Abandon
Je me suis senti négligé et j’ai dû inventer des liens, tresser des nœuds et reconstituer les drames. Parfois, un contact avec une personne un peu étrange, comme ce voisin qui achetait des livres et en arrachait toutes les pages, a retenu mon attention. L’homme reliait des feuilles blanches à l’intérieur des couvertures. Une entreprise folle, obsessionnelle. Enfin je me suis dit, il va surgir quelque chose d’original et nous allons sortir de la banalité. J’ai déchanté rapidement. LaRochelle est déjà loin.
Des occasions ratées, il y en a des dizaines dans ces récits. La mort a beau frapper sans prévenir, rien n’y fait. L’écrivain reste obstinément l’observateur qui ne se compromet jamais.«Quand je t’ai rencontré, je t’ai dit que je préférais le quart de nuit. Les souffrances endormies par les calmants, les confidences de la dernière nuit, qui ne sont adressées à personne. Puisqu’il n’y a ni parents ni amis. Pas de repas non plus. Je peux effectuer ma tournée sans être interrompue. J’aime le silence sur l’étage. La lumière tamisée. Et puis le matin, je quitte avant que les patients meurent.» (p.63)
«Je quitte avant que les patients ne meurent »… C’est bien là le problème de cet ouvrage et de cette écriture. Le narrateur n’est jamais présent ou agissant quand les vrais choses arrivent. Le lecteur est abandonné dans un monde anesthésié. Sommes-nous juste des corps qui se rencontrent, des désirs qui s’amenuisent et disparaissent? Sommes-nous condamnés au regret et à la nostalgie? Luc LaRochelle ne répond pas, on s’en doute.
La langue est efficace, sobre, bien contrôlée mais cette manière de faire défiler les hommes et les femmes a fini par m’engourdir. Si c’était là l’intention, l’auteur a parfaitement réussi.
«Amours et autres détours» de Luc LaRochelle est paru aux Éditions Triptyque.