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vendredi 3 juin 2022

LA GUERRE DES FEMMES CONTINUE


CATHERINE MORENCY 
vient de publier un quatrième livre de poésie, Le jour survit à sa chute, un recueil fascinant par son propos et sa présentationL’ouvrage comprend sept parties ou moments qui permettent à la narratrice de passer de la servilité à la liberté, tout comme le matin triomphe de la nuit s’imposant à l’aube. Chacun de ces moments offre des similitudes dans la texture même du poème. Les textes reposent sur quatre mouvements de deux segments la plupart du temps. Et à la troisième poussée, la poète se restreint à quatre vers. Et après, dans la montée vers la lumière, la parole s’appuie sur trois strophes, le triangle qui indique la stabilité et l’équilibre. Un travail d’orfèvre remarquable. 


Les interprétations symboliques me fascinent, surtout avec les nombres et les signes qui dévoilent les archétypes. En ce qui concerne le chiffre quatre, plusieurs constats étonnent. «Dans la plupart des philosophies et religions, le nombre quatre suggère le carré, la Terre, la totalité de l’univers manifesté, créé et révélé. C’est le domaine du concret, du limité». Ça se moule très bien au poème qui présente une formidable unité qui témoigne de la réalité des femmes. «Le chiffre quatre évoque aussi l’organisation, l’équilibre et la perfection. Il invite l’individu à mieux se connaître et à prendre sa place dans le monde. Il illustre quelques-unes des règles universelles fondamentales : les lois de correspondance, des cycles, celle d’équilibre et d’harmonie…» 

Voilà qui coïncide bien avec la démarche de Catherine Morency. Comme si la poète travaillait ses textes avec une équerre, cherchant une forme géométrique qui épouse parfaitement son propos.

 

«Il est temps de t’habiller de clarté

   ranger la couverture qui te servait d’effroi.» (p.9)

 

«S’habiller de clarté», de lumière pour se libérer des forces obscures et devenir visible en plein milieu du jour, se défaire de toutes les contraintes qui étouffent les femmes depuis la nuit des temps. 

 

DÉPART

 

Nous sommes fixés dès le premier mouvement. L’ordre retentit, le hurlement. «Tu vas la fermer!» La voix de l’oracle s’élève et répète les diktats des dieux. La femme doit obéir, se tenir dans le monde des objets et des choses.

 

«Les coups tombent

 

   exangue un corps

   niche dans ses abîmes

 

   tu vas la fermer

   je te jure

 

   expire la décence

   la blancheur devient cri.» (p.13)

 

La femme n’est plus qu’un corps blême qui a perdu beaucoup de sang. Des voix lui intiment de se taire, celles de ces dieux qui régissent l’ordre de l’univers. Toute recroquevillée, réduite à un gémissement et un hurlement, elle entreprend de se rapailler pour se donner une existence.

 

«tes membres se disloquent

   errent entre les tranchées» (p.15)

 

Cette violence tutélaire met le corps en charpie. Ses membres bougent entre les tranchées d’un champ de bataille où les armées se font face. Leur cible : la femme. Les opposants mènent une même guerre contre elles et se partagent les dépouilles. 

C’est troublant. 

La femme se traîne au cœur de ces combats et de cette barbarie absurdeElle doit confronter le meurtre, le viol, les mutilations et les pires atrocités. Nous le vivons en Ukraine depuis cent jours. Les militaires agressent les femmes et les adolescentes avant de les exécuter ou de les laisser pour mortes. Toutes devenues butin de guerre que l’on rejette comme de vieux sacs après usage. 

 

«Une claque puis une autre

 

   des astres pleuvent derrière les tempes

   t’ament pour des luttes souveraines

 

   le vrai combat commence

   quand tu cesses de croire

 

   sur le seuil

   un masque de renard roux,» (p.20)

 

PARE-BALLES 

 

«Deux lignes bleues apparaissent». Voilà la femme enceinte, envahie par l’embryon. Son corps va-t-il perpétuer la violence, la soumission, cette guerre qui ne prend jamais fin? Doit-elle fermer les yeux et rêver à l’amour et à une tendresse impossible? Son refus claque comme une porte. L’avortement devient geste de libération, d'appropriation. Pas question de s’abandonner à la maternité dans ces conditions.

 

«Un bruit

   une succion

 

   confirment 

   le tarissement

 

   ne croîtra plus

   en toi

 

   que l’engramme

   du germe.» (p.36)

 

Premier pas dans la reconquête de son corps, de soi, la libération, le combat toujours à refaire. Nous le voyons aux États-Unis où l’on bannit ce recours dans plusieurs états. Il ne restera que cette trace dans la mémoire d’une vie qui aurait pu advenir, différente et aimante.

 

«Des lumières nous brisent

   d’autres nous effacent

   entre ton sang et le nôtre

   germe un escalier.» (p.43)

 

CHEMINS

 

L’affirmation peut prendre bien des formes et des directions. Tout commence par la parole, la conscience de soi. Ça suffit les coups, les cris étouffés et l’obéissance à l’oracle qui impose sa loi depuis toujours. Tout change quand elles se redressent et prennent possession de leur espace, «en plein midi soleil» comme l’écrivait mon amie Nicole Houde.

 

«Fini le temps des filles

   couche-toi là

 

   prends ma main

   frotte mon sexe

 

   nous ne sommes plus vos chiennes

   rompues au domestique

 

   nous prenons poing

   sur un sentier plus juste.» (p.65)

 

Enfin la libération, la conquête de la planète du corps et l’affirmation dans tous les aspects du jour. La vie réclame toutes ses dimensions et ses désirs. 

 

«J’enfourche une monture

   rejoins la plaine dans ton front

 

   tu délies la langue

   voles le feu aux hommes

 

   les grands faunes ressurgissent

   sous un autre pelage.» (p.76)

 

Un cri fait tomber les carcans et les frontières établies par la société des mâles. C’est « le vol du feu », la survie et l’être qui peut faire face à toutes les situations. L’élan abat les murs et repousse les ordres qui ont toujours réduit les femmes au silence et à l’obéissance.

 

«Il n’existe pas de pays

   pas de terre qui ne te soient natals

 

   dans le silence une eau étroite

   reprend ses droits

 

   ouvre des veines sous ton torse.» (p.91)

 

Voilà une poésie qui s’ancre dans le réel et propose une démarche exigeante d’affirmation et d’espoir pour échapper à une dictature que nous avons encore bien du mal à contrer. Les femmes restent la cible de cette violence aveugle, de meurtres sordides qui frappent aussi les enfants. Les médias nous gavent de cette démence quotidienne. Partout, elles se débattent entre les tranchées, arrivent tant bien que mal à se faire justice quand elles se révoltent et attaquent les murailles derrière lesquelles se réfugient les combattants mâles. Une poésie sentie, poignante et exigeante, sans artifices s’impose après bien des arrêts et des pleurs. 

Je me suis longuement attardé sur les textes de Catherine Morency pour en voir toutes les facettes. Les répétant à voix haute pour en saisir la cadence et la pulsion. J’ai eu l’impression de polir un diamant qui montre toute sa beauté et sa valeur après bien des efforts. Le lecteur doit s'attarder sur chacun des mots pour s’imbiber de l’univers de cette poète qui parle juste, reprend un grand cri de libération qui s’avère encore et toujours nécessaire. 

Voilà une tentative remarquable de concision et de retenue; un élan du cœur et de l’âme qui transforme le monde, le lave de ses obsessions et de ses violences.

 

MORENCY CATHERINELe jour survit à sa chute, Éditions LE LÉZARD AMOUREUX, 100 pages, 22,95 $.

 

https://www.groupenotabene.com/publication/le-jour-survit-à-sa-chute

lundi 18 avril 2016

La vie est une belle fête pour Jacques Boulerice

Une version de cette
chronique est parue dans
Lettres québécoises,
printemps 2016, no 161
J'AIME LES ROMANS qui prennent leur distance avec le réel et les occupations de tous les jours, les textes qui plongent dans l’imaginaire et rendent possible tout ce que l’esprit humain peut concevoir et fantasmer. On dirait cependant que de plus en plus, la notion de vérité s’impose et qu'on a du mal à oublier leur quotidien. J’ai perdu nombre de lecteurs avec Le voyage d’Ulysse parce que j’ai voulu inventer une mémoire réelle et imaginaire à partir de L’odyssée d’Homère, le livre fondateur, la rencontre du merveilleux et de l’humain. Pourtant nous nageons dans la fiction à la télévision en rêvant d’être une Voix ou encore une vedette spontanée. Tous des Virtuoses en claquant des doigts. Pour Jacques Boulerice, la vie est une fête qui ne cesse de nous surprendre et ce jusqu’à la dernière extravagance, la plus flamboyante, celle qui consume le corps et l’esprit.

S’il y a des êtres malfaisants dans les contes et les légendes, et ils sont fort nombreux, il peut y avoir des âmes qui ne veulent que la joie et le plaisir. L’invention des fêtes est la principale occupation de Félibre et de la fée Joufflue, une femme qui ne pense qu’à aimer, qu’à vivre tous les moments de son existence en les goûtant comme des pépites de chocolat. Voici donc les éternels amoureux qui ne cessent de s’inventer des raisons pour s’effleurer et se reconnaître, s’aimer, se draper de grands rires en sachant qu’ils peuvent tout recommencer avec le jour et les poussées de la nuit. Je suis parce que tu es, pourrais-je dire en paraphrasant le grand William.
Mais attention, malgré les grands sourires, les caresses et les baisers, il y a la vie qui fait son chemin, les virages imprévus. Parce que vivre est une tragédie et épuiser tous les plaisirs, répandre le bonheur peut demander une certaine forme de trahison et d’infidélité. Félibre devra apprendre à vivre une liberté qui le bouscule et lui demande beaucoup d'efforts. La fée est insatiable et surtout elle a plusieurs vies en réserve. Il faut se lever de bonne heure comme on dit pour s'accorder à son pas.
J’ai dû abandonner mes repères pour savourer ces courts textes qui se succèdent comme ces dessins d’enfants que l’on colle sur la porte du réfrigérateur. Ils nous offrent un monde que nous connaissons, un regard, une simplicité, une fraîcheur qui touchent toutes les âmes sensibles. Des esquisses, des couleurs étonnantes pour traduire l’espoir, la douleur et le chagrin. Boulerice ne se prive de rien et possède un don pour les trouvailles langagières.

Avec les éclats tombés à leurs pieds, entre des dates et des mots dans le marbre, les amoureux ont ouvert sur place un calendrier de fêtes. C’est un calendrier perpétuel ou le retour de chaque jour offre une image fragile. Grandeur nature, elle demande aux amoureux une attention de tous les instants. Elle leur demande aussi de s’arracher aux beautés éphémères. (p.16)

S’il y a la vie, il y a aussi la mort, les chagrins et la maladie, la perte de soi et de l’autre, celui ou celle qui donne un ancrage à sa vie. Mais tout est plus facile quand on aime une fée qui possède la magie du rire perpétuel et le don de tout transformer en joie. Félibre suit même si on devine qu’il aurait tendance parfois à s’abandonner à une certaine mélancolie, une tristesse qui nous tombe dessus comme une bruine par un matin de juillet. Un état d'âme plus qu’une douleur, une façon d’être qui vous laisse alangui sans avoir l’énergie de secouer le jour. La fée est faite pour le soleil, le ciel bleu et les vents chauds qui emportent les danses et les musiques. Aller vers les autres, les regarder, leur parler et surtout prendre conscience que ce sont eux qui vous donnent la certitude d’exister et d'être heureux.

Il aimait serrer la main des gens, leur tenir le coude, les enlacer ou faire la bise aux plus chers pour s’assurer de leur existence tout autant que de la sienne. Cette façon d’être présent aux vivants palpables rachetait la superbe ignorance que son amoureuse affichait à leur égard, réservant ses salutations et ses tendresses à des êtres qui restaient invisibles. (p.87)

Comment ne pas sourire devant un carrousel à songes ou des boîtes à échos ? Tout est magie, invention avec cette femme-fée si généreuse de son corps. L’impression de m’avancer dans une sorte de bande dessinée où tout peut arriver d’un coup de crayon ou d’un regard. La certitude de prendre le bonheur à pleines mains, à pleine bouche, et ce le plus souvent possible. Parce que la joie est la rencontre de soi et de l’autre. J’aime ce partage, cet équilibre nécessaire entre les êtres pour parvenir peut-être à se faufiler dans une autre dimension.
J’ai souvent pensé à Boris Vian et L’écume des jours où Chloé voit son cancer comme une fleur qui s’épanouit sur son sein. Boulerice nous pousse dans tous les étourdissements et les extravagances. J’aime cette euphorie douce qui retourne les mots, fait surgir des images, des objets impensables, des situations impossibles. Parce que la joie de vivre est peut-être l’invention la plus singulière de l’humain. Ce qui est particulièrement difficile de nos jours avec les violences qui frappent partout et rendent le monde inquiétant. La folie meurtrière est là depuis si longtemps qu’il faut la contrer par la joie d’aimer et le goût du bonheur.
Il faut caresser les mots pour y arriver et surtout fait confiance à leur puissance. Que demander de plus ? Peut-être un regard de la fée Joufflue pour oublier les jours gris, les folies humaines et la mort qui est devenue un sport extrême. Je l’accueillerais volontiers pendant ces semaines où le printemps danse le tango avec l’hiver cette bonne fée. On le sait, les êtres de lumière se moquent des changements climatiques et favorisent le réchauffement de l’être.

L’invention des fêtes de Jacques Boulerice est paru chez Le lézard amoureux, 298 pages, 19,95 $. 

PROCHAINE CHRONIQUE : 73 armoire aux costumes de Charles Sagalane publié chez La Peuplade.
  

mardi 15 août 2006

Gaétan Soucy se fait prestidigitateur

Gaétan Soucy nous a habitués à des univers où les repères s’évanouissent. Il aime déstabiliser. Ses mondes gardent toujours une certaine couleur, une belle familiarité pourtant. L’auteur de «La petite fille qui aimait trop les allumettes» aime déboussoler dans un décor familier.
«Music-hall», son roman baroque, touffu et allégorique, n’a cessé de me questionner depuis sa parution. Comme si l’auteur de «L’acquittement» avait perdu le rythme dans cet ouvrage ambitieux, abandonné son personnage et n’était plus arrivé à maîtriser le voyage. Il nous a habitués à tellement plus de tonus avec «La petite fille qui aimait trop les allumettes» ou «L’Immaculée Conception».

Cet écrivain, plutôt discret depuis, signe ici un court texte où il multiplie les bascules et fragmente le fil narratif. Dans «L’Angoisse du héron», Soucy s’attarde près de l’Acteur qui évoque cet oiseau énigmatique qui fige pendant des heures, disparaissant dans la végétation. Il y aussi l’Agité qui fonce vers les murs pour les pulvériser. Le mouvement et l’immobilisme se confrontant.
Description minutieuse de l’Artiste, bascules où le narrateur raconte son amitié avec un touche-à-tout qui s’est suicidé. On apprend plus loin que ce mort est l’auteur du premier récit. Pour finir, une fille s’impose et souhaite mieux connaître ce père qui a choisi de mettre fin à ses jours. Soucy multiplie les points de vue à la manière des peintres cubistes, fragmente la narration, prend un malin plaisir à défaire les références.

Virtuosité

Ce texte démontre une belle virtuosité, mais touche peu le lecteur que je suis. Soucy pousse continuellement sur des fausses pistes et le procédé devient mécanique, il faut le dire. «L’angoisse du héron» tourne à vide malgré l’habileté de l’auteur.
Une petite phrase cependant m’a heurté, assez pour s’y attarder. Est-ce une bravade ou une conviction du romancier? «Comme on aime les fictions et comme les niaiseries du roman sont encore promises à un long avenir!» Croit-il encore possible l’aventure romanesque? Cet écrivain unique a-t-il abdiqué?
Gaétan Soucy semble avoir perdu ses ancrages depuis son dernier roman incertain. Ses personnages, depuis «Music-hall», vont d’échec en échec, flirtent avec la mort, n’arrivent plus à survivre. Ils témoignent peut-être de l’angoisse de l’artiste devant le travail d’écriture. Peut-être aussi que ce romancier admirable se regarde un peu trop écrire.

«L’angoisse du héron» de Gaétan Soucy est paru aux Éditions Le Lézard amoureux.