Peu d’écrivains ont connu la fin du règne de Maurice Duplessis,
la Révolution tranquille, vu le nationalisme acquérir ses lettres de noblesses
avec l’élection du Parti québécois en 1976, la tenue des référendums sur
l’avenir du Québec en 1980 et 1995. Jacques Godbout fut de ceux-là, a vécu
cette période fascinante comme journaliste, écrivain, cinéaste et militant. Avec
Mathieu Bock-Côté, il effectue Le tour du
jardin dans des entretiens où il revient sur sa vie, ses engagements, ses convictions
et le parcours du Québec pendant toutes ces années. Un témoin important, un
regard pertinent.
Mathieu Bock-Côté, sociologue
et professeur, blogueur, chroniqueur bien connu, un personnage que l’on prend
plaisir à caricaturer à l’émission À la
semaine prochaine de Radio-Canada, tente
d’établir des ponts, d’amener Jacques Godbout vers de nouveaux sentiers.
Il admire l’homme, tente
de voir une époque peut-être, de poser un regard sur les cinquante dernières
années pour mieux assumer ses convictions. Jacques Godbout joue le jeu, ne répond
pas toujours comme on le souhaiterait, refuse d’écrire ses mémoires. Il semble
que les Québécois ne sont pas friands de cet exercice littéraire pourtant très intéressant.
Godbout aurait tout pour le faire, mais ce travail ne l’intéresse pas. Comme il
l’affirme, il est plus un homme de conversation, de dialogues, d’échanges qu’un
mémorialiste.
Des intellectuels de
deux générations discutent, se questionnent en se respectant. Il s’agit bien
d’un échange et pas d’une entrevue. Questions et réponses ont été formulées par
écrit, avec du temps pour la réflexion et le choix des mots pour répondre. Godbout
parle du Québec de maintenant, de son avenir et de sa place dans le monde, des
livres, de la démocratie et peut-être de la vie dans ce qu’elle a de fascinant
et de nécessaire.
Curieux
Jacques Godbout est
un curieux, un touche-à-tout, un homme qui aime réfléchir, regarder, scruter le
monde qui l’entoure. Il est surtout connu comme écrivain, ses romans et ses
films. Salut Galarneau est considéré
comme un classique. Une réaction à Une
saison dans la vie d’Emmanuel qu’il trouvait sombre et misérabiliste. Il y
a aussi l’essayiste, l’observateur des médias, du murmure marchand qu’il a scruté et vu évoluer. Faut pas oublier le
cinéaste, le faiseur de documentaires qui n’a cessé de s’interroger sur une
époque qui le fascinait et le dérangeait sur bien des aspects. Peut-importe la
manière, le Québec n’est jamais loin, cette société où chaque jour apporte sa
ration de questions. La langue des Québécois aussi, le nationalisme avec ses
hauts et ses bas.
Jacques Godbout est
l’un des fondateurs du Mouvement laïque au Québec. Et ce bien avant la Charte
des valeurs québécoises, bien avant la controverse où tout semble tourner autour
du voile islamique.
« C’était pour
accueillir les immigrants au début », dira-t-il en entrevue à Bazzo.tv. Un aspect que nous avons
oublié bien sûr. Il est aussi l’un des fondateurs de l’Union des écrivains et
écrivaines du Québec.
Jacques Godbout est
éditeur chez Boréal, chroniqueur et grand lecteur. Il a connu et fréquenté Jacques
Parizeau, Pierre Elliott Trudeau, René Lévesque et Robert Bourassa, discuté
avec eux et les a regardé aller sans jamais les juger. Ce qui en fait un témoin
unique de notre époque.
Médias
L’écrivain a
toujours été fasciné par les médias et les outils de communications, les chemins
que la culture emprunte dans nos sociétés marchandes. Il se demande si on lit
encore avec les médias sociaux, ce qu’on lit et comment on lit. Est-il possible
de réfléchir, de comprendre quand on est emporté par un tourbillon, une
frénésie de plus en plus folle ?
La démocratie, la post-démocratie dit-il, où ce ne sont
plus les idées qui importent ou les grands concepts, mais l’image. Les campagnes
électorales, par exemple, sont une succession d’images avec le moins d’idées pour
éviter les dérapages. Le format publicitaire, sa facture s’est imposée.
Le Québec, son
rayonnement à l’étranger, surtout avec la chanson populaire. Est-ce le Québec qu’il
faut voir dans Céline Dion ou quelqu’un d’autre ? Le cinéma qui s’impose et
réussit à attirer l’attention. Le théâtre bien sûr, reconnu et apprécié un peu
partout par le public. Il n’y a qu’en littérature où la percée est plus
difficile. Faut-il s’imposer en écrivant dans la langue anglaise ? Je pense à
Yann Martel et à L’histoire de Pi qui
a connu un succès immense. Le livre aurait-il eu un même rayonnement s’il avait
d’abord paru en français ?
Lecture
Le romancier a connu
un monde où l’on contrôlait les lectures, l’éclatement et la diversification de
notre littérature. Il ne prendra pas position sur la littérature d’ici, son
contenu ou sa valeur. Il s’en tient à l’acte de lire, de dire le monde, de le
comprendre peut-être. Il n’y a ici que des questions, pas beaucoup de réponses.
Nationaliste ? Jacques
Godbout reste un peu en retrait. Il a vu les acteurs principaux agir depuis
cinquante ans et il refuse de basculer dans la partisannerie. Cette neutralité
journalistique en fait bondir plusieurs. On aurait voulu qu’il prenne parti,
qu’il milite peut-être. Il l’a été pour la laïcité, les droits des écrivains,
la pensée à la revue Liberté. Il a eu
la démarche du journaliste qui analyse, pose des questions, garde ses
convictions intimes pour lui. On n’aime pas ça dans l’approche contemporaine où
il faut avoir des opinions sur tout, pas nécessairement des idées.
Le portrait d’une
époque, d’un honnête homme qui jongle avec des questions, mais ne donne pas
toujours les réponses que l’on aimerait entendre. Heureusement ! Une belle
façon de voir le Québec de maintenant, surtout en cette période électorale où
l’on assiste à une guerre de slogans et d’images. Jacques Godbout reste
nécessaire et j’ai toujours un grand plaisir à le lire, à le suivre dans les
méandres de sa pensée. Une démarche admirable, un homme qui a su cultiver le
doute, la réflexion et su s’exprimer de bien des façons. C’est ce qui le rend
attachant et si important.
Le tour du jardin
de Jacques Godbout et Mathieu Bock-Côté est paru aux Éditions du Boréal, 24,95
$
Ce qu’il a écrit :
Et d’étape en étape, sur cinquante ans, chacun de mes romans
correspondait à un moment de l’évolution de notre société, je n’en ai pris la
mesure qu’après coup, je me rapprochais psychologiquement et géographiquement
du pays, suivant un cheminement qui n’était qu’une lente prise de conscience
identitaire. (p.21)
…
La vérité, c’est que toute rencontre est une promesse et peut
devenir une inspiration. Chacun de mes romans est né de la rencontre d’ouvrages
qui m’entraînaient, j’ai toujours écrit sous influence. C’est cette philosophie
qui m’a fait participer à la fondation de Liberté, à celle du
Mouvement laïque, à la création des associations et syndicats de cinéastes, à
la mise sur pied de l’Union des écrivains et enfin grâce à laquelle je me suis
joint aux Éditions du Boréal. (p.33)
…
Nous n’avons pas, au Québec, de problèmes de langue, mais un
problème de langage. La façon que nous avons d’utiliser la langue révèle notre
esprit. Notre langage devrait nous permettre de communiquer avec les
francophones du monde, mais nous restons désespérément attachés à notre idiome.
René Lévesque s’était convaincu de promulguer la loi 101, outre d’interdire
l’école anglaise aux francophones, il espérait éliminer le « joual » et non pas
l’anglais ! (p.73)
…
On ne sait penser le monde qu’en écrivant, que ce soit dans le
cyberespace ou sur papier. Les outils changent, mais Voltaire serait demeuré Voltaire,
même avec Internet. La place de l’intellectuel dans cet environnement ? Il peut
se nicher dans une maison de presse ou d’enseignement, utiliser les tremplins
disponibles, réfléchir, étudier, publier, enseigner : semer le doute. (152)