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mercredi 15 janvier 2025

MAXIME BLANCHARD FUSTIGE LE QUÉBEC

ÇA NE M’ARRIVE pas souvent de refermer un livre en me demandant ce que je vais écrire. Comme si je ne parvenais pas à me situer devant des propos ou certaines affirmations qui me perturbent et me troublent. Que dire de l’essai de Maxime Blanchard intitulé La mère patrie? Le titre me semble un peu désuet, comme s’il datait d’une autre époque, et qui aurait pu coiffer un ouvrage de Damase Potvin. En plus, l’auteur parle des Canadiens français, un terme que nous utilisons pour retourner dans un temps plus ou moins éloigné de notre histoire, une page révolue de notre passé. Nous avons d’abord été des Français en cette terre d’Amérique, des Canadiens par la suite avant de devenir des Canadiens français et enfin des Québécois. Des coiffes qui marquent l’évolution de notre pensée dans ce territoire depuis la Conquête en 1760.

 

 

Un Québécois, Jérôme Dagenais, enseigne le français aux États-Unis. Un nationaliste convaincu qui prône farouchement l’indépendance du Québec. L’alter ego de Maxime Blanchard doit être de ma génération, peut-être un peu plus jeune, parce que peu d’écrivains de la trentaine tiennent de tels propos. 

L’essayiste est né en 1966, approche donc de la soixantaine, a vécu les référendums de 1980 où, à quatorze ans, il n’avait pas le droit de vote, et celui de 1995 où il a pu s’exprimer. 

Jérôme Dagenais a mal digéré les résultats de ces consultations où le Québec a eu à se prononcer sur son avenir. Ce manque d’audace de la part des Québécois et de courage horripile l’enseignant. Parce que c’est ce qu’il faut pour fonder un pays. Laisser libre cours à son inventivité et ne pas avoir peur de rêver grand et de défier le futur. Du moins, c’est ce que je me dis. Désirer, imaginer une direction précise, convaincre ses proches et passer aux actes. Ce que nous avons refusé de faire à deux reprises, préférant demeurer un semblant de pays en se gargarisant souvent du mot nation. Oui, nous avons une fête nationale, une assemblée nationale et une capitale nationale. Un drapeau que l’on agite le 24 juin et que l’on range dans les boules à mites le reste de l’année. J’ai déjà écrit ces propos et mentionné notre étrange façon de faire et d’être en tant que francophone québécois dans ce Canada multiculturel et anglophone. Une manière de fermer les yeux devant la réalité peut-être et de se donner l’illusion d’être quand nous ne sommes encore et toujours que les habitants d’une région. 

 

«D’ailleurs, en dépit de son exil et de son dilettantisme, de son qui-vive, Jérôme reste intrinsèquement et héréditairement un provincial empoté, un Québécois compassé. Il le sait. Cependant, son indépendantisme, aspiration et lucidité, le prémunit probablement contre le provincialisme le plus dadais et le plus godiche.» (p.14)

 

Grâce à son personnage, Maxime Blanchard exprime sa colère, ses frustrations et tente de comprendre pourquoi les Québécois refusent d’assumer pleinement leur avenir et de fonder le seul et unique pays de langue française en Amérique. 

 

RÉFLEXION

 

Le souverainiste se retrouve devant deux choix après l’échec de 1995; il se mord les lèvres et reprend le bâton du pèlerin pour faire progresser la cause en militant dans une formation politique qui prône l’autodétermination avec toutes les frustrations que cela entraîne; ou, comme certains, il tourne la page en se disant que les Québécois ont tranché et qu’il ne sert à rien de s’acharner. 

Nous avons un premier ministre, François Legault, qui tient ce discours un peu tordu après avoir défendu l’indépendance bec et ongles. Il prêche un nationalisme de façade et encaisse les rebuffades d’Ottawa, jour après jour sans sourciller, ce qu’il dénonçait quand il était membre du Parti québécois. 

Pour certains, ces échecs ne passent pas et le «non» reste dans la gorge comme on dit. Pourquoi sommes-nous impuissants à choisir l’aventure du pays? Serions-nous un peuple sans courage et incapable de s’arranger avec un tel risque?

 

«Tout le monde craint de passer pour réactionnaire. On ne saurait critiquer le présent que sous peine d’anathème : ringard, has-been, mononcle. Pour autant, Jérôme ne fait pas confiance à la jeunesse née en 1997 ou en 2003, car elle n’a pas de vécu qui vaille. Elle a grandi dans une époque insignifiante, dans un Québec insipide, dans un monde sans intérêt. Elle n’a emmagasiné ni noblesse ni ampleur, seulement du vide et de la fadeur. C’est injuste, c’est ainsi. Et c’est pourquoi la jeunesse actuelle se définit avec tant de véhémence contre les aînés; la jeunesse sert d’unique projet à la jeunesse. Son identité consiste à ne pas être vieille.» (p.68)

 

Blanchard peut sembler dur et acrimonieux envers ceux qui ne partagent pas sa vision des choses et son nationalisme. Il est impitoyable avec ses compatriotes qu’il trouve mous et inconséquents. 

 

«Qu’a-t-il fait au bon Dieu pour être québécois, pour subir cette torture du pays qui disparaît, d’une indépendance jamais gagnée, d’une langue française toujours moribonde? À Berne, à Montreux, à Delémont, il n’aurait pas observé, impuissant et furieux, ceux de sa race se lover dans l’obsolescence.» (p.99)

 

Monsieur Blanchard frappe souvent juste et ça fait grincer des dents. Je ne peux que lui donner raison quand on voit le comportement de certains politiciens qui décident d’après les sondages ou les humeurs des influenceurs, cette nouvelle race d’imposteurs qui sévissent sur les réseaux sociaux et qui se prennent pour des gourous.

 

PRÉSENT

 

Et que dire de notre situation actuelle, alors que Donald Trump est revenu au pouvoir, décrétant la folie et la démence à Washington, brandissant le poing devant le monde sans mesurer les conséquences de ses paroles et de ses gestes? Nous voilà entraînés dans une époque où la haine et la rage s’imposent. 

Le Québec devra bien se brancher et ne pas faire comme si tout cela n’avait aucune importance. Que penser et que faire dans un moment où la réflexion et l’intelligence sont considérées comme des tares?

Nous avons là un homme de conviction qui ne fait jamais de compromis avec ses idées. Il dérange certainement, exagère parfois, se montre un peu revanchard, mais touche des points sensibles et incontournables. 

J’aime beaucoup son côté provocateur. 

 

«Ils ont manifesté contre la guerre à Gaza. Ils sont rentrés chez eux en Uber. Ils ont manifesté contre le profilage racial. Ils ont acheté des chaussures sur Amazon. Ils ont manifesté contre l’expulsion des sans-papiers. Ils ont loué un appartement sur Airbnb. Ils ont manifesté contre un oléoduc. Ils se sont fait livrer une pizza par DoorDash.» (p.200)

 

Satire, caricature, l’essayiste met souvent le doigt sur une pensée ou des comportements qui font de nous un peuple paisible, un peu mou, incapable de s’affirmer et de se vêtir de l’habit d’un citoyen du monde.

 

BLANCHARD MAXIME : La mère patrie, VLB Éditeur, Montréal, 240 pages. 

https://editionsvlb.groupelivre.com/products/la-mere-patrie?variant=45534191550721