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dimanche 2 mars 2014

Belle façon de connaître le Sénégal

Après avoir subi l’occupation française pendant des décennies, le pays du Sénégal tente de devenir un état depuis 1960, année de l’acquisition de son indépendance, avec des succès étonnants et des faux pas. L’apprentissage de la liberté est toujours long. Boubacar Boris Diop invite le lecteur à le suivre dans son pays d’origine pour y faire la rencontre d’hommes et de femmes qui ne manquent pas d’étonner.

Ce pays méconnu se glisse parfois dans un bulletin d’information pour de mauvaises raisons, presque toujours. Il en est ainsi de ces pays d’Afrique où la démocratie, ou ce que nous appelons la démocratie, prend parfois des chemins étonnants pour ne pas dire déroutants. Le jeu des victoires et des défaites électorales semble mal compris par certains politiciens qui n’acceptent pas que le peuple les bouscule et les remette en question. Oui, la corruption, les manigances existent là-bas… comme au pays du Québec. Il devient de plus en plus difficile pour les pays occidentaux de faire la morale ou de donner des leçons.

— Je lui ai dit, hein, Monsieur le Président, la corruption existe partout, chez moi en France, en Australie, en Chine, partout, hein. Ce qui est dangereux, c’est l’impunité. Une société ne peut pas et ne doit pas accepter de consensus autour de la corruption. (p.13)

Des propos que nous pourrions entendre à la Commission Charbonneau où des tricheurs viennent raconter leurs faits d’armes sourire aux lèvres. Un monde. Des héros, des luttes pour le pouvoir, la torture, la peur partout, mais surtout une volonté de vivre et un amour inconditionnel pour ce coin de terre où il fait bon vivre malgré tout.

La vie

La police emprisonne une femme par erreur, mais il s’avère que l’on ne peut la libérer. L’État ne se trompe pas, l’État est gardienne de la vérité.

La rumeur publique s’était amusée à écrire un roman sans queue ni tête, à partir de faits totalement imaginaires. Seulement voilà : toutes ces fantaisies avaient fini par exciter l’opinion et les politiciens de tous poils étaient entrés dans la danse. Il est par exemple question dans mon affaire — « l’affaire Myriem Dembélé » ! — de la mystérieuse ville de Strindgahm. Et bien, personne ne sait où elle se trouve. (p.44)

Le goût de la fête, Saint-Louis que le narrateur peint avec ses plus beaux pinceaux après un long exil pour se convaincre peut-être, et persuader son épouse Deborah, que c’est la plus belle ville au monde. Beaucoup de nostalgie aussi pour une époque coloniale révolue où la richesse et la pauvreté allaient de soi.
Et des gens tourmentés, la solitude, un homme qui voudrait être vu comme un humain par son maître, des situations difficiles à imaginer.

Soudain, je l’ai vu poser ses deux mains sur sa poitrine, s’affaisser lentement puis se rouler par terre. Ainsi donc, il avait des problèmes de cœur. Je n’en savais rien, moi. Je savais rien de lui. C’était de sa faute, aussi. Il n’avait jamais voulu me parler. Est-ce pour le punir de ses cachotteries que je lui ai donné une dizaine de coups de poignard? Je ne pense pas avoir fait cela exprès. Je ne sais pas ce qui m’a pris de chercher à tuer un type déjà en train de mourir. (p.130)

Comment ne pas croiser des manipulateurs, des potentats qui s’accrochent au pouvoir et se comportent en salauds. Voilà le monde de Babacar Boris Diop. Des récits vivants, tendres, malgré tous les excès et les horreurs. L’humain, on le sait, est capable d’engendrer le pire, mais aussi des beautés qui vous laissent sans voix. Un amour contagieux pour cette terre qui a vu naître l’écrivain. Des textes sentis, sensuels qui ne peuvent que faire ressentir un désir terrible de vivre, de connaître des humains dans leur grandeur et leur faiblesse. De beaux textes sentis, prenants.

La nuit de l’Imoko de Boris Diop Boubacar est paru chez Mémoire d’encrier, 19,50 $.

Ce qu’il a écrit :

S’il avait fait partie d’un groupe armé, il n’aurait pas hésité à dénoncer ses camarades pour avoir la vie sauve. Il ne s’était jamais cru très courageux, mais il ne se savait pas non plus prêt à tout par crainte de la souffrance. (p.17)
Nos dix-neuf années de vie commune étaient en train de nous sauter littéralement à la figure. Notre avenir ne dépendait plus de nous, mais de l’idée que ce flic se faisait de la vie humaine en général. Myriem et moi, nous allions devoir nous expliquer sur des choses simples, des choses du passé que nous avions faites parfois sans même y penser et qui pouvaient à présent nous précipiter dans l’abîme. (p.36)
Et voilà qu’à la fin des fins il ne lui est même plus possible de faire confiance à ce président qui a tout promis et tout trahi. Il ne le voit pas, même dans ses rêves les plus fous, céder un jour le pouvoir à son adversaire, juste parce que ce dernier aura totalisé plus de misérables bulletins de vote que lui. (p.74)
Mais dans la ville de Danki rien n’a changé, seule la couleur de la politique est passée du blanc au noir, et encore… Arrivées de lointains villages ou de sombres quartiers de la banlieue, les jeunes bonnes attendent chaque jour dès neuf heures du matin. Elles ont mis leurs guenilles les plus propres, certaines portent des perruques et toutes cherchent à paraître d’une parfaite docilité. Les riches détestent les domestiques effrontées. (p.121)