Qui se préoccupe des hommes et des femmes qui glissent imperceptiblement vers la vieillesse. Surtout quand ils arrivent à déjouer les pièges qui cernent le corps, s’attardent dans ce que l’on nomme pompeusement «l’âge d’or».
Martine Richard, dans «Les sept vies de François Olivier», plonge dans ce monde où la maladie, les pertes de mémoire et d’autonomie font partie du quotidien; où la vie s’amenuise dans des gestes de plus en plus hésitants. Le cinéma s’y risque parfois, polissant une image souvent fausse du vieillissement. Qui ose explorer ces lieux où femmes et hommes fixent la mort sans sourciller. Comme s’ils patientaient dans une gare, attendant un dernier train qui se fait attendre.
Pour les survivants, il reste des souvenirs, ces «marées de vie» qui prennent toute la place, la vie à deux encore, pour une bouffée de chaleur et d’espoir.
Quand tout craque
Et il arrive le moment que tous craignent. La compagne ou le compagnon bascule dans la maladie.
«Ce soir d’août, l’horloge marque minuit. Rita a soudain envie d’uriner. Cela la réveille. Elle se lève. Ses pieds touchent le sol. Tout à coup, tout son côté droit flanche. Elle tombe et cela produit un bruit sourd. Puis, plus rien. François appelle désespérément le 911. Lui aussi, il tombe, mais par en dedans, dans un tunnel où il est tout raboté par les parois. Son goût de jouer avec la vie est râpé à l’os.» (p.27)
Rita perd la mémoire. Un ACV. Elle est condamnée à une existence végétative presque. François Olivier se retrouve plus seul que jamais à 84 ans. Homme guère «lamenteux», comme il répète, le voilà à écouler le temps entre son appartement et le foyer où sa femme a été admise. Dans cette solitude, bien des gestes deviennent inutiles. Ses fils vivent leur vie, comme il se doit. Les réminiscences et les souvenirs s’affolent. Le passé lointain le hante, ce «temps» qu’il a toujours refoulé comme s’il craignait de trahir des secrets.
Le voyage
Pour faire taire certaines voix, il décide de retourner aux États-Unis où il est né, près de New York, de visiter cet orphelinat où il a vécu ses premières années, avant d’être adopté par une famille d’origine Canadienne française. Il faut faire face à la vérité, un jour ou l’autre.
Pendant le voyage en autobus, il se confie à une religieuse. Un torrent de paroles impossible à endiguer qui prend la forme de sept vagues. L’orphelinat, sa vie à la ferme dans une nouvelle famille, le retour au Québec, l’apprentissage du français, la vie en militaire, l’amour avec Henriette, sa première femme, et cette longue glissade dans le vieillissement. Par ces voyages entre le passé et le présent, Martine Richard dévoile la vie de François Olivier, nous ramène à cet orphelinat où il confronte la vérité.
La directrice de l’institution vendait les orphelins aux familles d’adoption, déclarant les enfants morts quand les vrais parents se présentaient. Elle émettait de faux certificats de décès pour empêcher les revendications. Une combine qui a poussé la directrice au suicide quand le manège a été éventé. Une honte qui révolte encore la religieuse quasi centenaire qui révèle la vérité à François Olivier.
Album de photos
Par petites touches, Martine Richard crée un album de photos où les personnages s’effacent presque avec le temps. Elle décrit un univers qui se recroqueville, des moments où un geste exige tout, où les journées s’ouvrent sur des portes trop grandes et des tâches inaccessibles. Des moments d’une justesse rare.
«L’épouse de François tournera tout à fait le dos à son époux pour qu’on installe une veste de laine sur ses épaules. Rita ne bougera plus et rira bientôt de bonheur pour une raison inconnue. Il n’y aura plus rien au monde, si ce n’est la lumière d’une jeune femme qui en soigne une autre, toute vieille.» (p.52)
Une écriture forte, une belle sensibilité au monde des hommes et des femmes que l’âge malmène et qui, peu à peu, deviennent des réfugiés du temps. Un roman qui montre un univers que peu d’écrivains osent visiter dans une société folle d’agitation et de rendez-vous ratés. Des images qui vous poussent dans des bonheurs de tendresse et d’humanité.
«Les sept vies de François Olivier» de Martine Richard a été publié aux Éditions David.