vendredi 7 septembre 2007

Suzanne Myre a trouvé une bonne recette

Suzanne Myre a fait une entrée remarquée en littérature en plongeant dans des textes mordants, enrobés d'humour, marqués par un cynisme qui malmène ses contemporains. Un ton, un style qui plaît en ces temps où l'humour corrompt tout avec plus ou moins de discernement. Comme si elle avait dépoussiéré l'approche Saïa en tentant de lui donner une patine personnelle et plus raffinée.
Il suffit de soupeser son dossier de presse pour croire que nous avons trouvé l'écrivaine du siècle ou presque. Attiré par cette agitation, je me suis aventuré dans ces textes pour être déçu rapidement. Que ce soit dans «Humains aigres-doux» ou «Nouvelles d'autres mères».
Les commentateurs, il me semble, en ont trop fait avec cette écrivaine. Il arrive que des auteurs soient nettement surévalués par certains médias.
Bien sûr, au début, cette prose parsemée d'humour et d'humeur, un peu baveuse même, plaît. Elle butine sur tout ce qui fait mode et actuel. Des sourires dans les premières phrases mais après quelques pages, on s'impatiente. À la fin, on referme le livre en se demandant ce qui est arrivé.

Recette

Suzanne Myre a trouvé une recette qu'elle étale d'une nouvelle à l'autre. Un personnage revenu de tout, une femme dans la trentaine, un ton et un cynisme qui n'épargne rien. Jeux de mots qui tombent à plat très souvent. Comme si l'auteure faisait le pari de toucher à tout dans une sorte de goinfrerie un peu dérangeante.
«- Ça m'étonne que ta langue accepte de suivre ton cerveau et de dire autant de bêtises. À sa place, je me suiciderais en m'éjectant de ta bouche. Bon, il faudrait que j'ajuste l'appareil à ton poids, ça me prendra quelques minutes.» (p.138)
Comme cela dans toutes les nouvelles, peu importe le personnage qui nous pousse à le suivre. Des dialogues plaqués et gonflés aux hormones!

Le peignoir

Son dernier recueil offre six nouvelles. Le texte principal, «Le peignoir», coiffe le livre. Nous y retrouvons la narratrice qui râle sur la vie, l'amour, la bouffe, les hôtels, ses orgasmes, son chum, les jeunes, ses poils et les femmes mûres qui tentent une cure de jouvence. Un milieu propice à toutes les moqueries. Le propos est sans pitié. Une fois que l'on a saisi la manière Myre, on ne peut que hausser les épaules...
Bien sûr, il y a un certain effort pour donner du poids à ses personnages mais elle ne parvient jamais à les lester vraiment. Des hommes cartes postales et des femmes qui n'ont guère plus d'intérêt.
Madame Myre répète ses figures imposées sans vraiment prendre le risque de plonger dans le mal être de son personnage par crainte, peut-être, de se perdre dans le vide. Même les finales de ses textes, qui tentent de pousser le lecteur dans une dimension plus introspective, tombent comme un pavé dans la mare. Que dire de ce texte loufoque d'une excursion à la campagne qui reprend cliché après cliché. «Le moustique erre» a failli me faire abandonner ma lecture.
«Pour m'éviter d'interminables discussions post-coïtales, je poussais quelques gémissements dans le ton de ceux qui l'ont toujours rassuré sur ma faculté de m'abandonner à lui. L'utilisation de vocalises judicieuses en période de stress, si cela peut éviter la panique et ménager la sensibilité de l'homme, pourquoi pas?» (P. 59)
Voilà une habile technicienne qui lasse rapidement. Il faut plus de poids, plus de senti pour donner à ce genre d'entreprise une aura humaine, dérangeante et un peu déstabilisante. Suzanne Myre se contente de patiner à la surface.
Véritable littérature jetable, écriture qui ne lève à peu près jamais, images et jeux de mots prévisibles. Cette jeune auteure m’a déçu. Plutôt désolant.

«Le peignoir» de Suzanne Myre est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

Le Canada et le Québec ont bien changé

La loi 101 a trente ans. Les médias ont souligné cet anniversaire qui faisait du français la langue d’affichage et de travail au Québec. Une étape qui ne s’est pas faite sans heurts. Plus de 200 000 anglophones ont quitté la Belle province après la promulgation de cet arrêt concocté par Camil Laurin. Des témoignages «des enfants de la loi 101», dans le dernier numéro de «L’actualité», montrent que le Québec a changé depuis 1977. Plus de quatre-vingt pour cent des anglophones sont devenus bilingues. Même que Montréal est maintenant une ville multilingue.
Graham Fraser, le Commissaire aux langues officielles du Canada, a publié un essai l’an dernier où il se questionne sur les effets du bilinguisme au Canada et apporte un éclairage intéressant sur la loi 101. Selon lui, cette législation qui devait constituer une étape vers la souveraineté du Québec a été si efficace qu’elle a eu l’effet contraire. Elle a rassuré les francophones et rendu l’indépendance moins nécessaire. Plusieurs témoignages dans «L’actualité» confirment cette thèse.
Pendant ce temps, le bilinguisme a fait des progrès au Canada même s’il a tendance à stagner chez les jeunes depuis quelques années. Mais les choses ont évolué là aussi. Qui peut imaginer maintenant un premier ministre canadien incapable de se débrouiller dans les deux langues officielles? La connaissance du français et de l’anglais est devenue obligatoire pour les politiciens et les ministres à Ottawa. On a vu, récemment, des ministres unilingues rétrogradés dans le gouvernement Harper. Pour le Saguenay, cela a voulu dire la visite de la plupart des leaders politiques des grands partis canadiens. Ils sont venus vivre en français au cégep de Jonquière.

Les référendums

Le commissaire se questionne également sur les réactions du Canada après la tenue des référendums sur la souveraineté du Québec. Particulièrement sur celui de 1996 où le oui a failli coiffer le non. Curieusement, rien n’a été fait pour diminuer les tensions. La réaction du gouvernement Chrétien a été de multiplier les drapeaux, «ces chiffons rouges» selon la formule de Bernard Landry et les commandites.
Graham Fraser se demande pourquoi il n’y a pas plus d’échanges entre les anglophones et les francophones, de traduction des productions littéraires et cinématographiques, d’immersion dans les universités, de voyages et de stages pour abolir les solitudes. Un mur sépare toujours les deux entités linguistiques du Canada malgré une politique de bilinguisme qui a particulièrement angoissé les fonctionnaires anglophones qui ont plus de mal que les francophones à apprendre l’autre langue.
Monsieur Fraser rappelle que la question linguistique est au cœur des débats au Canada depuis les débuts de la colonisation.

Fausse route

Si Pierre Elliott Trudeau pensait régler la question linguistique au Canada par le bilinguisme et le multiculturalisme, il semble bien qu’il a fait fausse route. La question nationale est toujours au cœur des débats politiques au Québec. Depuis trente ans, il y a eu deux référendums sur la souveraineté avec les résultats que l’on connaît. Et des partis politiques à Québec comme à Ottawa prônent l’indépendance du Québec.
Pourtant, une nouvelle approche semble se dessiner avec Stephen Harper à la tête d’un gouvernement minoritaire. Il a compris que pas une formation politique ne peut gouverner le Canada sans l’appui des Québécois. Il a changé la donne en reconnaissant le Québec comme nation, le déficit fiscal et en négociant des ententes avec les gouvernements provinciaux qui montrent plus de souplesse dans l’application du fédéralisme.
Graham Fraser a le grand mérite de s’interroger sur une problématique que peu de politiciens aiment effleurer. Il démontre que rien n’est réglé au Canada malgré l’ouverture de certains.
«Dans sa perception du Québec, le Canada anglais a constamment dix ans de retard sur la réalité : il le voyait encore comme une province empreinte de religiosité pendant que la Révolution tranquille battait son plein et il a réagi à l’élection du Parti québécois comme si celui-ci venait de procéder à un détournement d’avion.» (p.359)
Si la loi 101 a calmé le problème linguistique au Québec, il semble bien que le bilinguisme au Canada a eu des effets assez mitigés.

«Sorry, I don’t speak French» de Graham Fraser est paru aux Éditions du Boréal.