dimanche 22 mai 2011

Sergio Kokis de retour avec «Clandestino»

 «Le Pavillon des miroirs» révélait Sergio Kokis en 1994. Depuis, il publie à un rythme effréné. À signaler «Les amants de l’Alfama», «La gare» et «Negao et Doralice», des ouvrages remarquables. Il revient dans l’actualité littéraire après un certain silence avec «Dissimulations», un recueil de nouvelles et «Clandestino» un roman qui se situe en Argentine, au moment où le régime des militaires doit céder le pas.
Tomas Sorge, son héros, se retrouve au bagne. Militaire de carrière, il a exécuté une mission spéciale pour ses supérieurs qui n’ont pas hésité à le sacrifier quand la situation s’est corsée.
«La vie d’un homme envoyé à la prison militaire d’Ushuaia était, pour ainsi dire, une vie en suspens. Cela pouvait signifier un mauvais temps à passer avant de regagner la liberté, comme cela pouvait signifier l’attente d’une exécution sommaire qui s’ajouterait  à celles des milliers d’autres disparus. Mais cela pouvait aussi vouloir dire de la torture pour la torture, dans le but unique d’humilier et de briser l’existence du détenu.» (p.12)
Des conditions de vie épouvantables et des corvées inhumaines. Tomas survit en rejouant des parties d’échecs des grands maîtres qu’il affectionne, en cultivant sa vengeance. Il imagine mille manières de régler le cas de celui qui l’a envoyé aux travaux forcés. Une façon comme une autre de garder espoir quand on a tout perdu.
Vers la fin de sa sentence, il retrouve un camarade qui a été torturé sauvagement. Il lui fait la promesse de retracer sa fille et son épouse avant de «l’aider à mourir». Une mission qui porte une partie de l’intrigue et qui tourne plutôt mal.

Collaboration

Au moment de sa libération, le pays connaît une vague de démocratisation. Un gouvernement civil va prendre la direction de l’Argentine, mais les militaires se préparent à reprendre le pouvoir quand la situation l’exigera. Que faire? Sa compagne Carla ne lui a donné aucune nouvelle depuis son arrestation. Un supérieur, le responsable de sa condamnation, lui demande d’effectuer des missions spéciales. Il déroule le tapis rouge. Une forte rémunération et une vie confortable dans un pays où la plupart tire le diable par la queue. Tomas Sorge glisse dans la peau de José Capa. Il doit changer d’identité, devenir un autre pour se perdre dans la clandestinité.
Il doit oublier son ancienne vie, les lieux familiers même s’il résiste mal à la tentation de revoir Clara qui ne demande qu’à reprendre avec lui. Ce sera sa dernière faiblesse sentimentale. Il ne peut plus faire confiance à personne.
Il effectue des cambriolages dans des maisons privées, s’empare de documents compromettants. Il en profite pour s’en mettre plein les poches avec ses complices et finit par exercer sa vengeance avant de fuir en Espagne.
Nous retrouvons dans «Clandestino» un monde qui n’est pas sans rappeler la trilogie où Kokis s’attarde aux dictateurs du Nouveau Monde. Un univers cruel où il faut se faire une place et tuer pour ne pas être tué. Tomas même s’il aime se perdre dans les romans de Dostoïevski, doit devenir impitoyable. Il finit par ressembler à ceux qui l’ont envoyé au bagne et qui le paie grassement maintenant. Il se sert, manipule, tue avant de fuir. Le milieu fait le larron peut-on croire.

La survie

Tous sont manipulés par des plus puissants et doivent se battre pour survivre. Les femmes sont souvent des victimes dans l’univers de Kokis. Elles n’ont que leur corps pour se faire une petite place dans la vie. Elles sont manipulatrices, coquettes, capables du pire pour arriver à leur fin. À l’image peut-être des hommes qui s’en servent avant de les rejeter comme de vieux chiffons.
Tomas, malgré tout, reste sympathique même si la fourberie et le mensonge sont des outils nécessaires à sa survie. Le jeu d’échec est impitoyable cette fois et la défaite ne pardonne pas. Tous se débattent pour demeurer vivant. On le prend ou on ne le prend pas.
Sergio Kokis est un conteur exceptionnel qui vous entraîne encore une fois dans les labyrinthes les plus sordides de l’humanité. On ne veut plus lâcher «Clandestino» quand on s’y aventure. Un bon cru.

«Clandestino» de Sergio Kokis est publié chez Lévesque Éditeur.
http://www.levesqueediteur.com/kokis.php