samedi 30 décembre 2017

DANIEL LEBLANC-POIRIER FRAPPE FORT


DANIEL LEBLANC-POIRIER étonne avec Nouveau système, un roman qui m’a laissé perplexe, m'a fait perdre mes repères dans une aventure d’écriture qui se risque en terrain peu connu. Le titre laisse songeur et l’explication que l’écrivain offre dans ce qui peut être une préface intrigue. Il parle de l’intrication, une théorie de la physique. « Dans un système intriqué, écrit-il, tout se passe comme si une action X effectuée sur un corps avait un effet absolument instantané sur l’autre, même s’ils sont séparés par de grandes distances. » Peut-être en est-il ainsi des humains ? « Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez », disait Jésus le Nazaréen. Et je pense à ce papillon aux ailes si puissantes... « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » a répété Edward Norton Lorenz. Et qu’arrive-t-il aux autres planètes avec tout ce que nous faisons subir à la Terre ?

Kikou est foudroyée par un cancer. De quoi secouer n’importe qui. Ceux, dans la vraie vie, qui ont vécu une telle situation en sortent brisés, comme s’ils avaient échappé à la noyade, comme si le combat perdu de son amoureux ou de son amoureuse était le sien et que la vie vous laissait au bord du précipice. Personne n’arrive à se défiler devant ces moments intenses où l’on voit quelqu’un qui a partagé votre existence mourir.
Le narrateur est ravagé par la maladie de son amie. Il vit une thérapie, allume des incendies pour se calmer, n’arrive plus à s’éloigner de cette chambre d’hôpital où l’univers s’est recroquevillé.
Les trois étaient des inséparables. Kikou se prostituait et Néné faisait de l’argent avec des téléphones érotiques. Lui se contentait de signer son chèque du bien-être social. Un trio qui s’aventurait dans tous les excès, se permettait toutes les drogues. L’impression souvent que les personnages plongeaient dans un trou noir qui broie l’être. Un roman où je me suis avancé sur la pointe des pieds, comme si je craignais de mettre la main sur une seringue souillée.
Ce que l’un vit, l’autre le ressent dans tout son être. La jeune femme est à l’hôpital et les deux autres restent là avec leur impuissance et leurs larmes. Que faire devant un être que nous aimons et qui navigue dans ses derniers jours ? Ces heures vous déchirent le cœur et l’âme, vous coupent le souffle. Je pense à Claude Le Bouthillier quelques jours avant sa mort. Il était si lucide, si beau de courage et de sérénité. Il parlait de ses textes comme si c’était l’essentiel, la substantique moelle de sa vie. Il mettait toutes ses énergies à terminer son livre. La mort lui soufflait dans le cou et il l’éloignait comme un moustique un peu trop insistant. Il avait dit avec un sourire : « Je ne m’acharnerai pas. J’ai eu une belle vie. »

MOMENTS

Kikou gît sur son lit d’hôpital avec ses verres fumés en forme de cœur et c’est comme si elle était sur une grande lagune de sable pour s’étirer dans la chaleur du jour.

Dans la chambre d’hôpital, il faisait noir. Il était primordial de tenir les stores fermés. C’est elle qui voulait ça. Je m’en rappelle clairement. On passait la journée coupés de l’extérieur. Elle fumait en dedans. On entendait le crépitement de sa cigarette qui se mélangeait au va-et-vient des infirmières. J’ai déposé mes lèvres sur son front. En sentant l’odeur de sa peau, de grosses larmes ont coulé. Elles se sont échouées dans ses yeux et ça l’a fait rire. Elle a dit « don’t cry », mais devant la beauté du moment, du fait que je versais des larmes directement dans ses yeux, on a ri, comme on n’avait jamais ri auparavant. (p.63)

Le narrateur nous raconte leur histoire par des bonds en arrière. La première rencontre, l’éblouissement au magasin devant la caisse, l’osmose amoureuse, les drogues, les plongées dans une réalité qu’il est difficile de décrire. L’impression que les trois fuyaient leur corps pour planer dans le cosmos. Je ne sais pourquoi, mais j’ai pensé à une sorte de poussée dans la galaxie où les lois de la pesanteur et de la gravité perdent leurs effets. Difficile d’exprimer ce que j’ai ressenti devant ces textes d’une beauté attachante.

Je suis simplement resté là, debout, à ne pas bouger, comme un pieu. J’avais l’air d’une statue, moi aussi. Du moins, je jouais à ça. Je suis resté figé presque une heure. Des piétons distraits venaient se cogner contre moi et je ne réagissais pas. Je n’avais pas l’impression d’être sur le speed. C’était le reste du monde qui bougeait moins vite. J’avais dopé le temps. Il s’était contracté. (p.33)

Tout ce qui tenait le triangle se défait. Chacun doit se refaire une solitude, s’ajuster dans son corps et sa nouvelle dimension.

COMPLICITÉ

Ils s’aimaient, se faisaient mal, se détruisaient et se retrouvaient pour respirer, collés l’un à l’autre, devant la télévision.
Souvent, j’ai eu l’impression de m’aventurer dans les espaces des premiers romans de Réjean Ducharme. Un Mille Milles trash, drogué, fou de tous les excès avec la coke et l’ecstasy ; de surprendre des anges qui pataugent dans la boue et la saleté, mais que rien ne peut toucher. Kikou est de la race des personnages de Boris Vian dans L’écume des jours. Chloé meurt d’un cancer, mais une fleur prend racine dans sa poitrine.

Le prochain show, c’était la mort. La muerte. Mais quand elle s’est éteinte pour de bon, un samedi matin, on a réalisé que le show était fini. Le soleil se levait entre les buildings comme un ouvrier qui rentrait au boulot. La lumière de l’aube prenait une teinte orange et, dans son omnipotence, j’ai étiré mes bras et j’ai dit « c’est le crépuscule du Titanic ». La mort de Kikou, c’était le vrai crépuscule, la dernière étape d’un naufrage. Les larmes qui roulaient sur mes joues s’imbibaient de la lumière du matin. Elles devenaient des petites gouttes d’orangeade qui venaient s’échouer sur mes jeans. (p.58)

La mort n’est pas décrite dans l’implosion du corps comme Karoline Georges le fait d’une façon si bouleversante dans son roman De synthèse. Nous sommes dans une dimension poétique, devant un corps qui flotte dans la douleur avant de s’évaporer. Pas de résistance frénétique, mais la douleur, la terrible douleur de la perte, de laisser une partie de soi dans le jour qui continue de prendre ses aises comme si de rien n’était.

ÉCRITURE

J’ai aimé cette façon de secouer la réalité et de la dire autrement. Comme s’il y avait des fissures au coin des rues par où il est possible de se faufiler dans une autre dimension. Une manière d’écrire pas tellement familière pour dire des choses essentielles, des états d’être et d’âme. Une poésie rugueuse qui tombe juste, qui ne force jamais et qui résonne profondément en vous. Comme cet accord de piano qui se prolonge longtemps longtemps et qui vous touche en pleine poitrine pour s’installer à l’intérieur de vous. Des paumés, des drogués, mais des personnages qui vivent au-delà de tous les tabous et qui s’imposent dans leur mal d’être.
Peut-être que nous aimons croire qu’il est possible d’échapper aux recommencements, d’être le vivant qui fait tout à sa manière et qui peut tenir tête à Dieu et au Diable ; peut-être aussi que nous ne pouvons nous passer des autres et de leur présence. Un court roman poignant. Une voix, une musique rugueuse qui vibre longtemps en vous.


NOUVEAU SYSTÈME de DANIEL LEBLANC POIRIER, une publication des ÉDITIONS HAMAC.

 
http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/nouveau-systeme-831.html

jeudi 28 décembre 2017

MORISSET ET MALENFANT SE LIVRENT


MICHELINE MORISSET ET PAUL CHANEL MALENFANT ont correspondu de 2013 à 2017. Pour le plaisir d’écrire certainement parce que les deux habitent un même coin de pays dans le secteur de Rimouski. Il aurait été facile pour eux de se rencontrer pour de vrai. Mais s’asseoir autour d’une table, pour le temps d’un café, ne permet pas le même contact. Dans une lettre, on prend la peine de se situer dans le temps, de tenter de faire l’inventaire de son être. Le courriel et Facebook ont changé nos habitudes. Il est désormais plus facile d'être en contact avec la tribu de ses amis. Mais pour arriver à une publication, les partenaires doivent aller au-delà de la pluie et du beau temps. Il faut une formidable générosité et surtout une totale franchise.



Les échanges épistolaires m’ont permis de lire de véritables bijoux. Des trésors d’humanité, de partage et de sincérité. Je pense à Geneviève Amyot et Jean Désy qui ont correspondu une dizaine d’années, se disant tout de leurs angoisses, leurs peurs, leurs maladies, leurs découragements et leurs enthousiasmes. Ils se livrent totalement dans Que vous ai-je raconté ? Des cris d’existence, le chant de deux êtres. Magnifique et poignant.
Je pense aussi à Marcelle Ferron, à ses sœurs et ses frères. Le droit d’être rebelle nous entraîne dans l’intimité d’une famille qui a marqué le Québec avec Jacques, Madeleine et Marcelle l’artiste, la peintre et la sculpteure. Toute une époque et une démarche de créateur dans ses espoirs, ses découragements, ses enthousiasmes, son exil, ses misères financières et amoureuses. Absolument fascinant.
Pourtant, les lettres de Gabrielle Roy à son mari sont d’une grisaille à donner le cafard. Surtout que cette correspondance est à sens unique. Nous n’avons que les lettres de madame Roy et pas celles de son mari Marcel Carbotte, si elles existent. Mon cher grand fou… est le seul livre de Gabrielle Roy qui m’a déçu pour ne pas dire autre chose. Je me demande comment j’ai fait pour aller au bout de ces 700 pages.

TITRE

Le bleu ne fait pas de bruit de Morisset et Malenfant. Quel beau titre ! Un emprunt au poète Jean-Michel Maulpoix. Micheline Morisset a l’art de nous secouer avec des titres un peu étrange et singulier qui sont un poème en soi. La musique exactement ou Ce visage où habiter. Que dire de Le cœur, c’est fatal. Paul Chanel Malenfant est un peu plus abstrait dans cet art. Toujours jamais ou Le verbe être n’ont rien pour m'enthousiasmer.
Les deux se lancent dans cette aventure en mars 2013 sans trop savoir où les mots vont les entraîner. Entreprendre une correspondance, c’est comme lancer une bouteille à la mer. Micheline Morisset le précise dans une courte préface.

J’ignorais à l’époque que cette correspondance serait publiée, que je me lèverais à la sauvette le matin, pour poursuivre la conversation laissée en friche la veille et qui, au lever du jour, traînait au bord de ma pensée et me sortait de l’isolement. Je ne savais pas encore à quel point j’aimerais lancer à la mer, dans le calme lumineux, ces instants de papier. C’est si facile maintenant d’expédier une lettre par courriel. On suppose qu’elle ne peut pas prendre l’eau. Et pourtant…

Quatre ans à s’écrire des textes où l’on saute sans parachute, où l’on a le temps de ressentir toutes les émotions du dur métier de vivre. Le bonheur aussi, le plaisir des saisons, les publications et aussi la douleur de perdre un compagnon dans le cas de Paul Chanel Malenfant, la maladie du côté de Micheline Morisset. Assez pour qu’ils se livrent sans masques et maquillages.
L’écriture toujours là, obsédante, imposante qui happe Micheline jour après jour, la fait se réfugier dans son bureau comme une migrante qui n’ose plus mettre le nez dehors, affronter un monde improbable ou encore la passion de Paul Chanel pour les maisons, les jardins, les fleurs et les coins chaleureux où l’on sent une présence, une attente je dirais pour la réflexion et la lecture. Ces lieux où l’on peut respirer en savourant son café, se pencher vers les objets qui habitent le silence, se sentir tout là dans son corps et sa tête.

QUÊTE

Les deux tentent de comprendre pourquoi ils sont ce qu’ils sont, d’habiter l’espace, de surprendre son interlocuteur pour mieux se trouver peut-être. Poser une question, c’est souvent la diriger vers soi. Pourquoi cette fascination pour la littérature, cette entreprise où le monde ne prend consistance que quand il peut se transformer en mots.
Le retour à l’enfance est inévitable. Les écrivains ne se lassent jamais de parcourir cette distance entre le soi de l’enfant et le monde adulte où ils ont souvent l’impression de perdre pied ou d’être des désadaptés.

Les mots se hissent en moi avec leurs visions de l’amour et ses fatalités. Le courant surgit d’une ancienne terreur que mes ancêtres n’ont pas su celer dans l’éternité. Miettes d’être. Les hommes font des faux pas et ils en meurent. (p.65)

Et Paul Chanel de répondre.

J’ai été un écrivant, un enfant scribe, un artisan de la lettre, de l’alphabet, du dictionnaire Larousse qui « sème à tout vent », et je ne m’en remets pas. (p.82)

Les deux jonglent avec des questions qu’ils n’osent pas formuler peut-être devant leurs proches. Cette manie, cette maladie de vouloir tout changer en mots, de voir le monde dans une phrase ou un paragraphe. Cette obsession qui me hante et qui me fait me lever avant l’aurore pour m’enfermer dans mon Pavillon, pour secouer un texte pendant des mois et des années, m’allonger sur une phrase comme je le fais sur le lac gelé sans trop savoir si la glace est assez solide pour porter mon poids. Parce que l’écriture est toujours un risque, un défi à la vie, la folle entreprise de se tourner vers soi et les autres. Une sorte de justification, parce qu’en écrivant, on éprouve toujours une certaine culpabilité. L’impression de voler du temps à ses proches et ses amis. Pourquoi se retirer du monde, de toute l’agitation qui fait courir toute une société autour de soi ? Pourquoi ce désir de silence qui vous happe et menace de vous anéantir ?

Je n’ai pas l’art des carnets. Je n’ai jamais tenu de journal intime ; ne m’en sentais pas le droit. J’estimais que de telles confidences m’auraient mise en danger. La totale impuissance de l’enfance… J’ai noirci un seul journal, ligné, des années plus tard, à l’hôpital, sous le regard puissant d’une médecin-accoucheuse, après l’enfilade de jours catatoniques où je n’avais pas su échapper au non-sens. (p.98)

QUESTIONS

Les deux lisent beaucoup, s’accrochent à des extraits qu’un écrivain a glissés dans un texte. Ces phrases qui vous arrêtent parce qu’elles sont une partie de votre pensée. Quelques mots qui figent le temps, vibrent en vous dans un éclat de conscience.
J’imaginais, madame Micheline, dans l’ombre de son bureau, devant son ordinateur, à l’abri de toutes les extravagances de l’été, de ses géraniums qui dépérissent si rapidement, cette vie qui s’éloigne, qui va, qui éblouit et qui peut aussi être un jour d’automne quand le gel mord partout. Ou la magie aveuglante de la neige par les jours sonores de janvier.
Les deux vivent par et dans un texte. Celui que l’on pousse un peu plus loin chaque jour et les livres des autres qui viennent vous secouer comme les vagues du grand fleuve auprès duquel Micheline Morisset vit sans prendre souvent le temps de le voir marquer les jours à sa manière.
Paul Chanel Malenfant aime aller à l’étranger, devient frénétique dans la ville folle qu’est New York ou encore s’enthousiasme devant une exposition. L’art pour oublier la mort tout autour. Comment fermer les yeux devant la mort qui frappe au coeur des foules ?
La perte d’une grande amie, d’un père, la vie qui flanche à gauche et à droite. Le compagnon de vie qui écoute l’écrivain dans ses questionnements et ses frayeurs, la maladie qui vous fait vous recroqueviller sur vous.

Les mots trompent le réel. Ils font semblant de se prendre pour les choses, de décalquer nos faits et gestes, d’aborder notre âme comme s’ils la connaissaient par cœur. Les mots trompent l’œil. Ils jouent, sur une scène de carton-pâte - la feuille de papier vierge ou l’écran lumineux de l’ordinateur -, le drame ou la comédie de nos vies. (p.151)

Des témoignages bouleversants. Parce que nous sommes dans l’être, dans la pulsation qui fait que nous respirons, que nous pouvons aimer, le regard d’un oiseau qui s’envole sur la galerie, le vent qui brasse les feuilles. Une quête où les écrivains cherchent le pourquoi des choses, le comment de la vie sans jamais trouver de réponses.
J’ai aimé la terrible franchise de Micheline Morisset et Paul Chanel Malenfant, certaines réponses, certains cris de l’être et leurs glissades d’âme qui font que la vie est parfois si difficile et d’autres fois, un moment de grâce où nous avons l’impression de prendre l’éternité à bras-le-corps.


LE BLEU NE FAIT PAS DE BRUIT de MICHELINE MORISSET ET PAUL CHANEL MALENFANT, une publication des ÉDITIONS D’ART LE SABORD.

 
http://www.lesabord.qc.ca/

mardi 26 décembre 2017

FRANCE BOISVERT ET SES PROMESSES

FRANCE BOISVERT nous invite dans une classe avec de vrais étudiants dans Professeur de paragraphe. Un groupe où l’on étudie le français, la littérature comme on le fait partout au Québec dans les cégeps ou les universités. Maurice enseigne depuis un certain temps, trop peut-être. Voilà un résistant qui a vécu toutes les réformes du ministère de l’Éducation, la mutation des étudiants et des étudiantes au cours des années. France Boisvert connaît bien ce sujet puisqu’elle enseigne le français et la littérature depuis trente ans. Voilà l’occasion de nous faire vivre les difficultés qu’un missionnaire de la littérature rencontre au jour le jour quand il tente de susciter la curiosité des jeunes envers certains grands prosateurs de la langue française.

D’habitude, je ne m’attarde pas aux livres qui me déçoivent. Autrement dit, au lieu de dénigrer le travail d’un écrivain, je préfère passer à un autre livre. C’est pourquoi sur mon blogue, vous ne trouverez pas souvent de chroniques négatives, du moins dans ma période récente. Certains disent que je fais des chroniques de complaisance, que je suis un gentil chroniqueur qui flatte les écrivains dans le sens du poil. Un premier regard sur mes textes peut donner cette impression.
Il se publie des centaines de romans, d’essais et de recueils de nouvelles au Québec chaque année. Alors si un titre n’apparaît pas dans mes chroniques, vous pouvez vous demander si j’ai eu le temps de le lire, ou si cet ouvrage n’a pas réussi à me convaincre. Je ne parle jamais non plus des publications à compte d’auteur.
Il y eut une époque où j’avais la détente rapide et me permettais de véritables incursions dans les nouveautés, sabre à la main. Pour les curieux, allez fouiner dans les archives de mon blogue.

RETOUR

Vous le savez, je suis également écrivain. Et j’ai goûté à la médecine de certains critiques au cours des années. Réginald Martel a été particulièrement cinglant, me réduisant en charpie à plusieurs occasions. Le critique de La Presse m’a laissé sur le carreau, surtout après la parution de mon roman Les Oiseaux de glace. Ça fait mal à l’être et je peux dire que la blessure ne cicatrise pas vraiment. Alors, cela m’incite à la prudence et je connais les conséquences d’un texte dévastateur.
Je tente plutôt d’établir un dialogue avec un écrivain, souvent quelqu’un que j’ai rencontré, que j’aime bien et que je croise dans les salons du livre. Parce que je suis toujours là quand l’occasion se présente de rencontrer des écrivains et de dénicher de nouveaux auteurs. Certains tournent le dos quand ils me voient. D’autres me tiennent responsable d’avoir saboté leur carrière d’écrivain. Je me suis toujours dit que je devais pouvoir prendre un café avec l’auteur que je venais de malmener dans un journal ou une revue. Je ne suis pas l’ennemi des écrivains. Je les accompagne depuis si longtemps.

APPROCHE

Je considère maintenant que mes chroniques font partie de ma démarche littéraire. Elles sont aussi importantes que mes œuvres de fictions ou mes carnets. C’est une manière de parler de soi et des autres, de tenter de cerner le grand mystère de la fiction et de la littérature. Ce plaisir que l’on éprouve ou pas devant un texte, une histoire, une écriture.
Je n’ai pas de grilles d’analyse, de moule pour dire si un livre est réussi ou pas. Quelqu’un qui se risque dans la critique ou la chronique y arrive avec ses préjugés, ses préférences, ses limites et ses goûts. Tout comme l’écrivain a ses lectures, ses auteurs favoris et un genre où il se sent à l’aise. Un écrivain et un chroniqueur sont des frères siamois.
Je cherche en tant que lecteur à faire un bout de chemin avec un auteur. Il faut que ça clique, que le courant passe, que nous allions quelque part. La magie doit s’installer, que j’adhère à sa démarche. Enfin, il doit y avoir aussi une écriture, un style, ce que j’appelle une musique. Il faut une empreinte. Malheureusement, il arrive que ça ne marche pas, ça arrive même assez souvent.
Et je suis un lecteur qui peut se laisser convaincre facilement. J’oublie mes goûts, mes préférences naturelles pour accompagner un romancier ou une romancière avec le plus d’empathie possible. Je ne dois surtout pas chercher un autre livre dans celui que je lis. Lire le livre et seulement le livre que j’ai dans les mains. Et quand je deviens chroniqueur, je dois faire ressentir ce plaisir et raconter l’aventure que j’ai vécue.

PROFESSEUR

Et Professeur de paragraphe dans tout ça ? Habituellement, je ne me serais pas attardé à un roman comme celui de France Boisvert. Premier réflexe : je me tais. Et puis ce n’est pas si simple. Je suis déçu par ce roman et un peu fâché contre France Boisvert. L’enseignement de la littérature, des œuvres importantes a pris tellement de place dans ma vie. Comme si elle me touchait personnellement dans ce roman.
J’ai eu du mal avec ce ton, ce cynisme qui transpire dès les premières pages. Maurice ne croit qu’en la littérature française et celle des grands prosateurs russes. De quoi me faire grogner ! Les écrivains du Québec sont de pauvres asthmatiques même s’il semble en lire quelques-uns. Et pour lui, tous les étudiants sont des cancres et des ignares. La certitude que je partais en voyage avec un homme qui allait me tomber sur les nerfs pendant des jours.

À l’aube, les professeurs qui dispersaient le premier cours de la journée pouvaient entendre leurs sinistres croassements saluer leur arrivée. Tout au long de la journée, la bande d’oiseaux noirs surveillait les années et venues des gens pour s’envoler de leur perchoir et laisser planer leur ombre au-dessus des lieux, imperturbables aux diverses réformes prescrites par le ministère de l’Éducation qui s’enchaînaient les unes aux autres en un savant désordre. (p.13)

Ça donne le ton. Corneilles et étudiants et enseignants. L’impression d’être dans un collège des années 40. Malgré tout, il semble que quelques-uns aiment les cours de Maurice. Il se démène et donne tout comme un joueur de hockey à chacune de ses présences.

VIE

Et puis on bascule dans sa vie personnelle. Sa vie de couple qui chambranle. Sa Janou rédige un dictionnaire de la nouvelle orthographe française. On n’en apprendra pas beaucoup sur le sujet.

Inutile de préciser que mon mariage m’enrage et bat de l’aile. Janou et moi, nous nous sommes installés dans les us et coutumes de l’encroûtement qui conforte, l’aveuglement volontaire, le déni des petits défauts qu’on ne voit plus, l’automatisme des enchaînements produisant le montage d’une relation indolore, inodore et sans saveur assurant la durée. (p.45)

Maurice se retrouve avec une syphilis en plus. Où a-t-il pu attraper ça ? Peut-être dans ses lectures. Notre professeur doit se débattre aussi avec une accusation d’agression sexuelle. Une étudiante, dont il ne se souvient plus, et le voilà forcé d’aller en thérapie sinon il risque l’expulsion du collège.
Là, nous sommes loin de la classe, des étudiants et de l’enseignement. Dans un éclair de lucidité, il se questionne sur son travail et peut-être sa manière de faire. Est-ce mission impossible que d’enseigner la littérature et le français dans le Québec de maintenant ?

Enseigner le français s’avère une mission impossible, l’occasion d’un voyage au bout de la nuit où j’emprunte chaque jour le pont des soupirs pour déboucher sur un pays qui n’existe pas. Reste l’utopie. Si la nouvelle orthographe avait permis aux jeunes de mieux maîtriser la langue française, ça se saurait. J’examine mon stylo devenu exsangue parce que je l’ai dévidé de sa sève carmina buriné, vermeille merveille, tout ce rouge sur du noir n’a rien à voir avec le sang bleu et sa particule, ô moi qui ne suis que pure roture… (p.84)

France Boisvert touche un sujet qui mérite mieux que le cynisme qui corrode la société du Québec depuis trop longtemps et surtout pas ces jeux de mots qui ne font jamais sourire. L’occasion était tellement belle. Il y a de si belles initiatives dans les collèges. Le Prix des collégiens par exemple… Et, je me suis souvenu de ce répétait Gaston Miron : « Dans un poème, il faut n’y trouver qu’un seul poème ». C’est ça avec France Boisvert. Il y a deux ou trois romans qui se chevauchent.
J’attends le roman sur le sujet qui va me bouleverser, une sorte de Monsieur Lazhar peut-être. Professeur de paragraphe ne remplit pas ses promesses. Du moins, je n’y ai pas trouvé ce que j’attendais. Et là, le doute me secoue. Si c’était moi… Peut-être que je suis parti du mauvais pied et que j'ai cherché un autre roman dans celui que j’avais dans les mains ? C’est comme ça. Un chroniqueur n’est jamais sûr, même dans ses enthousiasmes et ses détestations. C’est cela la beauté de l’entreprise. Un questionnement toujours à reprendre.


PROFESSEUR DE PARAGRAPHE de France BOISVERT, une publication de 
LÉVESQUE ÉDITEUR.