dimanche 30 août 2009

Margaret Atwood et les fables de l’argent

Margaret Atwood étonne avec «Comptes et légendes, la dette et la face cachée de la richesse», un essai où elle s’attarde à une problématique qui ébranle nos sociétés.
La situation économique planétaire inquiète. Des institutions que l’on croyait indestructibles ont failli s’écrouler au cours des derniers mois. Dégringolades à la bourse, pertes qui se chiffrent en milliards, des banques qui frôlent la catastrophe et les états qui doivent colmater les fuites. Le capitalisme triomphant claudique et la mondialisation connaît des ratés.
«Quel est donc ce « crédit » qui nous mine ? Comme l’air, il nous entoure, et nous n’y pensons que lorsqu’il vient à manquer. Il ne fait aucun doute que nous considérons désormais l’endettement comme essentiel à notre bien-être collectif. Lorsque la situation est au beau fixe, il nous porte comme un ballon gonflé à l’hélium ; nous nous élevons de plus en plus haut, et le ballon grossit jusqu’à ce que pouf ! un rabat-joie y plante une aiguille, et c’est la dégringolade.» (p.16)
 D’où vient cette façon de faire, demande la romancière. Ce serait inné, selon certains scientifiques. Peut-être aussi que ce goût pour l’emprunt constitue les assises de la civilisation.

Problème universel

Les citoyens ont connu ce phénomène tout au long des siècles. Ce goût pour l’avoir maintenant et le payer plus tard remonte à la nuit des temps. Nous y trouvons aussi la source de plusieurs grandes religions.
«On appelle le Christ le Rédempteur, mot qui renvoie directement au langage de l’endettement, de la mise en gage et du sacrifice substitutif. En effet, toute la théologie du christianisme repose sur l’idée des dettes spirituelles, des moyens à prendre pour s’en acquitter et des manières de faire en sorte que quelqu’un d’autre les paie à notre place. Elle propose aussi une longue tradition préchrétienne de boucs émissaires – les sacrifices humains y compris – ayant pour fonction de vous délivrer de vos péchés.» (p.65)
L’histoire sous cet angle prend une autre signification. Ce qui était considéré comme de l’usure, il n’y a pas longtemps, devient normal maintenant avec les taux d’intérêts exigés pour les cartes de crédit qui tournent autour de vingt pour cent.
Dire que les biens nantis chrétiens ne pouvaient exiger des intérêts en prêtant de l’argent. Voilà peut-être pourquoi les Juifs ont été si mal vus, n’étant pas restreints aux mêmes contraintes. Même qu’à une certaine époque, on effaçait toutes les dettes aux sept ans. Pourrions-nous recourir à une telle solution pour relancer l’économie...

Catastrophes

Cette tension entre le prêteur et l’emprunteur a provoqué de nombreuses catastrophes au cours des siècles. Les empires de la Grèce antique et de Rome sont disparus à cause de l’endettement, de l’appropriation des richesses par un petit nombre, les riches devenant de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. De quoi réfléchir à ce qui se passe présentement avec le retour aux déficits astronomiques aux États-Unis et en Europe. Est-ce possible de rembourser des dettes qui gonflent continuellement ? Nombre de révolutions ont été provoquées par l’endettement, sans compter la pollution, la désertification, l’épuisement des ressources et catastrophes météorologiques qui résultent de cette manière de faire. Ce chapitre fera hurler Jacques Brassard si jamais il ose s’y aventurer.
Un marché repris par nombre de contes traditionnels. Un homme reçoit richesses et services du Diable en mettant son âme en garantie. Il doit rembourser sa dette au bout d’un certain temps ou tenter de déjouer le Malin par la ruse. Comment ne pas songer à « Faust » ? Madame Atwood fait aussi une lecture fort intéressante des œuvres de Flaubert, Marlowe, William Shakespeare, Charles Dickens et Machiavel.
Questionnement pertinent de Margaret Atwood qui ébranle des certitudes et secoue les fondements de nos sociétés. Il serait peut-être temps d’imaginer une autre approche même si l’humain, semble-t-il, a une forte propension à répéter les mêmes erreurs.
«Comptes et légendes (La dette et la face cachée de la richesse)» de Margaret Atwood est paru aux Éditions du Boréal.