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jeudi 10 février 2022

DUSSAULT APPRIVOISE LA BELLE VILLE DE PRAGUE

JE PENSE AVOIR LU Danielle Dussault pour la première fois en 2002 avec L’imaginaire de l’eau, des récits qui m’avaient emporté dans un monde impressionniste. Immédiatement, je suis devenu l’un des fidèles de cette auteure qui construit une œuvre originale et singulière dont on ne parle pas assez souvent, malheureusement. Une artiste qui traite ses textes comme une partition musicale où tout est équilibre et harmonie. Et voilà qu’elle nous offre Les ponts de Prague, un recueil de 29 nouvelles après une résidence d’écriture en Europe de l’Est, à Prague, la ville de Kafka, bien sûr, mais celle aussi de Rainer Maria Rilke et du méconnu Jaroslav Hasek, le père du Brave soldat Chvéïk qui m’a tant fasciné alors que j’étais étudiant. Les musiciens Anton Dvorak et Bodrich Semetana ont marqué ce lieu. Une cité qui nous rapproche de grands créateurs. (Beethoven et Mozart y ont séjourné.) Une atmosphère unique qui permet de s’abandonner au rêve, de se laisser porter par les eaux de la Vltava qui traverse la ville. Endroit parfait pour flâner, se perdre dans les rues et imaginer des histoires dans un café. Comme si le temps devenait poreux et que des œuvres littéraires et des musiques se glissaient dans le moment présent. 

 

Danielle Dussault, avec tous les voyageurs, est sollicitée d’abord par l’œil. Elle se laisse prendre par les murs, les trottoirs, des fenêtres et des ponts qui enjambent la rivière qui ne peut que faire penser à La Moldau de Smetana. Les cafés sont ses lieux d’observation qui lui permettent d’inventer tous les scénarios. Je me souviens avoir passé des heures sur une terrasse lors de mes exils. Juste pour le plaisir de voir des hommes et des femmes circuler, s’asseoir autour d’une table. Et pour une écrivaine et musicienne comme Danielle Dussault, c’est l’occasion d’imaginer des rencontres, des rendez-vous amoureux, des intrigues en surveillant les couples qui circulent autour d'elle. L’œil d’abord et après l’oreille qui capte des sons qui semblent nouveaux et qui peuvent dérouter. Tout un monde bouge, respire, vit et fascine. 

 

La bouche de la musulmane, cachée sous un voile. La rue bondée. La jeune femme turque assise à une table, cheveux en désordre. Larmes arrêtées au bord des lèvres. Plaisir d’un jour. Mains tendues. Visages chiffonnés. Lot de réfugiés dans le tramway no 5. Le vieil homme qui boite, son chien devant. Signes intraduisibles de la faim. Les mots du quotidien en tchèque : rafraîchissant, racine, s’endurcir, document fiscal, repas de famille. Files d’attente. (p.9)

 

Danielle Dussault y va par petites touches, par flashes je dirais, pour nous faire ressentir cet univers sonore et visuel qui se déploie autour d’elle. L’impression que l’écrivaine capte des mélodies et des images, qu’elle se laisse dériver dans la ville comme l’eau de la grande rivière qui emporte tout. Et bien sûr, les connaissances livresques et musicales refont surface.  

 

À L’AISE

 

Rapidement, l’étrangère se sent bien dans une rue, un café, une librairie ou une terrasse où elle peut flâner en se faisant discrète, s’approcher des gens et se faufiler d’une certaine façon dans leur espace. 

Et Prague, pour une écrivaine et musicienne, c’est la ville de Rainer Maria Rilke, des orchestrations qui flottent le long des murs et rebondissent sur les trottoirs. Le monde de Kafka et les élans de Dvorak ou encore les poèmes symphoniques de Smetana. Et le mouvement, les passants qui foncent vers leur destin et qui l’emportent sans qu’elle puisse réagir.

 

L’homme qui avance à pas rapides sur la route te semble soudain familier. Il s’empresse d’aller vers nulle part. Toi aussi, il t’arrive de te rendre à un rendez-vous ou un lieu vers lequel tu te sens tout à coup aspiré. Tu cesses alors de courir après le temps. Tu aimes déserter les obligations, errer à l’aventure sans savoir où les rues et les passerelles te mèneront. Devant toi, une vieille dame se hasarde, soutenue par deux bâtons. Elle va lentement en prenant soin de ne pas s’écraser sur les pavés. Plus loin, un officier resserre son arme contre lui en observant le flux de la rue bondée. (p.47)

 

Et j’ai eu l’impression d’accompagner Danielle Dussault dans la ville, de longer un ancien édifice à la pierre verdâtre, de marcher à ses côtés sur le pont Charles qui enjambe la Vltava ou de m’attarder près de ce canal hanté par le diable selon la légende. 

Et des images s’imposent, des souvenirs, des moments du passé. La voilà dans l’univers de Kafka. Des femmes à têtes de mouches la suivent ou encore elle s’avance dans une ruelle qui ne débouche nulle part, sinon sur le rêve et l’envie de se retrouver seule pour entendre une musique. Plus loin, elle est aspirée par la foule et peut y laisser son âme et son esprit.

 

Vous voilà hypnotisée par ce mouvement, par la danse subtile de ces corps manipulés. Vous êtes gouvernée — comment ne pas vous en rendre compte à présent? — par les nombreux fils qui vous écartèlent, vous brisent et vous rendent malléable, tous ces fils auxquels chacun est rattaché. Ils vous font mouvoir, dans un sens comme dans l’autre, tantôt ici, tantôt là sous la pression. Vous résistez de toutes vos forces pour ne pas être rattrapée par la marée robotisée de la foule. (p.84)

 

Un dépaysement, mais aussi la quête de soi et un apprivoisement de son être, de ses goûts et de ses bonheurs. Parce que les séjours à l’étranger sont toujours des plongées en soi, une façon de se trouver dans ce que nous avons de plus vrai et de plus précieux. 

Danielle Dussault, avec sa phrase précise, juste comme un mouvement de piano, nous plonge dans un monde où tous les sens sont sollicités. Il suffit de fermer les yeux pour la suivre dans la ville et au milieu de la foule. 

Des nouvelles, toutes en suggestions et en couleurs qui vous captent, pareille à une musique de Dvorak. Un voyage en soi, dans une Prague fascinante et étourdissante. Une plongée qui la bouscule et la fait autre quand elle rentre au Québec. Comme si elle s’était oubliée quelque part, sur un pont ou dans une librairie, faisant d’elle une étrangère. Un moment de grâce qui m’a laissé vibrant et silencieux, comme c’est toujours le cas lorsqu’on côtoie la beauté.

 

DUSSAULT DANIELLELes ponts de Prague, LÉVESQUE ÉDITEUR, 144 pages, 18,95 $.


https://levesqueediteur.com/livre/158/les-ponts-de-prague

mardi 13 janvier 2015

Danielle Dussault nous bouscule encore une fois


Une île près de la côte américaine, un lieu où les éléments font la loi, un refuge pour ressasser des secrets qui marquent la vie et bousculent les existences. Du gris, du noir, des ombres partout, des paysages tourmentés qui reflètent l’âme des personnages. William a toujours été seul dans sa tête et son corps. Il a connu le Vietnam et reste incapable d’aller vers l’autre, même s’il accueille des visiteurs dans sa grande maison qui ressemble au désastre qu’est sa vie. Danielle Dussault possède les secrets des romans troublants qui nous poussent dans des zones que peu aiment fréquenter.

Les lieux et les éléments sont toujours très importants chez cette écrivaine. Ce sont des personnages qui imprègnent les drames qui rongent l’existence. Toujours un monde troublé par les agissements des hommes et des femmes, des secrets qui bousculent leurs héritiers.
Anderson’s Inn est un refuge pour les visiteurs qui viennent y trouver la paix et le silence. Un lieu prisé par les peintres qui cherchent à voir au-delà du réel et des apparences. Un endroit sauvage, secoué par les vents qui arrivent du large et peut-être aussi par les folies humaines. William dirige l’auberge de son père, un officier de marine rigide et intransigeant. Les guerres ont cassé les deux hommes. Qui revient intact et souriant de ces massacres ? Plus, le fils a été traumatisé par ce père qui l’enfermait dans des ruines où il a cru mourir plusieurs fois. L’on est ce que l’on vit.

Il redoutait et affectionnait à la fois cet endroit qui continuait de le fasciner. Il aimait les hautes herbes qui se balançaient  sous la brise. Les bâtiments vidés du cri des hommes. Les nénuphars qui poussaient silencieusement dans les étangs remplis de couleuvres. Marcher sur les socles de ciment cassé. En même temps, il aurait voulu fuir ce lieu, mais il y revenait, en dépit de tout, comme on retourne vers ce qui est dévasté, vers ce qui ne peut plus, de toute évidence, être réparé. (p.25)

Une terrible solitude malgré les visiteurs et ce père militaire omniprésent que l’âge casse dans ses certitudes. Comme si le temps finissait toujours par calmer les paysages les plus sauvages et les humains les plus coriaces.
J’avoue avoir hésité au début de ma lecture. Pourquoi cette incursion en terre étasunienne ? Une certaine impression de déjà vu peut-être. Je craignais surtout que Danielle Dussault me pousse contre le mur.

William Anderson n’approchait les femmes que dans l’imaginaire, une virtualité qui le laissait sur sa faim. Il aurait voulu toucher une femme réelle, une femme de chair. Le corps ne se contentait plus d’images. Il se lassait d’être pris au piège de scénarios aussi inaccessibles qu’improbables. (p.19)

Enfance

Tout vient de l’enfance, je le répète souvent dans ces chroniques, les premières années qui débordent dans la vie de l’adulte. Les lieux aussi, les maisons qui recèlent tous les secrets. Tout ce qui tourmente William est là dans cette auberge, dans les chambres où il est possible de faire des nœuds dans le temps et de basculer dans la folie.
Et je me suis laissé happer par l’histoire d’Alice Joppek, alias Marianne Dupin, une Française qui a fui son pays pour devenir une autre. Phil, le père, tente de masquer les failles et les mensonges de sa femme. Peut-être aussi pour oublier les contorsions de son passé militaire. Et je me suis retrouvé dans une fiction ou réalité et mensonge se mélangent et se repoussent. Nous nous heurtons à l’identité, le soi qui peut être celui que l’on veut ou voudrait être, les dissimulations et les gestes inavouables qui reviennent toujours vous hanter.
Alice est d’ascendance juive. On connaît le sort des Juifs en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le gouvernement a collaboré avec les Allemands pour déporter des populations. Délations, collaborations, lâchetés et mort atroce dans les camps de concentration. Alice trahit pour se sauver, usurpe l’identité de sa meilleure amie et la condamne à la mort. Marianne connaîtra une fin atroce en étant déportée à Dachau. Sa fille Éva échappe à la mort par miracle.
Alice croit bien devenir une autre dans sa nouvelle identité américaine avec la complicité de son militaire de mari. Une vie de mensonges et de négations. Les grandes et petites lâchetés restent pourtant et personne ne peut les effacer d’un haussement d’épaules. Comment échapper à son passé, oublier des décisions qui ont mené des gens à la mort ?

Je n’ai jamais accepté ce mélange serré de juiverie et de racines polonaises. Quelqu’un en moi était déchiré entre deux vies, écartelé entre deux pôles, paradoxe lancinant de mes appartenances. Au fond, je cherchais à devenir complètement française. J’avais la fantaisie de la pureté tout comme les Allemands et refusais ardemment de porter cette part d’ombre que mes origines m’avaient léguée. (p.77)

Éva, la fille de Marianne, devient une figure fantomatique qui traque la vérité. Peintre, elle se spécialise dans les portraits, perce les secrets les plus refoulés. Elle retrouve Alice Joppek, la responsable de la mort de sa mère, entreprend de la peindre. Pas pour se venger, mais pour qu’Alice se retrouve devant sa vérité, voit au-delà du masque et des apparences. Elle réussit à la surprendre dans sa vulnérabilité, sa culpabilité. Un tableau troublant que le père ne peut s’empêcher de contempler et qui fascine le fils. L’art est un révélateur. Le véritable art cerne ce qui est.

William et Éva ne peuvent que s’aimer au-delà de l’horreur. Ils sont la réparation peut-être, ce qui permet que la vie devienne possible. Ils sont marqués par le destin, fusionnent ontologiquement pour secouer le passé, les éléments du mensonge et de la fourberie. Ils le pourront par l’amour. C’est la seule manière.


Révélation

La voie artistique chez Danielle Dussault brise les masques et touche la vérité, l’être. Après avoir exploré le monde de la musique dans La partition de Suzanne, voilà que la peinture révèle l’être que nous cherchons souvent à dissimuler en empruntant des noms et des visages.
Il faut connaître le passé pour posséder le présent et surtout l’avenir. Rien n’est possible sans un passé qui dit ce qui est. Alice devant le portrait d’Éva se sait démasquée, comprend l’horreur de son geste. Ce visage, elle ne peut le regarder. Parce que les hommes et les femmes doivent devenir transparents comme l’eau du ruisseau pour connaître la paix peut-être.
Un roman fascinant, une langue magnifique comme toujours chez Danielle Dussault. Décors, ambiances, personnages étranges et troubles, secrets que l’on finit par percer, mystères et fièvres amoureuses. L’art arrache tous les masques. Bien peu malheureusement le comprennent à notre époque où la duperie est devenue l’outil du pouvoir et de la richesse, où la littérature est réduite au rang d’une chose futile que l’on peut ignorer dans les écoles.

Anderson’s Inn de Danielle Dussault est paru chez Lévesque Éditeur, 264 pages, 23,95 $.       

dimanche 6 janvier 2013

Danielle Dussault dirige parfaitement le choeur


Danielle Dussault nous attire dans un monde un peu étrange, dans «La partition de Suzanne». Une écriture d’arpèges et d’harmonies. J’aime. Voilà un travail d’orfèvre qui touche l’essentiel. Je pense à l’amour, la musique, celle qui fait vibrer le corps et peut-être aussi ce souffle qui anime l’âme. Un court roman écrit comme une pièce musicale où chacun des intervenants, j’allais écrire chacun des solistes, découvre son rôle dans la composition.

La jeune Suzanne vit pour et par la musique. Elle sait qu’elle ne pourra assouvir totalement sa passion pourtant. Une fille ne peut jongler avec ce monde d’harmonies et de sons. Pour arriver à ses fins, elle planifie son suicide avec une logique désarmante. Elle pense à tout, règle chacun de ses gestes comme cette partition unique qu’elle a écrite et qu’elle destine à celui qui sera l’instrument de sa mort. Elle prévoit aussi le rôle de ses amis et de ses connaissances.
«Comme je suis une fille — encore une enfant, me l’a-t-on assez souvent répété —, pour subsister dans cet univers d’enfermement collectif, je dois faire semblant que je vis en dessous de mes moyens intellectuels. Sinon, c’est l’isolement. La discrimination. Le mépris. Bien que je fasse des efforts titanesques pour avoir l’air aussi crétine que possible, je reste suspecte malgré mes cheveux soigneusement peignés. J’attends de rencontrer un cœur humain, une âme éclairée. J’espère, je dois m’en confesser, un revers du destin qui ne vient pas.» (p.14)
Ceux et celles qui ont côtoyé Suzanne témoignent et deviennent des instrumentistes qui exécutent un solo qui permet de créer la nouvelle pièce musicale.
«Si je lègue ma partition à Benoit Eicher, c’est pour qu’il ait le courage un jour de se rendre digne de cet amour. Enfin, je veux que ma sœur chante cette partition sous sa direction, qu’elle la chante avec toute son âme parce que c’est précisément ce qui peut la sauver des mensonges construits sur des millénaires d’ego et contre lesquels l’authenticité demeure l’arme la plus fatale que je connaisse. Authentiques, mon geste et mon choix l’auront été.» (p.24)
Janie Eicher dérobe cette fameuse partition qui innocenterait Benoit, son père alcoolique, et qui révélerait les intentions réelles de Suzanne. L’histoire devient un suspense où les personnages ne peuvent échapper à cette trame imaginée par la compositrice. Tous sont liés comme les musiciens d’un orchestre et n’arrivent à s’exprimer qu’en suivant les directives du chef.

Tragédie

Cette tragédie survient la veille de Noël alors que le choeur amorce les premières mesures du «Minuit, chrétiens» que vénère Suzanne. Peu à peu, tout se met en place et la composition sera jouée. La jeune musicienne survit par sa musique et peut enfin «voir» son œuvre.
«Des larmes coulent sur mes joues: improbables émotions d’une enfance morte. Si Benoit Eicher est présent aujourd’hui, dans cette salle, si tout le monde peut le voir, muet et immobile devant les juges, c’est grâce à ma mort. Si on l’a admiré et conspué tout à la fois et s’il se retrouve à la barre d’audience, ce n’est pas seulement parce que j’ai manipulé la scène, mais parce que j’en ai écrit chaque mouvement : j’ai voulu, essentiellement, lui voler sa place. Je n’avais que ce rêve: devenir chef d’orchestre.» (p.130)
On peut la croire, l’écrivain est un chef qui dirige ses personnages au doigt et à l’œil. Danielle Dussault le fait admirablement.
 
Fascination

L’écrivaine travaille ses textes en retenant ses élans et ses envolées. Ses phrases sont portées par une respiration qui est venue me chercher par je ne sais quoi. Un rythme peut-être, un souffle singulier, une belle étrangeté.
«Je n’ai rien dit à personne. Pourquoi me serais-je confiée? Qui aurait pu m’entendre? J’ai seulement écrit dans ce journal, jour après jour, le récit de ma passion, j’ai voulu livrer le témoignage de mon appartenance à la musique. J’ai écrit le désir. J’ai mordu dans ce désir et lui ai succombé: je voulais être chef d’orchestre.» (p.17)
Voilà un roman qui m’a captivé comme l’appel du «Minuit, chrétiens, peut-être, qui vous fait prendre conscience de votre condition de vivant pendant la période de réjouissances que nous venons de vivre. Des personnages qui s’arrachent à leur condition en vivant des pulsions qui les emportent comme s’ils s’abandonnaient aux mains de cette terrible musicienne qu’est Suzanne.

«La partition de Suzanne» de Danielle Dussault est paru chez Lévesque Éditeur.

vendredi 12 décembre 2003

Le vent de l’imaginaire emporte le lecteur

Danielle Dussault, dans une suite de quatorze récits, nous pousse dans un monde de transparences, de passages et de dérives. Le vent emporte la coiffe de la mariée en sortant de l’église et la jeune femme s’élance, abandonnant invités et mari sur le parvis. Le vent, peut-être son seul amant, son seul mari, l’entraîne. Et nous voilà dans un monde où la lumière, l’air et l’eau attirent les êtres et les volent au réel. Les frontières s’effritent, les limites s’évanouissent, le temps s’ouvre. Pourquoi ne pas s’abandonner aux apparences avec la petite Alice, pourquoi ne pas suivre ses obsessions et ses chimères. Il suffit de dire oui aux sourires du vent, de colorer le rêve, de ne jamais le bouder, de jouer à Narcisse qui s’éprend de son image.
«Elle vit le miroitement de son visage dans l’eau, un visage de femme un peu triste en dépit pourtant du sourire qui avait une apparence d’éternité. À travers le mirage, elle reconnut une quantité de personnes. Le mirage retenait des voix assourdies, chacune tentant de franchir la frontière. L’eau avait l’apparence d’un mur lisse.» ( p.50)
Le monde se transforme à chaque regard, à chaque toucher. Le vent devient passeur et pousse la femme dans le monde de ses fantasmes ou de ses obsessions créatrices. Nous sommes au cœur du conte, dans une forêt ou près d’un lac avec des enfants qui forgent des rêves. Attention au petit vent chaud de la déraison qui éventre la maison. L’esprit s’échappe. Les frontières deviennent liquides. Il n’y a plus de déroulement logique ou linéaire. La narratrice bondit dans sa mémoire, éventre le temps, le bouscule et le rattrape. Est-ce folie? C’est peut-être juste la vie… C’est peut-être juste une quête d’absolue et de certitudes.

Écriture

Une belle écriture faite de petites touches qui donnent de grands tableaux impressionnistes. L’auteure sait nous communiquer l’ivresse, le plaisir de braver tous les interdits, crée de grands remous qui soulèvent et bousculent. Il suffit de renoncer à la logique, de croire que tout se peut quand on tourne le dos à la lourdeur des jours et aux carcans du temps.
«Le vent léger, de nouveau, s’insinua, fit doucement valser le rideau. Cette présence, celle du vent, les consolait de toutes les afflictions qui assaillaient l’âme. C’est à travers la montée de l’amour que le cœur pouvait ainsi se guérir.» (p.59)
Danielle Dussault décrit bien ces univers feutrés et irréels où toutes les dimensions et les contraintes s’évanouissent, où le corps perd de sa lourdeur et repousse ses contours. Il y a le vent dans la tête, il y a le vent qui étourdit les êtres et les choses. C’est la faute du grand meneur des dérives et des retrouvailles. Tous les éléments vivent et s’imposent. Tout comme si on basculait dans un tableau de Claude Monet pour se moquer du temps et de l’espace.
Danielle Dussault va derrière, au-delà et elle le fait très bien. Des récits étranges et fascinants.

 «L’imaginaire de l’eau» de Danielle Dussault Québec est paru chez L’instant même.