vendredi 12 décembre 2003

Yves Potvin et les rêves qui fument

Yves Potvin évite la réalité à sa manière. Pourquoi ne pas s’adonner au haschich volontairement, dans une ascèse ou une démarche initiatique qui vous fait vous aventurer dans une autre réalité. L’expérience peut s’avérer intéressante, du moins originale. 
Potvin présente treize histoires dans «Les contes du haschisch». Je ne crois pas que l’on puisse qualifier ces écrits de contes. Parlons d’histoires qui découlent de la consommation de cette substance qui a si mauvaise réputation dans notre société.
«Savais-tu que le haschich illumine l’âme sans causer d’accoutumance comme le ferait la cigarette ou l’alcool? On y revient par conviction, non par esclavage. Le fumeur tente de retrouver un état d’esprit, une façon particulière de voir le monde. Il cherche, et croit trouver, des réponses satisfaisantes aux grandes questions philosophiques.» (p.12)
Bon! Le fumeur de haschich dans l’esprit de Potvin est une sorte d’initié, de «plus que conscient» qui sait le monde et ses réalités comme personne d’autre. Le pauvre buveur de bière ou de vin, celui qui pour le plus grand des malheurs ne s’adonne pas au haschich, reste un être incapable d’élévation et de compréhension du monde.
L’entreprise pourrait être intéressante mais à la condition d’éviter les clichés et les banalités. Yves Potvin s’empêtre dès les premières lignes et déçoit rapidement.
«Je vous fais grâce du libellé exact du refrain que chantaient une grosse truie, une blonde maigrelette, un homme plus âgé, un barbu et un genre de bellâtre qui était là pour ramasser de la chair fraîche. Entre le bellâtre et moi, l’hostilité fut immédiate. Chacun se disait la même chose: «Que l’autre ramasse donc la maigrelette, ou encore la truie, mais qu’il me laisse l’amie Judith.» (p.59)

Au ras du sol

Humour? Mauvais goût plutôt. Là où il devrait s’élever, Potvin rampe, là où il devrait méditer et passer à un degré supérieur de la connaissance, il ne sait qu’ânonner des sarcasmes. C’est ce ton familier, ce tutoiement énervant «ami lecteur et douce amie lectrice» qui agace rapidement. Nous suivons plutôt mal cet impénitent qui ne recule jamais devant les volutes du haschich sans pour autant nous «faire voir» les pays qu’il traverse et explore. Il est tout de même allé en Afghanistan avant la guerre. Fumer du haschich ou s’adonner à l’opium, du moins dans la version potvienne, ferme plus l’esprit qu’elle ne l’ouvre à la réalité. Ce qui devrait être «conscience» devient «enfermement» sur soi. Nous suivons péniblement le radotage d’un impénitent qui ressasse sans cesse ses «exploits».
«Je le devinais. Le haschich m’aidait à ressentir les fantasmes de Neurath. Là, dans une salle remplie de curieux, Neurath et moi formions les deux seules personnes lucides de l’assemblée. Lui, psychiatre surdiplômé ; moi, neché au point de ressentir les effets d’une constante cristallisation de molécules de THC dans le cerveau.» (p.125)
Des histoires qui grincent aux virgules et s’éparpillent. Une écriture mal ramassée et claudicante. Peut-être que j’aurais dû m’adonner aux volutes du One Year avant de plonger dans la prose d’Yves Potvin pour en apprécier toutes les subtilités mais le devoir de lecture a ses limites. Non, les vapeurs du haschich ne font pas un écrivain.

«Les Contes du haschisch» d’Yves Potvin est paru aux Éditions Varia.

Nicole Houde exige tout de son lecteur

Nicole Houde, encore une fois, ne donne guère de choix à son lecteur. Pas de fioritures! Cette écrivaine nous a habitués aux vrais questions, et depuis son entrée en écriture en 1983, elle se fait chercheuse de sens. Le vieillissement dans «Les oiseaux de Saint-John Perse», la lutte pour l’identité dans «La Maison du remous», la marginalité dans «La chanson de Violetta». A chaque fois, elle pose un sujet difficile, un univers que nous voulons fuir la plupart du temps. Qu’est la vie, comment affronter sa mort, quel héritage possédons-nous à la naissance et qui est resté gravé dans le corps et vous dépossède parfois? Comment survivre dans un monde plus grand que soi et qui aspire aussi à être notre corps? Comment assumer sa vie quand la société vous marque au fer rouge, quand les repères s’effritent; quand le temps creuse de grands trous dans la tête? Voilà autant de questions que cette  écrivaine unique au Québec explore d’un livre à l’autre. Les mots deviennent des grenades et c’est la vie qu’elle fait exploser, l’existence qu’elle cherche à rapailler et à comprendre.
«J’observe mon corps, cet ami pour qui j’invente parfois Milan, Santiago, des champs de blé ou de l’angoisse, toutes ces formes d’alliance entre la conscience et l’univers.» (p.13)
Dans «Une folie sans lendemain», le lecteur se bute à Céline, une rebelle atteinte d’un cancer foudroyant qui décide de vivre sa mort sans l’aide des drogues. «Je veux mourir en plein midi beau soleil, pas d’hôpital, pas de morphine!» Céline s’aventure sur le chemin de la souffrance, revient à L’Anse-Saint-Jean, son pays d’origine, pour s’expliquer avec Edmée, sa mère qui s’est pendue alors qu’elle était fillette. Le tout est suivi du regard de Lise, l’amie qui a accompagné Céline et d’une lettre à Charlotte Boisjoli, la grande comédienne décédée d’un cancer. Trois temps d’une méditation pour comprendre et dompter la mort si c’est possible.

Œuvre forte

«Une folie sans lendemain» est marqué par tout ce qui caractérise l’œuvre de Nicole Houde. Le fardeau des origines, l’héritage qui gruge les femmes au corps et à l’esprit, l’obsession de l’écriture pour contrer la dérive et la folie. Le texte chez Nicole Houde se fait sédiments et permet d’espérer en l’avenir. La nature aussi, omniprésente, mémoire et porteuse des actes des hommes et des femmes. Parce que la Terre chez cette écrivaine est un corps et le corps une planète.
«Dans notre famille, plusieurs ont été atteints par des maladies mentales. Au village, on appelle ça «le châtiment de Dieu»». (p.29)
Bien sûr le sujet bouscule et dérange. Certains refuseront de suivre Nicole Houde. Il faut du courage pour accompagner Céline qui affronte la mort mains nues. Chaque mot devient un cri, chaque phrase porte une douleur qui ébranle la planète. L’écriture colle au corps et au dur désir de vivre chaque seconde comme si c’était l’éternité. Les phrases poussent comme des arbres, avec les fleurs, éclaboussent les pierres qui retiennent et empêchent la terre de basculer dans un cri qui avale tout.
«J’ai tellement mal! Est-ce possible que des os et des organes puissent éprouver de la détresse, est-ce possible de perdre son visage dans une tempête qui va aussi vous arracher le cœur? J’ai si peur!» (p.39)
Rarement trouvera-t-on une écrivaine ou un écrivain qui croit autant en la nécessité des mots. C’est l’air que l’on respire, la beauté au cœur du jour, le soleil qui se lève sur le monde. L’écriture permet aussi d’explorer et d’apaiser les souffrances originelles.

Exigence

Nicole Houde exige beaucoup de son lecteur. Elle le peut parce qu’elle donne tout d’elle. Son écriture est sans compromission. Lire un de ses ouvrages, c’est accepter d’affronter l’ange de Jacob, trouver un sens à son corps dans la grande dérive de l’univers. Il faut méditer ces phrases, soupeser ses peurs, effleurer ses craintes, danser avec son ombre et se coller au bonheur de l’herbe et des fleurs. Il faut faire face, puiser en soi et assumer l’héritage. L’expérience n’est jamais ordinaire. Quand je décide de lire Nicole Houde, je remets tout en question. Les mots se retournent, la phrase devient une vrille qui ébranle toutes mes certitudes.  
C’est peut-être cela la quête de l’écrivaine qui veut mettre «de la conscience» dans le monde. Nicole Houde est une réveilleuse qui vous convie à une expérience initiatique à chaque fois.
«Je suis d’eau, de pierre, de bête et de brouillard dans cette chambre qui dérive vers la mort. Il n’y aura pas de miracle et je n’ai pas peur.» ( p.78)
C’est peut-être ce qu’il faut retenir de la course que l’on nomme la vie. Ne plus croire au miracle et ne plus avoir peur devant le mot fin.
«Peut-être nos carcasses retiennent-elles longtemps l’écho des murmures amoureux, des clameurs désespérées et des blasphèmes ? Peut-être la terre ne se remet-elle jamais de nos déchirements lâchés dans des phrases qui gravent des blessures dans les corps et dans l’espace?» (p.63)
La question est là.

«Une folie sans lendemain» de Nicole Houde est paru à La Pleine Lune.

Le vent de l’imaginaire emporte le lecteur

Danielle Dussault, dans une suite de quatorze récits, nous pousse dans un monde de transparences, de passages et de dérives. Le vent emporte la coiffe de la mariée en sortant de l’église et la jeune femme s’élance, abandonnant invités et mari sur le parvis. Le vent, peut-être son seul amant, son seul mari, l’entraîne. Et nous voilà dans un monde où la lumière, l’air et l’eau attirent les êtres et les volent au réel. Les frontières s’effritent, les limites s’évanouissent, le temps s’ouvre. Pourquoi ne pas s’abandonner aux apparences avec la petite Alice, pourquoi ne pas suivre ses obsessions et ses chimères. Il suffit de dire oui aux sourires du vent, de colorer le rêve, de ne jamais le bouder, de jouer à Narcisse qui s’éprend de son image.
«Elle vit le miroitement de son visage dans l’eau, un visage de femme un peu triste en dépit pourtant du sourire qui avait une apparence d’éternité. À travers le mirage, elle reconnut une quantité de personnes. Le mirage retenait des voix assourdies, chacune tentant de franchir la frontière. L’eau avait l’apparence d’un mur lisse.» ( p.50)
Le monde se transforme à chaque regard, à chaque toucher. Le vent devient passeur et pousse la femme dans le monde de ses fantasmes ou de ses obsessions créatrices. Nous sommes au cœur du conte, dans une forêt ou près d’un lac avec des enfants qui forgent des rêves. Attention au petit vent chaud de la déraison qui éventre la maison. L’esprit s’échappe. Les frontières deviennent liquides. Il n’y a plus de déroulement logique ou linéaire. La narratrice bondit dans sa mémoire, éventre le temps, le bouscule et le rattrape. Est-ce folie? C’est peut-être juste la vie… C’est peut-être juste une quête d’absolue et de certitudes.

Écriture

Une belle écriture faite de petites touches qui donnent de grands tableaux impressionnistes. L’auteure sait nous communiquer l’ivresse, le plaisir de braver tous les interdits, crée de grands remous qui soulèvent et bousculent. Il suffit de renoncer à la logique, de croire que tout se peut quand on tourne le dos à la lourdeur des jours et aux carcans du temps.
«Le vent léger, de nouveau, s’insinua, fit doucement valser le rideau. Cette présence, celle du vent, les consolait de toutes les afflictions qui assaillaient l’âme. C’est à travers la montée de l’amour que le cœur pouvait ainsi se guérir.» (p.59)
Danielle Dussault décrit bien ces univers feutrés et irréels où toutes les dimensions et les contraintes s’évanouissent, où le corps perd de sa lourdeur et repousse ses contours. Il y a le vent dans la tête, il y a le vent qui étourdit les êtres et les choses. C’est la faute du grand meneur des dérives et des retrouvailles. Tous les éléments vivent et s’imposent. Tout comme si on basculait dans un tableau de Claude Monet pour se moquer du temps et de l’espace.
Danielle Dussault va derrière, au-delà et elle le fait très bien. Des récits étranges et fascinants.

 «L’imaginaire de l’eau» de Danielle Dussault Québec est paru chez L’instant même.

Luc LaRochelle abandonne son lecteur

Il faut s’attarder à l’illustration de la page couverture de «Amours et autres détours» de Luc LaRochelle. Une femme nue, sur un lit, sexe en évidence s’offre au regard d’un jeune garçon. Le tout baigne dans une lumière rouge, crue. Un tableau d’Eric Fischl intitulé «Bad boy» devient l’affiche des récits de Luc LaRochelle. Un peu racoleur cette présentation qui ne correspond guère à l’ouvrage. Le «bad boy», je ne l’ai pas retrouvé dans cet ouvrage.Bien sûr, il est question de séduction, de ruptures et de fuites qui parsèment la vie. L’auteur s’attarde aux effleurements, aux regards qui marquent les contacts entre les hommes et les femmes, à cette pulsion toujours là et qui s’évanouit trop rapidement. Il y a des rencontres, des moments où il est possible de changer sa vie. Il suffit de dire oui.Malheureusement, LaRochelle esquisse sans jamais appuyer ou décrire ce qui constitue ces instants fugaces. Il ne restera que des petites blessures à peine perceptibles. Les rencontres sont toujours éphémères, de folles étincelles qui ne provoquent jamais les grandes flambées. LaRochelle nous laisse plus souvent qu’autrement dans les «détours de l’amour» quand on sent que tout pourrait basculer.
Abandon

Je me suis senti négligé et j’ai dû inventer des liens, tresser des nœuds et reconstituer les drames. Parfois, un contact avec une personne un peu étrange, comme ce voisin qui achetait des livres et en arrachait toutes les pages, a retenu mon attention. L’homme reliait des feuilles blanches à l’intérieur des couvertures. Une entreprise folle, obsessionnelle. Enfin je me suis dit, il va surgir quelque chose d’original et nous allons sortir de la banalité. J’ai déchanté rapidement. LaRochelle est déjà loin.
Des occasions ratées, il y en a des dizaines dans ces récits. La mort a beau frapper sans prévenir, rien n’y fait. L’écrivain reste obstinément l’observateur qui ne se compromet jamais.
«Quand je t’ai rencontré, je t’ai dit que je préférais le quart de nuit. Les souffrances endormies par les calmants, les confidences de la dernière nuit, qui ne sont adressées à personne. Puisqu’il n’y a ni parents ni amis. Pas de repas non plus. Je peux effectuer ma tournée sans être interrompue. J’aime le silence sur l’étage. La lumière tamisée. Et puis le matin, je quitte avant que les patients meurent.» (p.63)
«Je quitte avant que les patients ne meurent »… C’est bien là le problème de cet ouvrage et de cette écriture. Le narrateur n’est jamais présent ou agissant quand les vrais choses arrivent. Le lecteur est abandonné dans un monde anesthésié. Sommes-nous juste des corps qui se rencontrent, des désirs qui s’amenuisent et disparaissent? Sommes-nous condamnés au regret et à la nostalgie? Luc LaRochelle ne répond pas, on s’en doute.
La langue est efficace, sobre, bien contrôlée mais cette manière de faire défiler les hommes et les femmes a fini par m’engourdir. Si c’était là l’intention, l’auteur a parfaitement réussi.

«Amours et autres détours» de Luc LaRochelle est paru aux Éditions Triptyque.