jeudi 17 février 2022

ANDRÉ PRONOVOST NOUS OFFRE UN LIVRE RARE

ANDRÉ PRONOVOST est un écrivain qui échappe à toutes les tentatives de classification et d’enfermement. Romancier et musicien, il a étonné en publiant Kerouac et Presley sur le web avant que des éditeurs ne s’intéressent à son texte. Cette fois, avec Visions de Sharron, il revient avec un livre, qui tient du journal personnel, où il se rapproche de la famille de Sharron Prior, une jeune fille de 16 ans sauvagement battue, violée et retrouvée morte dans un rucher de Longueuil en 1975. Cette adolescente a souffert le martyre et les circonstances de son enlèvement et de son supplice restent inconnues. Une histoire sordide et particulièrement troublante.

 

Dans Visions de Sharron, (Le titre vient certainement de Visions de Gérard de Jack Kerouac.) André Pronovost nous livre sa pensée, ses croyances, ses élans mystiques qui le portent à faire des choses qui peuvent faire sourciller les gens qui se contentent de leur quotidien. Cet auteur possède la foi qui transporte les montagnes, sait vous toucher, peu importe de quel côté vous vous situez. Il effleure les dimensions de l’être que l’on a tendance à fuir de nos jours, cette quête spirituelle qui marque l’histoire de l’humanité. 

Cette fois, il se laisse happer par la tragédie de la jeune Sharron Prior, une sainte et martyre. L’assassin ou les tueurs n’ont jamais été inquiétés pour ce crime sordide qui donne des frissons.

 

Enlevée à Pointe-Saint-Charles, non loin de l’intersection de la rue Favard et de l’avenue Ash, estiment les policiers, le samedi soir 29 mars 1975. Retrouvée trois jours plus tard, gisant sur le dos, dans un rucher en bordure du boulevard Guimond, à Longueuil, dans ce qui était à ce moment-là des champs perdus et des boisés. (p.10)

 

Le destin de Sharron Prior fascine Pronovost qui tente d’en savoir plus sur ce meurtre qui le hante et attire constamment son attention. Il se lance dans des recherches et établit des liens, fait des recoupements et est convaincu que cette adolescente est une martyre, comme bien des jeunes femmes canonisées par l’Église, celles qui ont été tuées et violées. Maria Goretti, par exemple, immolée à douze ans par un voisin. Sauf qu’on ne fait plus des saintes avec les victimes des crimes crapuleux de nos jours. Il y en aurait beaucoup au Québec avec toutes ces femmes que les hommes, souvent des maris, assassinent.

 

MILIEU

 

Fortement ancré dans son milieu, Saint-Vincent-de-Paul, aujourd’hui Laval, il se fait l’ethnographe de ce coin de pays qu’il connaît de long en large. Cela ne l’empêche pas de faire des sauts aux États-Unis qu’il a parcourus du sud au nord lors d’une marche de plus de 2125 milles en 1978. Il a suivi le sentier des Appalaches, une randonnée qui l’a mené de la Géorgie au Maine. Il en a fait un récit palpitant et initiatique que j’ai découvert à l’occasion de sa réédition en 2011.

Encore une fois, nous voilà à Saint-Vincent-de-Paul, près de la mère de l’écrivain, une centenaire bien vivante. Pronovost, en bon fils, s’occupe de la maison familiale, offre ses publications plus originales les unes que les autres, décrit son coin de pays, ses mythes, ses légendes, ses personnages et ses obsessions. La musique, bien sûr, Elvis et Dolorès Hart, qui, après avoir joué au cinéma aux côtés de l’idole de toute une génération, a choisi le silence de la vie contemplative chez les bénédictines. Elle fascine André Pronovost parce qu’elle touche le mystique en lui, l’anachorète et moine marcheur qui parcourt son monde pour se réconcilier avec soi et faire la paix avec ses semblables. 

 

SILENCE

 

On parle peu d’André Pronovost dans les médias, et il doit se débattre comme peu d’écrivains le font pour faire connaître ses publications. Allant même jusqu’à organiser un lancement-concert où lui et son groupe ont attiré une foule pour marquer la parution de Kerouac et Presley

 

J’étais devenu un éditeur. L’éditeur de son propre livre. Offert gratuitement, par-dessus le marché! Un grand chelem. Des publicités paraîtraient dans Le Devoir et dans une couple de revues littéraires. Kerouac et Presley : à compter du 21 mars, on n’aurait qu’à le télécharger. Je m’étais arrêté sur cette date symbolique, chère à mon cœur, celle de l’équinoxe du printemps. (p.204)

 

Ce guitariste sait parler de la chanson populaire et possède un regard unique sur la musique. Il montre le côté spirituel des succès d’Elvis et de certaines vedettes du rock, trouve l’expression d’une foi et des convictions dans des textes que l’on entend souvent à la radio sans y prêter attention. 

 

Je suis quelqu’un qui prie beaucoup. Ça remonte à mon enfance. Je crois au dogme de la communion des saints, que voulez-vous que je vous dise? Une qui prie beaucoup, c’est Patti Hansen, l’épouse de Keith Richards, le guitariste des Rolling Stones. Keith, lui, dit remercier Dieu de l’avoir tenu éloigné des églises. (p.26)

 

Étant plutôt du côté des mécréants, je ne m’en vante pas, la démarche d’André Pronovost me fascine et surtout j’aime cette franchise et son audace. Ce musicien, grand marcheur, capable de visions, de fidélité mystique, étonne et subjugue. Il s’attarde à Elvis Presley dans son récit, Dostoïevsky, Kerouac, Henry Miller tout en fouillant l’histoire des villages avec une précision et un savoir unique. Il s’intéresse, autant à la présence des francophones aux États-Unis, qu’à ses amis, plusieurs originaux, qu’à la mère de la jeune Sharron qu’il finit par retrouver. Une femme qui a connu l’enfer et le souffle du diable avec la mort de sa fille. 

Ce récit m’a happé comme rarement un livre le fait. 

André Pronovost fait preuve d’une témérité étourdissante et dit tout sans se préoccuper des remous qu’il peut provoquer. Ça explique peut-être pourquoi on garde le silence sur ses publications, surtout autour de ce livre singulier qui occupe une place unique dans notre littérature.

Étrange chronique, il faut le répéter, curieuse et envoûtante. Ça nous plonge dans l’entourage d’un humain exceptionnel qui ébranle vos convictions. Ce récit, tout en digressions m’a hypnotisé et j’aurais pu le suivre au bout du continent, même dans les Appalaches. J’aime les écrivains qui secouent mes certitudes, m’étourdissent par leurs propos et leur univers. Ça me sort des publications formatées et répétitives, des succès qui vous découragent souvent par leur mièvrerie et les clichés qu’ils ressassent. 

Visions de Sharron, d’André Pronovost, s’avère une aventure littéraire, mystique et spirituelle. Vous en savez assez maintenant pour comprendre que c’est là un ouvrage rare, le livre d’une vie.

 

PRONOVOST ANDRÉVisions de Sharron, LEMÉAC ÉDITEUR, 288 pages, 29,95 $.

 

http://www.lemeac.com/catalogue/1914-visions-de-sharron.html