Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Lalancette Guy. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Lalancette Guy. Afficher tous les messages

vendredi 20 octobre 2023

GUY LALANCETTE : UNE VIE D’ÉCRITURE

GUY LALANCETTE a eu la bonne idée de réunir les textes courts qu’il a écrits et fait paraître dans différentes revues au cours des vingt dernières années. Des récits, des histoires, vingt-neuf en tout, dont plusieurs ont reçu des mentions au concours de nouvelles de Radio-Canada et ont été publiés dans le magazine EnRoute d’Air Canada. Des explorations qui ont souvent été à l’origine d’un roman et qui illustrent parfaitement le parcours de cet écrivain que j’ai lu dès son premier ouvrage étant toujours à l’affût des écrivains et écrivaines du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Un premier contact avec Il ne faudra pas tuer Madeleine encore une fois en 1999, un coup de foudre. Une voix tout à fait audacieuse et singulière s’imposait d’ores et déjà. Un ensemble qui bouscule, étonne, fait sourire ou laisse sur un mot, un bout de phrase, les mains vides en quelque sorte. Étrange que VLB éditeur n’ait pas cru bon de s’attarder à ce florilège si important et révélateur de la démarche de ce romancier et nouvelliste. 

 

Le parcours de Guy Lalancette est très particulier dans le monde des lettres québécoises. Il a soumis des manuscrits pendant une vingtaine d’années avant de recevoir le oui d’un directeur littéraire. C’est dire la ténacité, la patience, la passion qui animait l’homme pendant toutes ces années, le plaisir qu’il ressentait à manier les mots et les phrases. Un amour incontrôlable, un désir plus fort que tout. Bien d’autres se seraient découragés. Preuve que l’écriture pour lui, que raconter des histoires est une façon de vivre, une manière de négocier avec le quotidien. Une sorte d’équilibre nécessaire à son existence qui lui permet de mieux respirer au milieu de ses tâches de professeur.

Il a d’abord enseigné le français au niveau secondaire à l’École La Porte du Nord de Chibougamau et par la suite, il s’est consacré à l’art dramatique, toujours à la même école. Il a créé l’Otobuscolère avant de co-fonder avec des passionnés comme lui Le Théâtre des Épinettes. Une troupe encore active qui prépare un spectacle, faisant tout comme il se doit quand on s’embarque dans une aventure pareille. Le texte avant tout et après les décors sans parler des costumes et des accessoires. Une belle folie qui le tient en contact avec des amis et lui permet de satisfaire le plaisir particulier d’incarner un personnage et de le faire vivre sur scène. 

Tout a changé pour lui en 1998, alors qu’il s’apprêtait à partir donner son cours. Un appel. Il n’aime pas le téléphone et ne répond pas d’habitude. Cette fois, il a soulevé le combiné. C’était Jean-Yves Soucy de VLB éditeur. Il acceptait son manuscrit. Guy Lalancette raconte ce moment dans un court texte qui sert d’introduction à Dérives

«Au bout du fil, une voix calme et un peu rauque de fumeur. J’enregistre le nom : Jean-Yves Soucy, directeur littéraire chez VLB éditeur. À ma montre il est 13 h 59 et 15 secondes. Je sais que quelque chose d’unique est en train de se passer. VLB éditeur tourne comme un moulin emballé dans ma tête. Par-dessus tout cela, la voix continue de remplir mon silence où je distingue des bouts de phrases “… publication de votre manuscrit…” pendant que je cherche à situer ce Soucy-là. Je connais le nom, mais je ne sais plus d’où. Il est maintenant plus de 14 h “… salon du livre de Québec…”; je comprends que VLB veut publier mon dernier manuscrit. J’ai dû répondre quelque chose entre la félicité et l’urgence.» (p.14)

Tout venait de basculer pour cet auteur exceptionnel. Je devrais écrire plutôt : c’est ainsi que tout a abouti après des décennies de patience, de rêves et de recommencements. C’est aussi comme ça que tout s’est enclenché pour moi en 1970 quand Victor-Lévy Beaulieu m’a appelé pour me dire qu’il allait publier L’octobre des Indiens. Je n’y croyais pas, imaginant un canular, parce que je n’avais soumis aucun texte aux Éditions du Jour. J’ai raconté cela souvent. Une manigance de Gilbert Langevin. 

Vingt ans de recherches, d’écriture, d’envois de manuscrits, de refus polis et conventionnels. Et un coup de fil qui change tout, le fait passer du rêve à la réalité. J’y pense et j’en ai des frissons. Comment a-t-il pu ne jamais se décourager pendant cette longue traversée du désert?

 

«Un appel que j’attendais depuis vingt ans. Vingt ans de déceptions. Aucun cours, fut-il de théâtre, ne méritait une telle privation.» (p.14)

 

Je me souviens de ma première rencontre avec Guy Lalancette. Ce devait être en 1999, au Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Je l’avais surpris, il n’y a pas d’autres mots, dans le stand de VLB éditeur comme il se doit, aux côtés de Gérard Bouchard qui venait de publier La nation québécoise au futur et au passé. Guy Lalancette, si je me souviens bien, avait les cheveux orange ou rouge, je ne sais plus trop. J’ai du mal avec les subtilités de la couleur. Le contraste était assez frappant entre l’universitaire toujours bien mis et cravaté et ce nouvel écrivain à l’aspect hétéroclite qui nous arrivait du lointain pays de Chibougamau.

Nous sommes devenus amis spontanément, instantanément. Guy est comme ça. Accueillant, volubile, souriant et blagueur. Surtout qu’il venait de Girardville, qu’il avait de la parenté à La Doré, mon village, et que j’avais aussi un oncle et une tante dans son village, avec des cousines si nombreuses que je mélangeais les prénoms.

 

INOUBLIABLE

 

Deux ans plus tard, il publiait Les yeux du père, un roman inoubliable. Un ravissement, un coup de cœur pour moi. Un bouquin marquant. Cet ouvrage aurait dû tout rafler, mais c’est l’histoire de Guy Lalancette. Après avoir connu un long purgatoire, il s’est retrouvé dans la liste courte de plusieurs prix littéraires de prestige, sans jamais remporter les honneurs. Heureusement, le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean lui a attribué la palme cette année-là. Il a été finaliste également au prix France-Québec. J’ai parcouru ce livre à plusieurs reprises, me laissant prendre par cette narration et ce ton original, cette écriture qui vient vous chercher et surtout cet univers fascinant et cruel de l’enfance. 

 

«Des fois, Jeannette Lechasseur tombe et c’est très drôle parce que, quand elle tombe, on dirait qu’elle a trop de jambes et de bras qui gigotent partout. C’est parce qu’elle est très longue, je pense. On rit beaucoup quand elle essaie de se relever pour courir après Julien.» (p.24)[1]

 

Ce devait être suivi d’autres ouvrages tout aussi saisissants et magnifiques. Un amour empoulaillé m’a bouleversé avec sa prose envoûtante, unique, si belle, à me rendre jaloux. Un texte qui se démarque et vous emporte comme une musique qui touche l’âme. Là encore, j’ai relu souvent ce roman pour mon plaisir, avec un bonheur incommensurable, pour me recentrer je dirais sur ce que doit être la littérature. Pas étonnant que je lui rende hommage dans Le voyage d’Ulysse où mon personnage se faufile dans ce drame digne de Shakespeare. Une histoire de cruauté et de beauté à nulle autre pareille.

Encore une fois, l’ouvrage s’est retrouvé avec les finalistes du prix du Gouverneur général du Canada sans décrocher la palme en 2005 et au prix France-Québec où il était quasi un habitué. C’est Aki Shimazaki qui l’a remporté avec Hotaru. Il est vrai que Marie-Claire Blais était aussi là avec Augustino et le chœur de la destruction. Une brochette de grands écrivains que j’adore et qui vous emporte dans des mondes qui leur sont propres. Ce ne durent pas être des débats faciles, je le sais pour avoir siégé comme juré à ce prix. Surtout quand les finalistes ont laissé des traces indélébiles derrière eux, que ce sont des gens que l’on admire depuis la première ligne qu’ils ont publiée.

 

BONHEUR

 

Quel plaisir de s’aventurer dans ses récits de village où j’ai eu l’impression de revenir dans mon enfance avec ses secrets, ses découvertes, des originaux qui marquent pour la vie. Des individus qui vous influencent et vous poussent peut-être vers ce que vous devez faire ou ce que vous rêvez de devenir quand on se métamorphose enfin un adulte. Guy Lalancette a rencontré un conteur fabuleux et il ne faut pas trop chercher où il a puisé son amour des mots et des histoires. Tout vient de l’oralité, de cette parole vivante et sinueuse que l’on retrouve dans tous ses ouvrages, qui vous berce, vous hypnotise, vous secoue dans ce que vous avez de plus personnel et d’intime. 

J’ai plongé dans cet univers dans Les plus belles années, mais de façon bien différente de celle de Guy Lalancette. Nos mondes se rejoignent, mais nous n’avons pas la même voix ni le même instrument.

Des récits qui ravivent des moments d’enfance, dont certains que j’ai pu lire selon les aléas et les parutions d’Un lac un fjord, ce collectif des Écrivains du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui a réussi à publier un nombre impressionnant d’auteurs pendant presque vingt ans. Une entreprise unique et particulière au Québec. On parle d’un corpus d’environ 300 textes qui marquent le territoire qu’est le Saguenay et le Lac-Saint-Jean. 

Il faudrait bien que j’imite Guy un de ces jours et que je regroupe tous ces textes que j’ai éparpillés un peu partout, même dans XYZ, la revue de la nouvelle, deux numéros réservés aux écrivains du Saguenay et du Lac-Saint-Jean que j’ai eu le bonheur de diriger.

 

HABILETÉ

 

Guy Lalancette passe habilement de l’anecdote au désastre. Je pense à mon malaise à la fin de Rouge mustang qui nous abandonne dans une tragédie où le monde s’écroule. Un rebondissement que seul l’auteur de La conscience d’Eliah peut se permettre.

Que dire de cette aventure qui a donné des romans inoubliables? Je signale Le bruit que fait la mort en tombant. Nous retrouvons la première version dans Dérives, celui qui a donné naissance à ce récit si touchant, si personnel et si troublant. Un écrit tout de dentelle, d’amour, de fidélité et de douleur. Une prière, plutôt, un psaume. Du grand art, une langue magnifique, une musique envoûtante. En fait, pas un texte de Guy Lalancette ne me laisse indifférent. C’est toujours unique, avec un point de vue narratif qui étonne. C’est le propre de la littérature que de bousculer le lecteur, le déranger et le faire sortir de son confort et de ses habitudes. 

Je retiens surtout le style de Guy Lalancette, sa prose pleine de méandres et tellement prenante, sa manière de nous enfermer dans un drame tout en se tenant un peu en retrait. Je signale L’amour empoulaillé où c’est le frère de Simon qui raconte l’histoire, y allant de son interprétation et de son regard. Un tour de force et des descriptions qui sont dignes de se retrouver dans une anthologie. Voici un passage que je relis souvent, pour l’enchantement et la beauté qui s’y incarne.

 

«Elle portait une jupe avec tellement de plis, on aurait dit un abat-jour. C’était une jupe à mi-cuisse — je ne sais pas si ça se dit, mais ça se voit. Il y a des filles qui sont faites pour les jupes, elles ont des jambes, c’est comme les pieds d’une lampe et c’est facile de croire que c’est de là que vient toute la lumière. L’autre mystère venait de sa tête. Quelque chose dans ses yeux peut-être qui réparait son visage assez quelconque. Entre un menton trop pointu, des lèvres trop minces et un front trop haut, elle avait tenté de cacher quelques boutons d’acné sous une pâte chair que nous n’aurions su nommer. Elle avait d’autres énigmes, et un peu plus à la poitrine quelle dissimulait, ne révélant que des formes floues sous une blouse blanche fermée au cou par la large boucle d’un ruban vert, coordonné à sa jupe à plis.» (p.25)[2]

 

Dérives est un recueil important parce que nous accompagnons un écrivain exceptionnel depuis ses premiers pas jusqu’à maintenant. J’ai particulièrement aimé m’engager dans le monde qu’a constitué le romancier remarquable qu’il est. 

J’espère le lire encore et souvent, parce que c’est toujours une aventure que de plonger dans son univers. Une voix ample et multiple qui vous emporte dans les méandres de la vie et des histoires humaines. Surtout, il donne une parole à l’espace d’ici comme peu savent le faire. Un grand qui travaille à son rythme dans la plus belle des discrétions à Chibougamau, se passionnant pour le théâtre, restant fidèle à ses enthousiasmes de jeunesse, adorant le jeu par-dessus tout. 

J’aimais la scène aussi, je ne pensais qu’à ça dans mon adolescence et pendant mon secondaire, mais la littérature et la lecture ont pris le dessus. Je manquais d’audace certainement, incapable d’étudier au conservatoire et d’affronter les regards des autres. 

Un écrivain exceptionnel, des textes remuants, agréables, étonnants, uniques et un petit monde qui sait devenir fascinant, qu’il faut parcourir avec lenteur pour savourer chaque mot comme un chocolat fondant. On peut rejoindre Guy Lalancette et commander son livre à glalancette @tlb.sympatico.ca. Ça vaut le détour, je vous le garantis. 

 

Lancette GuyDérives, Autoédition, Chibougamau, 240 pages.


[1] Lalancette Guy, Les yeux du père, VLB éditeur, Montréal, 2001, 254 pages.

[2] Lalancette Guy, Un amour empoulaillé, Collection Typo, Montréal, 2009, 270 pages. 

jeudi 6 février 2020

QUE PEUVENT CACHER LES MOTS

L’ENFANCE SE NICHE AU COEUR de l’écriture de Guy Lalancette. Je pense au narrateur de son terrible roman Les yeux du père, aux adolescents d’Un amour empoulaillé et même à la voix de La conscience d’Eliah. Des frères et des sœurs qui empruntent des chemins qui leur sont propres et qui finissent toujours par se croiser. L’absence du père, encore une fois, qui est parti pour on ne sait quelle raison dans le septième ouvrage de cet auteur. J’aime la solidarité entre les membres de la famille, la présence de la mère qui s'impose comme le pivot d’une histoire qui permet aux jeunes de guérir des blessures profondes, de confronter des secrets qui marquent pour la vie. Des « cachettes » un peu partout dans la maison, mais surtout dans la tête de Claude Kérouac, une petite fille de huit ans écrianchée dans un quotidien qu’elle tente de transformer.

J’avais très hâte de mettre la main sur Les cachettes de Guy Lalancette. Parce qu’il s’est fait désirer un peu. Sa dernière publication remonte à 2012. Huit ans dans la vie d’un écrivain, c’est l’éternité avec des bouts qui dépassent, surtout dans notre monde où les romanciers doivent se débattre pour demeurer dans l’actualité et chatouiller la curiosité des lectrices et des lecteurs de moins en moins nombreux. Heureusement, il y a encore des Guy Lalancette qui restent fidèles à l’oeuvre et au travail patient qu’exige l’art de la phrase.
J’ai refermé ce beau livre au soir d'un dimanche plutôt gris et doux de février. Ce jour, toujours une accalmie, me permet de longs moments de lecture et souvent de terminer un roman qui m’a bousculé toute la semaine. Un parcours un peu chaotique cette fois, parce que j’ai eu du mal à me faufiler dans cette histoire polyphonique. Même qu’après une trentaine de pages, j’ai repris mon souffle pour faire marche arrière, pour revenir au début et tout recommencer. J’avais l’impression d’avoir raté une porte, d’être passé tout droit dans une courbe et de courir derrière mon ombre.
Un peu mélangeant ces voix qui s’intercalent dans le récit d’une enquête policière. Les limiers doivent résoudre la disparition de la jeune Claude Kérouac. L’événement devrait ameuter les frères et les sœurs, mais on ne s’en fait guère parce que la fillette a l’habitude de devenir invisible pendant des heures. Elle se réfugie dans des endroits que tous oublient ou ignorent. Particulièrement sous l’escalier qui monte au premier où, dans le noir, elle peut convoquer des personnages, inventer des dialogues et refaire le monde à sa façon.
La part de l’enfant est belle dans la littérature québécoise. Certaines figures sont devenues emblématiques. Je pense à Bérénice Steinberg de Réjean Ducharme, la narratrice de L’avalée des avalés qui a marqué notre imaginaire. Monsieur Émile a séduit tout le monde dans Le matou d’Yves Beauchemin. Nicole Houde, l’écrivaine saguenéenne, a fait une belle place aux personnages de l’enfance dans son œuvre. Cette avenue permet de secouer le langage, de le retourner pour ainsi dire et de bousculer des questions essentielles, profondes, sans avoir l’air d’y toucher.
Fanny signale la disparition de sa sœur à la police et l’enquête débute. Il faut démêler tous les fils et reconstituer la suite des événements.

ENQUÊTE

J’ai compris au bout d’une phrase, à la page trente-cinq (vous allez dire que j’ai pris du temps) que l’écrivain plaçait son lecteur dans la situation de la policière qui avance en tâtonnant, interrogeant les membres de cette famille où tout le monde fait sa vie sans se soucier des autres. Des sœurs et des frères qui partagent des secrets, protègent leur espace personnel et vivent comme ils le souhaitent. Et les confidences de Claude en plus qui brisent le fil, racontent des séances avec une psychologue, tentent de mettre les pendules à l’heure. La petite dernière de la famille est une fouineuse qui entend tout, sait tout, connaît des endroits où personne ne  peut la trouver, du moins, elle aime bien le croire. Une fillette qui ne va plus à l’école, particulièrement intelligente et qui a la manie de jongler avec les mots qu’elle ne comprend pas et de chercher leur signification dans le dictionnaire.
 
J’aime bien les poèmes, ceux que maman garde dans la petite bibliothèque de sa chambre. Elle dit que je m’autorise avec du reproche dans la voix mais elle ne m’empêche pas. Il y a tellement de mots que je ne connais pas dans ses livres, c’est comme un casse-tête. Mais je les dénonce avec le dictionnaire. Maman me trouve aberrante (c’est ce qu’elle dit) quand je parle de dénoncer les mots. Moi, je sais que j’ai raison, il y a toujours des cachettes, des tromperies et des déguisements dans les mots et encore plus dans les poèmes. (p.19)

Le dictionnaire est comme une armoire, une garde-robe où l’on range les mots et que Claude ouvre sans jamais hésiter, au moindre nouveau terme qui s'infiltre dans son monde. La petite devrait connaître tout du gros livre, elle le sait, pour comprendre ce qui lui arrive, ce que les autres ne veulent pas lui dire et qu’elle réinvente dans ses cachettes et ses monologues. Elle aime bien son frère Théo, un scénariste. Elle lui emprunte souvent des phrases et les copie sous les marches de l’escalier pour mieux s’en souvenir. Un garçon qui croit que tout passe par les mots et les idées, qui vit un peu à côté de ses penchants sexuels.
L’écriture, toujours omniprésente dans l’œuvre de Guy Lalancette, permet de transcender la douleur et de se maintenir à la surface. Je pense au travail de Jérémie qui se penche sur le drame de Simon et Élisabeth dans Un amour empoulaillé. Jérémie raconte l’histoire de son frère qui fréquente les mots et qui « engraisse ses textes avec le dictionnaire ». Il y a tout ça dans ce récit étrange qui nous entraîne dans les fantasmes d’une fillette qui s’invente des personnages, surtout Rose qui la bouscule et à qui elle peut tout confier. Elle peut aussi convoquer ses frères et sœurs, sa mère souvent, pour les faire agir comme elle le souhaiterait dans la vraie vie.

Quand je me cache dans le noir, sous le grand escalier, dans le caveau à légumes du sous-sol ou dans n’importe quel autre refuge, ce que je  préfère, c’est que je ne vois rien. Même les yeux ouverts, j’ai beau regarder, c’est noir partout et c’est grand parce qu’il n’y a plus de mur. Le noir c’est parfait pour agrandir. (p.153)

RECHERCHE

Les policiers ne savent trop sur quel pied danser devant une certaine indifférence des membres de la famille Kérouac. Tous protègent leur petite sœur, ne veulent pas dévoiler certains secrets peut-être. La mère, un peu distante, dirige sa barque avec l’aide des plus grands, menant des études en littérature, consacrant beaucoup de temps à ces livres que Claude lit même si elle a du mal à comprendre.
Peu à peu, le nœud se resserre et on apprivoise les méandres de cette aventure qui passent des faits et de la démarche des policiers à la voix de Claude qui tente de mettre le doigt sur ce qui va tout de travers dans sa vie. Des confidences qui permettent de nous risquer dans la tête de l’enfant qui défait le monde à sa manière et qui a des idées sur tout. Des textes fascinants qu’il faut savourer comme on le ferait des barres tendres.

Quand je suis avec Théo, je lui demande s’il peut m’écrire un rôle pour jouer dans un de ses films. Dans le noir, il me dit toujours oui. Il dit : « Rien de plus facile, jeune fille. » J’aime bien quand il m’appelle « jeune fille » parce que c’est seulement entre nous. Une nuit, il m’a dit sous le grand escalier : « Je vais réécrire le rôle d’Alice pour toi. Tu vivrais dans un dictionnaire, dans les mots du dictionnaire comme dans un labyrinthe, des mots en escaliers de toutes sortes qui seraient aimables ou méchants ou frivoles, et d’autres mots en spirales dans des toboggans pour les vérités et les mensonges. Un grand dictionnaire avec des pages en accordéon qui feraient de la musique et où tu pourrais danser avec toutes les lettres de l’alphabet. » (p.157)

Bien sûr, il y a un secret, un drame qui couve. J’ai pensé un moment que tout venait du père qui est parti comme ça, abandonnant ses enfants et sa femme pour on ne sait quelle raison. Il vit quelque part et certains semblent avoir des contacts avec lui. Il paie religieusement une pension et reste une figure vague qui n’occupe guère de place dans leur vie.

IMAGINAIRE

Je me suis laissé happé par cette histoire, l’enquête policière qui tourne en rond pendant un bon moment et les propos de Claude qui se font de plus en plus discrets à mesure que les faits s’accumulent. Et comment ne pas être fasciné par l’écriture un peu hallucinée de Guy Lalancette, cette manière d’en découdre avec la réalité pour la montrer sous un nouvel éclairage ? Claude questionne, déstabilise et cherche un équilibre, s’appuie sur les mots qui lui échappent souvent et demeurent difficile à maîtriser. Elle tente de mettre un baume sur un événement, une douleur qui s’enracine en elle comme une plante et qu’elle arrive mal à débusquer.
Toutes les histoires de Guy Lalancette nous entraînent dans les méandres de l’esprit et de l’amour, dans des drames terribles que tous doivent surmonter pour prendre pied dans la réalité. Il faut toujours secouer les liens familiaux chez lui, brasser des questions que l’on ne veut pas effleurer et qui hantent tout le monde. Un clan qui tient par un secret qui unit frères, sœurs et mère.
Un texte encore une fois fascinant qui m’a arrêté souvent pour savourer la beauté d’une phrase qui pousse la réalité dans une autre dimension. Pas mal inquiétant de prendre les yeux d’une petite fille qui se débat avec des questions existentielles et de terribles cauchemars. L’enfance n’est pas un monde paisible chez Lalancette. C’est toujours un gouffre de peurs et d’angoisse, de drames que les adultes tentent désespérément de dissimuler. Cette fois encore, la famille en sort plus forte grâce au secret partagé. Le pire qui arrive dans les fictions de cet écrivain, c’est de s’enfermer dans le silence qui étouffe les personnages. Les mots ont une valeur salvatrice. Ils consolent, guérissent et peuvent permettre d’apprivoiser la réalité. Et il faut secouer les phrases pour tout dire, pour vivre peut-être et s’installer en claudiquant dans sa vie, connaître le bonheur de raconter. Un magnifique récit, un travail qui déroute et charme encore une fois. Voilà un texte qui ne déparait pas l’œuvre de cet écrivain qui s’invente des parcours fascinants et peu connus.


LALANCETTE GUY ; LES CACHETTES, ÉDITIONS VLB ÉDITEUR, 264 pages, 26,95 $.
http://www.edvlb.com/cachettes/guy-lalancette/livre/9782896498123

lundi 22 octobre 2012

Guy Lalancette n’a pas réussi à m’accrocher


J’ai lu et relu «Les yeux du père», «Un amour empoulaillé» et «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette à plusieurs reprises. Des livres qui nous plongent dans une autre dimension tout en gardant un lien avec le réel. Comme les cerfs-volants qui donnent l’impression de flotter dans les nuages tout en étant fermement retenus au sol.

L’écrivain m’a un peu désarçonné avec «L’épivardé». Paris Dumauriac, frère de Lisbonne, enfant d’une mère marin et de père de passage, rêve de devenir un écrivain populaire. Il lui faut un gros livre pour envahir les librairies et prendre les médias d’assaut.
«Pour bien faire, ça prendrait 400 pages comme Mary Higgins Clark. Comme ses romans, je veux dire. Ou 400 pages au pays magique d’une chevalerie désuète, ou chez les fantômes, ou chez les loups-garous et les vampires à la mode. Le tout avec le moins de littérature possible. De l’efficace et de l’artifice, des romans, des vrais, avec des suites qui n’en finissent plus. Tout cela qui m’est interdit, une allergie que je n’ai souhaitée, une infirmité d’auteur qu’il me faudrait vaincre si je veux atteindre la gloire et la richesse.» (p.19)
Il croit qu’en ayant un passé sulfureux, il deviendra une vedette recherchée et courtisée. L’écrivain se moque des émissions où la vie de l’invité est plus croustillante que l’œuvre.
Avec l’aide de ses amis, il s’invente une biographie sulfureuse, un amour incestueux avec Lisbonne, un enfant vendu à une barmaid pour quelques cafés et des repas. Il suffit de lancer la légende urbaine pour que l’argent et la célébrité viennent se prosterner à vos pieds.

Complications

Guy Lalancette ne peut se satisfaire de cette trame. Une jeune femme frappe à la porte de Paris. Il est subjugué par cette étrangère qui jongle avec de drôles de questions pour un recensement. C’est le début d’une aventure parallèle. Paris se retrouve en prison pour séquestration, entrave à la justice et faux témoignage. Il se confesse à ses avocats et aux enquêteurs, raconte à plusieurs reprises ses amours de jeunesse avec Lily Godin. Un amour passionnel avec «L’amant de Lady Chatterly» en surimpression. Le livre dans le livre. Lalancette multiplie les confidences, les personnages, tant et si bien qu’on finit par manquer un peu d’oxygène.
«Deux autres policiers, que je ne connaissais pas, ont suivi. Pendant que le matricule 617 — un moustachu de glace sculpté à froid — me passait les menottes, l’agent Bonneau, en raison des indices convaincants récoltés le mercredi 20 octobre, m’a accusé de l’enlèvement de la dénommée Noëlla Janvier et menacé d’enregistrer mes paroles si je ne gardais pas le silence. Il m’a offert un avocat de la cour par la formule usuelle, au cas où je serais sans protection aucune, étant donné l’évidente indigence de ma condition. Quand on est dans la condition humaine jusqu'au cou, on a des droits de la personne.» (p.143)
Cette Noëlla Janvier prend plusieurs identités et finira par être simplement France, la fille abandonnée de Lily Godin et Paris.
Distance

Pour tout dire, je ne me suis jamais senti interpellé par «L’épivardé». L’impression de surveiller un contorsionniste du Cirque du Soleil qui multiplie les virevoltes ne m’a jamais quitté. Comme si Guy Lalancette s’amusait à faire du Guy Lalancette. Avec les enquêteurs, rien à voir avec le matricule 728, je me suis un peu égaré dans une histoire qui tourne en rond en régurgitant ses mots.
J’ai éprouvé un certain plaisir par moments, souriant devant des facéties, m’amusant devant des descriptions étonnantes. L’auteur n’a pas son pareil pour faire voir autrement les scènes d’amour et les jeux érotiques. Peut-être que je n’ai pas vraiment embarqué à cause du personnage. Paris est un cynique convaincu et détestable. Il manque à ce texte la gravité qui hante ses autres ouvrages. Le narrateur, avec toutes les entourloupettes, éloigne malgré une blessure d’enfance qui le fait claudiquer. Souvent, j’aurais préféré suivre Lisbonne, sa sœur qui reste dans l’ombre malheureusement.
J’ai flotté sur le roman de Guy Lancette. L’écrivain est un prestidigitateur habile qui en met plein la vue. Il aime les jeux de mots, les allitérations, les images fortes, les revirements et il ne se prive pas. Il exagère même. Le vase déborde à plusieurs reprises. C’est peut-être ce qui manque. Un ancrage qui permettait de croire aux personnages comme dans «La conscience d’Éliah» ou «Un amour empoulaillé». Malheureusement, avec «L’épivardé», je n’ai jamais pu adhérer à ce récit protéiforme.

«L’épivardé» de Guy Lalancette est paru aux Éditions de l’Hexagone.

lundi 15 août 2011

Guy Lalancette vit la mort de sa soeur


Un accident de la route a emporté la sœur de l’écrivain Guy Lalancette. C’était l’hiver, la nuit peut-être, un vendredi qui mettait fin à une semaine folle de gestes et de préoccupations. Et, il y a eu la sonnerie du téléphone, une voix. 
«C’est à distance que le  bruit est arrivé jusqu’à moi. Le bruit obsédant du téléphone, ce vendredi soir de janvier, à l’heure de la vaisselle.»  (p.18)
La sœur, la complice qui avait partagé ses secrets, ses lubies et ses mondes imaginaires venait de succomber. Il n’y avait plus de mots, il n’y avait plus de phrases.
«Ta mort ne se raccommode pas. Je ne sais pas comment rapiécer ce manque que j’ai, cette absence bruyante qui tombe dans mes nuits surtout et réveille ton souvenir.»  (p.28)
Les rires, les jours heureux, les peurs et les craintes reviennent dans une vague. Tout ce vécu qui se bouscule.
«La mort, ça fait du bruit en tombant. C’est toujours un accident. Quand la mort tombe sur un plancher de bois, il y a tout l’écho que ça fait. Le bruit s’étend aux alentours, se heurte au lit des planches, s’incruste, marque et fend. L’éclat d’une cassure.» (p.17)

Cauchemar

Les frères et les sœurs s’amènent de partout et figent autour du cercueil pour se rassurer, pour être certain de ne pas vivre une hallucination.
«Elle est là, dans un grand cercueil rouge, verni, lustré, lumineux, habillé de coussins et de parements qui lui font un grand nuage ouvert sur une mort vive. On l’a couchée presque vivante dans sa blouse jaune à fleurs blanches, sa préférée, ses mains jointes sur le ventre d’un bonheur tranquille comme si l’on voulait la faire sourire encore un peu.» (p.1
L’écrivain, le frère dévasté, tente de se guérir par les mots. La mort fait les manchettes des journaux et de la télévision. Une itinérante est retrouvée gelée dans une ruelle de Montréal, une jeune fille se pend dans le garage familial après une rupture amoureuse, un homme tue sa femme et ses enfants avant de rater son suicide. Toutes ces morts en écho à sa propre fin qui viendra bien un jour, sur la pointe des pieds ou dans un grand fracas.
«J’entends déjà le bourdonnement que fait ma propre mort comme un ventre habité. Une grossesse dévorante qui se nourrit aux murmures de chaque heure, de chaque journée, prenant aux battements du cœur tous les instants échappés.» (p.65)
La tragédie familiale s’amalgame à ces décès qui marquent les jours, témoignent des folies, de l’indifférence et de la haine qui aveugle partout.
Un sujet difficile, une écriture un peu rugueuse pour témoigner de ce grand bouleversement qui brûle l’être. Un court récit senti et particulièrement émouvant.

«Le bruit que fait la mort en tombant» de Guy Lalancette est paru chez, VLB Éditeur.