jeudi 2 juin 2005

Francine Noël rend hommage à sa mère


«Maryse» et «Myriam première» de Francine Noël sont de véritables fresques. «La conjuration des bâtards», un roman unique dans la géographie littéraire québécoise, n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait. Les esprits chagrins, qui cherchent la grande oeuvre du Québec, devraient lire cet ouvrage paru en 1999. Un souffle qui questionne la crise de civilisation qui marque les années 2000. Un roman actuel, d’une richesse et d’un foisonnement que peu d’écrivains d’ici ont atteint.

Francine Noël vient de publier «La femme de ma vie», un récit. Au début, on se croirait devant une aquarelle. Des points de repère, une image floue qui devient un portrait de plus en plus précis même s'il reste toujours des coins d'ombre dans ce genre d’écrit.
Francine Noël a eu une mère-célibataire avant que le mot ne devienne familier. Jeanne Pelletier s'est occupée seule de sa fille, a dû gagner sa vie avec une énergie et une volonté remarquables, incapable qu’elle était de compter sur son Paul.
«Officiellement, il habitait avec nous, mais il pouvait s'absenter pendant des semaines. Sans donner de raison. Il parlait peu. Il dormait le jour, et la nuit, il stagnait dans la cuisine devant une tasse de café et une pile de «rouleuses». C'est l'image la plus claire que j'ai de lui. Quand je me levais pour lire, il était là, immobile et silencieux. Rassurant, en un sens.» (p.17)
Une famille pas comme les autres, réduite à une mère besogneuse qui a sa vie, ses secrets et ses passions. Il y a bien la famille élargie, celle qu’elle voit peu et qui habite le pays mythique de Cacouna. Naturellement, l'écrivaine éventre des secrets, ouvre des armoires. C’est le propre et l’exigence du récit.
«Elle avait une voix de soprano léger, agréable mais sans puissance, au registre peu étendu, pas assez pour chanter la plupart des airs d'opéra, ce qu'elle regrettait au point d'en être mortifiée. Elle interprétait tout avec fougue et aimait le mode majeur et les accords vibrants. Elle jouait pour elle-même, par plaisir, pour se perdre. Immobile sur le divan, je laissais sa musique déferler sur moi et me pénétrer.» (p.21)

L'enfant

La petite fille devient adolescente et fouine du côté Pelletier de Cacouna que Jeanne décrit en dissimulant de grands pans de son histoire. Le grand-père Horace commerçait l'alcool et les oncles buvaient à en crever. Des hommes violents, têtus qui échappaient à toutes les règles. Le lecteur accompagne la fille dans sa quête de vérité et d’identité.
«Mais ce qu'elle m'a légué de plus fort, c'est le verbe. J'ai attrapé son amour des histoires. Enfant, j'ai vécu dans les siennes et elles ne m'ont jamais quittée. Je connais des tas de gens dont l'enfance est un trou noir ou une série de secrets non compensés par un roman familial consistant. J'ai pu m'arrimer à celui que ma mère m'a façonné car il était riche.» (p. 162)
Un récit émouvant qui nous décrit une femme qui a emprunté des sentiers peu connus et qui a marqué profondément l'écrivaine qu'est Francine Noël.
Peut-être aussi qu'à la lecture de «La femme de ma vie», on comprend pourquoi Mme Noël s'attache, dans ses romans, aux tribus. Peut-être qu'elle a inventé la famille qu'elle n'a jamais eue avec les mots. En tentant de cerner le visage de sa mère, ce sont de grands espaces de sa vie qu'elle esquisse.
Une narration d'une franchise remarquable, une écriture ajustée au quart de tour, un récit sobre qui donne un éclairage nouveau à une oeuvre romanesque imposante qui a secoué nombre de lecteurs au Québec.

«La femme de ma vie» de Francine Noël est paru aux Éditions Leméac.

mercredi 1 juin 2005

Nicole Houde réussit un roman éblouissant

Nicole Houde étourdit par la densité de l'oeuvre qu'elle échafaude, roman après roman, page après page. Son dernier opus, «La Fiancée de God», reprend le questionnement de Germaine Guèvremont, dans «Le Survenant» ou «La Héronnière» de Lise Tremblay.
Mais Nicole Houde pousse jusqu'à ce que tout explose dans un «Big Bang existentiel» qui fait jaillir un être nouveau ou le pulvérise.
«Moi aussi, je dérange, je suis la femme par qui le changement social arrive dans ce village bordé par la baie des Chaleurs.» (p.7)
Martine, volontaire de la Compagnie des jeunes canadiens, travaille à implanter un comptoir alimentaire dans un village d'Acadie. Elle vit avec Marc, son mari, sa soif incommensurable, ses angoisses et ses rêves de refaire le monde. Elle s'intègre peu ou pas à la vie du village. Peut-on percer un milieu tricoté par des alliances, des secrets inavouables, des parentés qui créent un tricot à peu près impossible à défaire. Martine boit, Martine a toujours soif, Martine se saoule devant la mer. Elle aime Paul Godin, père de quelques enfants. Un amour animal, tellurique comme un soulèvement d'être. «Je suis une bête m'enfonçant dans son ventre jusqu'à la fin des temps, c'est effrayant et magnifique quand le soleil se déchire encore une fois dans mon ventre de bête, d'ange obscur.» (p.24)
La trame des grands drames dont Nicole Houle a le secret est là.

Deux êtres

Martine porte ses morts. Sa soeur, tuée un matin d'été à cause d'un papillon et d'une voiture folle, son père et sa mère retrouvés dans des chambres anonymes. L'un mort d'avoir bu et l'autre d'un excès de médicaments. Des crevasses impossibles à colmater. Martine puise là son envie des changements, sa volonté de remodeler l’univers. Un combat contre ses démons et ceux du village.
«Un village, ça surveille votre vie, ça veut tellement votre bien que ça risque de vous tuer.» (p.14)
Nicole Houde hante les espaces du Bas-Saguenay, les pulsions incontrôlables, celles de «La Maison du Remous» ou d'une «Folie sans lendemain». Le passé blesse, casse les êtres ou les pousse dans les pires extravagances. Deux êtres qui se combattent et s'affrontent. Celui marqué par les stigmates de l'enfance, l'héritage familial et l'autre, le contemporain qui se noie dans ses errances.

Pierres précieuses

Un roman parsemé de diamants, d'opales, de tourmalines, de topazes et de pierres précieuses, d'éblouissements et de ravissements. Tout l'art de Nicole Houde est là. Cette façon d'effleurer le pire dans un style à nul autre comparable.
Les héros de Nicole Houde vivent dans l'angoisse de sombrer dans une «folie sans lendemain» d'où personne ne réchappe. Un roman souvent époustouflant et magnifique. Des pages comme des camées.
«La Fiancée de God» témoigne de la quête d'une écrivaine unique dans sa manière d'animer les choses et les êtres. Avec elle, le lecteur vit une expérience malgré la dureté des propos. On en réchappe ébranlé. Toujours! Les romans houdiens nous plonge dans un faisceau de pulsions, de désirs qui heurtent de plein fouet. Du grand art! Il serait peut-être temps de reconnaître en Nicole Houde, l'une des plus grandes du Québec.

«La Fiancée de God» de Nicole Houde, Éditions est publié aux Éditions de la Pleine lune.