jeudi 23 juin 2022

PIERRE NEPVEU POSE SES BALISES

Pierre Nepveu vient de publier un ouvrage important et nécessaire. Géographies du pays proche propose une réflexion sur ce qu’est le Québec, «ce pays qui n’est toujours pas un pays» selon la formule de Victor-Lévy Beaulieu. On ne perçoit son univers et son territoire que par ses yeux et par les expériences qui marquent votre cheminement, votre éducation et vos rencontres. La configuration du Québec a changé avec les époques. D’abord considérés comme des Canadiens, les premiers arrivants européens ont connu des mutations. Ils sont devenus des Canadiens français après la Conquête et peu à peu le continent s’est amenuisé pour coïncider avec la Belle Province, sans la pointe du Labrador que l’on a découpé pour Terre-Neuve. Une conception de la nation, de l’appartenance qui s’est modifiée avec les migrations et les soubresauts de l’histoire.

 

En sous-titre, Pierre Nepveu ajoute une phrase qui oriente sa pensée et son parcours. Poète et citoyen dans un Québec pluriel. Voilà qui est clair. Dans une douzaine de chapitres, l’écrivain emprunte différentes directions pour mener sa réflexion, tenter de mieux comprendre le fait d’exister dans ce territoire que l’on nomme Québec, le vivre ensemble dans un pays qui n’est pas tout à fait comme les autres. Le Québec n’est toujours pas intégré au Canada, ayant refusé de signer la constitution en 1982, gardant en réserve des velléités de souveraineté et y parvenant presque en 1995. 

Né à Montréal dans le quartier que Claude Jasmin a baptisé «La Petite-Patrie», Pierre Nepveu a connu une enfance que bien des Montréalais partagent. Tout se passait en français dans son secteur et la langue anglaise était une présence lointaine qui n’avait pas d’échos dans son quotidien. Un monde rythmé par les cloches de l’église Saint-Édouard qui se dressait près de la maison familiale, les cérémonies qui mobilisaient tous les fidèles. Une sorte de village dans la ville où je me suis reconnu. C’était pareil à La Doré où toutes les activités étaient marquées par les célébrations religieuses qui devenaient de grands événements, surtout la procession de la Fête-Dieu. J’ai le même âge que Nepveu. Tous les deux sommes nés en 1946, étant de la première vague de cette génération de baby-boomers qui ont si mauvaise presse de nos jours. 

 

GÉNÉRATION

 

Nous appartenons à une génération qui a accompagné la poussée du Québec vers la modernité. Nés au moment où le catholicisme régnait partout et marquait chacun des gestes de la communauté, nous avons vécu la fin de Maurice Duplessis (nous avions treize ans lors de son décès) Jean Lesage et son «Maître chez nous». Le rapport Parent qui a tout bousculé dans ce pays «qui ne sait pas mourir» pour reprendre l’expression de Louis Hémon. 

Nous sommes de ceux qui ont connu «une enfance à l’eau bénite» selon la formule heureuse de Denise Bombardier, qui ont vu peu à peu le clergé s’éclipser. Le curé régentait à peu près tout dans mon village quand j’étais jeune. Il a vite perdu son autorité même si le catholicisme et surtout l’esprit religieux n’ont pas disparu et marque encore le quotidien de mes compatriotes du Lac-Saint-Jean.

Pierre Nepveu s’attarde à La grande noirceur. On a tendance à parler d’une période sombre et misérable. Ce n’était pas une dictature militaire même si les prêtres en menaient large dans une population homogène d’expression française. Dans mon patelin, il n’y avait pas de migrants et les autochtones n’étaient pas une réalité malgré la présence de Pointe-Bleue. La réserve n’est qu’à une trentaine de kilomètres de La Doré. Pointe-Bleue est devenue Mashteuiatsh en 1985. On voyait des Innus parfois qui «montaient» dans leurs territoires de chasse, mais les liens n’existaient pas vraiment. Je ne répéterai pas tout ce que l’on pouvait entendre quand il était question des Innus. J’ai raconté des contacts plutôt brutaux dont j’ai été témoin dans le secteur de Chibougamau et près de Val-d’Or. J’étais travailleur en forêt l’été et faisais comme les outardes à l’automne, migrant en ville pour étudier à l’université. J’ai relaté ça dans La mort d’Alexandre, un roman publié en 1982.

Une présence rassurante et un monde religieux qui a baigné nos enfances. J’aimais les fêtes liturgiques, les messes avec les chants. C’est là que j’ai pris goût aux belles voix et aux airs qui se démarquaient de la chansonnette que l’on entendait à la radio de Roberval.

 

RÉFLEXIONS

 

L’esprit religieux, dans la société québécoise, n’a pas disparu en claquant des doigts même si nous avons tendance à dire que nous sommes devenus laïques un matin en ouvrant l’œil. Les penseurs de la Révolution tranquille étaient des croyants. Le poète s’attarde aux questionnements de Fernand Dumond, Pierre Vadeboncoeur, Fernand Ouellet, Guy Rocher et bien d’autres qui ont été marqués par le catholicisme.

Donc ce n’est pas vrai que nous avons balayé la religion et la doctrine chrétienne du revers de la main. Nous avons peut-être oublié le clinquant religieux sans pour autant nier son approche humanitaire.

J’ai revu récemment le formidable film de Léa Pool. La passion d’Augustine. Elle nous raconte ce glissement vers une société laïque dans une communauté religieuse qui perd ses repères et ses certitudes. 

Très touchant.

Rapidement, Pierre Nepveu a été happé par l’ailleurs, le lointain. Il a vécu, à la fin du premier cycle de ses études universitaires, dans un milieu anglophone où il a appris la langue et apprivoisé une réalité qui est devenue sienne. Il a enseigné à Toronto, Ottawa-Gatineau et un bref moment en Colombie-Britannique avant de revenir au Québec pour œuvrer à Montréal. 

Il a été plongé très tôt dans ce que nous nommons la diversité et confronté à la présence des immigrants. Des expatriés poussés par le manque ou encore victimes de guerres horribles. Peu importe les raisons, ils sont venus et ont droit à un espace dans ce Québec qui a changé de visage au fil des ans. En ce sens, le Québec est une sorte de mosaïque où chacune des identités migrantes doit trouver sa place dans un tout qui donne une lumière particulière. Bien sûr, cela s’est compliqué avec la cohabitation du français et de l’anglais qui a toujours eu un pouvoir d’attraction difficile à contrer à cause de la réalité nord-américaine. En matière de langue, naturellement, ce sont les plus nombreux qui l’emportent. Ce fut généralement le cas dans l’histoire.

C’est pourquoi le projet de souveraineté du Québec s’est collé au français qu’il fallait préserver et garder vivant. 

 

ASPECTS

 

Pierre Nepveu s’attarde à des aspects qui ont marqué sa vie. La musique, la poésie, la littérature, le monde juridique et la géographie pour cerner ce qu’est le Québec de maintenant, celui qui est secoué par les médias sociaux et doit composer avec la domination culturelle et économique des États-Unis. Personne ne peut y échapper. Que ce soit celui qui est issu d’une famille venue s’installer il y a des centaines d’années ou le nouvel arrivant, tous doivent vivre avec le voisin. Tous confrontent cette réalité avec respect, attention et bienveillance dans un milieu de vie idéal. Malheureusement, cela ne se fait pas toujours dans l’harmonie. Nous connaissons des dérives et des excès, de part et d’autre. Nul ne peut imposer ses diktats aveuglément, même si nous sommes dans une société de droit.

Pourtant, le français reste fragile et fait l’objet de lois qui en mécontentent plusieurs. Le Canada expérimente une dualité linguistique qui s’est affrontée au cours de son histoire. Bien sûr, la conviction catholique d’une part et la foi protestante avec ses variantes se sont jumelées à ces langages souvent vus comme antagonistes. 

Cette bousculade a lieu surtout dans la grande ville de Montréal, zone de rencontres et de multiculturalisme, où l’avenir de la langue française provoque des débats et soulève bien des inquiétudes. Tout ça avec des croyances confessionnelles qui ne semblent guère compatibles.

 

HISTOIRE

 

L’approche géographique met les onze nations autochtones du Québec de l’avant, repousse les limites de l’histoire, se penche sur les francophones là depuis Jacques Cartier et les vagues migratrices qui ont transformé les pays de la Belle Province. Des gens venus de l’Europe de l’Est, par exemple, ont marqué la colonisation de l’Abitibi et donné une couleur très particulière aux villes minières.

J’ai adoré quand l’écrivain s’attarde à Gaston Miron, Jacques Brault ou Paul Chamberland, parle des travaux de Fernand Dumont et de Gérard Bouchard. C’est tout mon bagage intellectuel qu’il secoue. J’aime surtout sa foi en la littérature qui dit le monde, l’explique et le montre dans sa complexité et ses différences. Ce monde qui m’a toujours fasciné et happé. Pour bien saisir un pays, il faut connaître ses meilleurs auteurs. On y découvre tout et nos politiciens devraient étudier certains écrivains pour mieux articuler leur pensée sur ce que doit être le Québec. La rumeur veut que le premier ministre François Legault soit un bon lecteur. Ça ne paraît pas souvent dans ses interventions.

Certain que la bienveillance et la compréhension doivent caractériser toute société contemporaine parce que l’Amérique comme l’Europe devra composer avec de grandes vagues migratoires. La crise climatique et les guerres qui ne cessent d’éclater ici et là accentuent cette mouvance. 

Bien sûr que je crois au respect mutuel, mais cette pensée doit jouer dans les deux sens. De ma région périphérique, j’ai l’impression que l’ouverture tant réclamée concerne surtout les francophones. On l’observe dans les affrontements qui marquent les lois sur la laïcité qui me semble le terreau propice à toute bonne entente. 

Voilà le portrait de toute une génération qui a vécu le rêve d’un pays qui a dû protéger sa langue et qui fait face maintenant à un révisionnisme qui me laisse pantois, où certains plantent de nouvelles balises pour faire coïncider l’histoire avec leurs conceptions sectaires.

Une réflexion exemplaire et une prise de position terriblement sympathique et humaine. Pierre Nepveu frôle une forme d’idéalisme, mais le politique nous ramène souvent à la trivialité et à la mauvaise foi. Il faut des utopies, c’est ce qui permet d’imaginer une société généreuse et empathique. Pierre Nepveu ne s’en prive pas pour mon grand plaisir. Un livre dense, intelligent et fascinant.

 

NEPVEU PIERREGéographies du pays prochepoète et citoyen dans un Québec pluriel, Éditions du Boréal, 258 pages, 29,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/geographies-pays-proche-2834.html