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mardi 13 juillet 2021

L’AVENIR SERA COLLECTIF OU IL NE SERA PAS

NOS LENDEMAINS DE FEU de Julie Stanton nous plonge dans le sujet de l’heure, soit les bouleversements climatiques, la pollution qui met en danger toutes les espèces vivante. L’avenir se referme comme un coquillage devant les nouvelles générations. Il est plutôt rare que la poésie s’aventure de ce côté-là du monde, s’ouvre aux horizons de la planète et à son sort. On est habitué au terrible «je» qui enfle et prend toute la place sans jamais se préoccuper de l’environnement qui n’en peut plus de nos folies, nos angoisses et nos pillages. Bien sûr, il y a eu le courant identitaire et nationaliste dans les années 1970 avec Gaston Miron, Gilbert Langevin et Yves Préfontaine, mais avec l’échec du référendum de 1980l’individualisme s’est installé dans les champs de la poésie et peu nombreux sont ceux et celles qui ont osé emprunter les chemins de la collectivité pour imaginer le territoire improbable qui n’a cessé de fuir et d’être saccagé.

 

Deux temps dans Nos lendemains de feu dédié aux petits-enfants de la poète. D’abord Les paradis perdus où madame Stanton se souvient d’un éden qui lui a glissé entre les doigts par distraction ou par manque de conscience, peut-être aussi, comme beaucoup de notre génération, qu’elle a été happée par l’avenir, se laissant séduire par le chant des technologies qui avaient réponse à tout.

 

Délestée

de l’aura des années-lumière, tu imaginais

ce qui te conduirait aux années-

charnières. Un signe peut-être surgirait de

la Symphonie du Nouveau Monde, de la

relecture de George Orwell ou de

Nostradamus. Et si demain se réduisait au

néant?

 

Vois

La fonte du Groenland

Le Brésil sous la boue

Le déchaînement de l’Etna

 

Tends le cou au-delà de ta béatitude. En

Californie, Paradise a cédé à l’enfer, le

Portugal retient son souffle, la Grèce

flambe, l’Amazonie se meurt. Jusqu’aux

ruines qui s’ajoutent aux ruines. (p.15)

 

Nous subissons des dérèglements terribles. Une canicule meurtrière frappe la côte Ouest de l’Amérique, particulièrement la Colombie-Britannique, déclenchant des incendies qui détruisent tout sur leur passage. L’enfer, le véritable, sans Lucifer. Et les scientifiques prévoient que le phénomène va se reproduire de trois à quatre fois par année. Tout se déglingue et les terres fertiles sont maintenant des déserts. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la poète respirait dans le bonheur, s’abandonnait à des instants d’extase dans son île cernée par une luminosité qui lui coupait le souffle et la laissait sans mots. Des moments où elle pouvait imaginer que l’avenir était juste là, un peu en dessous de l’horizon, dans l’étal de la marée et que la vie était inépuisable de surprises et d’éblouissements.

 

Le soir s’égrenait en éternité. Âme à nue

dans l’opalescence de la plage, tu cherchais

le meilleur angle pour accueillir le vertige. (p.13)

 

Un repli sur soi, une méditation où Julie Stanton constate que les humains ont été des prédateurs insatiables. Tout ce qui était enchantement n’est plus qu’illusion. Tout ce qui faisait soupirer devant un soleil qui se noyait dans la mer étale risque de s’évanouir à jamais avec la fonte des glaciers, les ouragans qui mordent les côtes de l’Amérique, le smog comme un bâillon sur les villes. Et que dire de cette pandémie qui ne cesse de s’inventer des variants de plus en plus féroces? Qui aurait prédit, il y a quelques mois, que nous déambulerions partout au Québec avec un masque?

 

Les petits-enfants

des enfants de tes enfants, que sauront-ils 

de la forêt boréale naguère opulente, de la

taïga du Grand Nord, de ses tapis de

bruyère, de son lichen, de ses mousses? (p.18)

 

Constat, crainte, regrets, angoisse devant l’avenir, l’aveuglement planétaire qui n’a jamais voulu lire les signes de la catastrophe et qu’il était primordial et nécessaire de modérer nos appétits.

 

APPROCHE

 

Questionnements dans un premier mouvement, constats alarmants et au cœur du poème, une voix qui s’impose, celle de la conscience peut-être, pour tirer les choses au clair. Ce peut être aussi d’autres compagnons que Julie Stanton fréquente qui viennent à la rescousse. René Lapierre, Nicole Brossard, Jack Kerouac, Walt Whitman, Michaël Trahan, Suzanne Jacob, Léonard Cohen, Paul-Marie Lapointe et Jean-Marc Degent. Des allumeurs de réverbères qui se joignent à elle, murmurent et tissent une communauté de pensée et de paroles. 

 

Incontestablement

 

ta désinvolture n’aura servi qu’à élargir les

zones de faille. Tu n’as pas su freiner la

montée des aubes meurtrières, pas su

épargner la vulnérabilité de la tortue des

bois dans le clairières des Appalaches.

 

Si loin si proche

L’exode des animaux sans feu ni lieu

Celui des réfugiés climatiques

Pèsent sur tes épaules

 

La couche est dure lorsqu’on se bat seul,

son village à bras-le-corps. Qui dort où? (p.26)

 

Conscience des ravages d’un appétit de modernité insatiable, de nos aveuglements crasses devant la mort qui circule dans les rues au volant de grosses cylindrées, se roule dans les fleuves et les rivières, voyage avec les vents et assèche les terres les plus fertiles.

 

PAROLES

 

La poète pourrait s’abandonner à la désespérance, répéter que tout est consommé, qu’il n’y a plus rien à faire. Ce serait trop facile. Julie Stanton a toujours cru au pouvoir des mots. Non. Les enfants de nos enfants sont là. Ils s’imposent et inventent leur parole dans Résistants de l’ombre, la deuxième partie du recueil. Ils parlent haut et fort et c’est non. Jamais. Pas de compromis. Ils ne seront pas nos héritiers, surtout pas de l’aveuglement des prédateurs que nous sommes et qui ont étranglé la planète.

 

Merci pour ce que vous avez bâti entre

courage et mégalomanie mais non merci

pour les tas d’immondices si gigantesques

que nous sommes incapables d’atteindre

l’interrupteur nous refusons à seize ans

d’hériter du fatal boomerang de votre

splendide désastre les deux pieds dans la

gueule du cratère! (p.68)

 

Ils vont le défaire ce monde, le secouer aux quatre vents et le retrouver dans sa quintessence. Ils rêvent d’une autre beauté, d’autres villes, d’autres regards. La parole se renverse. Ils sont partout, porteurs d’un langage différent et d’une poésie régénérée. Ils s’éloignent avec l’avenir dans leurs sacs à dos, n’acceptent pas la mort que nous avons fini par domestiquer.

 

… nous sommes nés

sans notre consentement mais nos ailes

farouches nos crises d’anxiété des instants

paradisiaques des bonheurs atroces il y va 

de notre survie de dérégler vos boussoles

pour parvenir à l’imprévu. (p.81)

 

Il y a l’espace pour des lendemains qui chantent et Julie Stanton fait confiance à ces jeunes. C’est à eux de rejeter l’héritage et de faire une aventure de leur vie qui dépasse les limites de notre entendement. «L’espoir luit comme brin de paille», mais pour cela il faut un autre langage et un regard neuf sur ce qu’est le monde.

 

 … oui oui de

nouvelles racines tirées du vieux nous

sommes abonnés au recyclage. (p.89)

 

Terrible legs que nous laissons à ces jeunes, comme si nous leur demandions d’inventer le futur parce que nous avons courtisé la mort en nous abandonnant à nos bonheurs égoïstes. L’avenir sera collectif ou il ne sera pas. «… nous n’irons pas plus loin que la prochaine génération pas de panique c’est demain.»

 

STANTON. JULIENos lendemains de feu, Éditions Écrits des forges, Trois-Rivières, 2021, 16,00 $.

 

https://www.ecritsdesforges.com/produit/nos-lendemains-de-feu/ 

vendredi 12 avril 2002

Il en est des lieux comme des êtres humains

Julie Stanton revient, après «La passante de Jérusalem», avec «Là-bas, l'isle aux Grues», une suite de poèmes ancrée au milieu du Saint-Laurent. Une île pour ratisser l'imaginaire et se courber sur la vie; un espace dans un continent d'eau qui file, une terre échouée dans la mouvance du temps. L'île, vissée au milieu du fleuve, pousse sur le temps et, peut-être aussi, nous protège des mirages du continent.
Julie Stanton enfonce ses pieds dans cette terre de battures, tend les bras vers le large et «le silence dans le silence» se fait. Elle creuse un peu l'espace. Est-ce possible de respirer à largeur d'horizon et d'abolir «la tentation de l'ailleurs»? Comme si Julie Stanton s'agenouillait dans ce «monastère à ciel ouvert», là où la vie n'a qu'à être la vie.
Pourtant sur le continent, la trépidation bouscule les humains, la mort frappe sur la route près de Bellechasse. Faut-il jeter l'ancre, aimer et se laisser vivre simplement?
Julie Stanton arpente la grande île, l'archipel, hante les saisons qui viennent et vont dans les marées folles, toise les vents du grand large qui se font durs ou enjôleurs selon les équinoxes. L'île respire, enchante, laisse filer des chapelets de sarcelles. Et toujours ce vent lancinant qui porte des voix anciennes, des voix perdues dans les replis du rivage. Meliana et Juliana étaient là, toute attente, il y a si longtemps. C'était hier et aujourd'hui. Elles espéraient la voile, un regard, une main, un corps qui ferait frémir le jour.
«Leur quarantaine s'effiloche à la pointe de l'île. Voici maintenant qu'à l'âge se greffe le manque horizontal et musqué de l'homme.
Elles seraient seules et ensemble.» (p.31)
Des visages effacés, des voix comme un soupir dans les aspérités du jour, un départ et des hommes qui ne rentrent plus, égarés «dans l'éternité des eaux passagères». Mais surtout, un regard sur soi, sur la vie qui devient si rauque dans la mouvance.

«Le temps est un corridor étroit si tu ne t'y engouffres en défiant tes fragilités. A chaque jour qui se lève tu prends tous les risques à bras-le-corps.» (p.55)
Julie Stanton n'oublie pas malgré «l'arrogante beauté de ce qui perdure». Elle reste consciente. Là-bas, dans le monde, le sang coule. À Sao Paulo, ailleurs à New York.
Mais comment résister aux jours lisses, aux froissements de l'herbe sur les battures, aux oiseaux qui s'envolent dans leurs cris, aux livres ouverts comme les larges fenêtres qui font des signes à la lumière sur le fleuve. Et des dates précises, comme pour un journal, pour se rappeler, pour ne jamais perdre pied.
Des poèmes et des phrases aussi surgissent comme autant d'îles. Gaston Miron, Marie Uguay, Marguerite Duras, Rimbaud et quelques autres emboîtent son pas. Une île, c'est l'échappée. Il suffit d'un peu d'attention et tout remonte à la surface avec l'eau sur la glace quand s'installe le printemps.
Une poésie charnelle, des envols qui reviennent vers soi toutes ailes tendues. Une réflexion, une méditation et surtout un regard tendre sur un bout de terre qui fait germer la poésie. Julie Stanton donne envie de la suivre vers l'église au toit rouge, un livre à la main tout en se laissant imbiber par les odeurs du fleuve et la poussée des saisons.
Les quinze photographies de Régis Mathieu sont autant de morceaux dérobés aux humeurs de l'isle aux Grues. Ces images nous poussent vers le large ou dans les hautes herbes. Comme si le photographe avait suivi l'écrivaine dans ses méditations et ses rondes. Un livre? Bien plus. Un refuge dans un monde de cris et de folies sanglantes.

«Là-bas, l'isle aux Grues» de Julie Stanton est paru aux Éditions Les heures bleues.

mardi 4 avril 2000

Julie Stanton reste consciente du monde

Dès ses premiers écrits, Julie Stanton a fait preuve d'une constance admirable. Poésie, prose ont démontré ses exigences. Elle risque tout à chaque fois dans un chant, dans un roman même si le jeu de «l'amour et du hasard» a été très souvent exploré en littérature. Encore une fois, elle entraîne son lecteur dans un récit exigeant, un univers où vie et mort s'emmêlent, s'enlacent dans une incantation fascinante.
Avec «La passante de Jérusalem», récit poétique, chant plutôt qui se divise en six stances, le lecteur accompagne une femme qui, dans un dernier souffle, tente de rejoindre l'homme qui l'a quittée, incapable qu'il était d'ignorer la tragédie du monde. Comment oublier l'horreur qui a éventré le siècle en envoyant des millions d'hommes et de femmes au bûcher?
«Douleur rouge de coquelicot.» La triste aventure de l'humanité suinte des murs, bloque le passage à l'amour et à l'abandon. Chant d'amour et de mort, Kamouraska ou Jérusalem, l'appel monte avec le gonflement de la poitrine. A peine un souffle, une brise qui caresse le rideau, ou encore ce vent imbibé des neiges du Saint-Laurent, le lecteur se courbe sur la couche de la gisante qui murmure son amour comme on le fait dans une prière.
«À trop entendre on n'entend plus, cependant que l'oreille collée sur le prochain siècle il y a peu d'espoir d'en finir avec la barbarie. Mais vous toujours n'avez cessé de placer sa tête exsangue parmi les tableaux profanés de l'univers. Bien qu'ici vous suiviez là-bas sa trace brûlée vive.
Ô ce fantôme incessant autant que réel!» (p.16)

Avenir

L'amour est-il possible quand l'humanité tue, viole et pille? L'amour est-il acceptable quand nous regardons la barbarie des siècles? L'amant n'a pas su, n'a pas voulu de l'amnésie. Il ne pouvait se livrer au bonheur quand il y avait Jérusalem et toutes les horreurs. «Ça n'aura été qu'une halte.» Il est parti. L'amour devenu impossible pour cause de mémoire.
Julie Stanton nous emporte dans un souffle qui monte du Saint-Laurent lourd de ses brumes, pétrie l'être et moule le paysage. Par la magie de l'évocation, du souvenir, nous retrouvons les extases et les angoisses de cet homme obsédé par la mort. Nous cheminons à rebours sur ce qu'a été une passion sans compromission.
 «Dans vos bras aux multiples détours j'insistais : pourquoi questionner le monde et ses désastres quand quelqu'un meurt chaque nuit additionné à l'infini ? Mais pour vous, où que soit la cible, dans le crépitement des fusils, sous l'arme sous un blouson, entre deux poings coup après coup, au bout du sabre femmes et enfants, les hommes pendus, il ne faut pas qu'on oubliem.» (p.30)

Ne pas oublier

Chant sensuel qui nous repousse au bord de la vie, au seuil de la mort alors que l'univers n'est peut-être qu'un battement de paupière. Ne jamais oublier... Le corps garde la mémoire des gestes, des matins heureux de Kamouraska. Le corps sait encore l'ivresse mais n'ignore pas les atrocités des barbares.
Grandes marées d'équinoxes qui secouent les continents en se retirant, l'écriture de Julie Stanton, à la fois charnelle et incantatoire, nous plonge entre l'extase et l'agonie. L'amante lance l'appel et le tocsin effrite la glace devant Kamouraska. «L'hiver règne sous la Terre, amour où sont tes bras?...» La dernière parole se replie dans un chiffonnement d'aile. C'était la vie, c'est la mort. Le chant est bu par le silence. Et jouez le jeu, lisez les stances de Julie Stanton à haute voix pour en saisir la musicalité, le phrasé et l'ampleur. Un véritable bonheur!
Livre superbement illustré par l'artiste Gernot Nebel, tableaux aux teintes chaudes et aux titres comme des poèmes, c'est là un travail d'édition à signaler. Une véritable fête pour l'oeil.

«La passante de Jérusalem» de Julie Stanton est paru aux Éditions Les heures bleues.
http://www.heuresbleues.com/heures_bleues_auteurs.htm