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jeudi 9 novembre 2023

HAMELIN ET SA QUÊTE DE L’AMÉRIQUE

CE N’EST PAS la première fois que Louis Hamelin se lance sur les traces d’un personnage historique. Il l’a fait dans Les crépuscules de la Yellowstone avec le naturaliste John James Audubon, un formidable dessinateur d’oiseaux. Il l’a accompagné dans sa dernière excursion sur le Missouri, guidé  par Étienne Provost, véritable légende, le plus courageux des coureurs des bois, dit-on. Cette fois, dans Un lac le matin, Hamelin retrouve Henry David Thoreau dans sa retraite près du lac Walden devenu mythique. Cet auteur a connu la célébrité avec Walden ou la Vie dans les bois. Naturaliste et philosophe, né en 1817 à Concord au Massachusetts, il est décédé en 1862, des suites d’une tuberculose. Ce penseur original fascine encore beaucoup de Québécois. Richard Séguin a fait un très beau disque en s’inspirant du personnage, de ses écrits et de ses luttes. Retour à Walden est un arrêt incontournable pour qui s’intéresse à Richard Séguin et à Thoreau. J’ai écouté ce petit bijou des dizaines de fois. 

 

Louis Hamelin trace un portrait plutôt juste de Henry David Thoreau, cet original qui a créé une école pour y enseigner pendant quelques années, tentant d’y développer des notions qui bousculaient la vie de ses concitoyens qu’il considérait comme trop matérialiste et insouciant vis-à-vis de la nature. Les forêts dans les alentours de Concord retentissaient du bruit des haches et des moulins à scie. Ce sera la même chose au pays du Saguenay où les coupeurs de pins s’établissaient près d’un cours d’eau, fondaient un hameau, rasaient tous les environs avant d’aller s’installer ailleurs, laissant derrière eux des villages fantômes et des ruines. Jean-Alain Tremblay a illustré magnifiquement cette problématique dans La nuit des Perséides

Un moment de réclusion pour réfléchir, écrire, cultiver ses légumes, entretenir sa cabane, lire les Grecs dans le texte tout en surveillant les comportements des animaux qu’il croisait dans son quotidien. Une vie toute simple. Thoreau s’accommodait de peu, même s’il profitait des avantages de la ville toute proche et ne refusait jamais un bon repas chez ses parents ou des amis, particulièrement avec Ralph Waldo Emerson, l’écrivain qui a tenté de définir ce que l’on nomme l’intellectuel américain. Louis Hamelin y introduit un personnage peu connu, un certain Alex Therrien, d’origine canadienne-française qui travaille dans les environs et que Henry croise régulièrement. Un homme qui semble une sorte de Roger Bontemps qui se contente de vivre dans la forêt avec son chien et qui n’hésite jamais à partager son bonheur ou encore le plaisir de vider une bouteille. 

 

«Henry apprit qu’il se nommait Alex Therrien. Né au Canada, dans la vallée du Saint-Laurent, Alex était arrivé en Nouvelle-Angleterre une douzaine d’années plus tôt et il avait le même âge que lui : vingt-huit ans. Il travaillait comme bûcheron et poseur de clôtures, abattant des arbres qui devenaient ensuite les piquets qu’il enfonçait dans la terre. Son chien s’appelait Rex.» (p.33)

 

Un homme qui rêve de retourner au Canada pour s’installer sur une ferme. Une sorte de modèle pour Thoreau qui se débat avec des questions existentielles et des idées qu’il n’arrive pas souvent à dompter. 

Ce personnage me fait penser à un ami qui a pratiqué la cueillette des bleuets et des pommes pour survivre, consacrant la plupart de son temps à collectionner des antiquités et à sculpter. En plus de vivre sa passion pour les voyages et le lointain, bien sûr. Un original qui a mis une douzaine d’années à construire sa demeure de ses mains avec du bois récupéré partout dans les vieilles granges et les maisons abandonnées, n’utilisant que des outils qu’il maniait à force de bras, sans recours à tous les bidules électriques qui facilitent tant les corvées. Il habite toujours cette maison sans téléphone et sans eau courante, sans Internet et la télévision. Un personnage qui n’a jamais lu Walden ou la vie dans les bois, mais qui aurait pu donner des leçons au penseur de Concord.

 

PLAISIR

 

J’ai savouré le roman de Louis Hamelin encore une fois. Faut dire que j’aime à peu près tout ce qu’il écrit et publie. Son Henry est fort sympathique, un peu tourmenté, curieux de tout, des bêtes et de la forêt, des plantes que l’on trouve à l’état sauvage sans trop y prêter attention. Le récit se transforme par moment en véritable livre de botanique où Hamelin se fait plaisir en décrivant les végétaux qui prolifèrent autour du lac et de sa cabane. Des extraits ou des passages que n’aurait pas reniés le frère Marie-Victorin. 

 

«Emmêlées au feuillage vert pâle que les saules noirs étalaient sur la rive, des lobélies cardinales et des galanes glabres aux calices tubulaires se miraient dans l’eau. Un peu en retrait du bord se dressaient les hautes talles d’eupatoires pourpres, et dans la prairie plus loin on distinguait les fleurs bleues de la gentiane, le mauve tendre des gérardies et des rhexies de Virginie, les tresses blanches des spiranthes.» (p.75)

 

Henry David Thoreau était-il un véritable ermite? Pas vraiment. Il y avait toujours quelqu’un qui venait jaser un moment, partager un thé ou encore le surprendre dans ses petites tâches ou en train d’écrire. Et surtout, il était seulement à quelques kilomètres de Concord où vivait sa famille. Parlons d’un retrait plutôt, dans un lieu tranquille, mais assez fréquenté et accessible. Cela n’a rien à voir avec l’un de mes oncles qui a passé plus de trente ans dans une cabane en bois rond sur les rives de la rivière Ashuapmushuan. Nous allions lui rendre visite une fois par année pendant la période des bleuets et c’était un moment qui m’impressionnait beaucoup. Assez pour que je rêve de me faire ermite plus tard, de m’installer au cœur de la forêt, dans une courbe de la grande rivière pour y vivre au rythme des épinettes, de l’ours et de l’orignal. Cela n’est pas arrivé, vous vous en doutez.

 

AMÉRIQUE

 

Hamelin dresse un portrait fort intéressant de l’Amérique, des États-Unis plutôt, dans les années 1845 et subséquentes. Les coupes forestières battent leur plein sur la côte est des États-Unis et la quiétude du lac Walden est perturbée, pour ne pas dire menacée. Les haches retentissent du soir au matin dans les montagnes, le bruit des scies des moulins monte avec le chant des maringouins. Le bois est très demandé et les constructions se multiplient partout avec les villes et les villages qui se développent. Il y a plus de cent cinquante ans, les grandes forêts sauvages des commencements n’étaient déjà plus qu’un souvenir. La terrible offensive pour s’approprier les ressources naturelles et transformer tous les arbres en planches et madriers battait son plein. La disparition de ces parterres d’origines n’était plus qu’une question de temps. 

 

«Autour de lui, dans tout le bassin versant du Penobscot, rugissaient les scies de deux cent cinquante moulins avalant et recrachant deux millions de mètres cubes de bois par année, et la même chose se produisait au même moment dans les bassins hydrographiques de la Kennebec, de la Saco, de la Passamaquoddy et de la Saint-John, où d’autres humains et d’autres moulins coupaient, acheminaient et digéraient l’immense forêt qui s’étendait des montagnes Blanches à l’Atlantique.» (p.173)

 

Un livre fort sympathique qui permet à Hamelin, encore une fois, de nous démontrer que le compte à rebours était engagé pour l’Amérique à l’époque d’Audubon et de Henry David Thoreau qui fascinent bien des gens de nos jours, des nostalgiques peut-être. Nous réalisons, en lisant Hamelin, que le pillage s’est amorcé dès l’installation des premiers Européens pour nous pousser vers les catastrophes de maintenant. Tout a commencé alors qu’un certain Jacques Cartier abattait un arbre et dressait une croix dans le territoire de Gespeg devant des autochtones qui le regardaient, sans comprendre qu’ils étaient dorénavant des conquis et que leur pays n’était plus leur pays. 

Louis Hamelin est en train d’élaborer une œuvre unique qui se soucie des humains et de la nature que nos agissements menacent de toutes les façons imaginables. Un bonheur que de la suivre à la fois dans son quotidien où il tisse des liens avec une histoire plus lointaine qui décrit très bien les travers d’une civilisation et d’une pensée qui ne peut que mener à la destruction et au pillage. Les réflexions de Henry David Thoreau étaient pertinentes en son temps et sont de plus en plus nécessaires maintenant que nous avons à peu près tout ravagé et que certains dirigeants nous promettent encore une fois l’Eldorado avec la filière électrique. 

Hamelin jongle avec des questions que les amis de Thoreau aimaient ressasser lors de leurs agapes où ils se demandaient comment fonder une authentique littérature américaine et surtout, comment vivre en harmonie avec la nature. Des rencontres et l’écoute des autochtones auraient pu les instruire sur le sujet, mais ces premiers habitants du Nouveau Monde sont absents du quotidien de Thoreau. Hamelin pose peut-être, un livre à la fois, les jalons d’une littérature d’expression française américaine qui nous distingue et fait de nous quelque chose comme un peuple et une nation particulière.

 

HAMELIN LOUISUn lac le matin, Éditions du Boréal, Montréal, 248 pages.

 https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/lac-matin-4019.html

vendredi 24 juillet 2020

DERNIÈRE EXPÉDITION D’AUDUBON

LOUIS HAMELIN REVIENT au roman après une absence de quelques années, le temps de mener à terme un projet exigeant. Les crépuscules de la Yellowstone, un ouvrage de plus de 300 pages, pique la curiosité. La Yellowstone est un affluent du Missouri d’une longueur de 1085 kilomètres qui permet de se rendre aux Rocheuses, à la limite de l’Ouest américain. Hamelin nous fait entreprendre la dernière expédition de John James Audubon, le célèbre naturaliste, reconnu pour ses magnifiques dessins d’oiseaux. Son équipage remonte la rivière, explore un pays encore inconnu pour surprendre des animaux jamais recensés en Amérique et terminer un travail sur les quadrupèdes qu’il a amorcé depuis quelques années.

Nous sommes en 1843, Audubon a cinquante-huit ans. Il mourra en 1851. L’Ouest américain est à la veille de vivre un raz de marée. Les migrants vont découper le territoire et se livrer à l’agriculture, modifiant totalement l’environnement, éliminant à peu près toute la faune d’origine, repoussant les Autochtones sur les terres arides. Le bison qui occupait ces vastes plaines va disparaître après une guerre d’extermination. La bête mythique cédera sa place aux vaches et aux bœufs, aux clôtures et aux silos à grains. Auparavant, on a vidé les cours d’eau et les forêts, traqué jusqu’au dernier castor pour sa fourrure. Au moment où Audubon s’aventure dans ce territoire, les trappeurs s’amusent à abattre le bison et se livrent à de véritables massacres pour le plaisir de tuer. 
Louis Hamelin n’y va pas par quatre chemins. Tous les membres de l’expédition Audubon, des chasseurs et des coureurs de continent sont originaires du Québec, dont le fameux Étienne Provost. Ils vivent le fusil à la main, tirent sur tout ce qui bouge, juste pour la griserie de donner la mort. De terribles prédateurs insatiables. Il n’y a que les moustiques qui échappent à cette vendetta. Audubon lui-même, un fou de la gâchette, abat tout ce qu’il voit autour de lui.

Pour cette culture pionnière qui a conquis la vallée du Mississippi et s’apprête à déferler sur l’ouest du continent, le moindre gramme de chair comestible compte. Tout ce qui porte bec et plumes constitue une cible légitime. Les marchés regorgent de hérons, de grues, de merles d’Amérique vendu six cents et quart pièce. On y trouve aussi des pics, des hirondelles, et même des chapelets de parulines… Pièges, filets, rafales de grenaille : tous les coups sont permis et aucune espèce n’est encore visée par la moindre protection. (p.19)

Le naturaliste se livre à de véritables massacres jour après jour. C’est assez décevant pour un néophyte comme moi qui s’est souvent extasié devant les dessins magnifiques de son livre le plus connu, Les oiseaux d’Amérique. Ces planches font penser à des photos, comme si Audubon avait surpris ses sujets dans leurs activités quotidiennes. On sait maintenant qu’il fixait les oiseaux sur des cartons avec des épingles pour leur donner l’air vivant, tentant de reproduire les activités de ces bêtes dans leur quête de nourriture et leurs contacts avec leurs congénères. Quand on connaît la petite histoire de ces expéditions, nous avons un autre regard sur ces dessins d’une précision fabuleuse.

CHASSEUR

Le guide de cette expédition est le célèbre Étienne Provost, un coureur des bois né au Québec, à Chambly. Il a sillonné l’Ouest de long en large et semble avoir un sixième sens quand il chevauche sa mule et se perd dans la nature. 

Audubon avisa, plus loin, un gros bonhomme qui surveillait la manœuvre, et s’en approcha. L’homme était court sur pattes et rondouillard, sa panse rebondie le précédait, aussi massive que la bosse d’un bison. La peau de son visage avait la couleur de la brique et la consistance du vieux cuir, et il était coiffé d’un petit chapeau rond et mou rabattu sur les yeux. Une fois qu’ils ont dessoûlé, dit Audubon d’un air engageant, ces garçons deviennent presque décents, ma parole. D’un revers de main, le gros type releva le bord de son chapeau. C’est des bons travaillants, reconnut-il. Je suis John Audubon. Il lui tendit la main. Et vous devez être le fameux Étienne Provost, pas vrai? (p.48)

L’homme des grands espaces, des soûleries monumentales, ne déteste pas non plus s’approcher des jeunes Indiennes. Un individu qui semble inoffensif, mais possède un instinct de prédateur unique. Tous les trappeurs qui l’accompagnent sont sales, grossiers et boivent tout ce qu’ils peuvent trouver. De véritables obsédés. Le mythe des bons francophones qui se sont indianisés au contact de la nature en prend pour son rhume dans le roman d’Hamelin. 

HISTOIRE

L’auteur de Cowboy ne se contente pas de raconter le voyage d’Audubon de façon linéaire. L’écrivain entre en scène et part en expédition. Il se rend à Fort Union, le lieu de l’épiphanie de cette aventure où le naturaliste a fait la connaissance d’un couple fascinant. Le major Culbertson et son épouse Natawista, une Indienne d’une très grande beauté qui a troublé Audubon. Le responsable du poste, un militaire particulièrement doué pour la chasse, semblait plus à l’aise sur un cheval que sur ses deux pieds. 

À côté de Culbertson chevauchait sa compagne, Natawista Iksina, une fille de chef issue du peuple kainai (aussi appelé «Gens-du-Sang»), une des trois nations composant la Confédération des Pieds-Noirs. L’aspect du couple qu’ils formaient, leur élégance naturelle l’intelligence et l’énergie qu’ils dégageaient avaient d’emblée frappé Audubon. Le couple lui avait réservé un accueil chaleureux, avant d’entraîner son célèbre visiteur et ses amis à l’intérieur de l’enceinte fortifiée, puis dans la maison de la compagnie où un excellent porto leur avait été servi. (p.159)

Les pétrolières sont partout et pratiquent la fragmentation, saccagent la terre, l’air et l’eau. Le sol est éventré comme on le faisait naguère avec les carcasses de bison pour s’en nourrir ou pour prélever la peau. Mais cette fois, c’est la phase ultime, l’éviscération qui va laisser le territoire stérile, impropre à toute vie animale et humaine. Hamelin nous permet de vivre les derniers soubresauts de cet Ouest mythique qui a fait rêver des générations. L’avidité, l’argent, le profit immédiat portent un coup à la planète qui ne s’en remettra sans doute jamais. 

ÉCRIVAINS

Louis Hamelin, on le sait par ses chroniques dans le journal Le Devoir, est fasciné par les écrivains américains, particulièrement ceux de l’Ouest, ces hommes et ces femmes qui s’enfoncent dans la nature et vivent simplement. Je pense à Jim Harrison qui a choisi de s’installer en Arizona et Thomas McGuane qui lui a opté pour le Montana. Pas étonnant que Louis Hamelin dirige maintenant une nouvelle collection qui s’intitule L’œil américain chez Boréal où il présente des textes qui mettent en scène la vie sauvage. 
Lors de ce périple, il croise un auteur qui travaille comme guide de pêche, Carl Winkler. Il semble bien que le pays mythique de Jack Kerouac soit disparu et les folles randonnées se butent à des vallées qui puent l’essence et l’huile. 
Bien plus que l’aventure Audubon, Hamelin décrit des massacres, démontre la barbarie des conquérants qui cherchent à éliminer tout ce qui est vivant. Un regard lucide sur la race humaine, sa cupidité, sa rage, ses obsessions, ses folies et ses désirs de richesses. Même Audubon malgré son travail fantastique avait ce côté prédateur et pilleur. 
Un roman fascinant qui met en scène de véritables héros qui ont fait l’histoire et participé au saccage de l’Ouest américain. Une fiction terrible où Hamelin scande le nom des oiseaux qu’Audubon et ses compagnons abattent jour après jour. Une sorte de chant où ces espèces deviennent les témoins de ce qui a été et de ce qui n’est plus. Un leitmotiv, un cantique douloureux. Ça donne des frissons dans le dos tant de bêtise, de cupidité, d’aveuglement, de violence envers soi et la nature. Tout se terminera avec l’extraction de «ce pétrole sale» comme a dit François Legault. La dernière étape avant l’apocalypse qui va peut-être balayer l’être humain, le plus terrible des prédateurs à saccager la Terre.

HAMELIN LOUIS, Les crépuscules de la Yellowstone, Éditions du BORÉAL, 376 pages, 29,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/les-crepuscules-yellowstone-2727.html

mardi 13 décembre 2016

Hamelin dresse un portrait sombre de la société


ÉVA QUITTE TOUT et retourne dans son pays d’origine, à Maldoror en Abitibi, près du lac Kaganoma où son père possède un chalet. Un ressourcement, la paix loin de Montréal et de ses agitations, une année sabbatique pour se refaire une santé physique et mentale. Son paradis devient un lieu d’affrontements entre un homme d’affaires qui veut créer un site touristique pour de riches Américains et les résidents qui cherchent à protéger leur lieu de silence et de beauté. La lutte est sans merci entre Dan Dubois, un comédien et cinéaste engagé et Lionel Viger, le roi de l’Abitibi, qui carbure aux projets et mène tout le monde au doigt et à la baguette.

Fascinant roman que Autour d’Éva de Louis Hamelin. On sait l’écrivain sensible à l’environnement et la vie sauvage. Ce n’est pas la première fois qu’il met en scène des militants qui tentent de protéger un coin de pays contre les exploiteurs qui vendent du rêve et finissent par tout saccager. La confrontation avait lieu dans Le joueur de flûte où un groupe d’écologistes tentait de protéger des arbres millénaires sur une île de la Colombie-Britannique. Un sujet que Bill Gaston touche également dans son très beau roman Suintula.
Cette fois, l’affrontement se déplace en Abitibi, près du lac Kaganoma, une étendue d’eau à peu près intacte malgré les chalets qui s’égrènent discrètement sur les berges boisées. Les animaux y vivent en paix et il est possible de se laisser envoûter par les appels du huart tôt le matin ou encore de plonger nu dans l’eau claire sans craindre les regards d’un voisin.
Lionel Viger est un homme qui a su s’enrichir en intriguant à gauche et à droite, en sachant tirer les bonnes ficelles politiques. Un frénétique à qui personne ne résiste et qui est convaincu que tout s’achète et que tout se vend. Dan Dubois, cinéaste et comédien, lutte pour la protection de l’environnement et dénonce des scandales dans des documentaires attendus. Il n’est pas sans rappeler Richard Desjardins qui tout en composant des chansons et donnant des spectacles, a dénoncé le sort que les forestières ont réservé à la forêt boréale ou encore la situation insoutenable des Algonquins en Abitibi. Dubois est charismatique, attire les médias, possède du panache et du bagou. La lutte s’engage et Éva se retrouve au cœur de l’action, un peu parce qu’elle est là, parce qu’elle aime son coin de pays et qu'il y a Dan.

GRAND COMBAT

Les environnementalistes sont presque toujours les perdants dans ce genre d’affrontement. Il y a bien ce groupe exceptionnel qui a réussi à faire reculer Hydro-Québec qui pensait construire des barrages sur la rivière Ashuapmushuan dans les années 1970, mais les victoires se comptent sur les doigts de la main. Pour un triomphe, il faut recenser vingt défaites. Le pouvoir d’affaires et politique parvient presque toujours à ses fins. La dernière lutte du genre dans mon coin de pays aura été celle des militants pour empêcher la construction d’une centrale hydroélectrique à Val-Jalbert, près de Roberval. Un échec retentissant.

Les terres sont publiques, c’est vrai. Jusqu’à ce que les vassaux des grosses compagnies qui dirigent le ministère des Ressources naturelles en décident autrement. C’est ce qui vient d’arriver au Kaganoma : ils s’en sont découpé une tranche de 2500 hectares qu’ils ont cédée à un consortium américain allié à un promoteur local du genre roi nègre, pour un prix gardé secret au moment où on se parle. Et écoutez bien ça : savez-vous combien de temps le ministère de l’Environnement (qui, allez donc savoir pourquoi, se sentait concerné par la transaction) a eu pour évaluer le projet ? Un gros vingt-quatre heures. (p.69)

Monique Proulx s’est lancé dans une histoire similaire dans Champagne et nous a donné un roman puissant, parfaitement incarné dans des personnages tourmentés qui défendent la nature pour des raisons pas toujours très nettes.
Louis Hamelin ne donne pas dans la dentelle et utilise ses personnages pour montrer deux pensées qui se dressent l’une devant l’autre dans tous les projets de la société. L’écrivain s’amuse en les décrivant dans leur grandeur et surtout dans leur petitesse.
Lionel Viger est vulgaire, effronté, parvenu, baveux, prétentieux et carbure à l’argent, aime écraser ceux et celles qui s’opposent à lui. Il traite les gens, et surtout les femmes, comme de vieux chiffons que l’on jette après usage. Il sait être convaincant et vit frénétiquement.

Le GPS de Viger a des contrats avec le gouvernement. Le Plan pourpre, les crédits d’impôt pour la création d’emplois dans les nouvelles technologies, c’est lui. Les détails commencent à sortir. On a appris que Viger touchait un pourcentage sur ces fameux crédits d’impôt. Un membre du cabinet peut pas s’afficher avec un homme pareil, est-ce que j’ai vraiment besoin de t’expliquer ça ? Donc, au Kaganoma, le ministre des Ressources naturelles est en conflit d’intérêts, conclut Éva. (p.291)

Dan Dubois est un séducteur qui collectionne les aventures amoureuses. Il aime se voir à la télévision et être à l’avant de la scène, parvient à entraîner les gens dans son sillage comme il trouble la paix du lac Kaganoma avec ses allers et retours en hydravion.

CYNISME

Ce qui m’a un peu troublé dans ce roman, c’est le cynisme de Louis Hamelin. Pas un personnage ne trouve grâce, du moins ceux qui tiennent le haut du pavé. Tous sont des mégalomanes, ne reculent devant aucune manœuvre pour arriver à leurs fins. Même Dan, le champion écologiste, est plein de contradictions et on se demande sur quoi reposent ses convictions quand il abat un ours près de son chalet pour le plaisir de tuer.
Pourquoi sa lutte pour préserver un territoire sauvage ? Pour en jouir égoïstement ou pour avoir un statut dans la société, préserver une image de contestataire ? Intransigeant, il tasse les gens du revers de la main tout comme  son ennemi Viger. Les deux sont des mâles alpha qui s’imposent et qui ne tolèrent aucune opposition. Ce sont des dominants qui savent mordre quand il faut et les femmes viennent à eux comme des papillons vers les flammes.
Il est vrai que les humains ont tous des faiblesses et des côtés sombres, mais Hamelin caricature dans ce roman. Il utilise surtout un ton qui m’a souvent heurté, comme s’il rédigeait un pamphlet particulièrement virulent sur la nature humaine.
Tous les politiciens succombent au pouvoir et se laissent corrompre. Personne n’y échappe. Heureusement qu’il y a Éva. Une femme tourmentée, forte et solide, plus consistante et humaine. Elle parvient à se tenir à la surface, devine toutes les manœuvres de son amoureux Dan et de Viger. Elle est le regard, la témoin qui surveille des marionnettes qui s’affolent. Et elle comprend, voit le jeu de l’un et l’autre.

Cette personnalisation excessive du mouvement a donné lieu à des épisodes qui ne sont pas sans rappeler les tares des régimes totalitaires : délit de pensée (ce membre du CA victime d’une purge pour avoir professé un mode de vie hypernaturel), contrôle de l’information (un cinéaste indépendant chassé de la forêt du Kaganoma), procès et répression paranoïaques d’un « ennemi intérieur » (éviction d’un autre membre du CA pour contacts informels avec un officier de police). Autant de petites taches qui, il faut bien le dire, cadrent parfaitement avec la logique d’une certaine culture machiste, à l’œuvre dans Autour depuis le début. (p.375)

LOI DE LA NATURE

Hamelin aime croire que la société humaine n’est pas différente de celle des bêtes qui parcourent le territoire du lac Kaganoma. De courts textes, comme une réflexion sur le monde animal, montrent que la loi dans la forêt est impitoyable. Le plus gros avale le plus petit jusqu’à être tué par un plus fort, un plus rusé. Pas de pitié et de tendresse. Un univers cruel, sans âme et sans empathie.
Le monde politique est corrompu, peu importe les idées et les partis. Les hommes ne pensent qu’à dominer et à bander le plus souvent possible avec une nouvelle conquête. Il reste peut-être l’écrit, les mots pour dire certaines choses, ce qu’Éva fera dans les colonnes du journal de son père et peut-être plus tard dans les magazines.
Un roman qui laisse perplexe parce que les figures de proue déçoivent et qu’ils sont interchangeables dans le grand spectacle des affrontements. Un regard assez désespérant sur notre société et l’avenir. Mais comment demeurer optimiste dans une époque où l’on voit un Donald Trump devenir président des États-Unis et un Philippe Couillard se présenter en sauveur ?
Hamelin frappe fort et on ne peut qu’être dépité devant un tel portrait. J’aime bien, peut-être naïvement, croire qu’il y a encore des gens qui ont des principes, luttent pour des causes en respectant les autres. Ce genre de héros ne fréquente pas le monde d’Éva ou ils sont rapidement largués. Autour d’elle, les prédateurs s’agitent et c’est pourquoi, à la toute fin, elle se retrouve encore plus seule que quand elle a quitté Montréal. Viger est mort de ses excès et Dan a disparu pour s’illustrer dans un autre combat, surgir dans une cause qui lui permettra d’entretenir son aura médiatique. Le cynisme ne tue pas, mais il dérange et fait mal.

AUTOUR D’ÉVA de LOUIS HAMELIN est publié chez BORÉAL ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : Nue et crue lettre au poète disparu de GISÈLE VILLENEUVE, paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.


http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/autour-eva-2521.html

dimanche 7 novembre 2010

Louis Hamelin plonge dans la crise d’octobre

 «La constellation du lynx» de Louis Hamelin est un ouvrage impressionnant avec ses 600 pages, ses multiples personnages. Une immersion totale dans les années 70 et les événements d’octobre. Des moments qui ont marqué l’histoire du Québec contemporain. Cette balafre difficile à ignorer, ce «trou de mémoire collectif en forme de mise à mort», peu de littérateurs ont osé l’explorer.
Les Québécois se souviennent plus ou moins des événements d’octobre. L’enlèvement de James Richard Cross, diplomate britannique à Montréal et du ministre du Travail de l’époque ne doit certainement pas dire beaucoup de chose à ceux qui ont moins de trente ans. Pierre Laporte mourrait dans des circonstances nébuleuses tandis que James Richard Cross était libéré par ses ravisseurs qui prenaient la direction de Cuba.
Il ne faut pas croire que le Québec était alors un cas sur la planète Terre. Ces événements tragiques s’inscrivaient dans un grand mouvement de contestation qui toucha l’Amérique et l’Europe. En France, en Italie et en Allemagne des groupes prônaient l’usage de la force et de la violence pour atteindre leur but. Au Québec, cela prenait la couleur de la libération nationale par la souveraineté.

Événements

Louis Hamelin avait onze ans quand les soldats de l’armée canadienne ont envahi Montréal et quelques villes du Québec. Ottawa entrait en guerre contre les membres du FLQ. La Belle province devenait territoire occupé. Hommes, femmes, écrivains, poètes et militants étaient incarcérés manu militari. Aucune explication nécessaire. La loi spéciale permettait d’arrêter n’importe qui, n’importe quand. J’ai même eu droit à une visite de la police à Montréal.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ces événements. Mémoires, récits par des membres du FLQ, témoignages et aussi des silences qui font surgir plus de questions que de réponses.
Le romancier tente de reconstituer le puzzle et de suivre la démarche des révolutionnaires, met en scène des hommes et des femmes qui s’activaient dans le mouvement clandestin et cherchaient à libérer le Québec du Canada, à mettre fin à l’exploitation par l’instauration du socialisme. Certains personnages enquêtent, tentent de débusquer la vérité et fouinent un peu partout sans pour autant tomber sur les bonnes réponses.
Le lecteur doit faire preuve de patience avant d’être emporté par ce thriller. Les intervenants se multiplient et il est difficile de comprendre où l’écrivain veut nous entraîner. Il faut une bonne centaine de pages avant de se sentir à l’aise et de renoncer à coller la fiction sur l’histoire. Nous avons tous le réflexe de prendre «La constellation du lynx» au premier degré, de croire qu’il s’agit d’une reconstitution exacte des événements. Bien sûr on reconnaît certains personnages, mais ce n’est pas là le but de l’aventure.

Infiltration

Il semble bien que les membres du Front de libération du Québec étaient connus de la police et leurs déplacements suivis à la seconde près. La maison du 140 de la rue Collins, où le ministre Laporte a été détenu, était truffée de micros. Les policiers savaient tout ce qui se tramait. Même que la maison voisine aurait été occupée par les forces policières. Pourquoi ils ne sont pas intervenus, mystère.
Le romancier va plus loin. Les groupes felquistes, selon lui, étaient infiltrés et manipulés jusqu’à un certain point par les forces de l’ordre. On pourrait croire que les services secrets tiraient les ficelles. Pourquoi les autorités auraient agi ainsi? Pour casser toute idée de révolte, pour briser les reins du mouvement souverainiste? Pareilles hypothèses donnent des frissons dans le dos. Un tel machiavélisme est à peine imaginable dans une société démocratique.

Roman policier

Il est rare que notre littérature s’aventure sur ces terrains minés. Peu d’écrivains ont l’audace de s’attaquer aux problèmes sociaux et politiques. Pourtant, l’actualité est souvent plus étonnante que la plus folle des fictions.
Une véritable aventure, un roman touffu et nécessaire. Une page d’histoire qui reste nébuleuse malgré tous les efforts de l’écrivain. Ce n’est qu’à la toute fin que le puzzle tombe en place et que le lecteur comprend à peu près ce qui est arrivé. «La constellation du lynx» ne ferme pas définitivement le dossier du FLQ, mais il pose les bonnes questions. Le défi était immense et Louis Hamelin le relève avec brio. À lire absolument pour mieux comprendre un moment important de notre histoire. Une fresque fascinante.

«La constellation du lynx» de Louis Hamelin est paru aux Éditions du Boréal. 

samedi 14 avril 2007

Pour comprendre les chemins de l’écriture

Les Éditions Trois-Pistoles et Victor-Lévy Beaulieu, les deux sont indissociables, lançaient, il y a quelques années, la collection «Écrire» avec l’écrivain François Barcelo.
Une fresque où les écrivains et les écrivaines, «révèlent pourquoi ils écrivent, comment ils sont devenus écrivains, où ils vont chercher leur inspiration, ce qu’ils aiment (ou détestent) de leur métier», précise l’éditeur. On compte une trentaine de titres jusqu’à maintenant. Une édition solide, soignée qui ne craint pas les manipulations et les mauvais traitements.
Tout n’est pas égal dans ces témoignages. Il faut se rendre à l’évidence. Plusieurs écrivains sont peu portés à questionner l’acte d’écrire ou ce qui les pousse à jongler avec les mots dans la fureur des jours.
«La gloire et l’argent», claironnait Claude Jasmin dans son essai. Il n’en est pas à une pirouette près et à une provocation. Il est aussi étonnant que cette collection ne compte pas sur les écrivains Yves Beauchemin, Marie Laberge, Michel Tremblay, Larry Tremblay ou Michel Marc Bouchard. Les hommes ou femmes de théâtre ne semblent guère attirés par l’aventure. Il faudrait savoir pourquoi.

Louis Hamelin

Louis Hamelin a joué le jeu. «L’Humain isolé» explore le métier d’écrivain et les chemins de la littérature. Égal à lui-même, il emprunte les sentiers peu fréquentés, lance des flèches à ces auteurs qui prétendent bouder la lecture par crainte de voir leur génie s’oxyder par l’œuvre de l’autre. Drôlement bien envoyé et percutant. L’écriture commence par la lecture. On ne le répètera jamais assez. Écrire, c’est apprendre à lire le monde et son environnement.
«Trop de chefs, pas assez d’Indiens. Trop d’écrivains pour de moins en moins de lecteurs. Les facultés de lettres devraient fabriquer davantage de bons lecteurs et un peu moins de prosateurs dûment identifiés, le sceau de l’institution imprimé dans le front au sortir de la chaîne de montage. Car, à défaut de m’apprendre à écrire, l’université m’aura au moins appris à lire.» (p.49)
Hamelin regarde son enfance, secoue les rêves qui l’ont menés à écrire «La Rage» qui devait le propulser à l’avant-scène du monde littéraire au Québec. Il ne donne pas dans la dentelle et formule des questions fort pertinentes. Surtout, il s’élève au-dessus de ses textes et de la production des collègues.

Générosité

J’aime qu’un écrivain soit généreux, ouvre son univers et vous emporte dans ses premiers écrits, dévoile les obsessions qui ne cesseront jamais de le bousculer. Et quand un auteur, comme Hamelin, possède une vision de l’écriture et de la littérature du Québec et de l’Amérique, cela s’avère un festin.
Le romancier tient des propos plein de santé et de vigueur. Il ne craint pas de mettre le poing sur la table et de parler juste. Pas de mièvrerie ou de compromis.
Voilà le propre des vrais écrivains. Ils ne sont pas si nombreux au Québec et, surtout, ils ne font que rarement les manchettes.

«Humain isolé» de Louis Hamelin est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

mardi 28 mars 2006

Louis Hamelin explore les pays du Québec

Louis Hamelin est de cette génération d’écrivains apparue dans les années 80. Des jeunes un peu baveux qui secouaient le monde avec vigueur et originalité. Certains sont disparus ou presque. Christian Mistral, par exemple, est devenu plus gros que ses romans en se prenant pour l’un de ses héros. L’aventure l’a presque tué.
«La Rage», un prix du Gouverneur général à son premier envoi, montrait les couleurs de Louis Hamelin. Son héros, Mallarmé, lutte contre la construction d’un aéroport international à Mirabel. Une résistance au pouvoir politique et à ces manoeuvres qui ont ravagé un paradis agricole. On connaît la suite et le gâchis de cette décision de Pierre Elliott Trudeau. C’était déjà là une orientation pour ce jeune écrivain. Lutter et résister.

Romans forts

Louis Hamelin s’intéresse aux grands vents fous, aux secousses telluriques et aux frémissements sociaux. Ses romans emportent le lecteur dans un espace aussi vaste que l’Amérique. Ses héros arpentent les savanes et les forêts, se débattent avec les mouches et ne fréquentent guère les cafés branchés du Plateau Mont-Royal.
Et pendant que l’on ergotait, dans le milieu littéraire montréalais, de la nécessité de faire une littérature urbaine, Hamelin allait s’installer en Abitibi et explorait le Québec profond avec «Betsie La Rousse» et surtout «Cowboy». Dans ce roman, il me ramenait dans le milieu forestier. J’étais un peu jaloux parce qu’il explorait mon univers avec une maîtrise parfaite.
Il a peut-être fait un faux-pas avec «Le soleil des gouffres», une idée de roman formidable qu’il a publié avant de «le rendre dans ses grosseurs» comme dit l’ami Victor-Lévy.
Dans «Sauvages», il entraîne le lecteur en Abitibi, à Montréal, Ville Jacques-Cartier et La Mauricie. Trouvez-en des écrivains qui font le détour par Chibougamau ou une réserve autochtone pour discuter de James Joyce. Il traverse les zones de coupes forestières et emprunte des autoroutes que l’on ne retrouve pas sur les cartes. Ses héros sont des paumés, des maganés, des écrivains et des journalistes parfois. Ils dissimulent des blessures à l’âme qui les font se recroqueviller dans ces territoires peu fréquentés pour tenter de guérir. Ils travaillent comme planteurs, débroussailleurs, dans un lieu où dansent les abatteuses qui pèlent la forêt comme une orange.
«Les coupes ouvrent de profondes brèches dans la forêt de chaque côté du chemin de halage bordé d’andains et de troncs fraîchement abattus et empilés formant deux murs odorants entre lesquels ils avancent maintenant au ralenti. À plusieurs endroits, la forêt a complètement disparu, reculée jusqu’à une lointaine lisière vert sombre en deçà de laquelle ne subsiste qu’un sol bouleversé et glabre… » (p.235)
Toujours cette force sauvage qui fait mal et épuise. Ça sent souvent le sapin, la crasse, les effluves des scies mécaniques et la transpiration. C’est solide, dur, costaud et émouvant. Une langue forte qui s’enracine dans ce pays de lacs et de montagnes. Hamelin est un ethnologue à sa manière.

Continuité

«Sauvages», sa dernière parution, ne décevra pas ceux qui ont suivi cet auteur important qui fréquente les éclopés de la mondialisation et de la performance à tout prix. Cet écrivain se salit les bottes dans la terre noire et ses ouvrages font oublier les discours formatés de ceux qui débattent du privé et du public, de la dette et de la privatisation de la SAQ. Il est là où les éclopés du libre-échange et d’une certaine lucidé luttent pour la survie.
Non, Louis Hamelin ne passe pas souvent à la télévision mais c’est un grand écrivain.

«Sauvages» de Louis Hamelin est paru aux Éditions du Boréal.