Les textes de Micheline Morisset, dans Le cœur, c’est
fatal, sont à méditer comme des cantiques. En plus, le livre est magnifique et
les illustrations de Gwenaël Bélanger, des images de guitares fracassées, évoquent
les personnages qui ont tous quelque chose de cassé en eux. J’ai eu du mal à
quitter certaines nouvelles d’une force et d’une justesse singulières.
Le titre le dit bien, tout le recueil tourne autour de l’amour, la mort,
le vieillissement, les blessures qui ne guérissent jamais. J’aime surtout cette
manière que l’auteure a de retenir le temps. Comme si l’écrivaine prenait une
photo de son personnage et l’examinait sous tous les angles, dans un décor
particulier, lors d’un moment de grande vulnérabilité. Elle possède l’art de se
glisser entre deux gestes, de bousculer un peu son personnage pour révéler un secret.
Bien plus, c’est un tableau qui s’esquisse, une scène que l’on ne se
lasse pas de regarder et de retourner dans tous les sens.
«Ma mère se tient immobile sur le perron, rendue au dur labeur d’habiter
encore pour quelque temps ce monde. Son visage ni laid, ni beau. Du temps
empilé sur du temps. Vieillir est pornographique.» (p-15)
L’ART
DE VIVRE
Des agressions dans l’enfance ont balafré le corps, des amours mal vécus
ont froissé l’âme. La vie peut-être est la plus terrible tempête qu’un vivant puisse
affronter. Et cette dérive du temps qui finit par tout gâcher quand le corps
n’est plus fiable.
«Derrière le flou de ma fenêtre, je regarde le givre et le visage d’une
femme, vieille si vieille, se replier comme une feuille à la fin de sa vie.»
(p.81)
Les phrases de Micheline Morisset étourdissent. Ce sont des éclairs qui aveuglent
et restent longtemps collées à vos paupières.
«Il avait pour moi des gestes comme des rubans de soie.» (p.50) «Et le
train de nouveau gruge les rails comme une bête, à la croisée des routes. Comme
une bête ajoute à mes tourments.» (p.80)
Il faut revenir sur ses pas encore et encore pour s’imbiber du drame qui
couve, de ce qui se perd et ne se retrouve que dans l’écriture.
«Il m’a tendu le casseau de fraises, puis m’a souri. C’est bête un
sourire, ça ne dit pas tout. Ça raconte peu des cailloux sous les paupières.
Mieux vaut se fier aux yeux, c’est sur cette petite île que les gens sont les
plus tristes surtout s’ils se croient à l’abri du regard d’autrui.» (p.26)
Souvent tendres, parfois rugueuses, toutes les nouvelles viennent vous
chercher dans vos derniers retranchements, vous secouer comme un drap sur une
corde folle de bourrasques. Difficile d’exprimer la fascination que certaines
images exercent sur vous. La beauté certainement qui se précise et éblouit.
QUÊTE
Madame Morisset sort ses plus beaux pinceaux pour redessiner le visage
d’une vieille femme qui se perd dans le trou de sa mémoire. Il y a aussi la fuite
de l’autre, la fascination qu’un agresseur exerce sur sa victime, des amours qui
n’ont pas eu lieu, des blessures qui ne cicatriseront jamais.
«Et ta main tremble. Toute ta vie se referme si durement. Un jour, le
téléphone sonne et ça bascule. Sans voix. L’état pur du silence. Tu jettes un
œil à la fenêtre, en bas : un hurlement de nuages et un tas de pierres sur
du gravier puant. Il n’y a plus rien d’autre à attendre.» (p.86)
La vie se dilue dans le silence, le cœur s’arrête de battre parfois, une
petite éternité et repart. C’est fatal.
«Christian et Marie comprenaient trop bien que certaines fins débutent
par un mot qui, mine de rien, traverse la pièce et peu à peu couvre la vie d’un
voile de cendre. Ils ne s’étaient pas tout dit, et les mois avaient passé. Le
temps, le vent pliés en quatre dans les recoins du cœur.» (p.111)
La musique monte et recommence, la vague gonfle et se défait sur les
rives du fleuve toujours là, obsédant, changeant et indifférent.
Une écriture qui n’appartient qu’à elle et qui vous bouscule. Des éclats
de beauté. Je garde «Le cœur, c’est fatal» tout près, à portée de lecture pour
le relire à voix basse, m’imprégner de cette prose ensorcelante. Un moment de
grâce.
«Le cœur, c’est fatal» de Micheline Morisset est paru
chez les Éditions d’art Le Sabord.