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jeudi 28 décembre 2017

MORISSET ET MALENFANT SE LIVRENT


MICHELINE MORISSET ET PAUL CHANEL MALENFANT ont correspondu de 2013 à 2017. Pour le plaisir d’écrire certainement parce que les deux habitent un même coin de pays dans le secteur de Rimouski. Il aurait été facile pour eux de se rencontrer pour de vrai. Mais s’asseoir autour d’une table, pour le temps d’un café, ne permet pas le même contact. Dans une lettre, on prend la peine de se situer dans le temps, de tenter de faire l’inventaire de son être. Le courriel et Facebook ont changé nos habitudes. Il est désormais plus facile d'être en contact avec la tribu de ses amis. Mais pour arriver à une publication, les partenaires doivent aller au-delà de la pluie et du beau temps. Il faut une formidable générosité et surtout une totale franchise.



Les échanges épistolaires m’ont permis de lire de véritables bijoux. Des trésors d’humanité, de partage et de sincérité. Je pense à Geneviève Amyot et Jean Désy qui ont correspondu une dizaine d’années, se disant tout de leurs angoisses, leurs peurs, leurs maladies, leurs découragements et leurs enthousiasmes. Ils se livrent totalement dans Que vous ai-je raconté ? Des cris d’existence, le chant de deux êtres. Magnifique et poignant.
Je pense aussi à Marcelle Ferron, à ses sœurs et ses frères. Le droit d’être rebelle nous entraîne dans l’intimité d’une famille qui a marqué le Québec avec Jacques, Madeleine et Marcelle l’artiste, la peintre et la sculpteure. Toute une époque et une démarche de créateur dans ses espoirs, ses découragements, ses enthousiasmes, son exil, ses misères financières et amoureuses. Absolument fascinant.
Pourtant, les lettres de Gabrielle Roy à son mari sont d’une grisaille à donner le cafard. Surtout que cette correspondance est à sens unique. Nous n’avons que les lettres de madame Roy et pas celles de son mari Marcel Carbotte, si elles existent. Mon cher grand fou… est le seul livre de Gabrielle Roy qui m’a déçu pour ne pas dire autre chose. Je me demande comment j’ai fait pour aller au bout de ces 700 pages.

TITRE

Le bleu ne fait pas de bruit de Morisset et Malenfant. Quel beau titre ! Un emprunt au poète Jean-Michel Maulpoix. Micheline Morisset a l’art de nous secouer avec des titres un peu étrange et singulier qui sont un poème en soi. La musique exactement ou Ce visage où habiter. Que dire de Le cœur, c’est fatal. Paul Chanel Malenfant est un peu plus abstrait dans cet art. Toujours jamais ou Le verbe être n’ont rien pour m'enthousiasmer.
Les deux se lancent dans cette aventure en mars 2013 sans trop savoir où les mots vont les entraîner. Entreprendre une correspondance, c’est comme lancer une bouteille à la mer. Micheline Morisset le précise dans une courte préface.

J’ignorais à l’époque que cette correspondance serait publiée, que je me lèverais à la sauvette le matin, pour poursuivre la conversation laissée en friche la veille et qui, au lever du jour, traînait au bord de ma pensée et me sortait de l’isolement. Je ne savais pas encore à quel point j’aimerais lancer à la mer, dans le calme lumineux, ces instants de papier. C’est si facile maintenant d’expédier une lettre par courriel. On suppose qu’elle ne peut pas prendre l’eau. Et pourtant…

Quatre ans à s’écrire des textes où l’on saute sans parachute, où l’on a le temps de ressentir toutes les émotions du dur métier de vivre. Le bonheur aussi, le plaisir des saisons, les publications et aussi la douleur de perdre un compagnon dans le cas de Paul Chanel Malenfant, la maladie du côté de Micheline Morisset. Assez pour qu’ils se livrent sans masques et maquillages.
L’écriture toujours là, obsédante, imposante qui happe Micheline jour après jour, la fait se réfugier dans son bureau comme une migrante qui n’ose plus mettre le nez dehors, affronter un monde improbable ou encore la passion de Paul Chanel pour les maisons, les jardins, les fleurs et les coins chaleureux où l’on sent une présence, une attente je dirais pour la réflexion et la lecture. Ces lieux où l’on peut respirer en savourant son café, se pencher vers les objets qui habitent le silence, se sentir tout là dans son corps et sa tête.

QUÊTE

Les deux tentent de comprendre pourquoi ils sont ce qu’ils sont, d’habiter l’espace, de surprendre son interlocuteur pour mieux se trouver peut-être. Poser une question, c’est souvent la diriger vers soi. Pourquoi cette fascination pour la littérature, cette entreprise où le monde ne prend consistance que quand il peut se transformer en mots.
Le retour à l’enfance est inévitable. Les écrivains ne se lassent jamais de parcourir cette distance entre le soi de l’enfant et le monde adulte où ils ont souvent l’impression de perdre pied ou d’être des désadaptés.

Les mots se hissent en moi avec leurs visions de l’amour et ses fatalités. Le courant surgit d’une ancienne terreur que mes ancêtres n’ont pas su celer dans l’éternité. Miettes d’être. Les hommes font des faux pas et ils en meurent. (p.65)

Et Paul Chanel de répondre.

J’ai été un écrivant, un enfant scribe, un artisan de la lettre, de l’alphabet, du dictionnaire Larousse qui « sème à tout vent », et je ne m’en remets pas. (p.82)

Les deux jonglent avec des questions qu’ils n’osent pas formuler peut-être devant leurs proches. Cette manie, cette maladie de vouloir tout changer en mots, de voir le monde dans une phrase ou un paragraphe. Cette obsession qui me hante et qui me fait me lever avant l’aurore pour m’enfermer dans mon Pavillon, pour secouer un texte pendant des mois et des années, m’allonger sur une phrase comme je le fais sur le lac gelé sans trop savoir si la glace est assez solide pour porter mon poids. Parce que l’écriture est toujours un risque, un défi à la vie, la folle entreprise de se tourner vers soi et les autres. Une sorte de justification, parce qu’en écrivant, on éprouve toujours une certaine culpabilité. L’impression de voler du temps à ses proches et ses amis. Pourquoi se retirer du monde, de toute l’agitation qui fait courir toute une société autour de soi ? Pourquoi ce désir de silence qui vous happe et menace de vous anéantir ?

Je n’ai pas l’art des carnets. Je n’ai jamais tenu de journal intime ; ne m’en sentais pas le droit. J’estimais que de telles confidences m’auraient mise en danger. La totale impuissance de l’enfance… J’ai noirci un seul journal, ligné, des années plus tard, à l’hôpital, sous le regard puissant d’une médecin-accoucheuse, après l’enfilade de jours catatoniques où je n’avais pas su échapper au non-sens. (p.98)

QUESTIONS

Les deux lisent beaucoup, s’accrochent à des extraits qu’un écrivain a glissés dans un texte. Ces phrases qui vous arrêtent parce qu’elles sont une partie de votre pensée. Quelques mots qui figent le temps, vibrent en vous dans un éclat de conscience.
J’imaginais, madame Micheline, dans l’ombre de son bureau, devant son ordinateur, à l’abri de toutes les extravagances de l’été, de ses géraniums qui dépérissent si rapidement, cette vie qui s’éloigne, qui va, qui éblouit et qui peut aussi être un jour d’automne quand le gel mord partout. Ou la magie aveuglante de la neige par les jours sonores de janvier.
Les deux vivent par et dans un texte. Celui que l’on pousse un peu plus loin chaque jour et les livres des autres qui viennent vous secouer comme les vagues du grand fleuve auprès duquel Micheline Morisset vit sans prendre souvent le temps de le voir marquer les jours à sa manière.
Paul Chanel Malenfant aime aller à l’étranger, devient frénétique dans la ville folle qu’est New York ou encore s’enthousiasme devant une exposition. L’art pour oublier la mort tout autour. Comment fermer les yeux devant la mort qui frappe au coeur des foules ?
La perte d’une grande amie, d’un père, la vie qui flanche à gauche et à droite. Le compagnon de vie qui écoute l’écrivain dans ses questionnements et ses frayeurs, la maladie qui vous fait vous recroqueviller sur vous.

Les mots trompent le réel. Ils font semblant de se prendre pour les choses, de décalquer nos faits et gestes, d’aborder notre âme comme s’ils la connaissaient par cœur. Les mots trompent l’œil. Ils jouent, sur une scène de carton-pâte - la feuille de papier vierge ou l’écran lumineux de l’ordinateur -, le drame ou la comédie de nos vies. (p.151)

Des témoignages bouleversants. Parce que nous sommes dans l’être, dans la pulsation qui fait que nous respirons, que nous pouvons aimer, le regard d’un oiseau qui s’envole sur la galerie, le vent qui brasse les feuilles. Une quête où les écrivains cherchent le pourquoi des choses, le comment de la vie sans jamais trouver de réponses.
J’ai aimé la terrible franchise de Micheline Morisset et Paul Chanel Malenfant, certaines réponses, certains cris de l’être et leurs glissades d’âme qui font que la vie est parfois si difficile et d’autres fois, un moment de grâce où nous avons l’impression de prendre l’éternité à bras-le-corps.


LE BLEU NE FAIT PAS DE BRUIT de MICHELINE MORISSET ET PAUL CHANEL MALENFANT, une publication des ÉDITIONS D’ART LE SABORD.

 
http://www.lesabord.qc.ca/

mardi 3 mars 2015

Quand deux artistes décident de se réinventer

Carol Bernier
Tout créateur est un lecteur de son époque et de son environnement. Un livre et une œuvre d’art peuvent devenir l’objet d’une lecture qui entraîne dans une direction différente. Croiser l’autre regard enrichit sa propre perception de l’univers et peut l’ébranler. Les grandes rencontres sont de ce type. Certains artistes décident de provoquer ces heurts pour mieux saisir un moment de leur vie. Hélène Dorion et Carol Bernier s’allient pour aller vers cette autre vérité qui ne peut surgir qu’à la jonction de leurs explorations. Ce moment rare exige de la patience et surtout une franchise de tous les instants.
Hélène Dorion
Il faut aimer le risque pour se livrer à ce jeu et une grande ouverture d’esprit. L’autre risque de toucher des zones d’ombres que vous avez cherché à occulter inconsciemment. Écrire et peindre est dissimuler autant que révéler. Un lecteur perspicace met le doigt sur ces déguisements pour les montrer au grand jour. L’artiste cherche ces rendez-vous parce que l’œuvre d’art est toujours un appel qui va au-delà du dit ou de l’objet.
Ces aventures permettent de plonger dans un autre univers. Je pense à Denise Desautels qui visite des installations en art visuel pour créer de nouveaux arrangements ou d’ébranler sa propre vision des choses. Une quête de l’autre, un retour sur soi, une révélation peut-être qui nous explique une façon d’appréhender la réalité. Parce que l’œuvre d’art est toujours un regard sur son époque, la vie et une manière de s’approprier le temps.
Le dialogue d’un poète et d’une artiste en art visuel risque de créer un langage qui étonne. Dorion et Bernier risquent tout, tentent de cerner ce qui pousse quelqu’un à consacrer sa vie à la poésie ou à inventer des formes qui permettent des échappées sur une autre réalité. Elles vont l’une vers l’autre pour inventer un lieu de tous les possibles.

Mais nous voulions, Hélène et moi, créer ensemble un « terrain de jeu » dans lequel nous puiserions l’inspiration pour notre livre. L’idée principale était donc d’avoir une inspiration commune sans partir de l’univers particulier de l’une ou de l’autre, mais bien de ce que nous sommes « l’une avec l’autre et l’une pour l’autre ». Tout était ouvert. Nous avons amorcé le mouvement par l’envoi postal d’objets, une boîte vide, une image ou un texte, le seul but étant d’installer un dialogue créatif. Aussi, depuis des mois, nous échangeons des artefacts. Ce sont tous ces objets, ces emballages, ces œuvres, ces textes qui seront sur le point de départ de notre livre d’artiste. (p.56)

Une manière d’oublier ses repères, ses points d’ancrage et ses façons de se rassurer devant la vastitude du monde. Des élans, des préoccupations sont touchées par ce regard qui nous révèle à soi.

LES LETTRES


Il faut du concret pour se réinventer. Le plus exigeant est certainement d’écrire en restant le plus fidèle possible à ses émotions et ses intuitions. Un envol où les deux artistes se croisent dans un espace et peut-être un lieu inhabituel.
Dorion et Bernier nous permettent de les suivre dans leurs hésitations et leurs questionnements. Les deux femmes se livrent comme elles ne le font peut-être pas avec leurs proches, racontent ce qu’elles ressentent devant un tableau ou un poème, effleurent ce qui engage le corps et l’esprit dans l’acte créatif. Elles suivent une piste, reviennent, recommencent et s’attardent à la pulsion de l’œuvre. Toutes les deux consentent à s’oublier momentanément dans un espace où elles sont l’une et l’autre, l’une avec l’autre.

J’apprends la patience, et plus de patience encore. J’apprends l’amour, et plus d’amour encore. Je commence à voir devant, et ce livre nouveau en témoigne. Combien de silence pour quelques mots...? Et le vent tiendra-t-il ? Et les vagues hautes ? Et les nuits, seule en pleine mer ? (p.68)

Ceux et celles qui se passionnent pour la démarche artistique aimeront ces confidences qui échappent aux distractions et aux bousculades habituelles. Les voyages nombreux et épuisants des deux femmes ne sont peut-être qu’une recherche, que l’espoir de parler juste et de trouver enfin un certain équilibre. Je ne croyais pas qu’Hélène Dorion était aussi sollicitée dans le monde. Tout comme Carol Bernier qui doit répondre à des demandes d’expositions qui exigent temps et énergie.
Des questionnements, des réponses, des hésitations qui ne satisfont jamais parce que la création y perdrait son essence. Il faut toujours le doute, l’incertitude pour continuer à écrire ou à inventer une œuvre d’art.

DES ÂMES

L’expression est une façon de s’oublier, de devenir vibrant, conscient de cette vie qui permet tous les questionnements, d’aimer et de respirer.
J’ai oublié souvent les propos de Bernier ou de Dorion pour être dans l’instant, prendre le temps de voir le monde autour de moi et m’imprégner de sa beauté. Et me questionner aussi sur mon obsession qui me fait plonger dans un monde qui est en moi et hors de moi. Peut-être que l’écriture est une lecture toujours incomplète qui demande tous les recommencements. Elle prend racine dans ce manque même.

Ainsi, depuis le début de mon séjour, je sens de nouvelles ailes s’ouvrir en moi, et je touche à la vie comme peut-être jamais encore je ne l’avais fait. Après ces années éprouvantes, je laisse mon corps se remplir de ciel et de mer, je goûte la joie de la lumière, et mon âme célèbre chaque chose, chaque instant, oui elle commence peut-être à voler, oui, peut-être est-ce cela, elle vole, et bien sûr alors on craint un peu la chute, ou qu’une aile n’effleure le sol, se heurte quelque part, mais non, on vole, et on sent que c’est cela, vivre, cela, l’essentiel : voler, simplement, voler librement. (p.78)

Hélène Dorion et Carol Bernier ne sont pas seules, elles sont multiples par leurs questionnements et leur écoute exemplaire. Peut-être qu’il faut être artiste pour aller si loin dans la direction de l’autre, se mettre à l’écoute d’un langage qui vient vous bousculer et vous révéler. C’est certainement ce qui fait la beauté de ce livre magnifique. Un véritable petit bijou visuel, un objet que l’on explore avec bonheur.


NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, printemps 2015, numéro 157.

Nous ne sommes pas seules… d’Hélène Dorion et Carol Bernier est paru aux Éditions d’art Le Sabord, 120 pages, 24,95 $.

dimanche 26 mai 2013

MORISSET NOUS COUPE LE SOUFFLE



Les textes de Micheline Morisset, dans Le cœur, c’est fatal, sont à méditer comme des cantiques. En plus, le livre est magnifique et les illustrations de Gwenaël Bélanger, des images de guitares fracassées, évoquent les personnages qui ont tous quelque chose de cassé en eux. J’ai eu du mal à quitter certaines nouvelles d’une force et d’une justesse singulières.

Le titre le dit bien, tout le recueil tourne autour de l’amour, la mort, le vieillissement, les blessures qui ne guérissent jamais. J’aime surtout cette manière que l’auteure a de retenir le temps. Comme si l’écrivaine prenait une photo de son personnage et l’examinait sous tous les angles, dans un décor particulier, lors d’un moment de grande vulnérabilité. Elle possède l’art de se glisser entre deux gestes, de bousculer un peu son personnage pour révéler un secret.
Bien plus, c’est un tableau qui s’esquisse, une scène que l’on ne se lasse pas de regarder et de retourner dans tous les sens.
«Ma mère se tient immobile sur le perron, rendue au dur labeur d’habiter encore pour quelque temps ce monde. Son visage ni laid, ni beau. Du temps empilé sur du temps. Vieillir est pornographique.» (p-15)

L’ART DE VIVRE

Des agressions dans l’enfance ont balafré le corps, des amours mal vécus ont froissé l’âme. La vie peut-être est la plus terrible tempête qu’un vivant puisse affronter. Et cette dérive du temps qui finit par tout gâcher quand le corps n’est plus fiable.
«Derrière le flou de ma fenêtre, je regarde le givre et le visage d’une femme, vieille si vieille, se replier comme une feuille à la fin de sa vie.» (p.81)
Les phrases de Micheline Morisset étourdissent. Ce sont des éclairs qui aveuglent et restent longtemps collées à vos paupières.
«Il avait pour moi des gestes comme des rubans de soie.» (p.50) «Et le train de nouveau gruge les rails comme une bête, à la croisée des routes. Comme une bête ajoute à mes tourments.» (p.80)
Il faut revenir sur ses pas encore et encore pour s’imbiber du drame qui couve, de ce qui se perd et ne se retrouve que dans l’écriture.
«Il m’a tendu le casseau de fraises, puis m’a souri. C’est bête un sourire, ça ne dit pas tout. Ça raconte peu des cailloux sous les paupières. Mieux vaut se fier aux yeux, c’est sur cette petite île que les gens sont les plus tristes surtout s’ils se croient à l’abri du regard d’autrui.» (p.26)
Souvent tendres, parfois rugueuses, toutes les nouvelles viennent vous chercher dans vos derniers retranchements, vous secouer comme un drap sur une corde folle de bourrasques. Difficile d’exprimer la fascination que certaines images exercent sur vous. La beauté certainement qui se précise et éblouit.

QUÊTE

Madame Morisset sort ses plus beaux pinceaux pour redessiner le visage d’une vieille femme qui se perd dans le trou de sa mémoire. Il y a aussi la fuite de l’autre, la fascination qu’un agresseur exerce sur sa victime, des amours qui n’ont pas eu lieu, des blessures qui ne cicatriseront jamais.
«Et ta main tremble. Toute ta vie se referme si durement. Un jour, le téléphone sonne et ça bascule. Sans voix. L’état pur du silence. Tu jettes un œil à la fenêtre, en bas : un hurlement de nuages et un tas de pierres sur du gravier puant. Il n’y a plus rien d’autre à attendre.» (p.86)
La vie se dilue dans le silence, le cœur s’arrête de battre parfois, une petite éternité et repart. C’est fatal.

«Christian et Marie comprenaient trop bien que certaines fins débutent par un mot qui, mine de rien, traverse la pièce et peu à peu couvre la vie d’un voile de cendre. Ils ne s’étaient pas tout dit, et les mois avaient passé. Le temps, le vent pliés en quatre dans les recoins du cœur.» (p.111)
La musique monte et recommence, la vague gonfle et se défait sur les rives du fleuve toujours là, obsédant, changeant et indifférent.
Une écriture qui n’appartient qu’à elle et qui vous bouscule. Des éclats de beauté. Je garde «Le cœur, c’est fatal» tout près, à portée de lecture pour le relire à voix basse, m’imprégner de cette prose ensorcelante. Un moment de grâce.

«Le cœur, c’est fatal» de Micheline Morisset est paru chez les Éditions d’art Le Sabord.

samedi 15 décembre 2007

Violaine Forest fait vivre une expérience

«L’Adoration du Bourreau» nous entraîne dans un monde déroutant où le lecteur doit oublier ses références.
Nous voici dans l’univers de la suggestion, du murmure, du soupir et du fantasme, dans un «Conte des mille et une nuits» où les chaînes luisent, les chairs brûlent de désir et les parfums étourdissent.
«L’éponge de la servante aux aguets qui lisse l’ambre, l’or de la peau. L’étirant. Ouvrant l’amande.» Une même sensualité d’un lieu à un autre, peu importe les époques. «Je vis d’effluves, de parfums de vanille, de réglisse. Je me replie soudain dans ma petite manche, dans l’or et les bleus du royaume ancien. Un éventail de plumes à la main. Je prends la lumière du jour, et m’abreuve à n’en plus finir de songes interdits et de douceur humaine.» (p.23)
Douleurs et espérance, univers recroquevillé hors temps. Et puis tout bascule dans la «pièce aux tremblements». Le désir appelle la douleur, l’amante cherche la fulgurance dans le supplice, la caresse et l’écartèlement. «Combien de fois l’huile, le sang et l’eau, les ongles dans la pierre. Je suis la force du monde qui tue.»
Le poème devient incantatoire, chant de mort et de vie. «Je me drape dans la transparence des bourreaux. Je m’offre sans résistance. J’ai mis mon nom à la table ancillaire. Je suis la maison de ma mère, je fais lessives successives qui calment. Je prends le plus long détour jusqu’aux choses simples. Au temps assis d‘un bonheur interdit, je réclame mon dû, la vie son pesant d’or arrache les sangles qui me lient au destin.» (p.51)

Violence

La poésie de Forest évoque aussi ces existences qui forment une chaîne depuis des millénaires sans jamais bercer l’espoir. «Je ne crois plus à la beauté du monde/ aux hommes heureux/ je dis que la vie est un leurre/ qu’au bout de leur nez/ pend la souffrance/ des femmes toujours/ partent sans douleurs/ des fils blancs s’étirent/ déroulent, leurs paroles inutiles». (p.118)
Bien sûr, la marche de l’humanité est écrite en lettres de sang, mais est-ce une raison pour rechercher ces instants où la vie effleure la mort, la douleur rameute le plaisir. «Il n’y a de beauté que dans la violence et l’injustice.» Certaines images vibrent comme des gongs.
Un univers où une femme recherche la douleur et le plaisir de la main du maître. Comment imaginer une quête semblable après trente ans de féminisme ?
«Reviens/ Que je sois/ Vie ou trépas/ Reviens/ Me l’apprendre/ Je n’ai d’autres desseins/ Ici bas/ que tu sois/ mon unique et dernière adresse. »
Un texte qui oscille entre la prose et le poème, le chant et la stance. Une fixation pour des images où «l’or et l’ambre» luisent dans des chambres où fument de lourds parfums. Une complaisance qui finit par lasser.

«L’Adoration du Bourreau» de Violaine Forest est paru aux Éditions d’art le Sabord.