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lundi 30 avril 2012

Le grand art du monde ordinaire de Serge Bruneau

Serge Bruneau nous entraîne dans un monde un peu étrange dans «Quelques braises et du vent».
Une famille, du moins ce qui en reste. La grande sœur Marie, écrivaine, travaille comme serveuse et s’occupe de son fils Martin. Ses romans n’arrivent pas à se démarquer dans la production littéraire.
«Marie en était à la rédaction de son cinquième roman qui, aux dernières nouvelles, s’intitulerait Rendez-vous sur Mars. Elle n’avait jamais eu la main pour les titres et il semblait que ça n’allait pas en s’améliorant. Si seulement elle s’était ouverte plutôt que de traiter son travail comme un secret d’État, j’aurais pu lui soumettre quelques idées. Rien de bien fracassant, mais tout de même mieux que ce qu’elle avait en tête. Je gardais tout ça pour moi. Je n’avais plus voix au chapitre. (p.15)
Des livres que Marc, son frère, trouve plus ou moins intéressants.
Elle a tout pourtant: beauté, intelligence et de l’énergie à revendre. Elle prépare une manifestation pour protester contre la présence d’une industrie de textile qui fait la pluie et le beau temps dans la petite ville depuis des décennies.

Rivière

La rivière Sainte-Camille coupe la ville en deux et devient le symbole de l’exploitation du milieu. Un barrage retient les eaux dans la haute ville pour le plaisir des riches et ne laisse que des flaques stagnantes en bas, surtout quand la sècheresse sévit depuis des semaines. 
Marc doit vivre avec un handicap après un accident de moto. Il est le liant de cette famille qui s’enrichit d’un autre frère qui risque sa vie en ingurgitant toutes les drogues imaginables. Il se retrouve à l’hôpital après un infarctus même s’il est encore tout jeune.
Marc se sent responsable de sa sœur, de son frère même si cela ne clique guère entre les deux, de son père aussi, un itinérant qui n’est pas dépourvu de bagou et de charisme. Un sujet tabou. Marie et Karl deviennent particulièrement virulents quand il est question de lui.
«Victor avait été marin, boxeur, plombier, mécano, jardinier, cuisinier, routier, barman, conducteur de taxi, journalier, trappeur, un peu père, très peu époux. Parfois un moment, il n’était que soûl.» (p.43)
De la mère, il n’en est jamais question.

Manifestation

Marie prépare un grand coup pour donner un élan à sa carrière d’écrivaine peut-être. Comment séparer l’actualité de la fiction? Une occasion pour elle de faire le ménage dans sa vie peut-être.
«Il m’arrivait de le comprendre, tout comme il m’arrivait de considérer son attitude injuste envers Marie. Elle écrivait, et c’était pas rien. Un écrivain, ça ne pouvait pas toujours se balader avec un air bienheureux plaqué en plein visage. Passer le monde sous la loupe, le décortiquer, le désosser pour y trouver le nerf sensible devait valoir un minium de compréhension, pour ne pas dire de respect. Depuis quand demandait-on aux écrivains de filer comme des fusées dans un firmament de plus en plus encombré?» (p.127)
Les manifestants envahissent la ville et la violence éclate. Un sujet particulièrement d’actualité.

Drame

Marc en voulant protéger tout le monde et surtout son père provoquera un drame terrible.
«L’idée m’était insupportable. Déjà qu’il avait tout Rivière-Sainte-Camille sur le dos… Qu’on se moquait de chacun de ses gestes… Qu’on ne ratait pas l’occasion pour le pointer du doigt, grimacer sur son passage, se pincer le nez pour combattre sa puanteur. Le pire était d’imaginer Marie devant ce mauvais spectacle qui viendrait bafouer tant et tant d’efforts pur que les consciences s’éveillent et poussent à l’action… Des mois de travail et d’espoir. Tout ça anéanti, éclipsé par l’intervention burlesque de son propre père.» (p.156)
Serge Bruneau a l’art de mettre en scène des personnages particulièrement séduisants. Ses héros, je pourrais les croiser à tous les jours en me rendant à l’épicerie.
Chacun cherche sa petite place au soleil, se débat avec ses peurs et ses angoisses. Toujours tendre, humain et plein d’empathie. Une forme de grand art du quotidien. Je crois qu’il n’y a pas d’autres mots pour qualifier l’œuvre de Serge Bruneau.
Juste, émouvant, avec une écriture qui coule de source. Un écrivain trop discret qui mériterait d’être mieux connu et apprécié.

«Quelques braises et du vent» de Serge Bruneau est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/612.html

jeudi 7 septembre 2006

Serge Bruneau et la vie de couple

Les maisons d’édition se multiplient au Québec. Trop répètent certains. Un lecteur peut plonger dans les parutions de XYZ Éditeur ou de Boréal et être occupé toute l’année. Quelques succès de la littérature mondiale, un détour chez Leméac et il aura lu un livre par semaine.
Je devrais écrire lectrice. Parce que ce sont les femmes qui lisent. Les hommes sont occupés ailleurs, à des «choses sérieuses» comme ils affirment dans les enquêtes. Pourtant la littérature fait comprendre la vie qui s’étiole, les mirages de la consommation et débusque les stéréotypes. Lire des romans ferait peut-être comprendre à ces mâles qu’il est bien futile de s’accrocher au pont Jacques-Cartier pour revendiquer leur paternité. «L’enterrement de Lénine» de Serge Bruneau leur apprendrait peut-être qu’il faut d’abord l’assumer cette paternité.

Le rêve

Alicia et Mathieu ont connu l’amour fou et la musique. Assez pour croire qu’ils pouvaient en vivre. Charlotte, leur fille, a quinze ou seize ans et déteste sa mère qui a toujours cru que tout était possible, allant d’un homme à un autre. Mathieu fait des chansons pour les vedettes du jour. Charlotte le rejoint dans sa maison de banlieue après une autre querelle avec Alicia. Ils doivent s’apprivoiser.
Le roman se présente comme un récit à deux voix, un duo qui joue en harmonie. Charlotte raconte sa vie et Mathieu en fait autant. Un Mathieu qui répond toujours présent, incapable de s’empêcher de courir quand Alicia lui fait signe. Une séparation mal cicatrisée.
Charlotte se méfie et ne veut surtout pas répéter les gestes de ses parents. Elle surveille les voisins mal assortis. Simone a beau être psychologue, elle devient aveugle devant son mari Adam qui baise à gauche et à droite.
«J’étais Charlotte et je savais que je surmonterais cette erreur sans m’accabler jusqu’à la fin des temps. J’étais cette Charlotte qu’ils avaient plantée dans ce monde qui était le leur et qui ne m’avait pas encore gobée. Et qui, me jurais-je, ne me réduirait jamais à son ordre où les zigotos sont rois.» (p.143)

Quête de sens

Plus rien ne semble vouloir unir les hommes et les femmes dans cette quête frénétique du plaisir. Charlotte fait en sorte de ne pas se faire piéger, tente de trouver un sens dans le quotidien qui s’affole souvent comme girouette au vent.
«J’étais la fille et elle, c’était la mère pliant l’échine sous les coups répétés du temps et des sales types qui le meublent. L’égalité était rompue. Je détestais ma mère. Je ne parle pas de haine ni d’aversion, je parle de l’envers de l’amour. De cette émotion qui a refusé de naître et donc, forcément, de s’exprimer.» (p.13)
La vie arrange toujours les choses, même mal. La fille finira par s’accommoder de sa mère.
Charlotte cherche à se débarrasser de son enfance. L’érable qui a marqué ses premiers pas et qu’une tornade a couché au sol devient un symbole. Elle le débite à la tronçonneuse pour mettre ses souvenirs en morceaux, s’acharne jusqu’à ce qu’elle puisse avancer dans la vie avec confiance. Mathieu bricole de son côté pour trouver la paix. Chacun a sa manière de faire surface.
Bruneau décrit des femmes et des hommes dans leurs hésitations et leurs déchirements. Les élans et la méfiance de la jeunesse devant la sérénité que les hommes et les femmes finissent par trouver après les grands feux qui laissent des cicatrices.
Un roman rafraîchissant, intimiste, avec juste ce qu’il faut de cynisme. Rien n’est facile, mais les personnages de Bruneau s’en sortent. Ils ont du ressort. Une belle tendresse, un humanisme de bon aloi que l’on découvre à chacune de ces pages bien senties. Un plaisir qui passe par une écriture forte.
Un écrivain étonnant, bien plus que ces vedettes de la littérature jetable qui se disputent les manchettes et une chaise dans les émissions de variétés. Dire qu’il a fallu que Serge Bruneau écrive un troisième roman pour que je le remarque. «L’enterrement de Lénine» m’a donné le goût de remonter à «Hot Blues» et «Rosa Lux et la vie des anges».

«L’enterrement de Lénine» de Serge Bruneau est paru chez XYZ Éditeur.