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lundi 10 octobre 2011

Pascal Millet découvre le Québec

Pascal Millet nous emporte dans une lente et douce dérive dans «Québec aller simple». Un désir irrésistible de s’arracher à la monotonie, d’échapper à toutes les balises pour changer sa vie, la transformer et être un autre marque ce roman. Comment ne pas songer à Jack Kerouac... À Jack London aussi pour qui la nature est une présence qui pousse l’humain au dépassement. L’écrivain raconte peut-être aussi son arrivée dans le pays du Québec puisqu’il est Français d’origine. Bien sûr, le lecteur n’hésite jamais à le suivre.
Mal dans sa peau, Manu étouffe dans sa société. Incapable d’imaginer son avenir dans un tel contexte, il fuit, voyage, vit au jour le jour. Sans trop savoir où il pourra dormir, il se laisse bousculer par les rencontres et le hasard. Il y a d’abord les États-Unis qui fascinent tous les Français et Montréal où il croise un jeune homme qui pense faire le tour du monde en voilier, mais qui ne partira jamais. Une rencontre marquante. Il apprendra plus tard, que ce garçon s’est suicidé. Est-ce ce qui arrive à ceux qui tournent le dos à ses rêves?
Manu se retrouve à l’auberge de jeunesse de Tadoussac où des marginaux hibernent pendant l’hiver. Tous attendent les jours chauds en échafaudant des projets. Ce sont des déracinés qui s’étourdissent à la moindre occasion, vivent l’instant sans trop poser de questions. Une rencontre, un sourire et peut-être que l’avenir s’avance dans le lointain.

Nature

Manu est fasciné par ce pays de démesure, de froid et de glace qui recouvre la baie de Tadoussac. Il découvre les excursions avec les chiens, y trouve un apaisement, une forme d’engourdissement peut-être.
Quand il doit retourner en France (question de visa), il retombe dans les mêmes ornières. Il se heurte à son père qui devient l’image de ce qu’il sera dans quelques années s’il se laisse happer par le quotidien et l’amour. La femme devient un piège qui castre l’homme en le sédentarisant. Il retrouve Françoise qu’il a croisée à Tadoussac, séjourne en Bretagne, mais comprend vite que cet amour est impossible. Pourquoi pas l’armée! Un an à n’être personne, à n’être nulle part.
Il rencontre une artiste-peintre à sa libération, travaille dans une banque, au service des archives pour survivre. Le quotidien, malgré l’amour, malgré l’exultation des corps le rattrape. Manu n’arrive pas à chasser son mal à l’âme. Il doit se remettre en mouvement pour être pleinement vivant.

Tadoussac

À Tadoussac, plusieurs sont partis, d’autres occupent les petites chambres de l’auberge. Les projets d’André, le patron de la maison de jeunesse, happent tout le monde. Un bistrot, le ski dans les dunes de sable. Manu vit au jour le jour, travaille pour gagner sa bouffe et avoir une place pour dormir. Des filles arrivent et repartent. Il pourrait y avoir là une façon de secouer la grisaille mais le mal existentiel s’incruste. Toujours. Il revit quand il s’égare sur les routes, prend des photos. Son rêve de devenir reporter de guerre peut-être, d’être là où ça compte, où ça se passe s’éloigne un peu plus à chaque jour.
Manu sait que sa vie va dans toutes le directions et qu’il n’arrive pas à trouver une passion qui le pousse hors de soi. Il se sent comme le vieux bateau qu’ils ont radoubé et qui a fini par couler près du quai.
Il y a surtout cette plongée dans le petit monde de Tadoussac. C’est senti, vécu, vibrant. Un portrait saisissant de cette communauté qui respire à peine en hiver et qui s’éclate quand vient les premiers rayons du soleil. Une description minutieuse de plusieurs marginaux qui vivent sans trop regarder autour d’eux. Souvent émouvant et touchant.
Toujours juste, beau et bien senti. Manu devra reprendre la route parce que l’utopie, on le sait, attend au prochain détour, au creux d’une colline. Ce qui importe, c’est le mouvement, l’élan, l’espoir qui change tout. Peut-être qu’il n’y a que le nomadisme pour garder l’être en éveil. On peut le croire à lire ce beau roman de Pascal Millet.

«Québec aller simple» de Pascal Millet est paru aux Éditions XYZ.

dimanche 14 février 2010

Pascal Millet s’attarde au côté sombre de la vie

Pascal Millet, en plus d’écrire pour la jeunesse, aime bien bousculer les adultes. «Animal» présente quatorze nouvelles dont la moitié à peu près a été publiée dans des revues. Millet y explore le côté sombre de la vie, des milieux où des femmes et des hommes portent une blessure qui happe leur existence. Ce sont des éclopés, des tourmentés qui s’étourdissent avant de poser le geste fatal. Nous voyons souvent ces personnages par les yeux d’un animal. Un chat, une mouche permettent à l’écrivain de peindre d’une couleur singulière ces histoires dérangeantes.
 J’ai apprécié en 2006 «L’iroquois». Dans un roman noir l’écrivain mettait en scène deux jeunes frères qui fuyaient la maison après le suicide de leur mère. Ils tentaient de partir en Amérique pour vivre avec les Indiens. L’escapade devenait une forme d’initiation qui basculait dans la tragédie.

Contenu

Dans «Scénario pour une métisse», une jeune femme aiguise sa vengeance. La traversée du Québec ne peut finir que dans le sang. Des patrouilleurs, dans «Animal», ont pour mission de retracer une bête qui s’est évadée de son parc. Une bête qui ressemble étrangement à un être humain.
«La chemise de toile était complètement ouverte sur sa poitrine et, me baissant pour ramasser le bout de bras, j’ai vomi. J’ai eu l’impression de rester un instant entre deux mondes, deux extrêmes, mon estomac était complètement retourné, puis Luis a klaxonné.
Merde, j’ai pensé, j’espère qu’ils n’ont pas fait d’erreur dans leur calcul là-haut, parce que celui-là nous ressemblait drôlement. J’ai enveloppé le bras et je me suis dirigé vers la voiture. Il ne pleuvait pratiquement plus.» (p.88)
Le lecteur suit un couple qui tangue dans sa vie lors d’un voyage en pleine tempête, des cow-boys qui se tuent dans la plus folle des absurdités. Il y a aussi une vengeance préparée avec soin. Les circonstances font les héros qui n’échappent pas à une forme de fatalité qui les enferme et les pousse au pire. Des enfants, des femmes, des marginaux qui s’accrochent à la vie. De véritables coups de poing dans plusieurs cas.

Réalité

La canicule a frappé la France en 2003. Les médias ont parlé de 20 000 morts. Les autorités ont dû mettre les corps dans des camions réfrigérés. Pascal Millet s’est inspiré de ce drame. Une fillette croit que le hamster de sa grand-mère est accroché dans le véhicule. Elle comprendra que c’est sa grand-mère qui est décédée. Cette confusion tient le lecteur en haleine tout au long des pages.
«Les adultes se sont tous retournés vers moi. Certains m’ont regardée comme si j’avais dit un gros mot. J’ai même senti que j’avais jeté un froid comme on dit. Et un froid, en pleine canicule, c’était pas mal pour une petite fille de cinq ans. Ma mère a attrapé  ses épaules, mon père a mis ses mains dans ses poches, la femme de mon autre tonton a rabattu sa voilette devant ses yeux et Mme Dusseault a sorti un kleenex de sa manche.
- C’est grand-mère, j’ai dit. C’est grand-mère qu’ils ont accrochée dans le camion.
Ils ont tous baissé la tête, ma mère a recommencé à pleurer et Mme Dusseault a serré mon père contre elle.» (p.28)

Registres

Pascal Millet passe de la langue québécoise à l’argot français sans effort. Il s’adapte au sujet, à la situation, au milieu et ça sonne juste. Il démontre une belle virtuosité, ne cesse de surprendre et de faire grincer des dents. Il a surtout le sens du détail pour décrire le drame de ses personnages qui se tiennent au-delà du bien et du mal. Des mondes où les pulsions font foi de tout. Il sait aussi devenir tendre, mais il a surtout l’art de décrire le côté obscur de la vie, celui que nous n’aimons pas tellement voir.
Ces quatorze nouvelles bousculent un peu tout le monde et nous laissent souvent pantois. C’est drôlement efficace. Une manière de voir notre société qui ne correspond pas à celle que l’on cherche à nous vendre dans les publicités. Un voyage étonnant et perturbant.

«Animal» de Pascal Millet est publié chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/261.html

dimanche 1 avril 2007

Ces jeunes abandonnés à la violence des villes

Pascal Millet a sans doute été marqué par la violence qui a éclaté dans les banlieues de Paris. Une folie qui se manifestait dans les rues, faisait flamber les voitures et fracassait toutes les vitrines. Une rage irrationnelle, le symptôme d’un malaise beaucoup plus fort et prenant.
Il faut un certain temps avant de comprendre où se situe ce roman, où les personnages évoluent et circulent. Ce pourrait être dans toutes les grandes villes du monde, y compris Montréal. Deux garçons, Pierrot l’ainé et Julien le plus jeune, découvrent le corps de leur mère en revenant de l’école. Seule, abandonnée par son mari, mère de deux garçons turbulents et délinquants sur les bords, elle n’en peut plus. Surtout qu’elle venait d’apprendre qu’elle était larguée par une rationalisation qui se traduit toujours par des congédiements et encore plus de pauvreté.
Elle s’est pendue. Les deux garçons décrochent le corps de leur mère et décident de partir. Pierrot est imbibé des images de la télévision, des films où l’on présente l’Amérique mythique, fabuleuse où chacun des arrivants peut devenir un héros en se mesurant aux Indiens ou en adoptant la façon de vivre de ces êtres libres. Des images véhiculées par le cinéma américain, faisant de John Wayne un héros sans peur et sans reproche, capable de tuer froidement, sans sourciller. On sait où cette projection nous a mené en Afghanistan et en Irak.

La cavale

Les deux frères ramassent tout ce qu’ils peuvent trouver d’argent, passent faire la peau à un truand pour en avoir encore un peu plus et ils partent. Il faut rejoindre la mer, trouver un grand bateau blanc qui les mènera vers la vraie vie en Amérique où il est possible de devenir un héros en tournant la tête.
Pierrot, le plus vieux, est poussé par une violence terrible qui lui permet de tuer comme les héros dans les films sans sourciller. Julien, le plus jeune, s’ennuie de sa mère, trimbale un zeste d’humanité qui fait qu’il s’attache un chien errant.
Les deux rencontres des clochards, des sans-abris, des truands, des garçons qui vivent de rapines, se faufilent, échappent aux filets de la société qui veut que des garçons de cet âge doivent se trouver à l’école.
Ils approcheront de la mer, ils verront la mer mais pas le grand bateau blanc qui les pousserait vers le rêve et la liberté. Pierrot ne s’en sortira pas et Julien se retrouve comme soulagé d’être rattrapé par la société et pris en charge. Il n’en peut plus de cette vie d’errance, de violence, de morts où il faut toujours être le plus fort.

Conte

Pascal Millet nous entraîne dans une sorte de conte où la violence pousse les personnages dans une démence que la société semble entretenir et peaufiner je dirais dans sa façon de se comporter et de vivre.
Cette société qui relègue ceux et celles qui n’ont pas le pas de l’économie dans des ghettos où ils n’ont que la force et la violence pour survivre.
Un texte d’une dureté et d’une beauté fascinante, d’une humanité qui crie à chaque page. Millet réussit à nous présenter un problème actuel par le regard halluciné de deux jeunes garçons qui doivent se réfugier dans le fantasme et user de violence pour survivre. Nous faisons face à tous les ostracismes de la société, à ces rejets, ces refus, ces protections qui font que des gens sont parqués dans des ghettos et des banlieues pour ne pas déranger la bonne conscience des possédants. De quoi remettre en question bien des certitudes et nous pousser au bord du tolérable et de l’acceptable. Millet réussit cet exploit en suivant simplement deux garçons abandonnés du monde et de la société. Les images demeurent en nous longtemps après avoir lu la dernière phrase.

«L’Iroquois» de Pascal Millet a été publié chez XYZ Éditeur.