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jeudi 16 mai 2019

LA MORT VOLONTAIRE D’UNE MÈRE

UN GESTE DICTÉ PAR L’AMOUR de Lawrence Hill nous place devant une situation que peu de gens ont l’occasion de vivre. L’auteur bien connu des romans Aminata et Le Sans Papiers a accompagné sa mère de quatre-vingt-dix ans, alors qu’elle avait décidé lucidement, avec toutes ses facultés, qu’elle en avait assez. La loi portant sur l’aide médicale à mourir au Canada ne lui permettait pas d’avoir recours aux services existants dans nos établissements. (Son décès n’était pas prévisible à court terme.) Après trois tentatives de suicide, différents problèmes liés à son grand âge, la dame a choisi d’aller en Suisse pour mettre fin à ses jours en compagnie de son fils et de sa petite-fille.


Assister un proche, dans ses derniers instants de vie, à peu près tout le monde connaît cela un jour ou l’autre. La fin du père, d’un frère ou d’une sœur, voilà une rencontre inévitable quand on est né dans une famille nombreuse. Un moment normal de votre aventure et peu à peu, ceux qui ont habité votre enfance et ont fait ce que vous êtes socialement, tous ceux qui étaient si importants pour vous, disparaissent après de longues maladies, un accident bête ou à bout de temps. Je me suis retrouvé plusieurs fois devant quelqu’un qui en entreprenait l’ultime virage. La mort la plus marquante reste celle de ma mère. Je suis arrivé à l’hôpital de Roberval quelques minutes après son dernier souffle. « Ça vient de se passer », m’a dit l’infirmière en sortant de la chambre. Je me suis avancé sur la pointe des pieds en retenant mes larmes. Aline reposait sur le lit, entre l’un de mes frères et ma sœur. Son visage alors, je ne n’oublierai jamais. Ma mère qui avait toujours résisté à tout venait d’abdiquer. Cette paix, son regard tourné vers une autre réalité, une forme d’extase ou de vision, comment dire. Comme si elle avait surpris une chose que l’on peut voir qu’une seule fois dans son existence. Ce n’était plus celle que je connaissais, mais une femme qui avait trouvé la sérénité.

DÉCISION

La mère de Lawrence Hill, Donna, avait un âge respectable. Quatre-vingt-dix ans. Aline en avait quatre-vingt-quatorze lors de son décès. Une étape où le corps connaît des ratés et des problèmes de fonctionnement plus ou moins grands. Tout se dérègle un peu avec le temps et ce que l’on accomplissait sans y penser devient une corvée. Comme si la mécanique était rendue à bout.
Donna était parfaitement lucide, capable de discuter, de comprendre la portée et les conséquences de son geste. Mettre un terme à ses jours, écrire le mot fin en grosses lettres carrées et sauter dans son dernier souffle, sans retour possible, n’est pas une décision que l’on prend comme ça en sortant de son lit un matin. Il faut des raisons, surtout une réflexion avec ses proches, j’imagine.

Elle est morte ce jour-là. Elle s’appelait Donna Mae Hill. À 90 ans, elle a mis fin à ses jours elle-même. J’étais à ses côtés, tout comme sa petite-fille de 29 ans, ma nièce Malaika ; pour la soutenir dans cette démarche, nous l’avions accompagnée en Suisse. (p.12)

Un geste soupesé et volontaire, devant ses proches, un simple petit bouton qu’elle actionne elle-même pour s’injecter « la substance », expirer tout doucement dans les secondes qui suivent. Un peu difficile à imaginer ce qui se passe dans la tête du fils et de la petite-fille qui sont là, témoins, qui l’ont accompagnée au cours des derniers jours de ce voyage sans retour. Ce n’est pas comme la mort après une longue maladie, des jours de souffrance, une fin médicamentée et un peu brumeuse. Ici, c’est un aboutissement attendu, prévisible. Autrement, c’est souvent une forme de délivrance après des douleurs et des jours pénibles malgré les drogues et les solutés.
Lawrence Hill nous plonge dans un autre scénario. Sa mère avait pleinement mûri sa décision, soupesé et discuté ce geste avec sa famille et sa volonté était irrévocable. Elle avait choisi que sa vie avait assez duré et qu’il était temps de partir.

ÉVÉNEMENT

Voilà un moment précieux et extraordinaire pour Lawrence Hill et sa nièce. Les jours qui ont précédé ont été intenses pendant ce court voyage, des heures fabuleuses avant le grand départ, des confidences où tout peut se dire et où les barrières tombent. Comment jouer alors ? Plus de mensonges, de représentations. L’occasion unique de toucher le vrai, de parler en toute franchise et en toute liberté. Peut-être la chance de s’avancer dans des zones d’ombres que la vie empêche souvent d’effleurer et de partager. Il n’y a plus de maquillage, les scénarios n’existent plus quand lucidement on envisage sa fin et que le rendez vous est prévu à l’agenda.

Elle a redit à Malaika et à moi combien elle nous aimait. Elle a ensuite tourné le bouton d’un petit dispositif manuel qui a libéré le barbiturique fatal dans ses veines. « Je m’en vais maintenant », ont été ses dernières paroles. À l’instant ultime, maman n’a pas frémi, ni tremblé, ni bougé. Assis près d’elle, ma main sur sa hanche, je l’ai regardée attentivement pousser ses derniers soupirs. Je n’ai vu aucun signe d’inconfort ou de souffrance. (p.52)

Une mort presque parfaite si je peux utiliser cette expression. Un départ tout en douceur, comme un soupir ou une sieste. Ce calme, cette paix et la sérénité que décrit Lawrence Hill touchent au coeur. Oui, l’abandon, l’attention et surtout la volonté de cette femme de « s’en aller » comme elle dit avant le dernier geste, de franchir une porte qui ne se refermera jamais.

ÉVOCATION

Bien sûr, Lawrence Hill évoque la femme qu’était sa mère, son parcours sans pour autant trop s’attarder. On le fait tous devant la mort d’un proche. Comme si c’était l’occasion de faire le point et d’esquisser les grands moments d’une histoire trop courte ou qui s’est développée dans de nombreux chapitres plus ou moins mouvementés. Donna Hill était une militante pour les droits civiques, une rare Blanche à épouser un Noir à l’époque. Elle a connu la discrimination aux États-Unis, les luttes pour l’égalité. Les parents ont migré au Canada pour y faire leur vie, devenir des Canadiens.

Ma mère et mon père quittèrent les États-Unis le lendemain de leur mariage et partirent en voiture pour le Canada, où mon père avait été admis dans un programme de doctorat à la School of Social Work de l’Université de Toronto. Parce qu’ils formaient un couple interracial, ils ne purent trouver de propriétaire disposé à leur louer un appartement dans la ville. Ma mère demanda alors  un ami blanc de l’accompagner pour louer un appartement et, dès qu’ils s’y furent installés, l’ami le quitta et mon père y entra. (p.25)

Les couples interraciaux n’ont pas le quotidien facile dans une société blanche comme était celle de Toronto alors. Cela aurait été probablement la même chose à Montréal ou encore pire dans une ville de moindre importance. Nous avons beau être au Canada, au pays de la Charte des droits de la personne, la discrimination et le racisme ne sont pas qu’une image. Hill ne s’y attarde pas, mais fait bien ressentir cette situation et les difficultés qu’ils ont dû surmonter jour après jour.
Il évoque certains épisodes de la vie de ses parents pour bien décrire le caractère de sa mère, sa pensée face aux événements et aux épreuves, ses combats pour le respect et l’égalité entre les individus. Une femme courageuse et admirable.
Le fils fait preuve d’une très grande pudeur, explique juste assez pour saisir ses luttes et pourquoi cette décision de partir volontairement était un aboutissement normal dans son cas. Rien de spectaculaire, mais nous comprenons et acceptons ce geste. Tout se passe dans l’harmonie et surtout avec beaucoup d’amour. Il secoue, bien malgré lui peut-être, des certitudes ou des idées que la société nous impose sur le droit à mettre fin à son existence et que nous hésitons à discuter froidement et sans préjugés. Des propos bouleversants.

Le Canada a refusé à ma mère le droit de mourir dans la dignité dans son propre pays… …J’espère que sa mort mettra en branle les changements nécessaires pour que d’autres personnes dans sa situation ne soient pas forcées de traverser un océan, de s’éloigner de leur foyer et de leurs proches, pour concrétiser le plus personnel des choix. (p.59)

Tout est dit. Un témoignage qui ne prend jamais de détours, particulièrement dense, des phrases trempées dans le senti et l’émotion. Un hommage certainement, un appel à faire preuve de plus d’empathie et de compréhension envers ces gens qui font un choix difficile, lucidement, mais que les méandres de la loi sur l’aide médicale à mourir n’écoute pas. Deux Québécois ont fait les manchettes dernièrement avec leur vie devenue un enfer et qui doivent se battre devant les tribunaux pour mettre fin à leur calvaire.
Lawrence Hill se montre ici dans toute sa vulnérabilité et la tendresse qu’il éprouvait pour sa mère, une femme admirable, un modèle de probité et d’intelligence.


UN GESTE DICTÉ PAR L’AMOUR de LAWRENCE HILL vient de paraître aux ÉDITIONS de LA PLEINE LUNE, 2019, 64 pages, 11,95 $.

  

dimanche 3 avril 2011

Une sombre page de l’histoire de l’humanité

L’histoire des Africains vendus comme esclaves reste encore méconnue. Plusieurs dizaines de millions d’individus ont été capturés et réduits à l’état de bétail. 
Les colonies américaines, entre autres, ont utilisé cette main d’œuvre pour la culture du riz, de la canne à sucre et de l’indigo.
Aminata vit auprès de sa mère, une sage-femme, et de son père joaillier. Elle apprend le métier auprès de sa mère même si elle est encore une fillette. Tout serait bien s’il n’y avait cette menace qui plane sur le pays.
«C’était une époque troublée et, sans tous les bouleversements, le mariage entre un Peul et une Bambara n’aurait jamais été permis. Des personnes disparaissaient et les villageois, craignant de tomber aux mains des ravisseurs, formaient de nouvelles alliances avec des villages voisins. Chasseurs et pêcheurs se déplaçaient en groupes. Pendant des jours et des jours, des hommes construisaient des murailles autour des villes et des villages.» (p.25)
Aminata est capturée lors d’une rafle. Son père et sa mère sont égorgés.
S’amorce alors un périple qui durera des mois. Enchaînés, ils doivent marcher vers l’océan Atlantique malgré la pluie, la chaleur, la faim et la maladie. Enfants et femmes enceintes font partie de cette incroyable odyssée. L’une accouche pendant le périple et doit continuer. Animata croit vivre l’enfer, mais elle comprend vite que le pire est à venir. Ils sont entassés dans la cale des navires, enchaînés l’un à l’autre. La maladie, la mort frappe à tous les jours et les cadavres sont jetés à la mer. On leur sert un peu de nourriture dans des auges et des chaudières. Il faut imaginer la senteur des excréments et des cadavres qui colle aux flancs de ces navires. Plusieurs captifs perdent la raison.
La jeune fille s’en tire un peu mieux que les autres. Le médecin la prend sous sa protection et la garde dans son lit. La fillette assiste aux ébats de ce dernier avec les esclaves à tous les soirs ou presque. Elle réussit à se nourrir et aide les autres du mieux qu’elle peut.

Amérique

Elle survit à la traversé et est vendue à un producteur d’indigo qui exploite un domaine près de Charles Town ou Charleston en Caroline du Sud. Elle réussit à se faire une vie en aidant lors des accouchements. Les Noires et certaines Blanches. Elle pense connaître un certain bonheur en épousant un compagnon de traversée. C’est sans compter la convoitise des maîtres qui « aiment bien » les belles esclaves. Son fils lui sera enlevé et vendu. Animata sera achetée par un Juif avec qui elle apprendra la tenue des livres et la littérature. La lecture et l’écriture restant interdites aux esclaves. 
Lors de la guerre d’indépendance des Américains, beaucoup de Noirs ont pris le parti des Britanniques en échange de leur liberté. Ils se retrouvent en Nouvelle-Écosse où on leur a promis la liberté et des terres. Des promesses qui ne seront jamais tenues.
«Ils s’étaient servis de nous de toutes les façons pendant leur guerre. Cuisiniers. Prostituées. Sages-femmes. Soldats. Nous leur avions donné notre nourriture, notre lit, notre sang, nos vies. Et lorsque les propriétaires d’esclaves arrivaient avec leurs histoires et leurs papiers, les Britanniques nous tournaient le dos et les autorisaient à se saisir de nous comme de la marchandise. Notre humiliation ne voulait rien dire pour eux, ni nos vies.» (p. 363)
Animata garde espoir pourtant de retrouver son mari et sa fille May qu’on lui a enlevée. Elle embarque dans le rêve de fonder une colonie libre au Sierra Leone. Ce retour en Afrique la hante depuis toujours. Là encore, malgré la meilleure volonté de quelques Britanniques, les engagements ne seront pas tenus.

Abolitionnistes

Animata finira en Angleterre pour appuyer la lutte des abolitionnistes. Elle connaîtra la célébrité et rédigera ses mémoires tout en ayant la chance de retrouver sa fille.
Lawrence Hill a effectué un travail magistral, s’appuyant sur des faits historiques et des personnages réels pour ancrer l’histoire d’Animata. Une tache sur la mémoire de l’Occident où des millions de personnes ont trouvé la mort dans ce commerce ignoble. Un racisme qui va au-delà de l’entendement. « Animata » fait comprendre et voir l’horreur de l’esclavage. Une tache qui marque à jamais l’histoire de l’Occident. À lire absolument. 

« Animata » est paru aux Éditions de la Pleine lune.