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dimanche 5 mai 2013

André Girard et son exploration du Japon


Mon cher André

Nous nous connaissons depuis ton arrivée en littérature en 1991. Tu ouvrais une grande porte en remportant le prix Robert-Cliche du premier roman avec «Deux semaines en septembre». 
Un récit qui me ramenait au monde de La Baie que tu aimes tant, un univers que tu n’as jamais cessé de réinventer dans les ouvrages qui ont suivi. Tu retrouvais ton enfance pour mieux repartir peut-être, imaginer une intelligence du monde ou un ici qui serait aussi l’ailleurs.


Depuis, nous avons emprunté bien des chemins, reçu quelques taloches. Nous avons su continuer envers et contre tous. Je t’ai toujours considéré comme un ami que j’ai plaisir à rencontrer pour discuter de livres et secouer un peu le monde et ses dépendances; pour s’attarder à nos projets qui prennent des routes si différentes. Je n’ai jamais cessé de recommander «Zone portuaire» et «Chemin de traverse», ces romans où ton adhésion à des lieux géographiques donne naissance à des amours qui vont et viennent selon les marées de la baie des Ha! Ha!. Le lointain a toujours été là dans tes écrits, irrésistible comme le chant des sirènes ou de ces êtres qui peuplent les abysses du fjord. Une étonnante parenté avec Pierre Gobeil qui lui aussi, né dans le versant baieriverain de Chicoutimi, aime «les dessins et les cartes du territoire». Ce désir de voir de l’autre côté de l’horizon, vous le partagez.
Tu m’as abasourdi, tu le sais, avec «Port-Alfred Plaza». Je retrouvais l’André Girard que je connaissais et un étranger. J’ai eu du mal avec Johanna et Étienne. Je les trouvais inconsistants, au service de l’auteur qui les utilisait pour satisfaire certains fantasmes. Qui n’en a pas? J’ai les miens et tu as les tiens.
J’ai aimé «Moscou Cosmos» peut-être parce que j’ai toujours eu un faible pour les grands romanciers russes qui ont secoué mon adolescence. À dix-huit ans, je voulais apprendre la langue de Léon Tolstoï pour être écrivain. On ne pouvait être romancier qu’en étant citoyen de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Je le croyais fermement jusqu’à la lecture de Marie-Claire Blais et d’«Une saison dans la vie d’Emmanuel». Cette grande écrivaine m’a fait comprendre que le Québec était un tout dans le monde.

Et le Japon

Je termine «Tokyo Imperial» à bout de souffle. Tu annonces des rebondissements à Paris, à Prague et Istanbul peut-être. L’ailleurs toujours qui avale l’ailleurs.
J’avoue être revenu de ce séjour à Tokyo avec une pleine valise de questions. Où est passé le maître des atmosphères, celui qui savait si bien intégrer ses personnages à la géographie? Tu m’as étourdi avec la multiplication des stations de métro, les arrêts dans les parcs, les restaurants et encore les parcs. Tout y est trop beau, parfait, rassurant et idéal. Tant de regards sur les uniformes des filles, une jupe, des boutons de manchettes, un col de chemise, un soulier luisant, si peu de mots pour le travail de Johanna. Un monde vu, regardé plutôt qu’habité. Comme si tu sentais le besoin de répéter le nom des lieux pour ne pas sombrer; comme si tu t’aventurais sur une glace mince qui menace de céder sous ton poids.
Comment le couple improbable de Johanna et Étienne va-t-il survivre aux voyages que tu envisages? J’en suis à regretter le voyeurisme qui m’a agacé dans «Port-Alfred Plaza». Sartre et Simone de Beauvoir se profilent. Une comparaison audacieuse. Jean-Paul et Simone étaient soudés par une dialectique du monde qui leur permettait de demeurer ensemble en étant avec les autres. Étienne et Johanna éprouvent un plaisir certain à être là, devant un café, à pédaler et à prendre un verre. Il y a aussi certaines exultations du corps que l’on devine, mais si peu de phrases entre eux. Ils ne sont plus les personnages par qui tout arrive. Le narrateur a revendiqué toute la place. Je t’entends, je te vois, je reconnais tes expressions, tes sourires et tes enthousiasmes.
Ton couple s’étiole et la séparation est inévitable. La Johanna de «Tokyo Imperial» a plus la tête à Nao qu’à son amant de Port-Alfred. Lui, je ne sais trop. Peut-être au baseball. La nostalgie rode, signe de graves décisions à prendre et de grandes ruptures. Tout comme cette manière de Johanna de s’adresser à son père qui ne mène à rien.
Mon cher André, je suis peut-être nostalgique, un peu difficile, mais j’aimerais tant retrouver l’inventeur de climats qui m’a tant séduit dans tes romans antérieurs. Je crains que tu finisses par te perdre dans ces aventures hôtelières, que l’ailleurs étouffe l’ici et tes personnages, le magicien que tu es.
Ton frère en écriture.

«Tokyo Imperial» d’André Girard est paru chez Québec Amérique.

dimanche 24 octobre 2010

André Girard explore la belle ville de Moscou

André Girard aime les grandes villes, leur frénésie, l’architecture, les parcs, les musées et ces petits bistrots où la vie devient lente.
«Moscou Cosmos», le second volet de sa suite hôtelière, nous entraîne dans la Russie d’après la perestroïka. Le socialisme marque le paysage même si tous s’appliquent frénétiquement au capitalisme. L’aventure, nous nous en souvenons, a débuté avec «Port-Alfred Plaza». Le couple entraînera le lecteur à Tokyo et Istanbul jure l’auteur.
Étienne donne des cours de français et de culture québécoise à Moscou. Johanna de Port-Alfred étudie les sciences politiques, le droit et le commerce international à Nottingham. Elle participe avec ses collègues à un séminaire à Moscou en compagnie du professeur Chadwick, son mentor. Le couple s’est revu à Prague l’année précédente. Des heures sulfureuses. Ils se promettent tous les excès au grand hôtel Cosmos.

Séjour

Le séjour de Johanna prend une tournure inattendue. La délégation l’occupe et il y a toutes les obligations mondaines. Ils visitent les musées, s’attardent dans des galeries, des bistrots renommés, des restaurants et des sites historiques. Étienne se fait un guide attentif et le désir s’exprime par les regards, des frôlements et des murmures. Ils ne sont jamais seuls. Les conférences, les cocktails empêchent les amants de plonger dans la quintessence de la fête amoureuse. Les séances érotiques, la blouse d’étudiante que l’on découpe avec les gestes du chirurgien, il faut les oublier. Les fantasmes demeurent dans les valises.
Cette situation ne semble pas trop perturber Étienne. Son père, un professeur à la retraite, un marxiste qui a cru au grand soir vient de quitter Moscou. Pour le père et le fils, ce séjour a permis la rencontre. Pour la première fois ils se sont vus en complices et amis.
«C’est qu’au printemps, quand ça s’est concrétisé avec l’achat de son billet d’avion, j’ai pris conscience de l’énormité de la chose. Un beau projet quand on en parle comme ça, mais là, ça devenait réalité. Ce n’était pas la panique, mais j’éprouvais une certaine appréhension à l’idée qu’il allait venir nous encombrer en pleine chaleur du mois de juin. Je me demandais comment mes colocs allaient le prendre. Tu sais, quand mon père part dans ses grandes envolées, il n’est pas toujours reposant.» (p.35)
Étienne permet à Johanna de lire un compte-rendu de la visite de son père. Parce qu’il est l’auteur de «Port-Alfred Plaza» et de «Moscou Cosmos». Les personnages existent dans la vraie vie et dans le roman.

L’ailleurs

Le séjour du paternel a tout changé. Comme s’il fallait aller à l’étranger pour oublier les blocages et vivre la réconciliation. La libido, le désir et l’amour atteignent des sommets inégalés dans les villes lointaines. Il faut être ailleurs semble dire Girard pour dénouer ses problèmes existentiels. Le fils et le père se comprennent pour la première fois. Johanna et Étienne connaissent le meilleur de la passion dans ces rendez-vous. 
«Après avoir versé du rouge, je me suis mis à table : libres tous les deux, chacun ses projets, ne pas connaître l’avenir. Et puis, les études à l’étranger, c’est une belle invention, surtout quand les champs d’actions se situent aux antipodes. En fait, ai-je ajouté, nous avons conclu ce pacte pour garder le contact, et tu lui as précisé que loin d’être astreignant, c’était plutôt stimulant. Laisser venir les choses, s’ajuster en temps et lieu ; ne pas voir trop loin et vivre pleinement ce que nous avons à vivre.» (p.95)
Surtout que le père croise la belle Irina. C’est le coup de foudre. Ils se retrouveront à Paris. La vie est ailleurs. Le père met ses pas dans ceux du fils.

La ville

Moscou, la grande cité avec ses merveilles et ses laideurs, demeure le sujet de ce roman. Les visites de Johanna et du père ne sont qu’un prétexte pour discourir sur cette ville, ses attractions, effleurer une culture fascinante, ses splendeurs et son art de vivre.
André Girard sillonne cette agglomération avec un enthousiasme contagieux. Il donne envie de partir sac au dos. L’art et la littérature devenant le fil conducteur de ce parcours singulier.
Espérons que l’écrivain fera passer ses personnages par Montréal et Québec. Le voyage étant l’art de l’éphémère, ce serait là une belle occasion de donner de l’étoffe à cette Juliette et ce Roméo de notre époque.

« Moscou Cosmos » d’André Girard est publié aux Éditions Québec-Amérique. 
http://www.quebec-amerique.com/auteur-details.php?id=479

jeudi 17 mai 2007

«Port-Alfred Plaza» laisse un peu perplexe

André Girard est un ami, comme un frère. Nous partageons des moments où il a été question de livres, des bibliothèques ou de sensibilisation des publics à la lecture. J’aime cet écrivain, ne ratant jamais une chance de louanger «Zone portuaire» ou «Deux semaines en septembre». Des portraits inoubliables de La Baie, cette ville du bord du fjord qui s’ouvre telle une fenêtre sur le monde. André Girard connaît le grand souffle des marées, l’appel du lointain, l’arrivée des étrangers, les déchirements des départs. Ses tableaux impressionnistes sont toujours d’une remarquable justesse.
«Port-Alfred Plaza» vient de paraître. Un ouvrage que j’aurais voulu aimer par-dessus tout mais qui me laisse perplexe. Comment dire à un ami que l’on hésite devant son dernier-né.

Un peu d’histoire

Un groupe de l’Université Laval vient à La Baie pour trouver une nouvelle vocation au Musée du Fjord. On doit questionner des intervenants du milieu. Barham, celui qui doit faire le travail, enregistre à leur insu quatre personnages qui hantent la taverne de l’hôtel Port-Alfred. Pourquoi ce choix? Pourquoi ce détournement d’enquête… Où est l’intérêt? Étienne, le narrateur, s’explique, mais reste un peu flou.
«L’intérêt de la chose, c’est que Barham s’était appliqué à toujours enregistrer les mêmes clients, c’est-à-dire quatre habitués qui se retrouvaient jour après jour à la même table, quatre personnages attachants qui racontaient d’une certaine façon l’histoire de leur ville et dont l’authenticité avait fini par m’émouvoir. » (p.17)
Ces témoignages deviennent la pierre angulaire du roman. Lili, Jean-Claude et Monsieur Fernand ont du bagout et de l’élan. Elle rêve à son Miguel du Portugal et Jean-Claude aime raconter ses conquêtes, décrire les femmes qu’il lorgnait par les miroirs de son taxi et de l’autobus. Chacun y va de ses anecdotes et de ses fantasmes. Les «macalous», ces étrangers qui débarquent des bateaux, sont au cœur de ces enregistrements. Tous ont eu des contacts avec eux. Le barbier, le chauffeur de taxi et le travailleur du port, la prostituée pour des raisons particulières.
Il y a aussi Johanna, une invraisemblable femme de chambre, étudiante à l’Université du Québec à Chicoutimi, sujet d’un site porno et gérante de cette entreprise. Elle gagne bien sa vie à ce jeu, mais travaille aussi comme femme de chambre dans cet hôtel de passes. Pourquoi? Peut-être qu’elle est là pour nourrir les fantasmes d’Étienne, tourner certaines scènes et ramasser ses serviettes sales pendant son séjour à l’hôtel Plaza.

Uniforme

«Port Alfred Plaza» est de l’ordre du fantasme. Une obsession des vêtements que l’on taillade et déchire. Le lecteur rôde à la limite de l’agression. Tous sont emportés par un désir de transgression et de détruire un uniforme qui représente l’ordre et un conformisme social.
«J’avoue que j’ai pris un plaisir pervers à bien te serrer les poignets alors qu’elle s’appliquait à insérer dans le cadre les manches bleues de ma propre chemise. Clin d’œil au drapeau tricolore, disait-elle. Une fois tes poignets attachés, dressé derrière toi, je me suis amusé à t’effilocher la manche droite à petits coups d’Exacto. Après coup, j’ai à peine hésité avant de relever tes cheveux pour t’empoigner le chemisier. Ici, nuque dégagée, pointe de l’Exacto à la racine des cheveux, la lame effleure ton col. Parfait, répétait Julie, c’est parfait. » (p.141)
Tout au long de la lecture, on se demande où André Girard nous mène dans cette aventure où il masque l’exploitation de la sexualité et la pornographie.

Le vrai roman

Le plus beau du roman d’André Girard, le plus senti, nous ramène dans la zone portuaire qu’il sait si bien décrire et rendre vivante. C’est ce qui m’a retenu dans cette lecture.
«Non seulement ça fait réfléchir sur l’art, mais surtout sur soi-même, sur le mensonge, sa propre vie, sur plein de petites choses qu’on n’ose jamais dire. Peut-être que moi, dans la vingtaine, j’écrivais pour dissimuler, pour me cacher, peut-être que je n’avais rien à révéler. Peut-être aussi que je n’avais pas envie de les révéler, mes penchants.» (p.168)
Une «révélation» qui donne souvent l’impression de regarder par le trou de la serrure. En plus, André Girard promet d’autres histoires de chambres à Moscou et au Japon. J’usqu’où le pousseront «ces penchants» et cette fascination pour la pornographie et le voyeurisme…

«Port-Alfred Plaza» d’André Girard est paru chez Québec-Amérique.