise que plusieurs universités se sont transformées en « cafétérias du savoir » où l’étudiant devenu « client » se sert à même le buffet ; il choisit au menu ce qu’il juge plus « rentable », répondant ainsi à un besoin à court terme. La division du travail inspirée par Frederick Taylor était censée rendre l’ouvrier plus efficace et plus productif ; chaque ouvrier, en n’effectuant qu’une seule tâche, devait finir par acquérir une dextérité améliorant son rendement. (p.2)

Les gros mots sont lâchés. Choix, buffet, rendement et efficacité pour plus de profits et plus de déchets aussi. L’homme mécanique qui répète le même geste pendant des heures dans ces usines qui ont bouleversé les manières de faire et ont décuplé la capacité de production. Un travail fragmenté, partagé entre plusieurs individus, des employés qui n’ont plus à réfléchir et se questionner. Ils se concentrent sur une tâche précise, oublient l’ensemble ou l’objet dans sa totalité. Avec dans un avenir tout proche, le remplacement de tous par des robots plus performants et plus fiables. L’humain est en train de devenir obsolète dans ce monde de productivité et de rentabilité à tout prix.

QUESTION

Virginie Francoeur, devant ce détournement de l’éducation et du rôle de l’université, tente une expérience inusitée. Comment faire travailler des spécialistes de la gestion avec des créateurs dans les domaines de la littérature et des arts visuels ? Ces « spécialistes » ne se fréquentent jamais même s’ils se côtoient au jour le jour et, bien plus, se méfient les uns des autres quand ils ne se méprisent pas. Autant dire que les scientifiques considèrent les littéraires comme des individus qui n’ont pas les pieds sur terre et qui sont incapables de résoudre des problèmes concrets. L’inverse est tout aussi vrai.

Cette méthode créative découle de la philosophie de l’enseignement du sociologue Edgar Morin. Ce dernier invite constamment à relier les connaissances entre elles en favorisant l’induction et les associations d’idées dans l’art de comprendre et d’analyser. (p.4)

Nous sommes bien loin de l’époque de Michel-Ange qui était à la fois sculpteur, écrivain, peintre, mathématicien et dessinateur d’étranges machines. L’homme complet, encyclopédique qui pouvait se réinventer par l’ensemble de ses connaissances. Ou encore d’Albert Einstein qui évoquait constamment la poésie et la musique dans sa démarche de physicien. Tout cela pour dire qu’il y a un tronc commun entre les sciences et la littérature qu’il faut explorer et partager.
La modernité a fait en sorte de tout fragmenter et d’isoler les gens dans des spécialités, des travaux répétitifs et souvent peu valorisants, des langages que seuls des initiés comprennent.

EXPÉRIENCE

Des spécialistes de la gestion ont accepté de confier leurs documents à des étudiants qui devaient s’en inspirer pour écrire un court texte et donner l’occasion à des participants en arts visuels de s’exprimer. L’idée de monter une exposition a vite été retenue. Les constats des chercheurs se sont retrouvés dans une prose littéraire et ont été vus sur de grandes affiches. Une manifestation fort intéressante qui a connu un beau succès à l’Université Laval, permis à des individus qui s’ignorent la plupart du temps de se croiser et de fraterniser pendant la durée de cet événement qui sortait des normes habituelles.
Il faut bien constater cependant que ce n’est là qu’une étape. Chacun des intervenants, dans leurs disciplines respectives, a agi à l’intérieur de ses balises et nul n’avait le droit de communiquer avec l’autre. Ce qui fait que la véritable discussion de personne à individu ne s’est jamais faite. Chacun demeurant dans ses concepts et ses manières de s’exprimer, utilisant son langage, ses codes et ses référents.
Il n’y a qu’à lire un extrait du projet de recherche portant sur les préposés aux malades dans les hôpitaux pour comprendre ce que je nomme « le jargon des spécialistes ». On le trouve aussi ce jargon chez les littéraires et dans le domaine des arts visuels. Les hommes et les femmes qui s’occupent de ceux qui ont perdu leur autonomie, les changent de vêtements, ramassent leurs excréments ne se retrouveraient guère dans ce langage que seuls les spécialistes arrivent à décortiquer.

L’article examine les stratégies défensives mises en place pour résister au dégoût et subvertir la souffrance en plaisir dans une clinique du toucher et de la conversation qui fait advenir les résidents en sujets désirants. Néanmoins, le dégoût ne peut être totalement suspendu, car il contient une efficace dont les préposées ne peuvent se passer dans les aspects hygiéniste, compassionnel et coopératif de leur travail. (p.79)

Les littéraires rétorquent en utilisant leur « langue » tout comme ceux en arts visuels.

Entre le Nous comme une broderie d’égoïsmes l’attrait du vide circulaire des révolutions inachevables par essence Toi et Je Il n’y a que cela une pitance caoutchouc pour l’altruisme sa mort à même le geste du don au moment où il y a conscience de recevoir. (p.48)

Ce contact si nécessaire et si convoité a-t-il eu lieu ? Il faut parler d’un apprivoisement plutôt, d’une première étape qu’a franchie Virginie Francoeur. Je suis convaincu qu’elle en est parfaitement consciente. Maintenant, le défi serait que ces intervenants participent à toutes les phases de la recherche, de la création et de la représentation. Peut-être que les scientifiques seraient obligés d’abandonner leurs jargons et que les littéraires devraient être moins abstrait. Pour parvenir à cette « transversalité » ou cette communication horizontale, il faut déboulonner les codes et le langage hermétique. Ça demanderait pas mal d’efforts et surtout une approche que rien ne valorise dans notre société et dans les maisons d’enseignement.
Yvon Rivard, dans son magnifique Le chemin de l’école explique bellement ce que la courageuse Virginie Francoeur tente de secouer et de bousculer dans le monde universitaire. Comment oublier les codes, les démarches dites rationnelles et scientifiques pour s’ouvrir et se laisser aller simplement au plaisir d’être et de créer, de s’exprimer et de montrer des humains dans leurs occupations quotidiennes.
Virginie Francoeur est particulièrement audacieuse pour s’attaquer à ces mondes scellés comme les fameux produits présentés sous vide dans nos épiceries qui sont aménagées pour titiller notre instinct de glouton et de gaspilleur. Elle a réussi un exploit en ouvrant des fenêtres et quelques portes. Un travail qui nous fait réaliser tout le chemin qu’il reste à parcourir pour que les connaissances se partagent et soient un outil qui permet aux femmes et aux hommes de mieux être dans leur tête et leur corps.
J’ai hâte de voir si Virginie Francoeur parviendra à redonner tout son sens à un apprentissage qui cherchera moins à former des spécialistes ou des techniciens, que des êtres qui réfléchissent et sont capables d’évaluer une situation, de comprendre les phénomènes complexes du réchauffement climatique et de la faim dans le monde. Mais pour arriver à cette révolution, il faudra domestiquer le capitalisme sauvage et mettre au pas les grandes entreprises qui dictent leurs besoins aux gouvernements et s’approprient de plus en plus le savoir des enseignants en devenant des bailleurs de fonds qui imposent leurs exigences au détriment de la pensée et de l’existence humaine.


FRANCOEUR VIRGINIE ; SCIENCES ET ARTS, TRANSVERSALITÉ DES CONNAISSANCES, PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL, 140 pages, 24,95 $.

https://www.pulaval.com/produit/sciences-et-arts-transversalite-des-connaissances

mardi 11 septembre 2018

VIRGINIE FRANCOEUR FRAPPE FORT

VIRGINIE FRANCOEUR ne laissera personne indifférent avec Jelly Bean, un premier roman qui permet une incursion dans un monde qui fait souvent les manchettes pour toutes les mauvaises raisons, ces lieux où de jeunes femmes dansent nues, se prostituent avec des « clients » qui se permettent tout. Ces faux Casanova savent faire rêver les filles naïves qui ont besoin d’argent pour leurs drogues, cherchent une forme d’anesthésie pour oublier leur réalité. Un monde d’illusions qui dure le temps d’un feu d’artifice. Oui, une plus jeune, une plus belle se dénude sous les projecteurs et celle qui captait tous les regards, il y a quelques mois à peine, est repoussée dans l’ombre.

J’ai  pris du temps avant d’adhérer à ce roman, à croire au personnage d’Ophélie. J’ai dû m’arrêter souvent, revenir sur quelques phrases avant de la suivre sans m'enfarger dans mes questions. Souvent, j’ai eu envie de traiter cette fille de nunuche et d’idiote. J’ai souvent pensé m’arrêter. Mais, j'ai continué, troublé d’une certaine façon, retenu par cette écriture singulière. Et comment abandonner Ophélie, Sandra et Djemila ?
Quelle réalité terrible, toffe pour ne pas dire autre chose. Des hommes qui peuvent se payer tous leurs fantasmes, des filles qui ne demandent qu’à s’étourdir dans de beaux vêtements, se prendre pour des vedettes quand tous les regards viennent sur elles comme des papillons qui les transforment en vierges incandescentes.
Et la naïveté d’Ophélie, sa candeur, sa « pureté » dans ce monde d’exploiteurs et d’exploitées me semblait étrange… Voilà un personnage ambigu, énervant et fascinant. Une Ophélie consciente, mais qui ne peut s’empêcher de jouer avec le feu. Elle a fait des études, est née du bon côté de Montréal, pourrait certainement faire autre chose que de servir des « drinks » à des hommes esseulés. Pourtant, dans ce bar, elle se sent belle et désirée, elle qui n’a jamais été à l’avant. Elle s’accroche à Sandra que les garçons approchaient comme si elle était l’incarnation du désir et de la sexualité. Une fille qui carbure à l’argent, aux drogues, rêve de s’installer avec Mario, un petit truand minable qui se joue d’elle. Elle ne veut surtout pas réfléchir, retourne les mots et les éventre pour s’inventer un monde différent.

ATTENTION

Ophélie est un personnage complexe, une mal-aimée qui cherche une façon de sortir de sa solitude peut-être. Elle n’a jamais accepté le départ de sa mère, a toujours été celle qui « n’existait pas » à l’école, celle que l’on ne voyait jamais avec ses jambes d’allumettes. Elle a toujours été une bonne élève pendant que Sandra vivait les grands spasmes de la sensualité. L’envers et l’endroit ces deux filles. Une Sandra qui n’a rien voulu apprendre à l’école, peut-être dyslexique, et Ophélie qui grandissait dans un monde qui aurait pu la lancer dans la vie. Comment de ne pas reconnaître Denis Vanier quand elle plonge dans ses souvenirs.

Avec ses grands yeux pers vers nulle part, il m’aidait à prononcer les mots des poèmes. Il disait que j’étais très intelligente, que je pourrais faire du théâtre si je continuais à réciter avec lui. Il croyait en moi et j’étais amoureuse pour la première fois. Pendant ce temps, mon père ne se doutait pas de cette amitié avancée avec son meilleur ami. Bien trop occupé à cruiser Josée. Elle, c’était la blonde de l’autre écrivain, le poète tatoué québécois qu’on appelait Langue de Feu. J’étais trop jeune pour comprendre, mais j’étais certaine que ce n’était pas normal, ce truc-là. Il ne la regardait pas comme… C’était plus doux avec elle. C’est peut-être pour ça que ma mère a foutu le camp… Ça m’avait décrissée d’aplomb ! (pp.97-98)

Et elle travaille dans ce bar, tout sourire pour les clients, ramasse l’argent. Que dire d’un homme qui paie le gros prix pour boire l’urine de la jeune fille ? Ophélie, ange de candeur et de naïveté, être éthéré se laisse envoûter par le clinquant et la lumière aveuglante des projecteurs. Un voyage à la Icare. En voulant toucher le soleil, la célébrité et l’amour, elle risque tout et la chute sera terrible.
Djemila surgit et disparaît, une escorte de haut vertige, un exemple à suivre pour toutes. Ses cibles sont des milliardaires âgés qui l’exhibent comme un trophée. Elle s’est fait payer un appartement à Montréal et vit dans le grand luxe. Difficile de ne pas songer à Nelly Arcand, à cet univers où tout est mensonge, apparence et exploitation. Djemila, la beauté parfaite sait où elle va et peut prendre tous les risques.

CHUTE

La drogue, la passion du jeu font que Sandra à dix-huit ans est sur la touche et doit se contenter de « passes rapides ». Elle ne veut surtout pas prendre conscience de sa déchéance. Comment se libérer de cette spirale ?

Sandra en arrache, veut de l’amour, prend du poids, tourne en rond en manque de tendresse. Elle se dégrade, mais ne lâche pas. Elle s’entête à prendre soin de moi, sa petite Ophélie baptisée à Sainte-Madeleine. Mes parents voulaient le meilleur pour leur fille unique, leur miracle de vie. Une éducation catho sivouplait : pensionnat pour filles, solution miracle ! Pauvres parents… S’ils savaient que les dealers livrent steady chaque jour à leurs filles adorées. (p.29)

Un humour vitriolique, un sens de la description exceptionnel, une écriture truffée d’anglais pour décrire l’aliénation de ces filles qui pensent se retrouver au bras d’un homme qui va les dorloter, ou encore en faire des vedettes en tournant des films pornographiques. Ophélie imagine se métamorphoser en recourant aux artifices.

Bientôt, j’aurai une poitrine siliconée et les choses vont changer. Oh silicone dream ! Big boobs pour Pedro mon cowboy. Grouille-toé mon Pedro, comme dirait Sandra, sinon je vais te la chanter, la chanson du bye-bye mon rodéo. Avec Cherry, tu vas l’avoir ta p‘tite vie western de Saint-Tite, pain blanc tranché sur le comptoir de cuisine de votre semi-détaché à venir, piscine hors terre dans la cour arrière avec juste assez de place pour le BBQ Canadian Tire. (p.135)

Prendre possession du réel, maîtriser le langage. Djemila l’a compris et c’est là un des secrets de sa réussite. Sandra dérive dans une langue écrianchée. Elle n’arrive pas à dire sa situation, à la cerner. Elle préfère surfer sur les hautes vagues de la drogue pour oublier, courir dans des romances.
Un roman dur, terrible de dépossession et d’aliénation, d’exploitation et de rêves impossibles. Personne ne sort indemne d’une pareille aventure.

Vodka en main, jelly beans et zopiclone en quantité monumentale, je sens mon corps s’engourdir… Trop tard ! Je sombre dans un trou noir. Faudrait que je fasse le 9-1-1. Je n’arrive pas à émettre un son. Sable mouvant. Je ne sais plus, c’est trop profond. J’entends une voix dans ma tête : « Ophé, j’te l’avais dit, c’est comme ça, la vie, on est BFF pour l’éternité… » (p.176)

Que dire de plus ! Virginie Francoeur démontre tout son talent en nous entraînant dans un univers glauque qui ne peut laisser indifférent. Une véritable douche froide.


JELLY BEAN, un roman de Virginie FRANCOEUR, Éditions DRUIDE, 2018, 184 pages, 19,95 $.