Il Y A UN JARDIN que l’on
entretient méticuleusement à l’avant de la maison et qui donne sur la rue. Tout
y est rangé, taillé, et étrangement, on ne s’y attarde guère. Nous préférons
l’arrière-cour, le lieu fermé par des haies et des arbres, un espace
avec patio et fleurs qui croissent un peu comme elles le veulent. Un coin à
l’abri des regards, des agitations, pour se retrouver et s’entendre penser. Les
tourterelles, qui ne connaissent pas les frontières, les mésanges, le grand pic
dans sa toge noire, l’écureuil, une chatte avec ses petits viennent, parfois, vous
surprendre. Il en est de même de sa vie publique, devant le regard des autres et de
ses moments à l’abri des indiscrets. Reine-Aimée Côté nous convie dans son
monde secret dans Eux, ces instants
d’arrière-cour où elle savoure un café, se penche sur un livre, un projet d’écriture,
caresse quelques mots, surveille les fleurs qui penchent, les chamailles des oiseaux
et les frissons dans les feuilles.
Reine-Aimée Côté
publie chez Lévesque éditeur, dans la collection Carnets d’écrivains dirigée par Robert Lalonde où il est possible
d’explorer les sentiers peu fréquentés de l’écriture. Le texte est bref, souvent,
comme des éclats, des sourires entre deux gestes. Cette écriture demande ça. Une
belle façon de devenir témoin de sa vie, de ses lectures, de sa famille, de
secouer les grandes questions qui font que pas une journée ne passe sans un
livre, quelques mots sur une page ou encore un personnage qui s’éloigne à
grandes enjambées et que vous avez du mal à suivre. Autant le laisser aller ce
grand escogriffe, vous le savez, il revient toujours.
Pour se reposer de
ces agitations, il y a le carnet qui s’apprivoise dans le silence, avec le
frottement de la pointe d’un stylo sur le papier pour surprendre les bruits des mots. C’est du moins ma manière,
quand j’oublie mes personnages et que je m’installe sous un grand pin, surtout
maintenant que l’été met ses doigts partout. L’ordinateur, le clavier, c’est pour
plus tard, plus loin, quand les fragments jetés là comme des graines aux
oiseaux germent.
Les autres ne
savent rien de notre intimité, des jonquilles de notre jardin et de l’effet des
rencontres sur le moral. Peut-être que ce ne sont que des mots, et les mots des
signes sur les pages. Parfois il vaut mieux de ne pas savoir ce que c’est cette
mémoire dont on n’arrive plus à se distancier. Ce flou, ce tendre flou. (p.12)
Reine-Aimée Côté fréquente
le doute, l’incertitude, les questions qui restent des questions, les
recommencements qui ne cessent de la hanter comme les vagues qui se font et se
défont tout près dans la Grande Décharge. Les tâtonnements, les arrêts entre
deux respirations qui bousculent encore et encore. Voilà la condition de
l’écrivain, du souffleur de mots
comme je disais dans un autre carnet.
ATELIER
Pour partager ses
hésitations et ses projets, il y a Le
Camp littéraire Félix, l’atelier de Robert Lalonde en particulier consacré
au carnet. Une belle façon de prendre congé de l’écriture tout en la scrutant
sous tous les angles. Je l’ai vécu à deux reprises pour arriver à exorciser L’enfant qui ne voulait pas dormir. Des
moments comme des gouttes de pluie sur une fleur de pivoine.
Reine-Aimée Côté
s’est retrouvée pour quelques jours à Saint-Jean-Port-Joli avec d’autres qui
cherchaient la route à emprunter, qui voulaient réfléchir à l’art de
l’écriture, cette manie qui ne nous laisse jamais en paix. Robert Lalonde était
là avec ses phrases qui ne rassurent jamais, ses doutes qui sont aussi forts
que les vôtres, ses certitudes aussi fragiles qu’un matin en arrêt sur le
fleuve.
Et il y a l’éclaircie
entre les branches et on avance sur la pointe des pieds, avec ses mots au creux
de la main, au milieu des parfums du lilas, attiré par le chant d’un
chardonneret qui s’amuse à vous dérouter. Vous êtes à Saint-Jean-Port-Joli,
face aux montagnes de Charlevoix de l’autre côté du fleuve et aussi dans votre
jardin d’arrière-cour. Les phrases se moquent des frontières, du temps et des
saisons.
Le vent
s’engouffre sur mon coin de galerie surplombant le jardin. Comme Colette
écrivant sur sa terrasse, j’écris le jardin, je le nomme comme je peux. Le
soleil s’est tant pressé qu’il jette devant moi les mousses des pissenlits
s’essoufflant à tout jamais au bord des pages de La vie littéraire, imbibant le café, effleurant Les chevaux écumants du passé. « Un sens
commun émerge en silence. » (Christiane Singer) Et la clôture craque sous le
poids de l’escabeau. (p.34)
Le carnet accompagne
le bruissement des feuilles dans la cime des érables, les soirs paisibles avec
les musiques de Debussy dont je ne me lasse jamais.
Reine-Aimé Côté s’attarde
à ses lectures, aux bibelots rapportés de ses voyages, de ses oiseaux, parce
qu’ils deviennent les vôtres quand ils se posent sur une branche de la plus
grosse épinette, aux étudiants qu’elle a accompagnés dans leur fragilité, leurs
hésitations, leurs révoltes face à une vie qui les effarouche, des amours qui
n’osent pas se vivre. Elle les invite à la parole avec les livres qui la
suivent partout. Elle devient la professeure aux romans. Ce peut être Vieux chagrin de Jacques Poulin ou un poème
de Rimbaud. Et elle lit, fait vibrer le texte devant ces jeunes âmes qui ne demandent que ça. Parce que Reine-Aimée Côté est
une bonne lectrice qui sait porter un texte, le pousser dans toutes ses
dimensions. La voix, cette vibration de l’air les enveloppe et ils connaissent
un vrai moment de vie, de ceux que l’on n’oublie pas.
Je ne peux que
penser à ces après-midi à la petite école quand nous avions droit à une
lecture. À tour de rôle, nous devenions la voix d’une foule de personnages qui
parcouraient l’Amérique dans un livre que plus personne ne lit maintenant. Ce
gros roman m’a fait rêver de voyages et d’aventures, m’a poussé tout doucement
vers d’autres histoires et surtout, fait prendre un crayon de plomb bien
aiguisé pour tenter d’inventer mes mondes. Qui connaît Une de perdue, deux de trouvées de Georges Boucher de Boucherville
maintenant ? Ce livre a été mon éveil à la littérature.
ATTENTION
Reine-Aimée Côté a
réalisé cette magie maintes fois dans sa vie d’enseignante. Elle est allée
chercher l’attention de ces jeunes qui se débattent devant un monde qui n’a pas
beaucoup de certitudes à leur livrer. Heureusement, il y a le texte d’un
écrivain qui vous souffle dans le cou et devient l’ami que vous ne pouvez plus
quitter, plus vivant peut-être que les êtres avec qui vous partagez votre
quotidien.
Expliquer le
parallèle entre la vie et l’art, comprendre ce que ça veut dire s’aliéner de
soi. Dorian Gray s’égare dans l’art et la beauté, confond l’empreinte de l’art
et la vie surnaturelle. Dans le livre, le visage sur le tableau conserve une
âme. Il vieillit tandis que son maître demeure toujours aussi jeune. Illusion,
comme toute perception est illusion. Il meurt. Tout s’inverse. La folle
jeunesse posée sur la toile. On le retrouve vieux et décharné dans la chambre
interdite aux regards. Seize ans, l’âge de mes élèves. L’âge où on ne sait pas
où ira la vie. (p.75-76)
La voix de madame
Côté m’a calmé, apaisé ou encore m’a laissé avec une question. Souvent, j’ai eu
la certitude d’avoir une complice qui partageait mes silences, effleurait ces
grandes désespérances qui vous poussent vers l’écriture d’un roman ou un poème,
un fragment qui colle à un autre fragment.
Ces instants
précieux, pleins des ronronnements d’un chat, ronds comme l’œil de la
tourterelle qui sait toute la douleur du monde, comme la feuille du bouleau qui
tourne au jaune dans l’escalade du midi. Des instants que l’on garde dans ces
petites boîtes laquées où attendent les
bijoux sonores.
Vous n’êtes plus
dans l’action ou dans la gestuelle d’un personnage, mais avec une écrivaine, à
la même petite table, dans un jardin ivre de verdure ou encore tout près d’une
fenêtre dans les froidures aveuglantes de janvier.
Les heures
volées, jetées sans y faire attention. Ravissement, agacement aussi devant l’arrière-cour.
Livres, pêle-mêle. Déchirure, comme une longue ligne boueuse. Je bois l’étrange
et la brièveté des choses. Comme si le cœur ne vivait pas au même rythme que le
corps. Poussières d’étoiles. Le lever du soleil se résume en mots de plus en
plus courts. (p.118)
Les mots viennent
avec la gorgée de café, un sourire, une confidence, la dure tâche de se dire dans
le plus intime, le plus personnel et le plus secret. Tout ce que l’on n’ose
jamais confier aux autres fait surface dans le carnet d’un écrivain. C’est
pourquoi ces petits livres sont si précieux. Un bonheur de lecture, de vie, de
moments inoubliables que Reine-Aimée Côté partage avec une générosité rare. Un
carnet d’accompagnement que vous ne voulez plus quitter.
EUX, CES INSTANTS D’ARRIÈRE-COUR de
Reine-Aimée Côté est paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR, 128 pages, 16,00 $.
PROCHAINE CHRONIQUE : LE HASARD DES RENCONTRES
de DONALD ALARIE publié
à LA PLEINE LUNE.