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mardi 7 septembre 2021

COMME UN VOYAGE AU PAYS DE MON ENFANCE

DANS ALLER AUX FRAISESun recueil de trois nouvelles d'une quarantaine de pages chacune, Éric Plamondon s’attarde à l’adolescence, le début de la vie d’adulte, la découverte de l’autonomie, de l’amour, de la sexualité, de la fête aussi tout en composant avec des parents divorcés. Le père a eu la garde de l’enfant pendant les premières années. La mère prend la relève quand arrive le moment d’étudier au cégep et le jeune homme doit déménager à Sherbrooke, quittant Québec où il a ses assises et ses amis. Nous sommes habitués à l’inverse, soit que la mère devienne responsable d’un garçon qui cherche le père manquant. Le fil conducteur? La plongée dans son petit monde et de celui des parents, une sensibilité particulière à son environnement, à des personnages marginaux qui hantent certains villages, capables des exploits les plus étranges et sordides. Des travailleurs qui ne lisent pas, n’entrent jamais dans un cinéma, qui s’étourdissent pour le meilleur et le pire. La vie au ras du sol et des occupations quotidiennes qui avalent tout le temps qu’on peut avoir.

 

Ce titre un peu bucolique, Aller aux fraises, me rappelle ces étés, où encore enfant, ma mère m’envoyait aux fraises des champs qui rougissaient le long des clôtures et dans les fossés de la ferme familiale. Des fruits à peine visibles dans l’herbe haute que j’avais bien du mal à repérer parce que je suis daltonien. Je distingue difficilement certaines couleurs. Je ne le savais pas à l’époque. Pour un garçon qui rêvait d’être peintre, cela pose un problème. Oui, j’étais mauvais cueilleur, ne voyant pas ces fruits qui se dissimulaient partout, ce qui ne m’empêchait pas de les adorer, surtout quand elles étaient devenues des confitures par la magie de ma mère. 

Éric Plamondon connaît du succès et j’ai beaucoup aimé ses précédents ouvrages, particulièrement 1984 dont j’ai déjà parlé dans mes chroniques. L’auteur s’intéresse à la grande et petite histoire, se faufile dans les mailles de certains faits comme la bataille de Restigouche où les Autochtones se sont révoltés et ont fait face aux forces policières pour récupérer leurs droits de pêcher le saumon. Plusieurs de ses livres ont été traduits. Plamondon vit en France, mais est demeuré résolument québécois par son écriture et les sujets qui retiennent son attention. En cela, il suit les traces d’Anne Hébert qui a toujours situé ses romans dans le Québec tout en habitant le pays de Jean Giono.

 

SUJETS

 

Souvent, Plamondon s’attarde à des anecdotes de famille, à des marginaux qui hantaient les tavernes à une certaine époque, avalant bière après bière tout en jouant au billard. C’est le sujet de sa deuxième nouvelle intitulée Cendres. Des ouvriers qui répètent inlassablement des gestes et des propos pour échapper à l’ennui et à la monotonie de leur vie.

 

Mais parfois à Saint-Basile, il ne se passait rien d’extraordinaire, rien d’assez fascinant pour en tirer une histoire. Comme ces soirs d’automne où la noirceur arrive pendant le souper, avant cinq heures et demie, que le vent souffle et que la pluie frappe la vitre de la cuisine en diagonale. On n’a rien à dire, rien à faire, mais on prend quand même son courage à deux mains pour aller se boire une bière. C’était un de ces soirs où il n’y avait qu’un Small Godin et un Finger Hardy pour venir tenir compagnie à Ti-Gilles Gérard, qui tapait des boules seul au billard depuis le milieu de l’après-midi en s’appliquant à ne pas boire plus de deux bières à l’heure. (p.57)

 

Des histoires que des gars se racontent autour d’une table en vidant des bouteilles de bière, des grosses, j’imagine, riant aux éclats pour prendre leurs distances avec la réalité. Des aventures que tout le monde connaît et aime répéter. Des gestes qui se donnent des proportions épiques. 

Tout ça me replonge dans La mort d’Alexandre où je suis les péripéties de deux de mes frères, des abatteurs d’arbres capables de toutes les extravagances quand ils n’en pouvaient plus des cyprès et qu’ils s’échouaient dans le premier bar venu pour dépenser tout ce qu’ils avaient gagné pendant des semaines à suer sang et eau dans les montagnes, se débattant au milieu des moustiques l’été, la neige et le froid en hiver. Cet univers avait fait tiquer bien des commentateurs à l’époque. Les critiques dédaignaient le langage cru et vrai de mes héros. Pourtant, le sujet revient à la mode et on applaudit maintenant. Comme quoi les temps changent et ce qui était mal vu il y a quarante ans (mon roman est paru en 1982), est moderne et acceptable dans le monde des réseaux sociaux. 

Des hommes capables de travailler pendant des heures en exécutant les pires tâches et qui se retrouvent dépourvus, bredouillant devant une femme. Les personnages de Plamondon sont de la même race. De grands parleurs quand ils sont chaudasses et qui peuvent se lancer dans des entreprises où ils risquent leur peau. Leurs exploits n’ont de retentissement que dans les bars et ils ne recevront jamais la médaille du courage de l’Assemblée nationale du Québec. Mal dégrossis, peu scolarisés, ils s’enfoncent dans le quotidien jusqu’à ce que le corps flanche et qu’ils disparaissent dans l’indifférence. 

 

Il venait de quelque part dans le bout de Charlevoix. C’est à peu près tout ce qu’on connaissait de son passé. Il avait choisi ce soir de novembre pour raconter aux deux autres qu’il avait perdu son père à sept ans et sa mère à douze. Ses parents étaient enterrés à Saint-Irénée. Il n’était pas question de revoir sa famille d’adoption à Baie-Saint-Paul. Tout ce qu’il voulait pour ses dernières volontés, c’était d’être incinéré et enterré à côté de son père et de sa mère, sur le bord du fleuve, là où il avait vécu ses premières années de sa vie. Les gars en étaient à leur cinquième bière après trois ponces. L’histoire de Ti-Gilles leur avait mouillé l’œil. La bouche pâteuse, Small et Finger avaient juré solennellement, en levant leur verre, que si Ti-Gilles mourait avant eux ils porteraient ses cendres jusqu’au cimetière de Saint-Irénée. (p.59)

 

Un langage cru, des sacres ici et là, quelques blasphèmes qui ne passaient pas en 1982 et que l’on trouve charmants maintenant, typiques pour ne pas dire nécessaires. 

Ça me touche ces histoires, parce qu’il me semble que La mort d’Alexandre, si un éditeur avait le courage de le sortir des limbes, pourrait connaître un beau succès. Comme si mes personnages devenaient acceptables avec le temps et qu’ils étaient maintenant fréquentables. Peut-être que le Québec a changé et qu’il peut se regarder dans les yeux, rire en écoutant des aventures que l’on racontait après deux ou trois verres de trop. Ça me fait tout drôle et étrange. Peut-être que j’ai publié mon roman à la mauvaise époque. Ça peut arriver. Et Victor-Lévy Beaulieu qui avait accepté le manuscrit était peut-être un visionnaire. Pas que je sois amer. J’ai connu de belles choses avec ce roman de forestiers, d’ivrognes, de misères et d’amours impossibles. 

Un résident de Péribonka, pendant des années, a lu La mort d’Alexandre au moins une fois par année, y retrouvant le monde de sa jeunesse, les années où il avait dû s’enfoncer dans les montagnes pour donner un coup de main à sa famille et gagner sa vie en abattant des arbres. C’est sans doute l’une des plus belles choses que j’ai vécues avec ce fidèle qui avait fait de mon roman le seul livre de sa bibliothèque et qu’il ouvrait lentement, comme s’il s’apprêtait à faire un pèlerinage. 

 

SUJET

 

Les trois nouvelles nous plongent dans les mythes de village, les prouesses d’un adolescent comme dans Aller aux fraises qui découvre le plaisir et la fête. On boit beaucoup dans les histoires de Plamondon pour le meilleur et surtout le pire. Ça me touche et me rappelle bien des choses. Je revois mes frères efflanqués (tous morts dans la cinquantaine) qui migraient de chantier en chantier, mais étaient capables de faire rire aux larmes quand ils se retrouvaient autour d’une table pleine de bière et qu’ils embellissaient leurs aventures dans les forêts de Chibougamau et de l’Abitibi. 

Éric Plamondon est un conteur efficace qui m’a plongé dans mon passé, a secoué une foule d’histoires qui encombrent mon esprit, comme ces objets que l’on accumule dans les greniers et qui ne servent plus à rien. Tous ces meubles et outils que l’on regarde avec une certaine nostalgie. C’est direct, pas compliqué, franc et amusant. 

Beau moment dans Thetford Mines, un voyage dans la neige et la poudrerie propre à tous les fantasmes et toutes les surprises au Québec. Qui n’a pas connu un tel moment, la peur de se perdre dans l’aveuglement de la tempête? Ça m’a fait du bien de m’attarder à ces textes, comme si je retrouvais des personnages de mon enfance et qu’ils réussissaient à revenir du monde des morts. 

 

Plus ça s’accumulait au sol, moins j’allais vite. Il devenait difficile de savoir si j’étais toujours sur la route. Je commençais à me demander si je me rendrais à destination avant qu’il ne soit trop tard. Avec un peu de chance, peut-être allais-je bientôt tomber sur le trajet d’une gratte qui pousserait des tonnes de neige pour m’ouvrir la voie. Le tunnel dessiné par les phares rétrécissait sous les précipitations qui redoublaient d’ardeur. Michael Jones laissait glisser ses doigts sur les touches du piano : allegro, forte, pianissimo, andante. Je venais d’avoir dix-huit ans. (p.103)

 

Pendant ma lecture, j’ai entendu les rires de mon père, les voix de mes frères qui se relançaient à savoir qui avait fait la pire des bêtises. De quoi passer de beaux moments. Un style net, précis et une phrase qui vous prend par la main et ne vous lâche plus.

 

PLAMONDON ÉRIC, Aller aux fraises, Éditions LE QUARTANIER, Montréal, 2021, 17,95 $.

 

https://lequartanier.com/parution/447/Éric_Plamondon_Aller_aux_fraises

lundi 22 mai 2017

Plamondon plonge dans une histoire troublante


LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, en 1981, envoie des forces policières pour saisir les filets de pêche des Mi’gmaq à la réserve Listiguj de Ristigouche. Une intervention policière qui tourne à l’émeute et à la crise sociale. Éric Plamondon nous replonge dans un moment particulièrement tragique que peu de Québécois aiment se rappeler. Le sort des Autochtones refait surface, malheureusement, trop souvent dans l’actualité. Que l’on songe aux événements d’Abitibi ou encore de Uashuat tout près de Sept-Îles. Des femmes agressées, violées par des proches ou qui disparaissent sans laisser de traces.

Le territoire de la réserve mi’gmaq de Listiguj se situe à la frontière du Québec et du Nouveau-Brunswick, le long de la rivière Ristigouche, renommée pour ses nombreux saumons, mais aussi comme du dernier lieu de résistance de la colonie française. Là où s’est scellé le sort des Acadiens et celui des Québécois par ricochet. Un pont lie les deux provinces, une frontière entre le monde autochtone dépossédé de tout et celui des Blancs qui prennent des décisions étranges. Le gouvernement de René Lévesque est au pourvoir à Québec en 1981 et entend tenir tête à Ottawa, oubliant les autochtones et leurs droits. L’intervention policière est brutale. Des arrestations, des blessés, une justice expéditive, une autre étape d’une guerre d’occupation.

OCÉANE

Océane, une jeune mi’gmaq est à l’école ce jour-là. Elle étudie de l’autre côté de la rivière, hors de la réserve. Quand elle tente de rentrer chez elle après sa journée, le pont est bloqué. Elle suit des garçons et réussit à traverser en se glissant dans la structure. La jeune fille est arrêtée, violée par des policiers qui se permettent tout. Je ne peux que penser aux témoignages de ces femmes en Abitibi qui pointent les policiers du doigt. Un geste qui semble fréquent quand il s’agit de jeunes femmes autochtones. Les adolescentes sont traitées comme du bétail et les mâles conquérants s’en servent avant de les rejeter. Des événements similaires ont été racontés maintes fois dans notre littérature. Louis Hamelin dans Cowboy nous fait voir de façon exceptionnelle cette situation dans les réserves. J’ai vécu cette cohabitation difficile alors que je travaillais dans les forêts du nord de l’Abitibi. Le racisme s’y exprimait dans la plus absurde des cruautés. Des hommes n’hésitaient pas, après avoir avalé quelques bières, à faire des raids dans la réserve tout près pour « tasser » les hommes et violer leur femme et leurs filles. Je raconte cela dans La mort d’Alexandre en 1982. Personne n’en a parlé, bien sûr. Lucie Lachapelle s’attarde aussi à cette situation déplorable dans Rivière Mékiskan. La situation ne semble pas vouloir changer malgré de nombreuses dénonciations. David Adam Richards aborde le même événement de façon saisissante dans Enquête dans la réserve paru en 2013.

HISTOIRE

Éric Plamondon a sa façon de nous plonger dans cette page d’histoire. La bataille de la Ristigouche, haut lieu de l’Amérique française, redevient le théâtre d’un affrontement entre Québec et Ottawa. Les nations indiennes, aujourd’hui comme hier, ont souvent été au coeur de ces luttes de pouvoir. Toute la communauté mi’gmaq est traumatisée par l’intervention soudaine des policiers et leur brutalité.

Dany fait ce qu’il peut avec sa jambe de bois. Le policier tire, arrache la chemise, le plaque à terre, un coup de genou dans les côtes l’air de rien, un oing sur la nuque parce qu’il faut qu’il obtempère. La clé de bras disloque l’épaule. Un cri de douleur jaillit, étouffé par un fuck you hargneux. Ils sont maintenant quatre sur le dos de l’homme à terre. Il n’avait qu’à obéir. Refus de se plier aux ordres d’un représentant de l’autorité. Il n’avait qu’à ne pas traîner. Ils lui maintiennent les jambes et lui passent les menottes. Un coup de matraque dans le dos pour finir. Les forces de l’ordre sont en train de sauver le Québec des terribles agissements de ces sauvages qui ne veulent jamais rien entendre. Il faut les discipliner, leur apprendre. On est dans la province de Québec, sur le territoire provincial. Quiconque s’y trouve doit obéir aux lois et aux injonctions venues de la capitale. Le ministre a dit, la police exécute. Elle répand la parole de l’ordre par le bout des fusils, les gaz lacrymogènes et les barreaux de prison. (p.32)

Éric Plamondon raconte l’histoire de façon horizontale et verticale, je dirais. Nous suivons Océane dans les jours qui suivent l’occupation. Il remonte aussi dans le temps pour s’intéresser à la présence autochtone en Gaspésie jusqu’à l’arrivée des premiers migrants sur le continent américain dans un passé très lointain. Autrement dit, nous basculons dans le temps et l’espace, vivons la présence autochtone dans ces lieux où ils chassent et pêchent depuis des milliers d’années. L’arrivée des Européens chambarde tout. Les envahisseurs s’emparent de tout et font fi des droits et des lois. Le non-respect des traités signés avec les premières nations est un exemple désolant de cette manière d’agir. Il suffit de lire Thomas King, particulièrement L’indien malcommode, pour avoir mal à l’âme devant les tractations et les sévices que les Blancs imposent aux premiers occupants. La réalité dépasse toujours la fiction.
Les manœuvres de Pierre Pesant, dans Taqawan, sont particulièrement odieuses. Sous des dehors empathiques, plaidant en faveur des mi’gmaq, il contribue à l’enlèvement des jeunes indiennes pour en faire des prostituées.

AVENTURE

Des morts, des meurtres, des gens qui tuent et s’en tirent sans aucune conséquence. J’ai du mal à prendre au premier degré toutes les tribulations de Leclerc et William, son complice indien, qui se comportent en véritable Rambo. Plamondon caricature la mythologie que le cinéma américain fait de la Conquête de l’Ouest et des affrontements avec les nations indiennes. Océane devient un prétexte entre deux forces qui se confrontent dans la plus terrible des violences.
Yves, un simple garde-pêche tue sans aucune émotion et se débarrasse des corps comme s’il faisait cela tous les jours. La loi du plus fort s’impose et les lois, les édits sont bafoués. C’est gros, c’est énorme, mais il faut voir plus loin, celle d’une dépossession et la poussée implacable de ce que nous nommons la civilisation.

C’est un drôle de concept, la terre natale. Ce sont de drôles de concepts, le territoire, la culture, la langue, la famille. Comment ça fonctionne, dans la tête des humains ? Ils sont les enfants de leurs parents. Ils naissent au sein d’une communauté à un moment précis quelque part. Mais d’où vient cette incroyable force collective qui mène le monde depuis toujours : défendre son territoire, son identité, sa langue ? D’où vient cette nécessité, comme innée, depuis le fond des âges, qui veut que l’espèce humaine se batte et s’entretue au nom d’un lieu, d’une famille, d’une différence irréductible ? Pourquoi mourir pour tout ça ? (p.110)

C’est ce que j’aime chez Éric Plamondon. Il ne se contente pas d’une aventure rocambolesque, mais se questionne sur la nature de l’humain et ses agissements, le milieu, le comportement des saumons par exemple, la nature qui devient agissante. Et nous sommes peut-être seulement des bêtes qui défendent un espace et un lieu pour se nourrir et se reproduire. Notion dépassée ? Peut-être tout simplement que ce désir réside dans notre ADN et nous pousse à protéger un territoire pour soi et sa descendance.

BRUTALITÉ

Nous basculons dans un monde rude où tous agissent sans scrupules, s’approprient des terres, utilisent les femmes comme du bétail. Le vieil indien redresseur de torts et le garde-pêche sont aussi impitoyables et insensibles que les envahisseurs. Bien sûr que les bons vont triompher et qu’Océane sera libérée des mains des exploiteurs. Elle s’exilera dans la ville, étudiera pour s’arracher à la misère et à toutes les humiliations qui écrasent son peuple. C’est le sort des autochtones maintenant. Tous doivent acquérir un savoir et arriver à vivre à la manière de ceux et celles qui se sont approprié leur pays. Ceux qui survivent dans les réserves font face à des problèmes quasi insurmontables de misère et de dépendance.
Éric Plamondon nous plonge dans une actualité dérangeante, ne se tient jamais dans la demi-mesure. Le monde se fait et se défait.
Un livre qui éclaire nos rapports avec des populations qui ont tout perdu et qui survivent sur des réserves trop étroites. Il faut en parler encore et encore dans l’espoir que les choses changent et que des Mi’gmaq, les Innus, les Algonquins ou les Hurons retrouvent leur fierté d’être, arrivent à vivre selon leurs traditions et leur manière de voir le monde. Un roman qui transcende l’action et les agissements des personnages pour nous plonger dans la violence de ceux qui envahissent un espace et en chassent les occupants. C’est toute l’histoire de l’Amérique qui refait surface dans ce roman. Il ne faut pas l’oublier.

TAQAWAN de ÉRIC PLAMONDON, roman paru au QUARTANIER.


PROCHAINE CHRONIQUE : LE PLONGEUR de STÉPHANE LARUE.




vendredi 1 juillet 2016

Éric Plamondon nous fait redécouvrir notre époque

UN PETIT VOYAGE à Québec. Je prends l’autobus maintenant pour ces déplacements, avec un livre pour oublier la distance et la route. Un roman traînait sur mon bureau depuis un moment. Lire dans un véhicule en mouvement, surtout quand on traverse le parc des Laurentides, est une aventure. J’ai feuilleté 1984 avant le départ et pensé qu’il convenait. Outre le titre qui me rappelait George Orwell, les fragments conviennent pour une lecture voyageuse, surtout sur la route sinueuse entre Hébertville et l’embranchement de l’autoroute qui va vers Chicoutimi ou Québec. Un beau soleil, un jour chaud, l’un des premiers de l’été, un siège pour prendre ses aises et j’ai ouvert le roman en longeant le lac Vert. Je me suis rendu compte rapidement que je ne traverserais pas seulement le parc des Laurentides, mais que je vivrais une expérience de lecture.

Je ne savais rien d’Éric Plamondon. J’avais droit à trois romans publiés entre 2011 et 2013 réunis en un gros volume. Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise et Pomme S. Une réédition originale. Cela ne se fait guère. Je me suis avancé sur la pointe des pieds. Surtout avec les courbes de la route, les moments pour regarder la rivière aux Écorces dans toutes ses grosseurs du printemps, ou encore ce paysage qui me coupe le souffle quand on aborde les descentes du mont Apica.
Une mauvaise impression d'abord. Cette longue énumération du début m’a fait sourciller. L’auteur se complaît dans une logorrhée sans fin et normalement, j’aurais rebroussé chemin.

J’ai eu de l’acné, je suis allé à l’université, j’ai eu du cul, je me suis marié, je me suis drogué, j’ai voyagé, j’ai fait du sport, j’ai lu les journaux, j’ai dit « bonjour », j’ai dit « oui, merci », j’ai été président de classe, j’ai été employé du mois, j’ai milité pour ci et j’ai milité pour ça. J’ai ouvert un compte en banque, j’ai économisé, j’ai acheté une voiture, j’ai roulé un peu ivre, mais pas trop, je n’ai pas grillé de feu rouge, j’ai repassé mes chemises le dimanche soir, j’ai acheté des cadeaux de Noël, d’anniversaire, de mariage, de Saint-Valentin… (p.13)

La danse du « je » continue pendant trois ou quatre pages. Je n’aime pas les répétitions et chasse les mots qui reviennent dans mes textes en véritable obsédé. Je crois que j’aurais mis le livre de côté normalement. Je suis un lecteur patient, mais certaines choses me rebutent. J’ai continué, malgré mes hésitations, me disant que ce serait ma lecture de voyage. Et je n’avais pas envie de passer des heures à compter les épinettes.
Et est apparu Johnny Weissmuller, le grand champion olympien et comédien qui a fait les beaux jours de mon enfance. Quand nous avons enfin eu la télévision dans la maison familiale, un peu après tout le monde au village, je ne ratais jamais Jim de la jungle. Une sorte de gardien de parc, une manière de Tarzan qui vivait bien des aventures. Comment oublier le plongeon du début, le chapeau qu’il jetait d’un geste assuré avant de s’élancer du haut d’un rocher ?
Et un écrivain américain que je ne connaissais pas. Un autre ! Richard Brautigan, un résistant qui a vécu à San Francisco à la belle époque. Son grand-père serait né au Québec.

PIÈGE

Et je me suis laissé prendre par ces textes qui nous lancent sur les traces de Tarzan, l’homme au cri inoubliable qui a fait rêver tous les garçons de mon époque et aussi un certain Gabriel Rivages qui est hanté par Brautigan, lit ses livres, ne semble jamais vouloir connaître la paix, sauf quand il plonge dans la lecture.
Ce n’est qu’au retour que j’ai été happé par 1984 qui tient du journal, de la fiction, de l’invention, de la biographie de Johnny Weissmuller, ce héros olympien et comédien qui a fini dans la dèche. Une histoire fascinante d’un petit garçon né en Hongrie et qui est devenu un champion de natation. J’ai su devant l’Étape, tout près du grand lac Jacques-Cartier qui digérait ses dernières glaces, que j’irais jusqu’au bout de cette lecture un peu particulière. Pas évident d’osciller entre la fiction, le bavardage, les éléments biographiques de l’écrivain, des réflexions personnelles et une forme d’enquête sur notre monde ou des évidences que l’on ne prend jamais la peine de vérifier. Une sorte de capharnaüm où l’on retrouve Johnny Weissmuller dans son enfance à Chicago, près du grand lac Michigan où il a développé une véritable passion pour l’eau et la natation. Un palmarès unique et impressionnant. Le premier humain à nager le cent mètres en moins d’une minute. Si vous aimez les exploits sportifs, vous êtes comblés.
Et il y a l’après, sa carrière au cinéma. Un homme qui n’est jamais arrivé à s’installer dans la vie avec ses nombreux mariages et qui a tout flambé. Les héros dégringolent souvent aux États-Unis. Et il y a ce Brautigan que l’on découvre peu à peu. Un original, un singulier qui échappe à toutes les balises.

Entre la guerre du Vietnam, les émeutes raciales et le droit des femmes, il trouve sa place parmi les allumés de la côte ouest. Il ne se veut pas directement anarchiste comme les Diggers, mais son style respire la liberté à pleine page. Quand il parle d’une partie de pêche ou d’une balade en bus, Brautigan, par son style, tape autant que Bakounine ou Blanqui. Ni dieu ni maître ! (p.237)

Je suis allé sur Internet pour savoir qui était cet écrivain. On a beau passer sa vie à lire, il y a toujours des auteurs qui restent dans l’ombre. Il suffit d’entrer dans une bibliothèque ou dans une librairie pour prendre conscience de l’ampleur de son ignorance. Une tête sympathique et un mythe de la contre-culture.

FASCINATION

Et je me suis passionné pour cette écriture qui se moque des belles manières, n’hésite jamais à bousculer les convenances et à défaire les schèmes de la narration. Nous sommes à la fois dans le réel et le fictif, dans le journal intime et la biographie d’un sportif et d’un écrivain mythique, dans l’actualité aussi. Brautigan m’a rappelé Kerouac et cette génération qui rejetait toutes les obligations pour vivre la vie d’errant qui ne croit et n’espère que dans les rencontres fortuites, les amitiés qui vous emportent parfois au bout du monde. Surtout que je venais juste de sortir de la lecture des romans en français de Kerouac et de son journal de bord. J’étais particulièrement bien préparé pour suivre Rivages, Plamondon et Brautigan.

En 1926, le quadruple médaillé des Jeux olympiques de Paris est invité à visiter les studios de la MGM à Hollywood. Il y rencontre, médusé, son héros d’enfance Douglas Fairbanks. Ce dernier lui donne alors ce conseil : « Si jamais tu fais du cinéma, faut te faire raser tout le corps, sinon à l’écran les poils paraissent énormes. On ne voit plus que ça. C’est dégoûtant. » (p.59)

Anecdotes, réflexions pour mieux voir peut-être l’histoire contemporaine, me faire prendre conscience que j’ignorais bien des choses. L’ordinateur par exemple.
Je me suis passionné pour Brautigan dans Mayonnaise, ses déplacements, ses lectures, ses écrits, ses succès étonnants et son refus de toutes les normes, ses excès aussi. Il finira alcoolique, un peu comme Kerouac, se suicidant en 1984. Toujours l’ombre d’Orwell, l’année particulière.

POMME S

Le dernier roman m’a emballé. Je me suis retrouvé devant l’ordinateur que j’utilise tous les jours. Pomme S, le titre, rappelle la fonction clavier pour enregistrer un texte. Plamondon nous fait connaître Steve Jobs, l’inventeur de Appel et de l’ordinateur personnel. Le lancement a eu lieu en 1984 et cet appareil a changé le monde. L’histoire d’une réussite exceptionnelle, l’invention d’une machine qui a bouleversé nos manières de faire et de concevoir la mémoire. Avant l’écriture, l’invention de l’imprimerie pour tout dire, les humains cherchaient à savoir le plus de choses possible et à les répéter à leur descendance. L’invention de la rime aurait facilité ce travail de mémoire. L’ordinateur, les transistors, le disque dur ont fait en sorte de déposer le savoir humain dans une immense bibliothèque pour nous libérer du devoir de mémoire. Steve Jobs a été un visionnaire et un homme fascinant malgré ses obsessions.

Steve Jobs aimait se prendre pour Léonard de Vinci. Il voyait dans l’Italien la figure parfaite du gentilhomme, à la fois artiste et scientifique, poète et technicien. Pour lui, le portraitiste de Mona Lisa représente l’alliance par excellence entre l’art et la science. Toute sa vie, Jobs se réclame de cette dualité. Il veut marier la technologie la plus parfaite au design le plus raffiné. (p.520)

Une aventure passionnante que celle de l’informatique. Steve Jobs est devenu une légende et une sorte de prophète. Chose certaine, je ne vois plus mon ordinateur de la même façon.
Plamondon m’a fait connaître quelques grandes figures de mon époque et mieux aimer mon siècle que l’on a tendance à voir comme celui des excès et des agressions contre l’environnement. Certains ont vécu d’incroyables aventures qui ont changé le monde et nos manières de faire. Oui, les découvertes sont encore possibles et tout n’a pas été dit et fait. Il faut juste un peu d’imagination pour emprunter des sentiers inconnus. Tout est toujours à découvrir.
Un écrivain étonnant que cet Éric Plamondon. Il aime défaire les normes de l’écriture et réussit à nous accrocher avec ses réflexions, sa curiosité, son plaisir de raconter, son amour de l’humain et de son époque. Que demander de plus ?

LA TRILOGIE 1984 d’Éric Plamondon est paru au QUARTANIER, 616 pages, 31,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : NIKO de Dimitri Nasrallah publié à La Peuplade.