MÉTIS-SUR-MER OCCUPE une place importante dans ma
vie. D’abord parce que ma compagne Danielle est née tout près à
Saint-Octave-de-Métis et aussi parce que je ne rate jamais une occasion de m’y
attarder. Les grands jardins d’Elsie Reford sont un véritable paradis. Et Métis
Beach comme on disait autrefois, ce lieu où les riches anglophones venaient
s’installer pour l’été, reste fascinant. Des maisons immenses et magnifiques au
bord du fleuve, des jardins qui suggèrent la paix et le bonheur. Une enclave
unique, un lieu qui illustre bien la situation politique du Québec à une
certaine époque.
Tout
commence à Métis Beach dans le roman
de Claudine Bourbonnais. Les riches anglophones débarquent quand viennent les
beaux jours et s’installent dans des domaines où les francophones agissent
comme main d’oeuvre. Ils sont serviteurs, hommes à tout faire ou cuisinière ou
femmes de chambre. Les jeunes nantis circulent dans de luxueuses voitures,
jouent au tennis, s’étourdissent devant des jeunes francophones ébahis.
Certains parlent français, établissent des contacts avec les locaux tandis que
d’autres méprisent ces Québécois justes bons à servir.
Romain
Carrier accompagne son père quand il fait des réparations sur certaines propriétés,
prend vite conscience des différences sociales. Cela ne l’empêche pas d’être
attiré par Gail, une jeune fille qui réussira à l’apprivoiser. Ce sera le début
d’événements qui transformeront sa vie.
L’Amérique
Métis Beach est un microcosme de cette Amérique où
l’argent fait foi de tout, où le racisme, l’ostracisme et le fanatisme ne sont
jamais loin. Romain en tournant autour de Gail, la fille d’un anglophone
raciste et particulièrement violent, franchit une sorte d’interdit. Il y a
aussi les sœurs Feldman qui lui feront connaître un monde différent. Dana écrit
et Ethel peint.
Métis Beach n’est pourtant qu’une introduction à
l’Amérique. Claudine Bourbonnais nous entraîne aux États-Unis pour le meilleur
et le pire. Le jeune Romain se retrouve à New York à peine sorti de
l’adolescence. Dana le prend sous son aile, lui permet d’étudier et d’échapper
à l’indigence. Il croise Moïse, un rêveur, un contestataire qui veut devenir un
second Jack Kerouac. Voilà l’Amérique des cinquante dernières années. La guerre
du Vietnam, les jeunes qui manifestent et refusent de participer à cette
tuerie, la fuite de certains vers le Canada, les artistes qui s’engagent, le
mouvement des hippies qui viendra de Californie. Tout un portrait d’une génération
qui refuse la violence et la guerre. Tout comme Romain qui se familiarise avec
le féminisme et la lutte des femmes avec Dana. Elle prône l’égalité et la
libération du joug patriarcal, publie un essai féministe qui causera beaucoup
de remous : The Next War. Ce sera une
révolution pour le jeune homme qui a fui un village traditionnel et catholique.
Portrait
L’Amérique
des contrastes, des extravagances. La droite religieuse qui s’oppose à
l’avortement et aux droits des femmes, conteste une série télévisée écrite par Romain Carrier devenu Roman Carr.
Il affronte des fanatiques pro-vie qui assassineront sa compagne. C’est les
États-Unis de Georges Bush qui déclare la guerre à l’Irak après la chute des
tours du World Trade Center et la mort de milliers de personnes. Le pays semble
pris de frénésie.
Roman
Carr se souvient des opposants à la guerre du Viet Nam, des contestataires qui
ont fui au Canada. Il proteste et écrit dans le New Yorker. Son passage à une émission de télévision se transforme
en un véritable lynchage. Après tout cela, il choisit de revenir à
Métis-sur-Mer pour raconter son histoire.
Une image
des États-Unis qui fait frémir. Le plus puissant des empires du monde est
ébranlé par des fanatiques religieux qui n’hésitent pas à tuer pour défendre
des idées indéfendables. Une société où le dialogue et la discussion ne sont
plus possibles. Le passage de Roman à cette émission de télévision pour
débattre de ses idées est troublant. On ne discute plus dans les médias, on
fouille la vie des invités, on exécute à froid devant une foule hystérique. La
pensée, la réflexion ne sont plus au rendez-vous. On condamne, on lynche sur la
place publique. À faire frémir.
Un roman
qui vous secoue, vous blesse, vous enthousiasme et vous fait passer par toutes
les gammes de l’émotion. Une Amérique qui ne réussit plus à combattre ses
démons, le racisme et le fanatisme religieux, une société qui oublie ses
valeurs démocratiques pour imposer ses vues les plus conservatrices et les plus
rétrogrades. Terriblement dérangeant et inquiétant.
À lire
lentement, en prenant son temps même si l’écriture de madame Bourbonnais vous
emporte, à Métis-sur-Mer ou encore sur une plage dans le Maine ou en Gaspésie.
Et pourquoi pas au lac Saint-Jean, sur le sable du parc de Pointe-Taillon ? Une
révélation que ce premier roman de Claudine Bourbonnais.
Métis Beach
de Claudine Bourbonnais est paru aux Éditions du Boréal, 29,95 $.
Quelques citations :
Les moments passés ici avec Dana
et sa sœur Ethel ! Dana, penchée sur sa Underwood, ses doigts courant sur les
touches, pendant qu’Ethel à son chevalet appliquait à la truelle sur de grands
canevas les couleurs qu’elle préparait dans de vieilles boîtes de conserve
Heinz. Les sœurs Feldman en création, et la maison respirait le joyeux
désordre. (pp.54-55)
…
« Vos rêves se limitent à un mari
et à une belle maison pleine d’enfants, équipée de beaux appareils
électroménagers modernes, un mode de vie qui vous comblera affectivement et
matériellement. Faut-il voir dans cette nouvelle richesse de l’Amérique un
piège pour les femmes ? Les femmes sont-elles les victimes du capitalisme
triomphant de l’après-guerre ? » (Des commentateurs outrés la taxeraient de «
dangereuse communiste » pour avoir osé écrire cela.) (p.148)
…
C’est ce qu’ils disent, Dick !
Mais ça n’arrivera que lorsque l’humanité sera lavée de ses péchés. En
attendant, ils se donnent la mission de nettoyer cette planète de tout ce qui
les rebute : les libéraux, les laïcs, les féministes, les homosexuels.
Bref, tous ceux qui ne sont pas eux et ne pensent pas comme eux. Alors, ils
investissent le pouvoir, les tribunaux, les écoles : réintroduire la
prière dans les classes, faire de la théorie de Darwin une hérésie, éradiquer
l’homosexualité, enlever aux femmes le droit à l’avortement. Ces gens-là, Dick,
veulent nous faire reculer de vingt ans, supprimer les droits pour lesquels
nous avons lutté dans les années soixante, ces années que tu détestes tant mais
qui ont quand même fait avancer le monde ! (p.348)