mercredi 17 novembre 2004

Jean Désy retrouve son pays du Nord

Jean Désy ramène son lecteur vers le Nord, le pays que cet écrivain prolifique, médecin et globe-trotter, affectionne. Dans son dernier ouvrage, il nous entraînait en Nouvelle-Zélande avec sa fille Isabelle. Ici, il trafique un peu. Pas étonnant quand nous connaissons l’homme, sa passion de la découverte, l’application qu’il met à vivre avec ses enfants malgré une famille éclatée. Parce qu’avec cet écrivain, né à Kénogami, la fiction se faufile souvent dans sa vie. Un bon mélange!
Peut-être aussi qu’en se glissant dans le roman et en donnant la parole à Geneviève, il cherche à mieux se surprendre.
La jeune fille débarque à Puvirnituq, regarde, s’étonne et reste interdite. Une belle manière de faire voir ce pays de glace, de froid et de lumière, de douceur et de violence crue.
«Tout à coup, je l’ai aperçue: elle s’étirait d’un bout à l’autre du ciel, comme si un prestidigitateur l’avait tendue sur une corde à linge gigantesque. Elle dévoilait un rideau de dentelle verte qui voletait, se balançait, frémissait. Des franges disparaissaient puis réapparaissaient à tout moment, comme par enchantement. Papa était aussi impressionné que moi, même s’il avait observé des centaines d’aurores boréales dans sa vie.» (p.67)
Geneviève se heurte au pire des Inuits et au meilleur. Quand les Inuits ont bu, ils deviennent des étrangers. Mais dans la vie de tous les jours, elle s’étonne de leur patience, de leur douceur, de cet humour aussi que rien ne perturbe.
La jeune femme vit son voyage initiatique dans le Nunavik avec passion. Deux mondes se heurtent, se repoussent et se fascinent. Deux univers se font face.
«C’est ici que je me sens vivre le mieux. Je me sais au meilleur de moi-même. J’ai l’impression qu’ailleurs, au Sud, en tout cas, je n’arrive pas à être au meilleur de ce que je peux être ni de ce que je peux offrir aux autres. Cette mer-là, le ciel qui s’élève tout au bout de la mer, là-bas, c’est comme si je les avais moi-même inventés. C’est fou, mais c’est comme ça! Je ne sais pas si ça te fait le même effet, mais moi, ça me soulève! Je déchirerais ma chemise. Je me mettrais à courir tout nu sur la glace pour montrer au monde entier que je trouve ça beau.» (p.102)

Confrontation

Geneviève expérimente une autre manière de manger, d’agir dans un univers écrasant. Quand la vie dépend de la chasse ou de la pêche, les codes s’évanouissent. C’est peut-être là que Jean Désy découvre le sens du voyage, cette manière de bousculer ses certitudes et ses convictions! Une façon aussi d’éprouver ses croyances.
Il y aura bien quelques palpitations, des regards d’amoureux mais Geneviève évitera les bras du beau Putulik. Ce serait trop simple. Une fin dramatique à souhait! Vous verrez!
Désy aime ce monde aride, impitoyable où chasser et pêcher façonne l’être humain. Une chance aussi de retrouver l’essentiel, le vrai que la vie moderne occulte et fait oublier. La pêche, une expédition pour surprendre les caribous, la rencontre avec un renard arctique, les perdrix blanches, tout devient fascinant.
Et surtout, Désy décrit ce pays avec des couleurs inoubliables. Il suffit de quelques pages et nous avons envie de partir pour ce pays mal connu.
«Les amoncellements de glaces étaient géants. On aurait dit des châteaux du Moyen Age, mais détruits par de grandes batailles. Des pièces rectangulaires ou carrées s’empilaient de n’importe quelle façon, comme abîmées par les boulets. Seuls certains morceaux étaient intacts. Une tourelle ici, un donjon là. Féerique!» (p.163)
Alors, il reste à empoigner les mots de Jean Désy, comme on le ferait d’une motoneige pour se lancer dans la toundra. L’éblouissement se dissimule tout près de l’horizon.

«L’île de Tayara» de Jean Désy est publié par  XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/5.html