jeudi 16 février 2017

André Major se laisse emporter par le quotidien

DANS L’ŒIL DU HIBOU, André Major nous ramène aux débuts des années 2000. Pour les fidèles, il faut se rappeler Le sourire d’Anton ou l’adieu au roman qui s’attardait aux années 1975 à 1992. L’Esprit vagabond couvre 1993 et 1994 et enfin Prendre le large nous pousse dans les années 1995 à 2000. Qui dit carnet, dit fragments, réflexions qui dévoilent la vie de l’auteur. Une belle façon d’accompagner un écrivain, son écriture et ce qu’il ne cesse de chercher dans ses lectures. André Major est un formidable lecteur et dans ce carnet, il revient aux écrivains qui l’ont marqué. Le risque est grand, parce que l’œil du jeune enthousiaste et celui de l’homme qui a tourné le dos à la fiction ne peut être le même.
  
À quoi s’occupe un écrivain quand il renonce à la fiction et au roman ? Peut-il se murer dans le silence, ou tout simplement prendre une autre direction. L’écriture peut s’épanouir sur bien des terrains et nombreux sont ceux qui multiplient les expériences. « Il est facile de devenir écrivain, difficile de le demeurer et presque impossible de cesser de l’être », écrit-il dans son carnet.
Le quotidien l’occupe. Surtout que c’est un bricoleur impénitent et les menus travaux au chalet ou à la maison de la ville occupent ses mains et sa pensée. Je suis pareil. J’adore me lancer dans des constructions ou des projets autour de la maison. À vrai dire, je ne vois pas de différence entre échafauder une remise ou aménager une galerie, m’occuper d’un potager ou m’entêter devant un texte qui résiste. En écriture ou en menuiserie, il faut prendre son temps, penser à ce que l’on fait et ne jamais hésiter à ajuster, sabler pour arriver à ce que l’on souhaite. Et quelle satisfaction après !
J’aime particulièrement quand il décrit ses longues promenades dans la montagne de La Minerve et le plaisir qu’il ressent à marcher dans la forêt, à suivre un ruisseau, à s’attarder sur un pic qui le fige dans la beauté du monde. Jean Désy explique alors qu’il « sent son âme s’envoler ». Ou encore quand Major entreprend un dialogue avec un oiseau et s’émerveille de son chant.
Il m’arrive d’abandonner mon écriture pour m’intéresser aux mésanges qui fréquentent les mangeoires. Elles me confient bien des choses, surtout par les jours de grand froid.

Toujours est-il que, confiant ou pas, le hibou que je suis – ou prétends être – garde l’œil ouvert, comme si le spectacle quotidien du monde pouvait encore lui apporter matière à réflexion, comme si son détachement ne parvenait pas à l’en détourner. Les choses de la vie, qu’on qualifie parfois de petits riens pour en minimiser l’importance, prennent une plus grande place qu’auparavant. Les grands de ce monde, je ne les regarde pour ainsi dire qu’en passant. (p.10)

Ces instants que nos grandes préoccupations font oublier. Surtout quand un travail vous aspire et que vous devez vous débattre avec des heures de tombée. J’ai passé des années à courir comme journaliste et je dois dire que quitter ce travail, non pas prendre ma retraite comme on le répète trop souvent, ne m’a demandé aucuns efforts. Je me consacre à la lecture et à l’écriture maintenant, à perdre mon temps devant les arbres, les nuages sur le lac devant la maison ou encore à surveiller les jeux du soleil sur la neige.

REGARD

C’est peut-être le plus important. Avoir le temps de s’attarder à tout ce qui vit et bouge autour de soi, ne plus avoir à chercher son souffle dans la fin du jour. Il y a aussi ces moments de recueillement sur un livre que j’ai lu alors que j’étais aux études, que je m’accrochais à des écrivains comme à des bouées de sauvetage. J’étais convaincu que la lecture allait changer ma vie et je le crois encore.
Je ne suis pas encore rendu aux relectures, même si j’aimerais renouer avec Tolstoï et Dostoïevski. Hamsun bien sûr et Jean Giono qui a été si important pour moi. Je ne manquerais pas non plus de faire un détour par Faulkner et Steinbeck. C’est tentant, mais la tenue d’un blogue me force à lire mes contemporains. Et ce n’est jamais une corvée ou un devoir.

Si j’ai perdu le goût de la nouveauté depuis que je ne lis plus pour des raisons professionnelles, c’est au profit d’une bibliothèque idéale où sont rassemblés les interlocuteurs dont la voix familière ne cesse de me dire quelque chose. C’est une forteresse où je ne crains plus grand-chose, où je pourrais demeurer enfermer un temps fou si je n’avais pas autant besoin de me dégourdir les jambes et de respirer le grand air. (p.29)

Je me demande si c’est sage aussi d’ignorer ses collègues. Un écrivain, même s’il a tourné le dos à la fiction, doit rester en contact avec ses contemporains et surtout surveiller ceux qui sont en train de le pousser vers la solitude et le silence. Que dirait-on d’un homme qui aurait vécu pendant des années sur une île - comme Robinson Crusoé - en lisant uniquement L’intranquillité de Fernando Pessoa. Que dirait-on de sa culture, de ses goûts littéraires ? J’ai du mal à suivre André Major de ce côté des choses.

QUESTIONS

Et je bougonne devant certains de ses propos. Je le connais, je m’y attends. Il serait le premier étonné si j’adhérais à tout ce qu’il dit. Je grince des dents quand il s’en prend aux féministes. Il ne rate pas une occasion, éprouve un malin plaisir à s’attarder aux exagérations ou aux déclarations malheureuses. Oui, même les féministes peuvent déraper et les hommes ne sont pas prêts à leur laisser la place dans ce domaine.
La langue parlée et écrite au Québec le fait réagir souvent et je le sens de plus en plus loin de notre société.

Il y a peu de romanciers que je suis encore capable de lire avec joie. Ce sont ceux qui ne racontent pas seulement une histoire, mais qui ont une voix dont les échos retentissent en profondeur. Pour éprouver cette joie, il m’a fallu, ces derniers mois, relire des pages de Flaubert et de Thomas Bernhard – ces désenchanteurs qui me redonnent le goût de me remettre au travail. (p.148)

Bien sûr, je prends souvent des chemins de traverse pour suivre un écrivain finlandais ou norvégien quand ce n’est pas un voisin des États-Unis. Ou bien un Canadien anglais qui m’étonne toujours. Boréal, Alto et La Pleine lune offrent d’excellentes traductions. 
Je reste fidèle à mes contemporains parce qu’ils me disent qui je suis. Si je me retranchais dans les lectures de ma jeunesse, j’aurais l’impression de refuser d’être ici, maintenant.

BONHEUR

C’est un réel plaisir que de suivre Major dans ses promenades en montagne ou encore de rêver avec lui devant son lac dans le calme du soir. Nous pourrions le faire ensemble, en silence, n’ayant pas besoin des mots. Vivre alors est un simple regard.
Je m’égare souvent aussi dans un carnet de Robert Lalonde qui plonge dans les fardoches, fonce à grandes enjambées ou s’arrête devant les ravages d’un chevreuil. Je ne suis pas certain que Major aime Robert Lalonde, son écriture généreuse et rebondissante. Il préfère la phrase qui coule comme l’eau d’un ruisseau sur la mousse sans faire de bruit. Une écriture invisible, parfaitement lisse. J’aime, mais j’adore aussi les écrivains qui font des bulles et vous en mettent plein la vue. Je ne lui conseille pas de lire Hervé Bouchard. Il s’étoufferait à la première phrase.
« Du bel ouvrage », comme disait mon père. Je l’ai lu en prenant mon temps. Il le faut pour voir et à respirer autrement. J’espère qu’il y aura d’autres carnets, je les attends. L’impression de trouver un frère. Nous partageons un même amour pour les mots et la littérature, ce qui devient de plus en plus rare dans notre société d’agités.

L’ŒIL DU HIBOU d’ANDRÉ MAJOR est publié chez BORÉAL ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : LA VIE EST DOMMAGE de JACK KEROUAC est paru chez BORÉAL ÉDITEUR.


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