Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Éditions de La Grenouillère. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Éditions de La Grenouillère. Afficher tous les messages

jeudi 26 juin 2025

UNE DERNIÈRE PIROUETTE DE BARCELO

LE HASARD fait de drôles de choses parfois. Il y a quelques jours, je prenais le dernier roman de François Barcelo «L’homme au bout de la corde». Il était temps de renouer avec cet écrivain que j’ai négligé souvent. Quelques heures plus tard, j’apprenais sa mort à 83 ans. François Barcelo est décédé au moment où je m’apprêtais à le lire. Que dire devant ce genre de coïncidence? Comme si deux esprits se croisaient. Je me souviens du plaisir que j’ai eu en parcourant son premier ouvrage «Agenor, Agenor, Agenor et Agenor» en 1981. Une saga familiale qui se distinguait des livres de l’époque, une inventivité et un humour corrosif. J’étais prêt à le suivre de livre en livre alors. J’ai commis des infidélités quand il s’est aventuré dans le roman noir. Je ne suis pas attiré par le genre. Chacun ses goûts. Je l’ai croisé souvent pourtant à l’Union des écrivains et des écrivaines du Québec. C’était un monsieur de bon conseil, original, souriant et très agréable.

 

Et me voilà avec ce roman au titre étrange : «L’homme au bout de la corde». Qu’est-ce que Barcelo a concocté pour sa dernière publication, même si j’imagine qu’il a encore quelques manuscrits dans ses tiroirs? Cet auteur a toujours proposé des titres qui titillent la curiosité. Il savait accrocher un lecteur et ce n’est pas pour rien qu’il a travaillé en publicité. Oui, il possédait l’art du titre. De mon côté, je suis incapable d’écrire une ligne si je n’ai pas trouvé le titre avant. C’est comme une direction, une permission que j'ai alors de m’aventurer dans une histoire. Ce sera le mot ou le bout de phrase qui apparaîtra sur la page couverture lors de la parution. Pas souvent, je l’ai remplacé en cours d’écriture : «L’école Numéro Neuf» est devenu «Les plus belles années» après bien des hésitations. Avec «Les oiseaux de glace», c’est l’éditeur André Vanasse qui m’a demandé de trouver autre chose. Andrée A. Michaud proposait «La femme de Sath». J’avais «La femme des neiges». André croyait que c’était un peu étrange de sortir deux romans avec des titres quasi similaires. C’est ma compagne, Danielle Dubé, qui a déniché «Les oiseaux de glace». Je n’arrivais pas à me décider. 

J’aime bien «J’enterre mon lapin», «L’ennui est une femme à barbe» ou encore «Moi, les parapluies» de Barcelo. Ce diable d’homme publiait plus vite qu’il n’écrivait on aurait dit. Il était le Lucky Luke du roman québécois. Un original avec un univers bien à lui qui ne cessait de nous surprendre avec ses personnages et les aventures invraisemblables qu’il leur imposait. Il s’amusait dans ce travail et ne reculait devant aucune audace. Écrire pour lui était d’abord une pérégrination jubilatoire où il se risquait hors du quotidien. Un maître du rebondissement et de l’action qui vous tenait en haleine tout au long de son histoire. Un imaginaire redoutable et toujours déroutant.

 

ÉTONNEMENT

 

Je me retrouve avec Abel Binette dans «L’homme au bout de la corde». Le nom du personnage est un jeu de mots. Je vous laisse le deviner. Lecture à voix haute de préférence pour trouver. Rien à voir avec l’Abel Beauchemin de Victor-Lévy Beaulieu. Cet individu allergique à tout emploi, génétiquement, vit dans la plus belle simplicité volontaire en logeant chez sa mère d’adoption, sa tante, propriétaire du dépanneur «Chez Lucie». Il ne possède à peu près rien, utilise la tablette de cette dernière et se débrouille plutôt bien avec l’aide sociale.

 

«Pour une bien simple raison : j’ai toujours haï l’argent. Pas pour des raisons éthiques, philosophiques ou morales. Mais parce que l’argent n’est pas gratuit. À moins d’être retraité, rentier, gagnant de loterie ou enfant de millionnaire, il faut travailler pour en avoir. Et je n’ai pas eu à travailler plus de deux jours dans un journal pour constater, comme vous probablement, même si cela vous a pris plus de temps, que le travail est généralement avilissant et humiliant. Fatigant, surtout. En tout cas, c’est plus pénible et pas nécessairement plus gratifiant que ne rien faire.» (p.31)

 

Pas un paresseux, il pratique le jogging tous les jours. Je vous le jure, il ne faut pas être un fainéant pour courir des kilomètres et cela demande de la discipline et de la volonté. Il a de la culture, se préoccupe de l’expression juste et défend la langue française qu’il porte bien haut. Il emprunte des livres à la bibliothèque, n’a pas les moyens d’acheter les nouveautés, prend plaisir à détecter les anglicismes qui se faufilent dans notre idiome québécois.

Notre Abel ne pouvait continuer sa dérive sans que des événements viennent bousculer son train-train. Nous sommes dans un roman noir après tout et il faut de l’action, des rebondissements et des morts. La corde du récit doit être bien tendue, et il y a un homme au bout de ce filin jaune, du moins, le titre le laisse entendre. 

Arlette, la mère d’Abel, l’a abandonné à la naissance et c’est sa tante Lucie qui s’est occupée de lui. Son père aura été un amant de passage, une météorite. C’est ce que Lucie raconte. Il ne faut pas trop s’y fier parce que tout bascule rapidement dans cette histoire. Ce qui est vrai devient faux et ce qui est faux est pure vérité. Et les morts ne le restent pas très longtemps. Ils ont l’art de rebondir du côté des vivants pour les tourmenter.

 

PAPILLON


Sa vie change quand un individu glisse un bout de papier dans la fente de sa porte où le facteur laisse des lettres de temps en temps. On s’en doute, ce ne sont que des réclames et des publicités qui échouent sur le plancher d’Abel. Jamais de factures! Il ne possède pas de téléviseur et de téléphone. Pour l’électricité, c’est l’affaire de sa tante. Il a piraté le Wi-Fi de la locataire d’en haut pour avoir des nouvelles du monde et effectuer des recherches sur sa tablette empruntée. 

Abel lit un message étrange sur ce «post-it» (papillon adhésif selon l’Office de la langue française.). «Va tirer sur la corde jaune au milieu du pont Perry tu ne le regretteras pas.» Un bout de phrase que l’on retrouve en page couverture du roman. Tout se précipite alors. David Boone, le père qu’il n’a jamais rencontré, revient dans sa vie et lui annonce ainsi qu’il s’est suicidé, peut-être pour ne pas avoir su s’occuper de lui. Oui, ça évoque le fameux Daniel qui écumait les forêts de la Pennsylvanie et du Kentucky à l’époque où l’on devenait un héros en vivant avec un fusil à la main. 

Comment résister à pareille invitation? Abel ne trouve rien au bout du câble, mais il devrait y avoir un cadavre, son géniteur au fond de l’eau. Un testament en fait un héritier, lui qui n’a jamais eu que quelques sous dans ses poches. 

 

«Les dix banques sont situées dans un quadrilatère qui doit faire moins d’un kilomètre carré. Et j’avais raison : les neuf autres comptes sont aussi bien garnis — toujours 95000 $ chacun. Au total, mon père devenu soudain mon papa adoré me lègue presque un million de dollars. Ce qui est beaucoup quand on songe qu’il n’a même pas baisé avec ma mère pendant une nuit entière. C’est payer cher la copulation.» (p.144)

 

L’affaire prend des tournures inquiétantes. Son paternel était l’un des criminels les plus recherchés par le FBI américain. Une gloire du monde interlope qui a su déjouer tous les limiers.

Abel est fortuné pendant quelques heures, mais son géniteur (il est toujours vivant) récupère l’argent et disparaît dans un paradis fiscal. Le fameux David Boone vide le compte de son héritier. C’est difficile de redevenir indigent quand on a rêvé d’être quasi millionnaire. 

 

«Les papillons adhésifs que j’ai trouvés ne m’ont causé que des malheurs. Avant, ma vie était sans histoire. Je ne connaissais ni mon père ni ma mère. Je faisais mon jogging quotidien sans déranger personne. Je n’avais pas d’avenir, vous me direz. Mais j’avais un présent plutôt satisfaisant. Et un passé dont je ne connaissais pas grand-chose.» (p.244)

 

Il décide alors de rejoindre ses parents au Panama et la seule manière de traverser l’Amérique du nord au sud, c’est de courir parce qu’il n’a pas un sou pour se payer un billet d’avion. Il devient une sorte de Forest Gum qui franchit toutes les frontières sous les applaudissements. Bon, je vous fais grâce de tous les rebondissements et des manigances d’Arlette et de David. 

Un roman fou, haletant et plein de surprises. François Barcelo se moque des travers de notre société et décortique tous les clichés connus. Le travail, l’amour, les affaires, le crime qui paie toujours, l’argent, la morale et la langue française. L’écrivain prend un plaisir évident à décrire les manies de ses contemporains. Il aborde même la question des transgenres. 

Abel, en tentant de devenir l’héritier de son père et de sa mère, retrouve une certaine liberté et décide de s’affirmer. Il sera un criminel pour être digne de ses parents. Bon sang ne saurait mentir. Il retraverse l’Amérique du Nord en courant et rentre au Québec pour entreprendre sa nouvelle carrière. 

J’ai lu ce roman le sourire aux lèvres. Barcelo est toujours étonnant et, même en effleurant les grandes questions de notre époque, il n’est jamais moralisateur. Il lance tout en vrac et c’est à nous de nous arranger avec ça. Ça peut sembler un peu brouillon, mais il ne faut pas se tromper. Barcelo est un humaniste qui aime bien houspiller ses semblables en les caricaturant et en se moquant. 

Rien ne lui échappe.

Je ne sais si c’est là son dernier ouvrage, mais il aura été fidèle «à sa manière et à son modèle», comme chante Gilles Vigneault. Même si je ne connais pas l’entièreté de son œuvre, je pense qu’il y a une constance chez lui, une forme de passion pour l’humain malgré toutes ses folies et ses tares. Et je me suis mis à rire, me demandant si tout cela n’était pas une autre facétie de l’écrivain. Peut-être que François Barcelo n’est pas mort et qu’il va ressusciter sous un nom d’emprunt avec une intrigue qui va nous jeter par terre. Il en serait bien capable. 

 

BARCELO FRANÇOIS : L’homme au bout de la corde, Éditions de La Grenouillère, Montréal, 2025, 272 pages, 32,95 $.

 https://delagrenouillere.com/lhomme-au-bout-de-la-corde/

mardi 20 août 2024

LE VERTIGE DU RÉEL ET DE L’IMAGINAIRE

QUE DE TEMPS j’ai pris avant d’ouvrir le roman Vierge folle de Daniel Guénette! C’est peut-être parce que je reçois beaucoup de livres. Et, pareil à un enfant, devant une montagne de bonbons, je ne sais lequel choisir. Heureusement, les écrits sont patients et ne connaissent pas ou si peu l’usure du temps. Vierge folle est paru en 2021, en pleine crise de la COVID, au moment où tout s’est figé au Québec. Tout est devenu dangereux alors et nous avons dû nous éloigner de nos voisins, des membres de notre famille et du monde entier. Il a fallu se réfugier en soi et dans sa maison transformée en forteresse. Un moment qui a remis en question certaines habitudes. Daniel Guénette pendant ce temps tentait d’attraper un fantôme, un personnage qui a pris possession de sa vie et de ses rêves.

 

Marcel, un érudit, écoule ses vacances dans un chalet un peu isolé. Il garde la forme en pédalant sur des kilomètres comme je le fais lorsque le soleil le permet et que je ne peux résister aux forêts de cyprès, de trembles, de bouleaux et aux massifs de fougères du parc de la pointe Taillon. J’y fais des rencontres particulières, des familles de gélinottes, des grues du Canada qui lancent leurs cris gutturaux et quand je suis chanceux et que les touristes ne sont plus trop nombreux, je peux surprendre un orignal qui s’offre un repas dans l’étang des brasénies de Schreber. Je n’ai qu’à m’installer discrètement, qu’à le regarder enfoncer la tête sous l’eau pour dénicher les pousses tendres qu’il déguste sans sel ni poivre.

Je vais vous raconter une histoire un peu étrange et anachronique. Le narrateur enseigne le latin dans un établissement universitaire. Je croyais cette discipline disparue depuis longtemps pour faire place à une certaine modernité, à des matières dites essentielles et... futiles. 

Ça me rassure de penser que la langue latine et le grec se conjuguent encore de nos jours dans certaines académies. Et l’invraisemblable ne me rebute pas, au contraire. L’insolite et l’originalité m’attirent plutôt. Je dois avoir l’esprit tordu ou déformé par la vie pour être comme ça. Pourtant, en faisant des recherches, je trouve qu’en 2024 on peut toujours suivre des cours de latin et de grec. 

Le passé n’est pas tout à fait mort.

Un homme seul, donc, qui chérit la tranquillité et la paix. Il accueille son amoureuse de temps en temps, une journaliste. Ce n’est pas la folle passion, pas trop, mais il faut que la chair exulte comme l’affirmait le grand Jacques quand on est encore du côté de la jeunesse. 

Des repas, de bons vins et le vélo pour brûler les toxines dans une campagne toujours invitante, sur une piste cyclable comme il y en a partout maintenant au Québec.

 

RENCONTE

 

Un matin, lors de sa sortie, il trouve un vélo abandonné sur l’herbe, en bordure de la piste. Il s’arrête et cherche autour de lui, s’avance dans une clairière tout près. Là, c’est la révélation comme le répète Christian Bégin dans Y a du monde à messe. Ce n’est pas François d’Assise qu’il surprend, mais presque. Notre professeur en perd son latin, fasciné. Il vit un émerveillement, un moment de grâce, la beauté et l’harmonie.

 

«J’ai regardé partout. Devant, derrière, à gauche, à droite. Nulle âme qui vive. Puis, j’ai perçu un babil enchanteur. Pour la première fois, j’ai entendu sa voix. Marie parlait. À personne. Elle parlait toute seule. Elle était près d’un talus, à l’ombre des arbres, et semblait monologuer. En fait, elle s’adressait aux oiseaux. Dans sa main, elle leur présentait des graines. Des mésanges, cinq ou six autour d’elle, venaient tout doucement picorer dans sa paume. Elle disait des choses comme : Petits oiseaux du bon Dieu, venez mes amours, j’en ai pour tout le monde. Des choses comme ça. J’étais derrière elle, à environ quatre ou cinq mètres. Je ne bougeais pas.» (p.18)

 

Une apparition peut-être, un fantasme, on ne sait trop, mais qu’importe. J’étais prêt à suivre le romancier dans son éblouissement. Marcel retrouve cette Marie-des-Oiseaux et ils vivent une amitié particulière.

La jeune femme est là pour s’occuper de sa vieille tante, juste avant d’entrer au couvent pour se faire nonne et se couper de toutes les tentations du monde comme on l’affirmait il n’y a pas si longtemps. Elle croit en Dieu et vénère Marie, la Vierge, la mère de Jésus. 

 

«Elle parlait d’abondance. De Dieu, de Jésus, du don de soi, de la pureté. Plus souvent encore de la Vierge et, ce qui ne manquait jamais de m’étonner, de sa virginité, non pas celle de la sainte, mais plutôt de la sienne. Une jeune femme de trente-deux ans. Elle l’a dit et répété à maintes reprises : vierge depuis toujours. Cette troublante confidence, elle ne me l’a pas faite ce jour-là, mais plus tard.» (p.20)

 

Marcel cherchera à la convaincre de renoncer à sa vocation, au couvent, de faire le sacrifice de sa beauté. On n’abandonne pas la grâce sans certains efforts, j’en conviens. Qui resterait de marbre devant le charme et la perfection?

 

RÉCIT

 


Pourtant, il y a quelque chose qui claudique dans l’histoire de Marcel. Ça clopine, je dirais. Je m’en suis rendu compte après une douzaine de pages. Le narrateur subit une sorte d’interrogatoire. J’ai pensé tout de suite à la police et au pire. Marcel, dans un moment de folie et de désespoir, a assassiné la belle Marie pour l’empêcher de quitter le monde des oiseaux. 

Il devient de plus en plus confus dans son témoignage et le tableau idyllique qu’il essaie de brosser, s’embrouille peu à peu. Il revient sur ses pas, reprend le cours de son histoire, tente de préciser un point, un mot, une réplique, de se justifier, de se convaincre qu’il n’a pas rêvé. Il ne parvient qu’à nous étourdir et à nous mélanger. Le fil de l’enchantement se rompt. 

 

«Si Marie n’avait pas été Marie, je ne serais pas ici aujourd’hui. Elle n’aurait été qu’une simple d’esprit et moi, tout érudit que je sois, je serais resté bêtement un petit prof insignifiant, ce que je ne suis plus. Non, je suis devenu autre chose. Je commence à comprendre les énigmes que les autres tentent de comprendre, je parle de vous et de vos enquêteurs. Quoi qu’il en soit, je me suis engagé dans un processus de transformation radicale. Ma propre identité est à jamais bouleversée.» (p.46)

 

Bien sûr, j’ai été un peu déçu parce que j’étais prêt à bondir dans la fable et à suivre Marie-des-Oiseaux jusqu’à l’extase et l’élévation. Une forme de communion peut-être. Je suis un romantique et un idéaliste, vous le savez.

Tout se précipite quand il voit la photo de sa Marie dans le journal. Elle a disparu, mais elle ne porte plus le même nom. Quelque chose ne va plus. Marcel déraille. Et si le pire se confirmait. La passion, le meurtre, l’enlèvement, tout devient possible. J’ai glissé sur les phrases en retenant mon souffle et mon émerveillement a cédé à la peur, à la confusion et au sordide. 

 

«Le visage de la Dumontier, pour moi une étrangère, pourtant si familière, sœur jumelle de Marie, vraiment j’ai tout de suite pensé que cela ne pouvait être que ça. Mais vite, j’ai réalisé que non. Ou peut-être oui. C’était tout à fait elle et ce ne l’était pas. Un transfert de personnalité, une substitution, allez savoir! D’autant qu’il y avait eu, comment l’oublier, une dernière scène, dans mon salon, au chalet, avec la musique de Schubert, pour être plus précis, l’andante de La Jeune fille et la Mort. Il y a eu cette Marie ondoyante, illuminée, sortie d’elle-même, émergeant d’un espace insoupçonné, la musique la métamorphosant du tout au tout et m’entraînant à sa suite dans les volutes de sa rêverie.» (p.53)

 

Bon, vous allez m’en vouloir. Pour savoir comment tout ça se termine, il faudra faire comme moi et tourner toutes les pages du roman. 

Un texte d’une certaine époque je dirais avec Marcel, ce latiniste qui prend plaisir à relire ses classiques, s’abandonne à un amour platonique, à des croyances religieuses, au désir de se sacrifier pour Marie et Jésus. C’est d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître, certainement. Mais pourquoi pas, j’aime les contes et les fables. 

Bien sûr que j’en ai voulu un peu à Daniel Guénette quand il nous raccroche à la banalité du quotidien. J’avais tellement envie de suivre Marie dans son délire et son amour de Dieu, à l’écouter parler de sa virginité et de son abnégation. L’atterrissage dans le rationnel est toujours ardu après avoir plané dans un univers où tout «est calme, luxe et volupté». N’est-ce pas le propre de la fiction que de tout transformer pour nous libérer du réel et flotter avec les âmes qui communiquent et s’apprivoisent?

J’aime le croire.

Daniel Guénette nous pousse dans un monde idyllique pour nous en priver dans la dernière partie. On le sait, l’idéal et la perfection cachent souvent le pire, nous l’avons constaté dans des histoires d’horreur qui ont été perpétrées au nom de la religion et de Dieu. 

L’écrivain raccommode tout ça et nous permet de penser que tout est possible même si son héros s’est cassé les ailes et blessé à l’âme et à l’esprit. Un récit onirique, je dirais, un fantasme de sainteté, de tendresse, de communication des cœurs et des âmes. Tout ça ne peut se faire qu’en se brûlant au feu de l’amour et de la pureté. L’utopie, la perfection existent encore pour Daniel Guénette. J’adore. Il faut rêver dans un monde devenu tellement matériel et fragile. 

 

GUÉNETTE DANIEL : Vierge folle, Éditions de la Grenouillère, Bromont, 248 pages.

mardi 15 septembre 2015

Jean-Pierre Vidal secoue le monde des apparences


La société est en mutation et la littérature connaît une prolifération phénoménale. Écrire est maintenant possible pour tous. Ce n’est qu’une question de marketing et de vedettariat. Il faut d’abord se faire voir à la télévision ou au cinéma pour s’assurer de faire les manchettes. Les humoristes ont commencé à prendre d’assaut les salons du livre après avoir pillé la télévision. La culture humaniste est devenue suspecte et plus personne ne se gêne pour ridiculiser les écrivains plus exigeants. La philosophie, la poésie et la réflexion sont en train de devenir obsolètes. Encore plus étrange, au Québec, il y a de plus en plus d’écrivains et de moins en moins de lecteurs.
  
Jean-Pierre Vidal a enseigné la littérature à l’université, exploré des textes pour en retirer la « substantifique moelle » comme Victor-Lévy Beaulieu le répète. La situation actuelle le préoccupe. La réflexion est-elle une « maladie » qui ne touche que les plus de cinquante ans ? Comment naviguer dans une société où les opinions pleuvent au détriment des idées?

Mais l’enseignement, même universitaire, n’est pas que recherche et combat singulier ou étreinte avec un ou plusieurs auteurs, une ou plusieurs littératures. Il est aussi, justement, enseignement, c’est-à-dire nécessité de convaincre, prouver, séduire, sans que je n’aie jamais très bien su si ces trois opérations ne constituaient pas une seule et même activité, une seule et même attitude peut-être, innommable, incernable, et dont les deux autres ne seraient qu’une variante, ou plutôt le spectre. Dans cet exercice, je me suis bien souvent senti envahi par une force, une pénétration, une créativité, une science, qui n’étaient pas les miennes. Je les sentais venir du lieu et de la circonstance. Je n’étais que la caisse de résonnance de courants qui convergeaient vers le texte étudié. (p.63-64)

Que ferait Érasme dans un salon du livre ? Imaginez Platon dans un stand attendant de dédicacer Le banquet à côté de Ricardo. Vidal pourrait le faire à sa place bien sûr. Mais il n’y a pas que cette préoccupation dans Méfaits divers. Il y a un côté intimiste quand il est question de la vieillesse et des traces que nous laissons derrière nous. Y aura-t-il quelqu’un pour se rappeler notre passage ? Il y aussi l’absurdité, la violence, la vie qui vous emportent dans un tourbillon où les pulsions font foi de tout. Jusqu’où va aller la télévision dans l’horreur et le sensationnalisme ? Qui se préoccupe d’un message Facebook vieux de trente minutes ? Le passé n’arrive plus à être le passé et l’avenir est trop lointain pour s’en préoccuper. Il n’y a que l’ici, le maintenant, le jour de l’aujourd’hui.

SENS

Et les succès littéraires de maintenant ? J’y reviens parce que je me questionne sur le sujet, me demandant si tous les efforts consentis pour faire connaître les écrivains et leurs livres ont été utiles. Je ne suis pas pessimiste, mais il me semble que le monde en qui j’ai tellement cru est en train de s’écrouler. Les ventes de livres sont en chute libre malgré des initiatives formidables comme le « 12 août ». J’achète, mais est-ce que je lis ? Cet aspect ne semble guère intéresser les libraires et les éditeurs. Je vends, donc je suis. Les médias sociaux sont un marché où des « auteurs » offrent leur nouveau-né à tout venant. Des textes souvent simplistes, mal écrits, gorgés de fautes, pour ne pas dire bégayants et répétitifs. Je fréquente les médias sociaux tout en tentant de comprendre le phénomène. Est-ce que placer une photo ou un message sur Facebook permet de faire connaître un écrivain et de pousser un lecteur vers son livre ? Toujours l’impression de voir des milliers de personnes crier moi, moi à longueur de journée.
Le silence médiatique qui entoure la parution de 666 Friedrich Nietzsche de Victor-Lévy Beaulieu est assez troublant. Trop long, trop difficile, trop exigeant. Pas un chroniqueur ne s’est porté volontaire dans un grand journal comme La Presse. Silence aussi dans Le Devoir. Les écrivains qui empruntent des sentiers peu fréquentés sont marginalisés et ignorés. Qui lit encore Marie-Claire Blais ? Qui s’attarde à un roman de plus de 200 pages maintenant ?

Et le lecteur, s’y y tient vraiment, peut toujours compléter, répondre lui-même à ses questions, comme, de fait, il l’a toujours fait, depuis que la lecture est la lecture : ce n’est que dernièrement qu’on a formé les lecteurs à exiger que tout soit dit, souligné, expliqué clarifié, mâchouillé. En fait, rendu trivial. Comme si la littérature n’était qu’une forme un peu plus embarrassée de journalisme. (p.155)

IRONIE

Jean-Pierre Vidal aborde tout cela avec un humour vivifiant. Heureusement. Il nous entraîne dans les salons du livre, nous fait assister à une séance de dédicaces, nous présente un auteur astucieux qui a trouvé le moyen de stimuler les ventes en embauchant de faux lecteurs. Vous vous souvenez des saucisses ? Plus les gens en mangent, plus elles sont fraîches. Il y a ce côté amusant, mais l’écrivain reste perplexe sur le monde de maintenant. Comment ne pas frissonner devant notre planète en ébullition, une masse de réfugiés en Europe ? Toutes les valeurs éclatent. Des fanatiques n’hésitent plus à tuer pour la cause. Faut-il se contenter de rire quand les valeurs humaines traînent dans la boue ? Il faudrait peut-être comprendre, savoir pourquoi nous en sommes là. La littérature a toujours servi à cela. L’écrivain s’est fait bousculer par un nouveau barbare pour reprendre l’appellation d’Alessandro Baricco. Ce mutant lui a volé sa parole et son rôle.

Autrefois, on écrivait pour l’Autre, à qui il fallait mettre une majuscule, parce que c’était une présence anonyme, non pas innombrable, mais innombrée, une présence présupposée que peut-être on inventait, qu’on incorporait et qu’on finissait, quand on le considérait comme un collectif, par appeler Dieu, pour simplifier. (p.163)

Jean-Pierre Vidal devient fulgurant quand il montre la dépersonnalisation et la cruauté du monde. La violence des enfants, l’indifférence, l’assèchement de la langue littéraire, l’imposture et le commerce à tout prix.

Et maintenant, on écrit pour la foule, c’est-à-dire, comme l’a dit un auteur ancien - Sénèque ? Ésope ? il ne se souvient plus, mais il se rappelle la citation exacte : « la preuve du pire », argumentum pessimi. (p.164)

Le livre que l’on vénérait tel un objet sacré est devenu un objet interchangeable qui répète une même formule. La rumeur marchande a inventé l’art du conteneur. L’auteur n’a pas besoin de vivre pour que son « œuvre » se multiplie. Le cas de Stieg Larsson est un bel exemple. L’auteur est décédé et un autre prend la relève. Ce qui ne tue pas s’approprie le monde de l’écrivain et le pousse dans une autre direction. David Lagercrantz est ce vampire. L’écriture devient une entreprise et l’écrivain individuel un artéfact.

PERTINENCE

Si j’ai eu un peu de mal avec les premiers textes où l’ironie perd un peu de son efficacité, j’ai adoré Aladin ou les partances où le vieillissement se heurte à la cruauté des vivants. Tout comme L’ensablement où le lien entre l’écriture et la lecture est magnifiquement exploré. Écrire est lire le monde. Et n’est-ce pas la fonction première de l’écrivain que de chercher à comprendre la vie ? Là, Vidal atteint des sommets.
Il accompagne Jean Larose qui se montre très critique sur l’enseignement et les succès littéraires de maintenant. Les deux défendent une tradition humaniste de plus en plus méprisée.
J’aime ces résistants dans un monde où l’image est la valeur absolue autant en littérature qu’en politique. Vidal possède un formidable sens de la caricature qui bouscule et fait souvent grincer des dents.
Parions qu’il n’y aura pas file devant son stand au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean en début d’octobre pour s’arracher Méfaits divers. À moins qu’il ne soudoie quelques faux lecteurs pour que le syndrome de la file agisse dans toute sa magnificence. Il en serait bien capable !

Méfaits divers de Jean-Pierre Vidal est paru aux Éditions de La Grenouillère, 162 pages, 20,95 $.

dimanche 14 avril 2013

Jean-Pierre Vidal secoue nombre de clichés



JEAN-PIERRE VIDAL passe de la réflexion au rire dans «Le chat qui avait mordu Sigmund Freud», d’un monde tragique à un univers en apparence plus léger. Juste, difficile, grinçant souvent, l’écrivain secoue nombre de clichés dans ses nouvelles, avec un à propos à nul autre pareil. Une démarche nécessaire dans un monde où la pensée est perçue souvent comme une tare. Vidal bouscule cette modernité si floue et si envahissante surtout.

Vingt-huit nouvelles, vingt-huit manières de scruter la société, ses travers, ses folies et ses obsessions, des agissements qui montrent le meilleur, mais surtout dévoilent le pire. Dans «Le chat qui avait mordu Sigmund Freud», un titre fascinant, Jean-Pierre Vidal jongle avec des questions qui n’auront peut-être jamais de réponses, mais qu’il ne faut pas négliger pour autant.
Des textes consistants emportent le lecteur sur plusieurs pages ou encore l’auteur choisit le texte très court qui vous laisse en déséquilibre. L’auteur sait jouer de plusieurs instruments de l’orchestre pour notre plus grand plaisir. Il préfère parfois le flou qui m’a fait revenir sur les phrases pour tenter de retrouver ce qui avait pu m’échapper. Vous avez alors rapidement le sentiment de ne plus savoir où aller. Ou encore, un texte laisse croire que la mise en page a connu des hoquets. Vous réalisez après qu’il faut sauter un paragraphe pour retrouver le fil et revenir en arrière. Heureusement, ces «jeux dans l’espace» se font plutôt rares.
Il y a aussi ces incursions dans la pensée des tueurs en série qui semble si bien caractériser la société américaine. Des meurtres gratuits, la démence d’un tireur fou ou d’un solitaire qui travaille avec doigté, intelligence et raffinement.
«Vois-tu, le meurtre en série est dans la fibre de ce continent, il flotte dans l’air de cette civilisation, comme un pollen. Liquider le plus de gens possible, le plus rapidement possible et le plus spectaculairement possible, c’est la hantise secrète de tous ces énervés qui se prennent pour des individus. Pour eux, c’est comme un orgasme. Et après, ils se réveillent, complètement abrutis, vidés, mais contents. Même quand leur état les envoie rejoindre leurs victimes.» (p.171)
L’écrivain Bertrand Gervais a bellement exploré cet aspect dans «Les failles de l’Amérique», un grand roman passé inaperçu peut-être parce qu’il révèle un aspect de l’humain que nous refusons de voir même s’il prend toujours le pas dans les bulletins d’informations.

Communications

Il y a aussi la quincaillerie numérique qui obsède un peu Vidal et qui a donné de nombreuses chroniques dans «Le chat qui louche». Les contemporains sont branchés, bombardés de musique, de messages instantanés, souvent futiles où privé et public se bousculent.
«Partout dans l’autobus, les voix cellulaires imposent leur chorale: — Salut. C’est qu’tu fais? Ah bon! J’arrive là.» «Allo, Papa? Je serai là dans dix minutes, on est au centre d’achat, là. À tantôt!» (p.92)
J’ai aimé le regard sur les passagers d’un autobus, les manœuvres pour s’approprier le siège voisin, l’arrivée du retardataire qui bousille toute la stratégie et vient empiéter sur votre espace. Toutes les manœuvres aussi pour s’isoler des autres passagers. Le narrateur possède l’outillage parfait pour contrer toutes les approches. Cela ne l’empêche pas de reluquer discrètement une jeune femme fort jolie.
Il y a aussi les hasards qui emportent les personnages de Vidal. Des mondes étranges s’ouvrent et vous poussent dans une autre dimension.
À lire la réflexion du pape Pie XIV pendant un match de soccer. Il y a là tout l’avenir de l’humanité, ses obsessions et ses lubies. Le tout avec une bonne dose d’humour.
«Mais réunir l’humanité sous un seul dieu, c’était vouloir, en fin de compte, tout abolir dans l’indécision, l’indistinction qui ferait du même coup de la bête humaine un dieu. Et c’était, en même temps, revenir à la matière d’avant l’explosion initiale et engloutir Dieu, l’homme lui-même dans une totalité qui n’était que néant.» (p.204)
Et que j’aime quand une phrase coupe votre élan de lecteur comme un uppercut.
«Encore heureux que Gianfranco entretienne avec lui une relation dialoguée qui, au moins, lui permettait de formuler des demandes, sans avoir besoin de passer par cette forme d’hébétude archaïque et autiste qu’on appelait autrefois la prière.» (p.186)
Jean-Pierre Vidal demeure un allumeur de réverbères dans ce monde de pulsions et de consommation. Il demeure un humaniste qui cherche un sens à la vie et des certitudes de plus en plus fuyantes. Peut-être que l’écriture est la dernière manière de résister au naufrage.

«Le chat qui avait mordu Sigmund Freud» de Jean-Pierre Vidal est paru aux Éditions de La Grenouillère.