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jeudi 14 juillet 2016

Kim Thuy ne cesse d’explorer l’histoire de sa famille

CERTAINS ÉCRIVAINS NOUS décrivent une réalité autre et changent nos regards et nos idées préconçues. Je pense à Sergio Kokis et sa façon particulière de raconter l’aventure humaine, Daniel Castillo Durante, Abla Farhoud et bien d’autres. Le hasard a fait que j’ai lu Dimitri Nastrallah et Kim Thuy dans un même élan. Deux histoires de réfugiés. Des moments difficiles, la misère et la terrible entreprise de devenir un citoyen modèle dans un nouveau pays. Heureusement, il y a les belles histoires de Kim Thuy et Dany Laferrière pour nous rassurer. Ça ne veut pas dire que leur parcours s’est fait sans hésitations après avoir tout laissé derrière eux. Kim Thuy a déjà raconté son départ du Vietnam avec sa famille, le bateau surchargé et le camp en Birmanie, un lieu où les survivants attendent en marge du monde. Et sa venue au Canada, un peu par hasard.

Kim Thuy, encore une fois, dans un court récit, revient sur l’histoire de sa famille qui a connu l’aisance matérielle au Vietnam et qui, devant la montée du communisme et la victoire imminente du Vietnam du Nord, doit partir. Bao Vi, la narratrice, raconte les pérégrinations de sa famille dans de courts chapitres. J’ai eu l’impression de feuilleter un album de famille et de retrouver certains visages familiers. Le grand-père Le Van An devenu juge et qui a amassé une fortune, sa rencontre avec la grand-mère, une beauté et la naissance du père de la petite Vi, Petrus, un garçon choyé à qui tout semble facile.
Sa mère, une femme volontaire, se consacre à sa famille, à son mari, à ses multiples désirs, ferme les yeux sur ses incartades. Elle a beau être douée pour les affaires et la gestion d’entreprises, l’homme occupe le centre de l’univers dans la société traditionnelle vietnamienne. La famille veille à protéger ces façons de faire dans le nouveau pays où les mœurs sont tellement différentes.

HISTOIRE

On connaît le drame du Vietnam, l’intervention américaine, les grands mouvements en faveur de la paix et la fuite de dizaines de jeunes Américains vers le Canada pour ne pas avoir à faire une guerre qu’ils ne comprenaient pas. On a eu des films remarquables sur le sujet. Je mentionne Apocalypse Now qui vous laisse avec des images difficiles à oublier, des scènes où la folie humaine se déploie dans un décor grandiose. Le village que l’on brûle au napalm, par exemple.
Bao Vi ne s’attarde guère aux grands bouleversements qui ont secoué son monde, mais plutôt aux effets que cette migration a eus sur sa famille.

Nous avons quitté le Vietnam dans trois bateaux différents. Le nôtre a accosté en Malaisie sans avoir rencontré de tempête ni pirates. Hà et Tri n’ont pas eu la même chance. Leur bateau a été intercepté par les pirates à quatre reprises. Au cours de la dernière attaque, Tri a reçu un coup de machette accidentel d’un homme nerveux. Ma mère a menti à la sienne en lui disant qu’il était porté disparu en mer avec les parents de Hà. Mon père n’a jamais su qu’il avait perdu un fils. (p.44)

Voilà la manière de Thuy, de raconter des drames avec une retenue et une discrétion remarquable. Un garçon est tué par un pirate, un massacre, l’horreur et elle parle d’un homme nerveux, peut-être maladroit. Un écrivain des États-Unis aurait décrit la scène, le meurtre, dans les moindres détails. Pas elle. Un bout de phrase tout simplement. C’est comme ça chez cette écrivaine qui vous aspire par sa façon de dire une tragédie qui a secoué le monde entre les années 1963 et 1975. C’est peut-être aussi la manière orientale de parler de ces choses qui survivent en elle malgré son adaptation à la vie québécoise.
Nous connaissons l’histoire de la migration de la famille Thuy. Vi suit un parcours similaire. La famille s’installe au Québec, s’intègre, mais reste tiraillée entre deux mondes, deux manières de vivre les amours en particulier. Tout se passe bien, mais cela ne veut pas dire que la vie est facile pour la jeune Vi. Le passé est lourd pour les enfants des immigrants et peut les étouffer, malgré certains moments amusants.

Nous sommes arrivés dans la ville de Québec pendant une canicule qui semblait avoir déshabillé la population entière. Les hommes assis sur les balcons de notre nouvelle résidence avaient tous le torse nu et le ventre bien exposé, comme les Putai, ces bouddhas rieurs qui promettent aux marchands le succès financier et, aux autres, la joie s’ils frottent leur rondeur. (p.48)

Long, le frère de la petite Vi ne prend pas de temps à faire son chemin et à connaître tout le monde dans le Limoilou où la famille s’est installée. Il a le charisme de son père et de sa grand-mère.

DRAME

Vi s’efforce d’être la fille modèle. Tous l’encouragent à devenir chirurgienne, à être la fierté de la famille et de la communauté. Des rencontres feront en sorte qu’elle prendra un autre chemin. Un garçon, l’amour et malgré son comportement très québécois, elle reprend instinctivement les façons d’être de sa mère. Elle suit Hà à Montréal au grand dam de sa famille. De nouvelles études et des amitiés, un garçon qui l’abandonne parce qu’elle est trop occidentale. Les hommes s’en sortent toujours mieux que les filles dans ces cas. Il reste la peine, la douleur d’avoir déçu les siens.

Mon comportement avait détruit la réputation de deux familles parfaitement respectables. Ma mère avait dû répondre aux questions des mères curieuses et, surtout, supporter leurs remarques assassines : « Lui permettre d’habiter seule était une erreur » ; « Hà a eu une mauvaise influence sur Vi » ; « Quel garçon osera vouloir d’elle maintenant ? »… J’ai brisé ma relation avec ma mère. J’ai brisé ma mère. Comme mon père l’avait brisée. (p.96)

Vi agit comme ces centaines de jeunes Québécoises. La question est fort intéressante. Les filles et les fils héritent de traditions que les parents cherchent à garder vivantes dans un pays où les choses se pensent et se vivent d’une autre manière. Ils restent souvent entre deux mondes, ne sachant quelle direction prendre.
Vi retournera au Vietnam pour travailler. Une autre manière de choquer sa famille et la communauté du Québec. Cette collaboration avec l’ennemi qui les a forcés à l’exil est difficile à accepter. Elle y rencontre Vincent, connaît le grand amour, mais l’homme disparaît sans laisser de traces. Vraiment une histoire d’abandons, de pertes que celle de cette femme qui demeure discrète, écrasée par une sorte de fatalité qui ne semble jamais trop l’atteindre.

DÉCHIREMENTS

J’imagine les efforts qu’il faut faire pour s’intégrer. Je me souviens comme il a été difficile de quitter mon village du Lac-Saint-Jean pour m’installer à Montréal et y poursuivre des études. Je me sentais ailleurs, dans l’envers du monde, moi qui avais connu que les champs de trèfle et les forêts. L’amour des livres et de la littérature me demandait de changer de peau, de migrer dans ma tête. Rien de comparable avec le drame des réfugiés cependant.
Encore une fois, Kim Thuy est touchante dans sa manière de nous montrer toutes les difficultés que rencontrent les arrivants dans leur désir de se faire une place dans un nouveau pays, de tourner le dos à des traditions millénaires.

J’hésite à annoncer à Aline et à Hanh la fin de mon mandat à Hanoi. J’hésite à suivre mon désir de me retirer à Nowhere, en Oklahoma. J’hésite à m’enfuir du Vietnam une seconde fois. J’hésite à demander à Hanh l’adresse de mon père. J’hésite à délaisser les draps décolorés de Vincent, à me départir de son hamac affaibli par les mailles déchirées, à jeter ses stylos dont l’encre a séché, à décrocher sa moustiquaire reprisée tous les dix centimètres. J’hésite à me quitter, à abandonner la Vi de Vincent. J’hésite parce que je projetais de partir sans rien dire, sans rien prendre, sauf le grand foulard bleu de Vincent. (p.138)

Tout le travail de l’arrivant est de renoncer à son ancienne vie et de devenir celui que le pays d’adoption souhaite. On peut quitter un pays, mais on n’y laisse jamais sa culture et ses traditions. Et pas besoin de bagages pour transporter cet héritage unique.

VI de KIM THUY est paru chez LIBRE EXPRESSION, 144 pages, 24,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : JAMES OU LES HABITS TROP AMPLES DU BOA CONSTRICTOR de LOUIS-PHILIPPE HÉBERT publié chez LÉVESQUE ÉDITEUR.

http://www.editions-libreexpression.com/vi/kim-thuy/livre/9782764811030

lundi 22 juillet 2013

Kim Thuy s'aventure dans le monde des sens


Quelle histoire que Mân de Kim Thuy! Le roman tient son titre du nom de l’héroïne, une Vietnamienne. «Voilà pourquoi je m’appelle Mân, qui veut dire «parfaitement comblée» ou «qu’il ne reste plus rien à désirer », ou «que tous les vœux ont été exaucés». Je ne peux rien demander de plus, car mon nom m’impose cet état de satisfaction et d’assouvissement.» (p.34) Le lecteur sera subjugué par le cheminement de cette femme qui n’exige rien de la vie, mais qui découvrira un autre monde et peut-être, le plus important, son être.

Mân se marie, sans l’amour et les grandes passions qui secouent le corps et l’âme.
«Il était de ceux qui ont vécu trop longtemps au Vietnam pour pouvoir devenir canadiens. Et, à l’inverse, qui ont vécu trop longtemps au Canada pour être vietnamiens de nouveau.» (p.14)
La tradition veut cela et la fille, même si elle est «comblée, rassasiée», voit la vie lui préparer des surprises.
«Je lui ai tendu le verre de limonade à la lime salée que ma mère lui avait préparé. Lui-même ressemblait à ces limes brunes marinées dans le sel, chauffées au soleil et dénaturées par le temps, car son regard était non pas vieux, mais vieilli, presque flou, délavé.» (p.18)
Les grandes émotions passent par un regard, un geste de la main, un simple sourire.

L’exil

L’homme est propriétaire d’un restaurant à Montréal où l’on sert des mets de son pays d’origine. Il est revenu au Vietnam pour dénicher une épouse obéissante et travaillante, une compagne dévouée et silencieuse, une servante pour tout dire qui obéit au doigt et à l’œil.
La guerre qui a déchiré le pays, l’affrontement entre le Nord et le Sud, se profile. La mère de Mân a vécu cette époque où tout pouvait basculer d’un côté comme de l’autre.
«Contrairement aux autres mères vietnamiennes, qui misaient sur la loyauté et la gratitude de leurs enfants, Maman voulait que j’oublie, que je l’oublie parce que j’avais une nouvelle chance de recommencer, de partir sans bagages, de me réinventer. Mais c’était impossible.» (p.52)
Installée à Montréal, la jeune femme est confinée dans la cuisine du restaurant où elle prend les choses en main. Son savoir attirera ses compatriotes d’abord et un public de plus en plus nombreux. Elle deviendra une cuisinière exceptionnelle et sa réputation attirera tous les regards.

J’ai adoré découvrir un savoir ancestral, des mets qui font saliver. Tout y est. Je pense que je vais essayer quelques recettes à partir des façons suggérées par Kim Thuy. J’ai fermé les yeux et je humais des effluves, imaginais des agapes. Ce roman permet au lecteur de goûter, de sentir et de découvrir une gamme d’émotions grâce à la magie des mots.

Succès

La petite émigrée deviendra une vedette grâce à son amie Julie, son contraire au Québec, son alter ego. Elle croisera Luc lors d’un voyage en France, vivra la passion et l’amour. Une illumination pour cette femme qui n’a jamais songé à avoir une vie où elle vit ses pulsions et ses désirs.
«Nous avons passé la nuit à mesurer et remesurer son long fémur contre le mien, à compter le nombre de baisers requis pour recouvrir mon corps en comparaison avec le sien et, surtout, à se moquer de mon impatience à son arrivée.» (p.133)
Un bijou de roman gorgé d’images et de fragrances. Une exploration qui part d’un mot vietnamien et de son pendant français pour nous entraîner dans le plaisir du langage et des papilles. Fascinant.
Belle manière de dire, comme si tout se déroulait selon une chorégraphie étudiée longuement. Une méditation sur l’art d’aimer et de cuisiner, l’éducation des enfants et la vie.
Mân n’ira pas jusqu’à tout recommencer avec Luc. Elle protège son secret, le partage avec sa mère qui a vécu un grand amour auquel elle a dû renoncer au temps de sa jeunesse. La tradition est trop forte pour qu’elle coupe toutes les amarres et s’abandonne à la passion comme le ferait son amie Julie.
Pour la finesse, la délicatesse, la vie dans toutes ses dimensions, il faut lire Mân. Kim Thuy se faufile entre la tradition vietnamienne et les manières parfois déroutantes des Occidentaux avec une justesse unique. Le meilleur des deux mondes, peut-être. Quel bonheur de s’attarder sur ces pages! Quelle fraîcheur, quelle façon de nous entraîner dans la passion.

Mân de Kim Thuy est paru aux Éditions Libre expression.

dimanche 28 octobre 2012

Le coup de foudre littéraire existe vraiment


Kim Thuy

«Ils se sont rencontrés un soir, dans un hôtel de Monaco. Au petit déjeuner, ils se sont racontés. Et puis elle est repartie à Montréal, et il a regagné Ramallah.»

Le déclic se fait instantanément entre les deux écrivains. Un véritable coup de foudre littéraire. Est-il possible de tout dire pendant un petit déjeuner? Une vie ne se raconte pas en quelques heures. Il faut du temps, de l’espace, des silences aussi.
Kim Thuy et Pascal Janovjak poursuivent les échanges, s’écrivent à toutes les heures du jour et de la nuit. C’est possible maintenant avec les courriels qui abolissent l’espace.
On se souvient que Kim Thuy a fait un malheur en 2009 avec «Ru», un récit qui raconte le périple de cette jeune vietnamienne qui a dû quitter son pays suite à un conflit fratricide, son arrivée au Québec avec ses parents et l’adaptation à son nouveau milieu. L’écrivain Pascal Janovjak vit à Ramallah en Palestine. Oui, des écrivains vivent dans ce pays malgré une situation politique instable et la violence qui peut éclater à chaque coin de rue.

Contact

Les contacts, au retour d’un voyage, quand le quotidien s’impose, sont souvent difficiles à maintenir. Thuy et Janovjak, habités d’une belle frénésie, tentent de tout dire et de s’apprivoiser.


Pascal Janovjak
«Je t’ai écrit toute la nuit, dans un demi-sommeil. Tu connais cet entre-deux, où l’on a trop de mots pour dormir mais pas assez de conscience pour se lever, les coucher sur une feuille? Mais peut-être es-tu de celles qui ne laissent jamais durer les hésitations… Je t’imagine plutôt ainsi, ce matin, comme le matin de notre tête-à-tête. J’ai fini par me lever. Un anniversaire hier, dans un bar de Jérusalem… La musique était mauvaise, et nous n’avons pas dansé. Cela fait longtemps que je n’ai pas dansé, peut-être parce que la chaleur des soirs se prête davantage aux terrasses qu’aux pistes de danse.» (p.7)
Chacun retourne dans l’enfance pour mieux dire le présent. Pascal Janovjak est né en Suisse, d’un père slovaque et d’une mère française. Il a travaillé au Bengladesh, dans une société difficile à saisir pour un Occidental. L’écrivain est sur le point d’être père pour la première fois.
Kim Thuy raconte son retour au Vietnam au début de la vingtaine. Ce fut le choc. Combien de temps il faut pour devenir étranger à sa culture? Il y a aussi ses enfants dont l’un est autiste, ses déplacements. La vie littéraire la sollicite beaucoup.
Janovjak effleure le quotidien dans une ville où les soldats sont partout. La vie est là malgré les vérifications d’identité et les contrôles. Avec les amis, il peut faire la fête, écrire, partir à l’étranger même si les frontières sont de plus en plus hermétiques. Il fait preuve d’une retenue exemplaire même si on sent parfois sa colère.

Échanges

Les textes se croisent plusieurs fois par jour. Kim avec son humour particulier, Pascal avec une sorte de gravité émouvante.
Il y est question de lectures, de la maternité, de la paternité et de souvenirs. La découverte de l’autre se fait avec une franchise remarquable. Les deux sont capables de se moquer de leurs travers et de se livrer sans arrière-pensée.
Touchant, émouvant à l’occasion et d’une justesse remarquable.
À toi démontre que les moyens contemporains de communication peuvent servir à autre chose qu’à écrire son autobiographie sur Facebook, un récit qui s’égare souvent entre la brosse à dents et l’oreiller.

«À toi» de Kim Thuy et Pascal Janovjak est publié chez Libre Expression.

lundi 23 juillet 2012

Kim Thuy correspond avec Pascal Janovjak

Kim Thuy en compagnie de Pascal Janovjak
Kim Thuy a fait un malheur en 2009 avec la parution de «Ru». Ce court récit raconte le périple d’une jeune vietnamienne qui a dû quitter son pays suite à un conflit fratricide, son arrivée au Québec avec ses parents et l’adaptation à ce nouveau milieu. Sa seconde publication était attendue par nombre de lecteurs.

Elle revient avec «À toi», une correspondance avec l’écrivain Pascal Janovjak qui vit à Ramallah en Palestine. Oui, des écrivains vivent dans ce pays malgré une situation politique qui tranche de l’ordinaire.
Une rencontre lors d’un événement littéraire à Monaco provoque le déclic entre les deux littéraires. Un petit déjeuner qui s’éternise en somme avec le temps qui s’abolit grâce à Internet. Les deux poursuivent les échanges, s’écrivent à toutes heures du jour ou de la nuit, quand les occupations le permettent et qu’il y a un peu d’espace pour faire courir ses doigts sur le clavier.

Reconnaissance

C’est toujours un peu difficile de maintenir le contact au retour d’un voyage, quand le quotidien bouscule. Les deux font preuve d’une constance admirable, se confient, même s’ils se connaissent peu. Une belle manière de s’apprivoiser.
«Je t’ai écrit toute la nuit, dans un demi-sommeil. Tu connais cet entre-deux, où l’on a trop de mots pour dormir mais pas assez de conscience pour se lever, les coucher sur une feuille? Mais peut-être es-tu de celles qui ne laissent jamais durer les hésitations… Je t’imagine plutôt ainsi, ce matin, comme le matin de notre tête-à-tête. J’ai fini par me lever. Un anniversaire hier, dans un bar de Jérusalem… La musique était mauvaise, et nous n’avons pas dansé. Cela fait longtemps que je n’ai pas dansé, peut-être parce que la chaleur des soirs se prête davantage aux terrasses qu’aux pistes de danse.» (p.7)
Elle réplique : «Les Vietnamiens n’ont pas cette grâce quand ils dansent, car ils ne dansent que rarement, voire pas du tout.»
Chacun raconte ses faits et gestes, ses déplacements, son quotidien, retournent dans l’enfance pour mieux aborder le présent. Pascal Janovjak est né en Suisse, d’un père slovaque et d’une mère française. Il a beaucoup voyagé, travaillé au Bengladesh, dans une société difficile à comprendre pour un occidental. L’écrivain est sur le point d’être père pour la première fois.
Kim Thuy a ressenti le besoin de retourner au Vietnam au début de la vingtaine. Un choc. Combien de temps faut-il pour devenir étranger à sa propre culture? Il y a aussi ses enfants dont l’un est autiste, ses déplacements parce que la vie littéraire la sollicite beaucoup.
Janovjak montre bien le quotidien de celui qui vit dans une ville où Israël s’impose à tous les coins de rue. Pourtant la vie est là malgré les militaires. Il est possible d’y rencontrer des amis, de faire la fête, d’écrire, de partir pour l’étranger malgré toutes les difficultés pour traverser les frontières. Il fait preuve d’une retenue exemplaire même si on sent sa colère parfois. Kim Thuy a connu le Vietnam où tout était contrôlé par le gouvernement qui se méfiait de ceux du sud souvent identifiés à l’ennemi et aux Américains.

Confidences

Les échanges arrivent plusieurs fois par jour, en rafales. Les deux ont envie de tout dire. Kim avec son humour particulier, Pascal avec une sorte de gravité touchante.
Il y est question de certaines lectures, de la maternité et de la paternité, de souvenirs. On va à la découverte de l’autre avec une franchise remarquable.
La correspondance s’étire sur quelques mois. Les deux ont ce grand pouvoir de se moquer un peu de leurs travers, de se livrer sans arrière-pensée. On suit l’échange comme un match de tennis où chacun renvoie la balle avec dextérité. Cela donne des textes d’une fraîcheur qui ne se dément jamais. Deux mondes se confrontent, se livrent, montrent leurs différences et leurs similitudes. Touchant, émouvant à l’occasion et d’une justesse remarquable.
Une spontanéité où l’on sait être sérieux sans être grave, moqueur sans tomber dans la facilité. C’est humain simplement et démontre que les moyens contemporains de communication peuvent servir à autre chose qu’à écrire sur Facebook une autobiographie qui se perd souvent entre la salle de bains et le IPad.

«À toi» de Kim Thuy et Pascal Janovjak est paru chez Libre-Expression.

samedi 6 mars 2010

Kim Thuy témoigne de la réalité d'une migrante

Kim Thuy est arrivée au Québec alors qu’elle avait dix ans. La fillette avait connu l’insouciance d’une vie aisée au Vietnam et puis la guerre, la victoire des Vietnamiens du Nord, l’apparition de soldats qui confondaient un soutien-gorge avec un filtre à café. 
Les parents de Kim Thuy auraient pu se retrouver au Lac-Saint-Jean. Plusieurs familles sont venues dans la région en fuyant cette guerre qui a déchiré non seulement le Vietnam mais aussi les États-Unis. Une ville adoptait alors une famille et tentait souvent maladroitement de leur faciliter les choses.
La petite fille qui ne parlait pas le français, qui ne savait rien des usages et des coutumes du Québec s’est retrouvée à Granby. Comment s’habiller avec le froid et la neige, comment manger cette nourriture différente quand on n’a jamais vu une fourchette?
«La ville de Granby a été le ventre chaud qui nous a couvés durant notre première année au Canada. Les habitants de cette ville nous ont bercés un à un. Les élèves de notre école primaire faisaient la queue pour nous inviter chez eux pour le repas du midi.» (p.31)

Les enfants

Les parents ne pensent qu’à leurs enfants. Ils sont l’avenir. Ils acceptent tout avec le sourire, surtout le père qui, après avoir mené la grande vie, doit se contenter d’emplois subalternes. La mère demeure volontaire, ambitieuse, consentant à tous les sacrifices. Elle qui ne savait que diriger des servantes doit apprendre à faire des ménages. Une réalité qu’il est difficile à imaginer.
«Mon père, lui, n’a pas eu à se réinventer. Il est de ceux qui ne vivent que dans l’instant, sans attachement au passé. Il savoure chaque instant de son présent comme s’il était toujours le meilleur et le seul, sans le comparer, sans le mesurer, c’est pourquoi il inspirait toujours le plus grand, le plus beau bonheur, qu’il fut sur les marches d’un hôtel avec une vadrouille dans les mains ou assis dans une limousine en réunion stratégique avec son ministre.» (p.73)
S’il faut tout découvrir, il est aussi impossible d’oublier… Comment chasser ce passé qui hante la petite fille? Un pays qu’ils ont quitté en abandonnant tout derrière eux. Ils ont fui sur des bateaux insalubres, avec ce qu’ils pouvaient emporter. Or, argent, diamants, quelques vêtements.
«Les gens assis sur le pont nous rapportaient qu’il n’y avait plus de ligne de démarcation entre le bleu du ciel et le bleu de la mer. On ne savait donc pas si on se dirigeait vers le ciel ou si on s’enfonçait dans les profondeurs de l’eau. Le paradis et l’enfer s’étaient enlacés dans le ventre de notre bateau.» (p.13)
Ils vivront la peur, les camps, la faim. Kim Thuy voyage ainsi entre sa réalité d’autrefois et sa nouvelle vie. Elle retournera à Hanoi pour se réconcilier avec cette partie d’elle-même. Elle y constatera surtout qu’elle est devenue une Québécoise.

Témoignage

Kim Thuy se montre une jeune femme fragile, un peu étrange parfois qui tente de souder les deux bouts de sa vie.
Elle témoigne de son vécu avec pudeur, parle de son fils autiste, ses parents et sa famille élargie. Ces fragments montrent une femme déchirée entre deux pôles et deux univers. Et peut-être le pire que peut vivre une émigrante, c’est ce sentiment de ne pouvoir exister sans avoir à regarder constamment derrière son épaule. La conscience d’être toujours en retrait, de se voir observatrice plutôt qu’agissante. Une façon de se protéger, de ne pas être étouffé par l’espoir ou la déception? Qui peut dire…
«J’aime les hommes de la même manière, sans désirer qu’ils deviennent miens. Ainsi, je leur suis une parmi d’autres, sans rôle à jouer, sans exister. Je n’ai pas besoin de leur présence parce que les gens absents ne me manquent pas. Ils sont toujours remplacés ou remplaçables.» (p.109)
«Ru» démontre qu’on ne change pas de vie en quittant un bateau ou en fuyant un pays la nuit. Il faut longtemps pour tourner la page et se sentir pleinement là. Tout ce que l’on dit sur les émigrants et leur insertion dans leur nouvelle société, Madame Thuy l’aborde subtilement, le démontre sans élaborer de thèse. Un témoigne vrai, juste, subtil, étonnant et émouvant. 

«Ru» de Kim Thuy est publié chez Libre expression.