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dimanche 13 décembre 2020

LE RETOUR DE PAUL VILLENEUVE

PAUL VILLENEUVE REVIENT dans l’actualité avec Mon frère Paul, un récit de Marité Villeneuve, la sœur de l’écrivain, paru en septembre 2020 chez Del Busso Éditeur. Un regard percutant sur l’étoile filante de la littérature québécoise des années 1970 que fut ce romancier. Villeneuve publiait son premier ouvrage en 1969 alors qu’il avait vingt-cinq ans. Marie-Claire Blais offrait le premier volet de la trilogie des Manuscrits de Pauline Archange, la même année, tandis que Roch Carrier récidivait avec Floralie où es-tu? après le succès de La guerre yes sir. André Major retenait l’attention avec Le vent du diable et que dire de Trou de mémoire d’Hubert Aquin? Une époque où de grands écrivains amorçaient un parcours remarquable.


La fiction québécoise s’inventait en se diversifiant dans les années 60. Plusieurs de ces écrivains sont à l’origine d’une œuvre originale et sont devenus des figures incontournables cinquante ans plus tard. Je pense à Marie-Claire Blais, Victor-Lévy Beaulieu, Roch Carrier, Jacques Poulin et certainement André Major. On assistera aussi à l’émergence des écrivains des régions à partir de 1970. Je signale Alain Gagnon et Victor-Lévy Beaulieu qui retournera vivre dans son pays des Trois-Pistoles. Il ne faut pas oublier que Paul Villeneuve est originaire de Jonquière.

Quelques-uns, après un départ flamboyant, se sont tus. Hubert Aquin se suicide en 1977. Paul Villeneuve en qui on voyait l’auteur qui permettrait au Québec de se faufiler dans la littérature universelle s’efface après Johnny Bungalow. Il se réfugie dans la plus terrifiante des solitudes, en marge d’un village du Lac-Saint-Jean. 

La parution de Mon frère Paul de Marité Villeneuve m’a donné le goût de retrouver J’ai mon voyage, son premier cri romanesque publié aux Éditions du Jour en 1969, une maison en belle effervescence qui accueillait Jacques Ferron, entres autres, et où je devais publier en 1971. Je me suis procuré mon exemplaire en 1970, en pleine crise d’Octobre. C’était certainement un signe du destin.

 

ŒUVRE

 

Villeneuve restera l’auteur de trois romans et d’un court essai. Réginald Martel, dans La Presse, écrit à propos de J’ai mon voyage : «… un beau livre, vivant, juteux, baroque brillamment bâclé, qu’on aura sans doute envie de relire, ce qui est rare, pour reprendre cette rage de vivre.» Sa deuxième fiction, Satisfaction garantie, arrive l’année suivante, en pleine crise d’Octobre. C’est l’échec. «Une grosse saloperie!» «De la vulgarité» «Paul Villeneuve dans un cul-de-sac. (Mon frère Paul, page 92)

Johnny Bungalow arrivera quelques années plus tard, en 1974, dans la débâcle financière des Éditions du Jour de Jacques Hébert. Une présentation négligée (un caractère d’impression qu’il faut lire à la loupe, des chapitres entassés les uns sur les autres) frustrera beaucoup Villeneuve. Ces deux ouvrages (J’ai mon voyage et Johnny Bungalow) marqueront l’imaginaire par le verbe, l’éclatement du propos et l’ampleur des projets. Une volonté ferme aussi de secouer tous les tabous. Et avec la vie de l’écrivain qui se met entre parenthèses tout de suite après, le mythe peut prendre racine.

On n’a pas beaucoup parlé, en tout cas pas suffisamment, de l’extraordinaire roman de Paul Villeneuve qui est sans conteste l’œuvre la plus importante publiée jusqu’ici cette année. Il s’agit d’une œuvre considérable, — plus de quatre cents pages de texte extrêmement serré — qui, l’éditeur a raison de le prétendre, “fera époque” tant par ses qualités d’écriture que par la vision de la réalité québécoise qu’elle met en forme. (Jacques Pelletier, Liberté, septembre-décembre 1974)

Si certains posaient un regard nostalgique sur leur enfance (Beaulieu et Marie-Claire Blais), d’autres s’accrochaient désespérément au présent en essayant de forger l’avenir. C’est le cas de Villeneuve. 

Dans J’ai mon voyage, le narrateur fonce vers Sept-Îles, traversant tout le Québec dans une vieille voiture déglinguée. Là-bas l’attend Madeleine (ce n’est pas la Madeleine de Brel et elle ne l’attend pas), la fille rêvée, la femme parfaite, le fantasme sexuel, l’amour, celle qui va “grounder” l’ancien étudiant idéaliste qui s’ennuie dans sa vie d’employé de bureau. 

 

J’arrive; il n’y a plus de soleil, non quelques petits trous et des coins de lumière sur la ville et surtout l’ombre des nuages sur la baie, les champs verts qui ont l’air fertiles, ce doit être la ferme de l’hôpital, la grosse bâtisse carrée en briques brunes, une cheminée qui fume, peut-être un moulin à scie; j’aurais dû arrêter au restaurant en haut de la côte et prendre un café en regardant la baie; j’en aurais plein les yeux; un beau paysage c’est presque aussi émouvant qu’une belle femme nue debout près du lit et qui s’avance lentement offerte, émue, câline. La main droite frôlant le duvet, le soupir et les jambes entrecroisées. (J’ai mon voyage, p.105)

 

Une traversée de la nuit et du pays, un grand soliloque pour meubler le temps et surtout ne pas perdre le contrôle de “cette minoune” qui empeste l’essence. Le narrateur risque l’asphyxie, tout comme le Québécois qui cherche à triompher de ses peurs ataviques. Plus il se rapproche de Sept-Îles, plus Madeleine devient évanescente et irréelle.

 

AUDACE

 

Paul Villeneuve dans cette folle logorrhée se moque des tabous, décrit le plaisir sexuel, apostrophe son patron (l’incarnation de l’oppression), s’attarde à l’autoroute 20, au fleuve et aux montagnes, à ses ancêtres et aux échecs de son peuple. L’écrivain s’ancre dans la terre Québec, l’espace physique et géographique qu’il souhaite conquérir en le parcourant comme le corps d’une amoureuse, en le labourant presque.

Long chemin de croix où il combat le sommeil, la faim et une soif obsédante. Il embrasse une partie de l’histoire du Québec qui refuse de se secouer pour s’affirmer.

 

… Québec is le pays des mille clochers, des femmes en tablier et des hommes en robe, guide du petit peuple soumis, grandissant en robe, guide du petit peuple soumis, grandissant en âge et en sagesse comme un bon petit Jésus de nos livres de lecture, nos Jésus efféminés à la peau rose, nous sommes un peuple de Jésus efféminés, invertis et bonasses, donnez-nous notre pain quotidien, ça nous suffit, la prière résout les autres problèmes, notre père pourvoit aux besoins des oiseaux du ciel qui chantent tout le jour. (J’ai mon voyage, p.135)

 

La folie risque de le faire déraper dans les bataillons d’épinettes. Il songe même à en finir en s’éloignant de Tadoussac et du Saguenay. L’esprit du narrateur s’embrouille dans un délire où le réel et l’imaginaire se confondent. Il ne se rendra jamais à Sept-Îles, perdu quelque part. Et on se demande si cette Madeleine existe ou si elle n’est qu’un fantasme. Tout comme l’entreprise de Johnny Bungalow ne pouvait déboucher que sur l’échec. Johnny entraîné dans la crise d’Octobre de 1970 s’en prend au mari anglophone de sa mère. Il ne peut aller au bout de son geste libérateur et dompter la peur qui colle à lui comme une tare génétique.

 

ŒUVRE

 

La vie de Paul Villeneuve se prolongera dans la plus terrible des solitudes, dans une cabane en forêt, couper de tous. Vingt ans de silence en retrait du monde. Il se laissera approcher par sa sœur Marité et sa mère qu’après plusieurs années. Et pour finir dans une résidence de Dolbeau-Mistassini avec une jambe en moins. Il attend là, comme dans une tanière, pendant ses dernières années. 

Un destin hors du commun, une étoile filante que Marité Villeneuve suit à la trace jusqu’à sa mort en 2010. Ses espoirs, ses idées, son intensité, ses études, son désir d’écriture pour changer le monde, tout y passe. Mon frère Paul est un récit bouleversant. Marité Villeneuve a effectué un travail colossal. Elle ose aborder les tragédies qui ont malmené sa famille sans jamais se défiler.

 

Ce n’est pas un chalet, c’est un shack, une prison. Il a placardé les fenêtres avec des planches. Ajouté une double épaisseur de bois à la porte. Nul ne peut voir au-dedans. Lui, de l’intérieur, en approchant son œil entre les lattes, a juste assez de clarté pour discerner celui ou celle qui s’approche. Il vit dans le noir. Je suis assise immobile sur ma bûche et je n’attends plus qu’il m’ouvre. Je sais que toute tentative de secours est désormais inutile. Est-ce la forêt qui m’entoure? Les arbres? Le chuchotement du vent dans les feuilles? Quelque chose murmure en moi : ne reste pas là, agis. De quoi a besoin un homme seul sinon de compagnie? Les chiens de l’enfance me sont revenus en mémoire. (Mon frère Paul, p.219)

 

J’ai relu Johnny Bungalow pour retrouver des thèmes qui traversent une œuvre qui demeure malheureusement d’actualité. Comme si Villeneuve brisait son terrible silence par la voix de sa sœur Marité, cinquante ans plus tard, pour apostropher les survivants du Québec. 

Des pages magnifiques, intenses, un périple que le Québec devait entreprendre à la sortie de la Révolution tranquille, même au risque de se casser la gueule. Mon frère Paul est un récit bouleversant qui nous fait vivre le mal être et la douleur d’un homme qui s’enfonce dans une tragédie incommensurable, à la mesure de ce Québec insaisissable. Marité Villeneuve a mis des années avant de s’approcher de ce frère farouche, se faire « réparatrice de famille » dans un ouvrage qui tient de la biographie et du carnet personnel. 

Un texte d’une densité remarquable, une émotion palpable que l’on ressent à chaque phrase, une quête qui étourdit. Ce travail admirable redonnera peut-être une petite place à cet écrivain qui aura été une météorite dans le ciel littéraire du Québec. 

Le voyage reste à faire cependant. D’autant plus que nous n’avons pas su troquer notre minoune pour une belle voiture électrique qui permettrait la vraie traversée vers soi et en soi. 

 

Villeneuve MaritéMon frère Paul, Éditions Del Busso, Montréal, 2020, 384 pages.

Villeneuve PaulJ’ai mon voyage, Éditions du Jour, Montréal, 1969, 160 pages.

 

NOTE : Une version de cette chronique a paru sous le titre : Le retour de Paul Villeneuve dans le numéro 179 de Lettres québécoises.

 

 

vendredi 14 août 2020

QUI ÉTAIT DONC PAUL VILLENEUVE

PAUL VILLENEUVE DEMEURE un écrivain mythique et fascinant pour plusieurs. Il a effectué une entrée fulgurante en littérature dans les années 70 avec J’ai mon voyage où son narrateur découvre les pays du Québec, l’amour et les territoires du corps. En 1974, Johnny Bungalowenthousiasmait encore plus les lecteurs et les critiques. Nous l’avions notre grand écrivain, celui qui allait secouer les piliers du temple, faire en sorte qu’un Québécois se faufile dans le panthéon de la littérature mondiale. Marité Villeneuve, dans Mon frère Paul, traque son aîné dans ses espoirs, ses craintes et ses écrits. Une plongée émouvante et terriblement exigeante. Un travail incroyable de la petite sœur qui veut comprendre son frère et se rassurer, lui rendre justice aussi. Lui donner également la place qu’il mérite dans notre histoire de la littérature. Surtout, elle parvient à se réconcilier avec son passé et sa famille.


Quels débuts prometteurs que ceux de Paul Villeneuve. Fulgurants même. Dès sa première publication, l’écrivain attire les regards et les commentateurs voient en lui le grand écrivain que tous appelaient depuis des décennies. J’ai gardé précieusement un exemplaire des Éditions du Jour, cette belle collection où tous les romanciers rêvaient de se faufiler dans ces années d’effervescence. Et puis le silence après la parution de Johnny Bungalowen 1974. Un livre que j’avais perdu. Sans doute un prêt qui ne m’est jamais revenu. Je l’ai retrouvé grâce à la générosité de Patrick Guay. Que s’est-il passé? Pourquoi un homme se tait-il après deux publications qui ont retenu l’attention de tous? Est-ce par choix que Paul Villeneuve s’éclipse ou encore est-ce dû à une suite de circonstances qui ont bouleversé sa vie, l’ont touché au corps et à l’âme ? 

Marité Villeneuve mentionne deux événements incontournables. Le suicide d’Hubert Aquin en 1977, celui que l’on avait adoubé avant lui. Jean-Éthier Blais avait écrit au sujet de Prochain épisode, dans le journal Le Devoir, que nous «l’avions enfin notre grand écrivain national». Deuxième moment pathétique : la mort horrible de son frère que Marité Villeneuve raconte dans J’écris sur vos cendres. La petite sœur, comment pouvait-il en être autrement, depuis ses premiers pas en littérature, tente avec un courage incroyable de «réparer la famille» comme elle l’affirme. 

Elle lit et étudie les publications de Paul comme des pièces à conviction. Des lettres, un journal d’enfance, ses romans, quelques inédits pour comprendre. Pourquoi celui qui avait écrit le grand récit américain de langue française, traversé les forêts et les époques pour s’imposer dans une révolution hésitante, dans ce pays que l’on devait inventer à bout de bras, se retire-t-il du monde pour disparaître aux yeux de ses contemporains? Il avait pourtant sillonné le Québec dans ses deux œuvres de fiction. Johnny, dans Johnny Bungalow, est responsable de sa mère écrasée par le chagrin, de son frère fragile et mal équipé pour faire face à la vie. Johnny, la force tranquille, hérite de la lourde tâche de construire la maison familiale et peut-être aussi ce pays que l’on interpelle à grands cris. Il tente de faire jaillir le Québec en passant par la révolte et la crise d’Octobre, n’arrive jamais à aller au bout de sa quête. Il ne peut tenir tête à l’envahisseur et l’exploiteur. Peut-être est-ce une vision du destin qui attendait l’écrivain né à Chicoutimi et de ce Québec qui ne parvient pas à devenir un état. 

Johnny Bungalow, en ce sens, est un terrible échec intellectuel, une blessure de l’esprit et de l’être. Bien sûr, c’est là un regard politique sur ce gros livre présenté dans une facture bâclée. Une œuvre solide, profonde, qui touche tous les aspects de la vie d’un homme qui cherche la justice et le partage. Villeneuve s’impose magnifiquement dans ce roman épique.

Celui qui devait prendre sur ses épaules toutes nos peurs et nos faiblesses, ce «Christ littéraire» qui allait nous donner une présence dans le panthéon mondial coupe tous les contacts avec ses semblables. C’est là que le mythe trouve un terreau fertile et que peuvent naître certaines légendes.

 

ENQUÊTE

 

Marité Villeneuve, dans Mon frère Paul (le titre vient de la sœur d’Arthur Rimbaud qui a écrit Mon frère Arthur), tente de faire la juste part des choses. Elle retourne aux sources, à ses premiers pas pour suivre ce frère qui la hante depuis toujours. Elle a besoin de savoir, de comprendre l’homme derrière la tragédie familiale, ce qui s’est brisé dans la tête de ce héros qui lui a ouvert les portes de l’écriture.

 

Paul était un être complexe, à la fois fascinant et déroutant, sombre et lumineux. Un homme qui avait choisi l’écriture malgré les difficultés du chemin. Un homme intense. Sans compromis. Totalement engagé dans le monde quand il était dans le monde. Et totalement retiré quand il s’en retira. Il avait compris très tôt qu’il fallait dire oui à tout, accepter ses souffrances autant que ses joies, vivre au bout, totalement, l’aventure de sa vie. (p.11)

 

Tâche éprouvante que celle de Marité Villeneuve. Elle ouvre des blessures, se penche sur des cicatrices, des douleurs que l’on étouffe et les malheurs qui ont abîmé sa famille. Elle le fait pour lui et pour elle. Et la voilà en train de scruter les textes de son frère avec une loupe, de soupeser chacun de ses mots et de les retourner pour savoir ce qu’ils dissimulent, si elle peut déceler des signes avant-coureurs ou des propos qui expliquent l’ermitage de Paul, sa réclusion du monde. Il le faut pour juguler ce sentiment de culpabilité qu’elle ressent au plus profond d’elle. Dire, se faire justice en quelque sorte, décrire et faire comprendre l’homme et l’écrivain.

 

ENFANCE

 

La famille, les oncles inventeurs de pays, le père qui a toujours maille à partir avec ce fils idéaliste, sensible et fragile comme du verre. Ce garçon, qui ne tolère aucun compromis, exige tout de lui et des autres. 

 

Paul ne tolère rien de ce que papa dit ou fait. Il déteste sa soumission aux règles, aux conventions, à l’Église, à l’État, à l’Alcan. C’est un homme qui n’a pas de révolte et ça, Paul ne le tolère pas. (p.37)

 

Son enfance à Jonquière, la ferme des oncles, celle du grand-père. Et ce geste stupide, une bravade qui lui fait perdre un œil, en fait un petit garçon et un adulte diminué. Sa passion pour les mots et l’écriture dès ses premiers pas à l’école. Ses découvertes aussi au collège de Jonquière où il croise Roméo Bouchard (le Roméo que nous connaissons et qui prend plaisir à remettre souvent les pendules à l’heure dans ses interventions sur Facebook). Il devient très important dans sa vie et dans le développement de ses idées. 

 

Moi j’étais encore un jeune curé, je venais d’arriver, j’étais le jeune curé qui a passé sept ans à Rome et tranquillement les étudiants me transformaient, et l’étudiant qui m’a transformé par-dessus tout, c’est Paul. Parce que Paul m’a mais au monde politiquement. J’avais lu un peu sur la Révolution tranquille, j’étais très impliqué et très ouvert à ça mais je n’avais pas fait le lien carrément avec la politique. Ni l’action directe. Et Paul m’a amené là. (p.57)

 

Dire que Gilbert Langevin et Alain Gagnon, Gérard et Lucien Bouchard ont étudié au collège de Jonquière, peut-être à la même époque. 

 

L’ENGAGEMENT

 

L’engagement de Paul Villeneuve est total. Il faut transformer le monde. Le jeune homme devient rapidement un phare qui attire ses collègues. Il vit intensément, écrit, voyage, aime la compagnie des travailleurs comme c’était la mode alors. Certains intellectuels avaient du mal à s’éloigner de leur classe d’origine, ces «transfuges de classe» comme le dit si bien Pierre Bourdieu et dont je parle dans L’orpheline de visage

Paul fonce à deux cents kilomètres à l’heure, glisse sur une corde raide. Le moindre faux pas peut être fatal. 

 

L’acte d’écrire me semble l’acte le plus libre qui soit, le moins soumis à des règles qu’on fabrique d’avance, écrit Paul autour de cette époque, dans une longue réflexion sur l’écriture. C’est par cette liberté qu’on peut arriver à rejoindre son cri, ce cri personnel qui pourra rejoindre le cri collectif. Car c’est au plus profond de son cri individuel que l’écrivain rejoint le collectif, affirme-t-il. «Les extrêmes, c’est ça qu’il est bon de crier». La solitude plantée dans son corps comme un poteau au milieu du désert… (p.78)

 

La vie peut être incroyablement cruelle. Elle frappe dans ses amours, sa famille. C’est trop, impossible, irrespirable, inacceptable. Paul n’arrive plus à s’arracher à ses angoisses. Il bascule dans le plus terrible des vertiges. Tout s’effrite en lui. Il sent son échec, son impuissance, toutes ses contradictions. Comment régénérer la société si l’on n’est pas capable de protéger ses proches, de leur tendre la main quand ils vacillent dans leur être et qu’ils s’apprêtent à poser les gestes les plus désespérés

Sa mère le reconduit chez lui, à ce bout de terre qu’il a achetée au Lac-Saint-Jean et où il vivait l’été. Elle n’en peut plus. Là, dans la nature, il saura peut-être se reprendre et se calmer. Il avait accueilli des amis dans ce refuge, son frère avec qui il faisait des projets, des hommes et des femmes qui souhaitaient réfléchir et se donner un espace intellectuel. Le voilà de retour dans sa «république de la tendresse» où il pourra renaître de ses cendres avec Icare. Après des moments difficiles avec les villageois, il se barricade dans sa cabane. Il vit en autarcie, refuse même de voir sa sœur et sa mère qui lui rendent visite régulièrement. Il finira par se laisser apprivoiser un peu, mais il faudra du temps. Il reste le farouche, le distant, s’enfonce dans la plus terrible des solitudes dans ce refuge au fond des bois. Nous sommes loin de Walden et de la découverte heureuse de la nature de Henry David Thoreau. C’est l’enfermement, la réclusion de l’esprit et de l’âme.

 

Ce n’est pas un chalet, c’est un shack, une prison. Il a placardé les fenêtres avec des planches. Ajouté une double épaisseur de bois à la porte. Nul ne peut voir au-dedans. Lui, de l’intérieur, en approchant son œil entre les lattes, a juste assez de clarté pour discerner celui ou celle qui s’approche. Il vit dans le noir. Je suis assise immobile sur ma bûche et je n’attends plus qu’il m’ouvre. Je sais que toute tentative de secours est désormais inutile. Est-ce la forêt qui m’entoure? Les arbres? Le chuchotement du vent dans les feuilles? Quelque chose murmure en moi : ne reste pas là, agis. De quoi a besoin un homme seul sinon de compagnie? Les chiens de l’enfance me sont revenus en mémoire. (p.219)

 

Il entretient un potager en été, coupe son bois de chauffage pour faire face aux terribles neiges de janvier, plonge dans une sorte d’hibernation pendant des mois où il se recroqueville dans ses songes et visite peut-être des territoires que lui seul peut parcourir. Une descente au plus sombre de soi qui s’échelonne sur une vingtaine d’années avant que la maladie le force à partir. Il se retrouve à l’hôpital et survit miraculeusement, vit encore une dizaine d’années en marge de tous dans une résidence.

Marité Villeneuve propose ici un récit formidable d’humanisme, d’amour, de tendresse et d’empathie. Elle plonge au fond d’elle et de la vie de son frère, affronte ses hésitations, ses peurs, ses douleurs. La psychologue et romancière y va avec toute la délicatesse dont elle est capable, une franchise et un courage admirable. J’ai lu ce récit en retenant mon souffle, les larmes aux yeux. La sœur raconte le frère, son parcours intellectuel, ses espoirs et ses terribles déceptions. Elle secoue ses textes, ceux que nous pouvons trouver et aussi des inédits. Des articles, des poèmes, tout ce qui permet de cerner cette existence qui sort des sentiers battus.

Un récit bouleversant qui nous plonge dans le mal être et la douleur de l’âme qui a tordu les jours de cet écrivain. Une tragédie incommensurable, à la mesure de ce Québec instable et insaisissable. L’entreprise d’une vie que celle de Marité Villeneuve. Je sais qu’elle tourne autour de ce projet depuis des années. La petite sœur de Paul lui rend justice, s’approche de ce frère farouche sur la pointe des pieds, se fait «réparatrice de famille» de façon touchante. Elle ne peut calmer sa douleur qu’en secouant les mots, qu’en mettant ses pas dans ceux de ce frère qui s’était accroché aux ailes du vent. 

Un texte d’une densité remarquable, une émotion palpable que l’on ressent à chaque phrase, une quête qui m’a étourdi. Un travail admirable qui redonnera peut-être une petite place à cet écrivain qui est passé comme une météorite dans le ciel littéraire du Québec, dans une époque où tout était possible et où ce beau rêveur a implosé. 

 

VILLENEUVE MARITÉ, Mon frère Paul, Éditions DEL BUSSO, 384 pages, 29,95 $.


http://www.maritevilleneuve.com

mercredi 1 juin 2016

Marité Villeneuve revient sur son drame familial

Une version de cette chronique est parue
dans Lettres québécoises, Été 2016,
numéro 162.
MARITÉ VILLENEUVE a vécu un drame terrible, il y a plus de trente ans. Son frère dépressif met fin à ses jours après avoir tué son jeune garçon de deux ans. Un geste inexpliqué et inexplicable, une tragédie que l’on surprend dans une autre ville, que l’on voit dans les journaux, qu’on ne peut imaginer dans sa famille. Que s’est-il passé, qu’est-il arrivé ? Est-il possible de comprendre le geste de ce frère ? Y a-t-il un sens ou une explication à donner à cet événement qui a tout pulvérisé ? Comment regarder quelqu’un dans les yeux après un tel geste ?

Printemps 1977, à Jonquière. Les manchettes dans les journaux, les médias indiscrets comme toujours, moins que maintenant avec l’information en continu qui fait que des journalistes prennent d’assaut ceux qui gravitent dans les environs d’un drame ou d’une catastrophe. Le pire est arrivé. Le geste que personne ne peut imaginer.

Le 26 mars 1977, mon frère Rick, âgé de trente et un ans, s’enlevait la vie après avoir tué son fils de deux ans. Un acte désespéré dans un moment d’extrême détresse. (p.11)

Y a-t-il des mots pour dire l’impossible ? Que faire quand un cratère s’ouvre sous vos pieds et que vous êtes aspirés avec ceux et celles que vous connaissez depuis toujours ?
Marité Villeneuve ne pensait qu’à l’avenir. Et un tsunami frappe dans le pays de son enfance, dans sa famille, chez ceux qu’elle aime plus que tout et avec qui elle est devenue une femme.

FAIRE FACE

La famille ne sait plus, ne comprend pas. Tout s’effrite ! Tous se sentent coupables. Pourquoi ils n’ont rien vu ? Et il y a les regards, les silences et les éloignements des amis, des voisins, des collègues au travail. Ils se sentent visés, scrutés, marqués comme des êtres honteux parce qu’il y a eu ce geste, ce saut dans le vide, sans un mot d’explication. Que comprendre ? Est-il possible d’accepter ? Comment ne pas se sentir coupable d’être vivante et de n’avoir pas su voir le moment où il aurait été possible de faire en sorte que cela n’arrive pas ?

Perdre en même temps deux personnes, et dans des conditions aussi tragiques, cela relève de l’impossible, de l’impensable. La mort d’un proche, on la vit dans l’intimité, entouré des siens. Vécue sur la place publique, sous la violence des regards et des préjugés, avec l’œil intrusif des médias, de cette mort-là on ne guérit jamais. J’écris pour soigner mes morts. Et ce faisant, j’espère aussi soigner les vivants. (p.11-12)

Comment retrouver sa vie après, retourner au travail, se retrouver devant des collègues et entendre des remarques désobligeantes, imaginer des murmures, des commentaires et des allusions ? Il y a de quoi fuir, chercher à devenir un autre ou se retirer dans ses terres comme le fera le grand frère Paul.
Marité Villeneuve devait se marier dans l’été. A-t-elle le droit de penser au bonheur après un tel geste ? Est-ce encore possible ?

Plus rien n’est possible. Je ne veux plus me marier. Je suis en train de faire sauter ma vie en l’air. Je l’ai fait. J’ai chambardé ma vie pour quelques mois d’une passion qui ne durera pas. Et il n’y a pas de retour possible. Le fiancé éconduit, profondément blessé, on le comprend, ne me pardonnera pas. (p.31)

Et après, le long chemin avec un poids terrible sur les épaules, dans ses pensées, ses rencontres. Elle aura besoin de temps, de tellement de temps pour jongler avec les morceaux de ce puzzle. Sa vie d’écrivaine deviendra un pèlerinage où chaque mot, chaque phrase la rapprochent de ce 26 mars 1977. Sculpter sa vie, Les pleurantes, Je veux rentrer chez moi, tous ses livres convergent vers ce jour qui a pulvérisé la famille, ce début de printemps qui l’a jetée dans une autre vie. Les écrivains sont souvent en quête de guérison. Il y a une blessure, un drame et les livres sont là pour apprivoiser la douleur, l’accepter et respirer peut-être.
Marité Villeneuve travaillera comme psychologue pour entendre le mal des autres, pour oublier peut-être sa propre douleur sans cesse méditée. Il y a sa peine terrible, mais que faire devant la douleur d’un père qui n’arrivera jamais à comprendre, une mère qui réclame justice, son frère Paul, l’écrivain qui, après avoir publié Johnny Bungalow s’est tu. L’homme de tous les mots arpentait le silence parce que les phrases lui échappaient. Peut-être qu’il avait compris qu’elles ne peuvent rien changer à la vie et qu’elles ne sont que des cataplasmes. Je ne sais pas. Je me demande toujours ce qui peut faire en sorte qu’un écrivain se taise et tourne le dos à ce qui fait sa vie. Que faudrait-il pour que je fasse taire les mots dans ma tête, moi qui navigue sur les phrases depuis si longtemps ?

ACCOMPAGNER

La psychologue accompagnera sa mère en fin de vie, tentera de guérir de ce drame en sculptant, en créant pour se rapprocher de ce jour marqué au fer rouge. Dans J’écris sur vos cendres, elle s’aventure tout doucement sur la fragilité de son monde. Elle écoute ses proches et demande comment va leur vie après ce jour de mars. Il faut tenter de voir, pas disculper, mais rendre justice à ce frère désespéré qui n’arrivait plus à respirer dans les yeux des autres, voyait son avenir et celui de son jeune fils comme une douleur sans fin.
Elle parcourt les chemins de sa vie à l’aller comme au retour, l’avant comme l’après. Le courage de la mère, le silence du père avec la réclusion du grand frère l’écrivain qui avait si bien raconté le Québec dans Johnny Bungalow, une fresque qui nous portait de la colonisation en Abitibi jusqu’aux soubresauts de la crise d’Octobre à Montréal.
Marité Villeneuve le sait peut-être maintenant. Toute son œuvre tourne autour de cette journée, du geste désespéré de son frère qui l’a poussée dans une autre dimension. Elle n’aura jamais cessé de chercher à comprendre, de s’expliquer peut-être ce geste pour ne plus se sentir le poids du monde, elle la psychologue, celle qui devait voir et savoir toutes ces choses.

Parfois il faut se taire. Longtemps. Laissez le temps faire son œuvre. Et tenter d’oublier, simplement, oui, oublier, et s’accrocher très fort à la vie. C’est ce que Julien tentait d’expliquer à Elsa quand elle ressassait le passé. Il disait qu’il fallait tourner la page et vivre le présent. Elle, elle n’a jamais réussi. Mais les mères réussissent-elles à oublier la mort de leurs enfants ? Lui non plus d’ailleurs, n’a jamais pu, mais se taire, oui, cela il pouvait. (p.32)

Un livre de tendresse, de courage et d’amour où l’écrivaine tisse des liens, scrute les gestes de ses parents et de ses proches qui n’ont jamais pu comprendre ce drame et l’accepter. L’écrivaine parcourt lentement les sentiers de son passé pour sentir avec sa raison et son cœur ce Big Bang qui a tout emporté.
Je me suis souvent attardé sur ses phrases comme l’auteure a dû le faire en écrivant, biffant, recommençant pour arriver à dire juste. J’ai vite constaté que Marité Villeneuve me demandait aussi ce que j’aurais pu faire ou dire dans de telles circonstances. J’étais journaliste en 1977, au journal Le Quotidien du Saguenay-Lac-Saint-Jean. J’ai vu les manchettes certainement, mais je n’en garde aucun souvenir. Pourtant c’est un événement qui bouscule l’ordre des conférences de presse, crée une véritable onde de choc. Pourquoi ce trou de mémoire ? Devient-on insensible quand on fait métier de raconter les drames qui secouent la société ? Pourquoi je ne me souviens pas de ce 26 mars 1977 ? Je lisais tous les journaux alors. Je devrais me souvenir. Il y a tellement d’événements dont je me rappelle, mais rien de ce jour de mars.
Ça me questionne.  
Marité Villeneuve fait preuve d’un courage remarquable en osant secouer les cendres et écrire. L’écrivaine est admirable de résilience et d’empathie parce que la plupart du temps, on fait silence devant un tel geste. Personne n’aime y revenir pour toutes les raisons que l’on connaît et qui font tellement mal. Bien sûr, elle a trouvé les mots pour le dire, s’expliquer et tenter de comprendre un frère qui n’arrivait plus à supporter le fait d’être vivant.
Voilà le récit d’une femme courageuse qui veut comprendre et regarder la vie avec un sourire, arriver peut-être à vivre un dimanche tranquille à Pékin. J’écris sur vos cendres est un témoignage d’une sincérité et d’une délicatesse remarquable.

VILLENEUVE MARITÉ, J’écris sur vos cendres, Éditions Fides, 216 pages, 19,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : Nirliit de JULIANA LÉVEILLÉ-TRUDEL publié à La Peuplade.

dimanche 12 juin 2011

Marité Villeneuve poursuit sa réflexion

Ouvrir un livre de Marité Villeuneuve n’est pas sans conséquence. Le lecteur prend le risque de questionner sa vie et ses façons de faire. Parce que cette écrivaine s’aventure dans des récits à caractère réflexif, une écriture qui témoigne d’une transformation ou d’une mutation de l’être presque.
«Pour un dimanche tranquille à Pékin» ne fait pas exception. À quarante ans, Marie Vaillant «un personnage qui me ressemble et qui me dépasse en même temps», prévient l’auteure, quitte tout. Elle vend sa maison, à peu près tout ce qu’elle possède et part en voyage, le temps de rattraper ses rêves ou de les dépasser.
«Était-ce une quête insensée? Je voulais faire de ma vie une œuvre d’art. Transformer la douleur en beauté. J’avais côtoyé la souffrance et la mort: je voulais toucher la face ensoleillée du monde. Y avait-il une terre promise? Une fleur au baume guérisseur en quelque pays lointain? Je la trouverais cette fleur rare, j’en étais sûre. J’allais la rapporter. Et tout cela allait se dire, s’écrire dans le livre merveilleux (je l’imaginais ainsi) que je ferais en cours de route et que je publierais au retour… (pp.12-13)

Périple

Marie Vaillant quitte ses amis, son psy, confie la gestion de ses affaires à son père et s’embarque sur Queen Elisabeth II.
«Que mon cœur bat lorsque le bateau franchit les limites de l’île, s’enfonçant dans le brouillard. Je suis à la pointe avant du navire, m efforçant de lire un avenir que je ne discerne pas.» (p.25)
Le voyage la mènera en Angleterre, en France, en Espagne, en Italie, en Égypte et en Chine. Un an pour méditer, lire, tenter d’écrire, rédiger de longues lettres aux amis pour garder le contact.
La première partie du périple prend des allures de retrouvailles puisqu’elle rencontre des gens et retrouve des lieux fréquentés alors qu’elle était étudiante.
«On a beau savoir qu’il faut se perdre pour mieux se retrouver. On a beau se rappeler que d’autres l’ont fait avant soi, suivre les traces de l’écrivaine partie à l’aventure il y a cinquante ans. On a beau savoir tout cela, le sol que l’on foule est toujours nouveau et on ne met jamais les pieds dans les traces exactes des autres. Chemin de solitude, tel est le voyage. Le compagnon rencontré au hasard de la route sera tantôt laissé. Attachement et arrachement. Déplacer ses racines avec soi, s’arrêter quelque part, pas trop longtemps si l’on veut revenir, repartir avant que les racines ne s’ancrent dans un sol d’adoption. Repartir, mais garder les racines bien vivantes.» (p.57)
Cette écrivaine partie il y a cinquante ans est Gabrielle Roy, bien sûr.

Attentes

Des rencontres, la solitude aussi et des tentatives d’écriture. Marie n’aura pas le roman imaginé dans ses bagages au retour. Il est difficile de croire que l’on puisse plonger dans une fiction tout en se déplaçant constamment. L’écriture exige un ancrage et une forme de sédentarité.
Elle rédigera quelques nouvelles, renoncera à son projet et s’efforcera de vivre l’instant présent. Elle s’initiera au bouddhisme, réfléchira à sa vie, réussira peut-être à apprivoiser ses craintes et ses peurs.
«Voyager au-dehors ou au-dedans de soi… Il y a des jours où je ne sais plus. Je ne sais plus le sens de mon voyage. Je ne sais plus si je voyage davantage quand je suis dans ma chambre là-haut, à écrire, ou sur la route à visiter du pays. Je ne sais plus ce que partir signifie. «N’oubliez pas, écrit Borges, que tout ce que vous allez lire, c’est un voyage autour de ma chambre.»» (p.132)

Retour

Le long périple ramènera Marie au Québec. Elle se tiendra un peu en marge avant de replonger, s’attarde dans Charlevoix, rencontre Mathieu et vivra l’amour.
Une quête touchante qui prend souvent l’aspect d’un journal de voyage. Un récit dense, qui permet à l’écrivaine de prendre son élan. On y retrouve des moments effleurés dans les autres publications de Marité Villeneuve et c’est toujours d’une justesse remarquable. Le genre de témoignage qui secoue des habitudes. C’est pourquoi les écrits de Marité Villeneuve deviennent une belle occasion de faire un peu le tri dans les distractions de sa vie. Des récits qui touchent l’essentiel.

«Pour un dimanche tranquille à Pékin» de Marité Villeneuve est paru aux Éditions Fidès.

dimanche 30 janvier 2011

Marité Villeneuve sculpte sa vie

L’art, on le sait, prend souvent la forme d’une quête. On n’effleure pas les mots, le pinceau ou encore l’argile, sans bousculer l’autre qui se cache en soi. Autrement dit, des désirs et des blessures, que nous dissimulons dans nos contacts quotidiens, surgissent dans nos créations.

Certains thérapeutes passent par les dessins ou l’écriture pour faire découvrir à leurs patients un certain refoulé.
Marité Villeneuve, psychologue de formation et écrivaine, connaît la force des mots et de l’expression artistique. Dans «Des pas sur la page, l’écriture comme chemin», elle s’attardait au rôle de l’écrit dans une démarche de réflexion sur soi.
Dans «Sculpter sa vie», le titre est fort révélateur, Madame Villeneuve entreprend une réflexion à partir de petites sculptures qu’elle a réalisées au cours des années.
«Le jour où je me suis assise devant l’argile, une multitude de femmes ont surgi sous mes doigts. Ces personnages, je les ai appelés les Pleurantes. Non pas « pleureuses » mais « pleurantes », un mot qui pleure et qui chante, un mot qui contient à la fois la détresse et le chant.» (p.13)
Des femmes repliées sur soi, bouche ouverte sur une douleur qui vient du plus profond de l’être.
«J’avais repoussé jusqu’au dernier moment l’angoisse de mon confronter à l’argile. Mais il arriva ce premier matin de la création, ce premier tête-à-tête avec la motte, sans autre consigne que de faire ce que je voulais. Vite, je me raccrochai à cette pensée, ce désir : me créer, d’abord, me créer, ensuite je verrai.» (p.20)
Au cours des ans, il est né une petite famille de cette activité. Et voilà qu’après une décennie, elles s’imposent et demandent la parole d’une certaine manière.

Témoignage

En sculptant, écrivant ou peignant, des mondes surgissent avec force. Peut-être parce qu’ils sont bâillonnés depuis toujours. L’inconscient prend sa revanche alors et donne des œuvres qui étonnent.
«Ainsi sont les Pleurantes. Nées de gestes rassembleurs : sentir, caresser, pétrir, écraser, malaxer, pétrir encore. Issues d’une mouvance intérieure, dans des alternances de silence et de bercement, de violence et de tendresse. Jusqu’à surgissement d’une forme, tirée du néant, du chaos. Nées de là, de ce chaos.» (p.39)
Denise Desautels a emprunté une démarche similaire en écrivant «autour» des installations de Michel Goulet.
«S’il est un mot que le travail dans l’argile m’a appris, c’est celui de consentir. En modelant la terre, on apprend à s’abandonner à ce qui émerge, à accepter l’imprévisible. Non pas se soumettre ni obéir aveuglément, mais sentir avec. En accord avec la terre. Sentir que cette forme, même en dehors de ma volonté propre, m’indique peut-être un chemin. Sentir : savoir de l’intérieur, connaître par les fibres sensibles, reconnaître en soi. Consentir, c’est aussi déposer son fardeau.» (p.113)
Une belle manière de cerner ces pulsions qui poussent vers le geste créateur et libérateur. Une façon de réfléchir à sa vie, à ce qui se cache en soi et qui ne demande qu’à s’exprimer. Parce que toute création est un appel, un cri qui tente de rejoindre l’autre.

Démarche

Un livre d’émotions qui emprunte la démarche de l’aveugle qui cherche sa route. Parce que créer, c’est peut-être apprivoiser ces obstacles (en nous comme hors de nous) qui empêchent de trouver la paix et de bondir dans la plus grande des libertés.
Marité Villeneuve continue ici une réflexion qui cherche à mieux se connaître et à apprivoiser l’humain qui se livre dans la création. Un essai qui nous confronte. Il est difficile de ne pas revenir aux photos des figurines et de réfléchir à ce qu’elles nous disent. Madame Villeneuve devient un guide, une confidente dans cette démarche essentielle qui exige beaucoup de franchise. Parce que les pleurantes bousculent et interpellent. Une lecture qui se retourne vers soi tel un miroir.  

«Sculpter sa vie» de Marité Villeneuve est publié aux Éditions Fides.

samedi 14 mai 2005

Marité Villeneuve vit la maladie de sa mère

«C'est un livre pour aider à mieux comprendre ce que vivent les personnes âgées. Tout ce qu'on perd en vieillissant parfois. Tout ce dont il faut se détacher. Les maisons que l'on quitte...» (p.146)
«Je veux rentrer chez moi», permet au lecteur de confronter une maladie dont peu de gens parlent. Alzheimer est un mot qui fait frémir. La mère de l'auteure a été touchée par cette maladie comme beaucoup de gens au Québec. Le plus célèbre aura peut-être été le cinéaste Claude Jutra. Marité Villeneuve, écrivaine et psychologue native de Jonquière, dans ce journal touchant, émouvant et particulièrement juste, nous plonge dans une aventure pas comme les autres.
De novembre 1998 à mai 2004, elle a accompagné sa mère, a vécu les différentes étapes de cette maladie qui pousse l'être dans un véritable trou noir. Des premiers symptômes à la fin. L'écrivaine, dans des carnets rédigés au jour le jour, nous fait vivre cette rencontre ou cette confrontation.
«Pendant cinq ans, j'ai donc tenu un journal. Au départ, je voulais surtout essayer de comprendre l'univers intérieur d'une personne dite «atteinte», témoigner de son combat quotidien pour conserver sa mémoire et sa dignité, et témoigner du vécu d'une accompagnante.» (p.10)

Lourde entreprise

Marité Villeneuve ne savait pas ce qui l’attendait quand elle a choisi d’accompagner sa mère. La plupart des gens se contentent de confier la «personne atteinte» à des spécialistes et de la suivre comme ils peuvent. Vivre la maladie de sa mère, au jour le jour, devenir son miroir peut s'avérer une tâche redoutable. Une décision qui demande du courage, de la patience, de l’empathie et surtout être capable de se «couper de l'émotion» pour ne pas être trop touché. On peut penser que la formation de psychologue de Marité Villeneuve l’aiderait. Et bien non! Il n’y a pas de préparation. Que faire devant sa mère qui ne reconnaît plus ses proches? L'auteure redevient une petite fille. Les émotions surgissent, des images, des mots et des bouts de phrases la plongent dans son enfance. Elle est rapidement confrontée à ses propres images et à ses blessures.
«Bref, ce cahier a été le lieu où je pouvais projeter ma détresse sans qu'elle ne paraisse trop lourde. J'emploie ici le mot détresse et me sens en même temps presque coupable. Comment oser parler de «ma» détresse quand ce n'est pas moi qui suis «atteinte». Mais je le suis peut-être également; peut-être l'aidant l'est-il aussi, pris malgré lui dans le filet de la «démence» (je déteste ce mot, mais il y a des jours où je n'en trouve pas d'autres). (p.83)

Réactions

Marité Villeneuve guette ses réactions face à la confusion, à la perte du langage, à l’incapacité de reconnaître ses proches, aux colères, à l’envie de fuir et à la honte. Son récit nous permet de franchir les différentes étapes jusqu'à la toute fin, de vivre le lent glissement qui pousse un homme ou une femme hors de soi.
Elle garde ce qu'il faut de distance pour nous faire comprendre la maladie et peut-être aider à mieux la vivre. Elle nous brosse les dernières années d'une femme admirable, d’une femme courageuse. C’est alors que le talent de l’écrivaine se manifeste. Un livre d'émotions, sensible et particulièrement juste.
Cela m'aura permis de mieux comprendre les derniers moments de certains de mes proches. Parce que, très souvent, la famille des personnes atteintes est gardée dans l'ignorance ou à l'extérieur d'un langage codé et accessible uniquement aux spécialistes.
Un récit qui deviendra une référence pour nombre d'accompagnants qui pourront mieux faire face à ce que vit une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer et comprendre ses réactions. Nécessaire!

«Je veux rentrer chez moi» de Marité Villeneuve a été édition aux Éditions Fidès.