Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Rivard Yvon. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Rivard Yvon. Afficher tous les messages

mercredi 17 septembre 2025

COMMENT MAÎTRISER LA VIOLENCE EN NOUS

YVON RIVARD vient de publier un essai qui nous permet de mieux nous situer face à tout ce qui nous heurte actuellement dans le monde avec les guerres, les conflits, les dérives démentes de certains dirigeants et la Terre qui se défend contre les changements climatiques. «La mort, la vie toujours recommencée» (essai sur l’au-delà de la violence) rassemble des textes que le romancier et essayiste a fait paraître dans des revues au cours des dernières années et dans le journal Le Devoir, notamment. Des inédits aussi, bien sûr. Un livre imposant de 300 pages bien tassées qui m’a obligé à m’arrêter souvent pour réfléchir à des questions urgentes pour le futur de la planète et le demain des humains. Que dire devant la mort, la violence qui semble coller à la peau et l’âme des hommes et des femmes depuis que l’humanité a entrepris l’incroyable tâche de devenir humaine? La foi, les convictions, le religieux et le sacré qui font les manchettes avec la laïcité de la société, la place de la littérature et du français dans l’enseignement, l’identité et le nationalisme. Yvon Rivard est un homme qui, après avoir enseigné pendant des années, tente, peut-être, d’atteindre une certaine forme de sagesse et de sérénité.

 

La première partie intitulée «Comment survivre à tant de haine?» aborde des questions qui me taraudent et ne me laissent jamais en paix. Nous sommes bombardés par des images horribles, des visages marqués par la peur et la faim. Des villes en ruines, des attaques de drones et de roquettes sur des hôpitaux quand ce n’est pas des gens qui sont exécutés en cherchant quelque chose à manger à Gaza. 

Que faire face à tout ça? Y a-t-il des explications et des façons de calmer les esprits, d’apaiser les haines qui se répandent depuis des générations?

Il n’est jamais facile de répondre à ces questions qui bousculent l’actualité et qui rendent l’intolérable banal. Pourquoi une telle violence dans l’être humain, pourquoi cette prolifération d’actes barbares dans des sociétés que l’on dit évoluées? Pourquoi encore la guerre en Ukraine et le génocide que nous voyons en direct dans la bande de Gaza? Sans compter les décrets de Donald qui déchirent des ententes et des collaborations établies depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. 

Pourquoi rien n’arrête les dérives des despotes et des illuminés qui ne respectent aucun traité, aucun organisme d’entraide humanitaire, qui lâchent la bride à leurs idées fixes et à leurs folies de régner sur la planète?

Le vieux rêve qui obsédait Gengis Khan, Napoléon et Hitler a fait des centaines de millions de victimes, de morts et d’affamés. Tant de femmes violées comme butin de guerre à travers les siècles et encore maintenant.

 

«Le rationalisme occidental agit comme un mythe : nous nous acharnons toujours à ne pas vouloir voir la catastrophe. Nous ne pouvons ni ne voulons voir la violence telle qu’elle est. On ne pourra pourtant répondre au défi terroriste qu’en changeant radicalement nos modes de pensée. Or, plus ce qui se passe s’impose à nous, plus le refus d’en prendre conscience se renforce.» (p.18)

 

Des explications, il faut les chercher au fond de soi, dans le plus intime de notre être, en maîtrisant nos pulsions et nos yeux de vautour; surtout prendre le temps de regarder autour de soi pour y surprendre l’autre, pour partager un même espace. 

Tout acte de violence fait régresser l’humanité et la pensée. 

Pourquoi ces pulsions où l’individualisme s’impose dans nos contacts avec nos proches et les nations de la planète, peu importe la race et la couleur? Pourquoi ces envies de massacrer ses semblables et de les exploiter en les assujettissant

 

MÉDITATION

 

Yvon Rivard médite, sans chercher à partir en croisade pour imposer des idées qui deviennent souvent une camisole de force, écrase l’individu et ne peut faire que des victimes. Une vérité qui se répand l’arme à la main est une catastrophe pour les humains et tout ce qui respire et bouge sur la planète. 

L’écrivain a bien raison d’aborder ces questions avec prudence et délicatesse parce qu’elles sont inquiétantes et qu’il n’y aura jamais de réponses nettes et précises à ces dérives qui défient l’imaginaire et le bon sens. 

 

«J’ai essayé de faire ce que font tous ceux et celles qui choisissent d’agir en pensant, de penser en aimant, d’aimer en tissant le plus de liens possible avec mes semblables, proches et lointains, morts et vivants, en devenant de plus en plus conscient d’être ce qui dans l’univers réalise l’unité entre la matière et l’esprit. Cette unité, qui repose sur l’identité entre la structure de l’univers et celle de notre pensée, n’est pas une belle abstraction réservée à quelques-uns qui la découvrent et la formulent (philosophes et mystiques, scientifiques, artistes), c’est l’expérience vitale de la pensée commune qui voit et sent que sans l’amitié entre toutes les formes de la vie et d’être, le monde serait un chaos.» (p.25)

 

Mais pourquoi cette violence ancrée dans nos sociétés, ces porteurs de haine qui dressent les humains les uns contre les autres, qui cherchent même à anéantir des populations entières? Nous l’avons vécu avec l’holocauste et nous le vivons avec les Palestiniens. Les victimes peuvent-elles devenir des bourreaux?

 

«… d’où vient le mal, comment peut-on en venir à tuer, à massacrer les pauvres, les paysans, les petites gens qu’on prétendait libérer de ceux qui les oppressent ou protéger, de ceux qui les libèrent? Comment expliquer les guerres passées et actuelles, les massacres de la Syrie, de Gaza, la folie sanguinaire de l’État islamique, l’invasion de l’Ukraine?» (p.35)

 

Et je ne peux que penser à Donald, qui est en train de mettre le monde à ses pieds. 

 

L’ESPRIT HUMAIN


Ces comportements et ces dérives, des spécialistes l’expliquent par des troubles psychiques, des traumatismes subis dans l’enfance ou encore de certaines violences qui pousseraient des victimes à vouloir prendre leur revanche en cherchant à tout régenter. Yvon Rivard risque des réponses en sachant qu’il ne mettra jamais le couvercle sur la marmite.

 

«Autrement dit, tout ce que nous faisons, bien ou mal, procède de notre relation à la mort. Quand la peur de la mort, qui est aussi naturelle que la mort elle-même, n’est pas surmontée, elle se change en une haine de la vie qui tôt ou tard nous sera retirée. Comment accorder de la valeur à ce qui est mortel? Pourquoi supporter toutes les misères humaines qui s’accumulent et culminent dans la mort? Pourquoi aimer, souffrir, créer pour en arriver là, pourquoi travailler à se construire si c’est pour être réduit à rien, vouloir construire un monde habitable si tout est appelé à disparaître?» (p.38)

 

La peur de mourir qui nous pousse à voler la vie des autres et à éliminer ceux et celles qui nous contredisent, à nous emparer de leurs terres et de leurs biens.

Cette crainte viscérale qu’il faut apprivoiser et surtout accepter comme étant normale. «C’est la seule justice», répétait mon père quand cette question se posait lors du décès d’un parent ou de quelqu’un dans le village. «Personne n’y échappe.»

Ces propos n’éloignaient pas mes cauchemars. Tellement que je ne voulais plus dormir et que je faisais des efforts terribles pour combattre le sommeil. C’était comme si, en me glissant sous les draps, je m’enfermais dans un cercueil. Une angoisse qui s’est amenuisée heureusement. J’ai abordé le sujet dans mon carnet : «L’enfant qui ne voulait plus dormir.»

 

TRANSCENDANCE

 

Yvon Rivard ne peut éviter la question de la foi, des certitudes que l’on trouve en soi ou dans certains enseignements. J’imagine qu’il est croyant sans pour autant s’adonner à des rituels religieux. Du moins, je ne le pense pas. Jean Désy, mon ami écrivain et grand voyageur, est aussi de ce côté des choses.

 

«Toutes les formes de violence (meurtre ou viol, guerre ou réchauffement climatique) qui traversent et façonnent l’histoire de l’humanité procèdent d’un enfermement des êtres humains à l’intérieur d’eux-mêmes (frontières, identités, croyances) qui entraîne une rupture entre eux ainsi qu’entre eux et le monde.» (p.45)

 

Rivard tente de briser cet enfermement, de s’ouvrir à l’autre en lui tendant la main, de le rencontrer en toute confiance et sans préjugés. L’«Aimez-vous les uns les autres» d’un certain Jésus de Nazareth résonne alors. 

L’essayiste croit à une forme de transcendance et à une direction ou une poussée qui permet à l’humain de devenir plus humain. La foi peut aider à faire cette prise de conscience ou ce passage évolutif vers la connaissance. La pratique d’une forme d’art, l’écriture ou la musique, est une manière aussi de nous défaire de nos carcans pour voir plus haut et plus loin.

 

ENSEMBLE

 

J’ai beaucoup insisté sur cette partie de l’ouvrage d’Yvon Rivard parce qu’il me semble que c’est la plus importante et la plus nécessaire dans le monde actuel. Il ne faut pas pour autant négliger les propos de l’essayiste sur le rôle de l’enseignant, la place de la littérature dans la vie des étudiants et ses échanges épistolaires avec Gérard Bouchard. 

C’est passionnant. 

Il y a là matière à une autre chronique pour bien montrer l’étendue de la réflexion de cet écrivain qui ose aborder les turpitudes contemporaines.

J’aime la démarche d’Yvon Rivard, qui ne tranche jamais comme le font la plupart des «passeurs de vérité» dans les médias qui donnent toujours l’impression de dicter les Tables de la loi. 

Le romancier et enseignant reste prudent, questionne et n’hésite jamais à changer d’idée quand on lui apporte des faits ou des avenues nouvelles. Même si cela vient bousculer ce qu’il considérait comme des vérités. 

Un essai qui fait du bien, qui donne de l’espoir et peut-être qui nous permet de croire (je le demande avec ferveur) qu’il est possible de vaincre la barbarie même «si nous serons morts, mon frère.»

La grande aventure de la vie, c’est d’apprendre à mourir et se dire que ce que nous n’avons pas réussi à accomplir pendant le temps qui nous était alloué, un autre va le faire. J’aime évoquer les bâtisseurs de cathédrales qui se relayaient de génération en génération pour compléter une œuvre à la fois concrète et architecturale d’une terrible beauté. Tous savaient, en travaillant sur un chantier, qu’ils ne verraient jamais la fin du projet, mais ils y déposaient leur pierre avec ardeur et générosité. La «Sagrada Familia» d’Antonio Gaudi est l’un de ces projets qui dépassent la frénésie contemporaine et qui échappe au temps. Parce qu’il faut des générations pour faire un humain et une humaine, pour prendre conscience que nous devons nous abandonner et céder son espace pour que la vie continue plus forte, différente et peut-être plus juste. 

 

RIVARD YVON : «La mort, la vie toujours recommencée. Essai sur l’au-delà de la violence», Éditions Leméac, Montréal, 2025, 312 pages, 29,95 $.

https://lemeac.com/livres/la-mort-la-vie-toujours-recommencee-essai-sur-lau-dela-de-la-violence/

dimanche 8 août 2010

Yvon Rivard questionne le rôle de l’intellectuel

L’intellectuel joue-t-il encore un rôle dans une société où l’économie dicte toutes les décisions? Yvon Rivard, dans «Une idée simple», lance la question.
 «Mais si l’intellectuel (entendre : tous ceux qui pensent en écrivant, tous ceux qui vont aux choses par le détour des mots, des images et des chiffres) veut vraiment faire son métier qui consiste à découvrir le réel, s’il veut comprendre la complexité du monde, en mesurer l’opacité, épouser le malheur des mortels, il doit se rapprocher de ceux qui sont au fond du baril et du puits étoilé, tous ceux qui, étant exclus du monde par l’injustice, sont pour ainsi dire projetés au-delà, confrontés à l’infini des ténèbres qui les enserrent, condamnés, comme les malades, les pauvres et les agonisants, aux grandes questions dans lesquelles se rencontrent le métaphysique et l’éthique : comment et pourquoi se rendre jusqu’à demain?» (p.10)
Voilà des propos qui ont hanté les penseurs tout au long de l’histoire de l’humanité. De Socrate à Jean-Paul Sartre.
Qui cherche à donner un sens à l’existence par la réflexion et l’écriture, doit tenir compte des démunis pour jouer pleinement son rôle. Il doit se rouler les manches et quitter sa tour d’ivoire.
«Ce n’est pas tomber dans l’anti-intellectualisme populiste que d’affirmer la nécessité pour l’intellectuel de combattre son propre savoir, de l’assujettir constamment, et non pas seulement en temps de crise, à des exigences morales, à l’obligation de porter assistance à autrui.» (p.18)
Rivard ne demande pas à l’intellectuel de se changer en Mère Teresa, mais d’éprouver de la compassion et de l’empathie pour ceux que la société sacrifie souvent.

Vision

Comment «porter assistance à autrui» en écrivant et en combattant son propre savoir?
«C’est, au contraire, avoir de l’intellectuel la vision la plus haute que de lui assigner la tâche la plus difficile, double tâche qui consiste d’abord à se séparer du monde pour acquérir un savoir qui lui permettra de changer le monde ou en tout cas de ne pas accélérer sa destruction, et ensuite qui exige le sacrifice de ce savoir, que celui-ci soit un savoir d’allègement ou d’approfondissement, de création ou d’analyse.» (p.18)
S’isoler du monde pour acquérir des connaissances et se mettre au service des plus humbles plus tard en oubliant les acquis... Un peu étrange.
«Si nous avons un avenir, cet avenir ne peut être que le passé réécrit par ceux qui l’ont quitté et qui le réinventent, et ce passé c’est l’héritage québécois de la pauvreté, l’héritage d’un peuple qui a appris pour le meilleur et pour le pire à se méfier des pouvoirs.» (p.69)
Pas certain que Rivard va faire école avec des idées semblables. Le passé, depuis la Révolution tranquille, nous nous efforçons de le mettre en veilleuse ou de le nier,

Compagnons

Yvon Rivard s’attarde à des écrivains qui ont cherché une petite lumière dans les ténèbres. Virginia Woolf, Peter Handke, Gaston Miron, Gabrielle Roy, Marcel Proust et le cinéaste Bernard Émond. Des créateurs qui ont tenté de surprendre l’étincelle qui embrase une vie et indique une direction.
«Notre travail à tous, que nous soyons ou non peintres ou écrivains, c’est de parvenir à cette autre vie à l’intérieur de notre vie. L’œuvre parfaite, et peut-être n’y parvenons-nous qu’à la mort, serait l’instant où ces deux vies se rejoignent.» (p.136)
Voilà l’aspect le plus intéressant de ce questionnement. 
«Si on ne lit pas attentivement et littéralement Gabrielle Roy, on peut penser que toute son œuvre procède de la nostalgie, que « la source vive de sa vie », comme celle de Martha, c’est son enfance, sa vie avant l’écriture, avant l’exil. Il me semble, au contraire, que cette œuvre vit de et dans l’instant où l’on peut reconnaître le passé, bien sûr, mais où surtout s’opère le recommencement perpétuel du monde, « une sorte d’enfance éternelle de la création.» (p.138)
Des textes exigeants qui soulèvent nombre de questions sans nécessairement fournir les réponses. «Une idée simple» s’avère particulièrement complexe. Le lecteur ne trouvera chez Rivard aucune certitude, mais une direction, un regard empathique sur le monde et les vivants.  De quoi occuper nombre de jours et bien des nuits.

«Une idée simple» d’Yvon Rivard, aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/yvon-rivard-615.html