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mercredi 4 mars 2020

FAUVE DANS LA FOSSE AUX LIONS

LES ENFANTS PRENNENT BEAUCOUP de place dans la littérature québécoise. Peut-être parce que ce personnage permet de bousculer une certaine réalité et de faire table rase. Bien sûr, je pense à Bérénice Steinberg et aux héroïnes de Réjean Ducharme qui refusent le monde des adultes et s’ancrent dans l'adolescence. Monsieur Émile d’Yves Beauchemin a charmé bien des lecteurs. Claude Kérouac de Guy Lalancette, dans Les cachettes, réinvente sa réalité. Et La petite fille aux allumettes de Gaétan Soucy, après la mort du père, doit faire le grand ménage. Les fillettes sont souvent beaucoup plus fascinantes dans notre aventure romanesque que les garçons violents de Bruno Hébert, par exemple, dans C’est pas moi je le jure

Fauve fait face à une terrible réalité dans Il préférait les brûler de Rose-Aimée Automne T. Morin. Son père, atteint par le cancer, n’en a plus pour longtemps. Une vérité inacceptable pour cette enfant qui va d'un parent à l'autre. Une famille éclatée, la norme maintenant. Un homme qu’elle idolâtre, son héros qu’elle pense protéger et sauver peut-être du pire, une mère qui la suit à la trace et montre les griffes quand c’est nécessaire.

Je ne me souviens pas de l’annonce. Comme si le diagnostic de cancer s’était infiltré de lui-même chez nous. Une évidence, un nouveau membre de la famille. À cause de lui, mon père tomberait encore et, un jour, il ne se relèverait pas. Si, ce jour-là, c’est moi qui devais le trouver, s’il fallait que nous soyons seuls à la maison, je n’aurais qu’à peser sur ces trois chiffres, dans cet ordre, sur le téléphone. Quelqu’un viendrait nous aider, lui et moi. Et ce jour-là, ce sera demain. Ou alors le jour suivant. (p.18)

L’enfant a besoin de stabilité, d’amour et d’une certaine routine, dit-on. Tout le contraire ici. Le père affronte sa fin avec lucidité, sans dramatiser. La mort viendra à son heure. Inutile de sonner les cloches et de déchirer sa chemise. Ce rendez-vous fera partie du quotidien de Fauve. Rien n’est simple pourtant, même si les parents font tout pour que cette tragédie soit banale. Les questions se bousculent et perturbent la fillette.

Il ne camoufle pas ses larmes, ne cherche pas non plus à me rassurer. Du haut de mes cinq ans, la seule chose qui me vient en tête, c’est : qui va le sauver quand il va tomber ? Qui va appeler le 911 si je ne suis pas là pour réagir à la seconde même où son corps frappera le sol ? Ce n’est pas l’annonce d’une séparation, mais celle d’un arrêt de mort. (p.31)

Fauve doit faire face à la vérité, aussi cruelle soit-elle. Le père guide sa fille dans la plus belle des franchises vers le dur métier d’être femme. Plus rien n’est tabou, tout peut se dire. Les âmes s’effleurent alors dans une communication unique.
Fauve se découvre une passion pour la lecture et les livres, l’école, la sexualité pour le meilleur et le  pire. Son enfance passe par des chemins étonnants et son innocence la protège.

En fait, il faut que tu comprennes une chose tout de suite : je partirai pas tant que tu me diras pas de le faire. Je serai incapable d’en finir aussi longtemps que je sentirai que t’es pas prête à vivre sans moi. Alors, un jour, il va falloir que tu acceptes de me laisser aller, OK ? Tu vas le faire pour moi ? Promets-le.
Non. (p.60)

Le cancer se permet une sorte de sursis. Fauve a le temps de devenir adolescente, de s’équiper avant de s’aventurer dans sa vie de femme. Elle fait face malgré ses peurs, ses angoisses, ses essais et ses faux pas. Jamais facile d’être adulte, surtout quand l’avenir est tronqué.

AVENTURE

Fauve se dégourdit avec les livres, provoque la jalousie à l’école, vit l’intimidation, tente de séduire certains hommes même si son corps n’est pas encore celui de la jeune femme qu’elle deviendra.

En moi, il y a la maladie et la fuite. Elles me viennent de mon père, du cancer et de cette pulsion qui pousse à détruire tout ce qu’on aime pour mieux l’abandonner. Je ne pourrai pas y échapper, on m’a légué ça entre deux parties de cartes. Il y a aussi, dans mon ADN, la folie. Elle, elle me vient d’ici. Si Matante est cassée, j’imagine que je le suis également. Même famille, même sang. Si je ne finis pas mes jours cancéreuse à trente ans, je les terminerai institutionnalisée. (p.170)

Une mère forte et une tante qui cherche frénétiquement l’amour, un père qui croit protéger sa fille du naufrage qu’a été sa propre existence. Des drames, bien sûr, mais une façon de s’accrocher et de toujours refaire surface. Un texte vivant, plein de miracles d’écriture, de sourires et de malaises aussi. Rose-Aimée Automne T. Morin m’a plongé dans cette aventure peu banale et je l’aurais suivie encore longtemps. Un roman touchant qui transcende le drame, donne goût à la vie, même quand l’avenir se dresse devant soi comme un mur infranchissable.


AUTOMNE T.MORIN ROSE-AIMÉE ; Il préférait les brûler, Éditions STANKÉ, 232 pages, 22,95 $.

http://www.editions-stanke.com/preferait-bruler/rose-aimee-automne-t-morin/livre/9782760412699

lundi 4 avril 2016

Francine Brunet nous étourdit encore une fois


FRANCINE BRUNET a de la suite dans les idées. Dans son premier roman, en 2014, elle nous transportait à La Tuque en Haute-Mauricie pour nous faire vivre des aventures assez particulières avec de vrais originaux. Elle a eu la bonne idée de faire appel à certains d’entre eux pour son tout nouveau roman. On retrouve Fernande Pouliot, l’infirmière, la coroner Alice Pelletier et même Tibi, un maniaque de musique un peu fêlé du chaudron. Je ne sais pas s’il y a une idée derrière ces publications, mais son premier ouvrage s’intitulait Le Nain et voici Le Géant. Toujours est-il que la Mauricie reste au cœur de ce nouvel ouvrage. Les migrations de Rosie, entre ses deux familles, les voyages de Victor au volant de son camion, les secrets de Franie et le curieux savoir de Babal nous poussent à la fois dans le monde autochtone et sur les grandes routes qui traversent l’Amérique du Nord.

Victor Scarpa, un homme plutôt impressionnant avec ses six pieds sept pouces, est camionneur et va pendant des jours sur les routes de l’Amérique au volant de son camion. De quoi faire saliver Serge Bouchard, celui qui s’intéresse à nos grandes figures du passé et qui adore les camions. Victor, un passionné de littérature, a fondé le ClubAudio et partage des enregistrements d’œuvres littéraires avec ses collègues qui se laissent charmer par une voix mystérieuse, celle d'une femme que tous voudraient connaître.
Belle idée que de partir comme ça sur les routes en écoutant un roman d’Agota Kristof ou de Yann Martel. Parce qu’un livre, après tout, est un voyage. Il faut une destination, un point de départ et un point d’arrivée. Comment ne pas penser à Jean-François Caron, cet écrivain devenu camionneur depuis peu et qui explore le continent au volant de son poids lourd ? Il était au Nouveau-Mexique aux dernières nouvelles. Je lui souhaite de rencontrer le géant Scarpa. Il pourra lui emprunter un roman et l’écouter en descendant lentement vers le Sud ou en remontant vers le Nord avec les outardes. Pourquoi pas l’un de ses ouvrages ? J’opterais pour Rose Brouillard, le film. Il pourrait rouler dans son imaginaire et « s'entendre » d’une autre manière.
Francine Brunet, dans Le Nain, multipliait les rebondissements et les intrigues. Elle fait preuve encore une fois d’une imagination débridée et bien des histoires se croisent, se bousculent pour nous dérouter. Rosie, Franie, Babal, Victor et Luciano, un policier qui se retrouve derrière un volant à cause d’une histoire d’amour, tous nous entraînent dans les courbes de la vie. Tous taisent des secrets qui, parfois, deviennent trop lourds. C’est le propre des livres que de révéler ce que l’on cache dans la vraie vie.

SUICIDE

La mère de Franie, Angela, s’est suicidée de façon spectaculaire en se jetant du haut du pont Mercier. Une triste histoire que personne ne veut évoquer, surtout pas sa fille qui amorçait une carrière de comédienne. Tout s’ouvrait devant elle, mais la vie lui a fait prendre une autre direction. Et elle a joué un rôle dans  cette tragédie qu’elle a du mal à avouer.
Il y a Rosie, la fille de Victor et de sa première épouse Madeline. L’adolescente vit en garde partagée et voudrait bien s’installer avec son père. Une jeune fille qui aime les chiffres et les mathématiques.

Aujourd’hui, assise en classe pour son cours d’algèbre et portée par cette inclination pour les mathématiques, Rosie trouve tous les x et les y infiniment poétiques. Bien entendu, elle s’émerveille en solitaire. Ses copines ne comprendraient pas. C’est un phénomène qu’elle goûte en secret afin de ne pas être étiquetée nerd et se retrouver seule. Elle a aussi appris à taire ce que le tableau rempli de chiffres produit dans sa tête. Les chiffres ont leur couleur propre et Rosie voit des couleurs qui se croisent, se tissent, s’entremêlent. Une équation se transforme en arc-en-ciel. (p.24)

Il y a aussi les tantes Anni et Couni, des Atikamekw revenues vivre dans le secteur de La Tuque, des jumelles qui ne se sont jamais quittées. Elles partagent des plaisirs secrets. Autant le dire, des enregistrements particuliers tout en buvant une tisane qui fait planer un peu. Elles ont un penchant pour les histoires érotiques et un peu corsées.
Victor est aux prises avec les problèmes de sa fille qui prend de la drogue, doit partir sur les routes, se lie d’amitié avec Luciano. Il y a les livres du ClubAudi, les découvertes, les rencontres avec les collègues, les échanges et les petites discussions, la voix envoûtante de celle qui les berce d’un océan à l’autre.
J’ai déjà fait l’expérience d’écouter un roman en circulant entre le Lac-Saint-Jean et Montréal. J’avais glissé le CD dans le lecteur en m’éloignant de la maison pour arriver sur le pont Jacques-Cartier à la fin de l’histoire. Une manière de basculer dans une autre dimension, de perdre la notion du temps et de l’espace. Une voix vous entraîne sur une route qui est peut-être celle de l’imaginaire et du bonheur.

ENQUÊTE

Il n’y a pas plus routinier que la vie d’un camionneur qui se retrouve seul dans l’habitacle de son gros véhicule et qui franchit des distances qui me font frémir. Je n’aime pas particulièrement être au volant et conduire un camion s’avérerait un supplice. Victor apprend que l’on fait le trafic de matériel pornographique entre les États-Unis et le Canada. Les camions sont fouillés aux frontières. Cela crée une certaine tension et les hommes deviennent un peu plus nerveux.

Luciano Vidal sirote son café. Son relais est en retard. Il pense qu’il n’aurait pas dû se confier ainsi à Victor. Mais qu’est-ce qu’il lui a pris ? Il se dit aussi qu’il devra donner un coup de fil à son ancien collègue Robitaille, pour le sonder à propos de l’affaire Chucky. Les gars commencent à jaser autour et à se poser des questions. Il se passe quelque chose. Une enquête doit être en train de se faire. Vidal ne peut le nier. Le boulot lui manque. (p.80)

Cette enquête va s’effilocher et disparaître tout simplement. Francine Brunet voulait nous pousser dans une fausse direction. Ça nous permet pourtant de cerner Franie et de découvrir peu à peu le drame de son enfance. Sa mère Angela était une droguée, une alcoolique et une itinérante qui souffrait de problèmes mentaux. Elle n’a pas su s’occuper de sa fille et ce sont les grands-parents qui s’en sont chargés. Les frasques de sa mère finiront par faire mourir son grand-père, un capitaine qui naviguait sur le Saint-Laurent. Il y a aussi un certain Franky Tousignant, un phénomène, avec qui sa mère avait des liens

Franky Tousignant mourra à l’âge incroyable de cinquante-six ans, au bout de trente-quatre jours aux soins palliatifs de l’hôpital de La Tuque. L’errance d’Angela et la rousseur de Franie l’ont toujours gardé à l’abri de la reconnaissance de sa paternité. (p.186)

Des attaches que Franie ne veut pas voir.

VOYAGE

Tout le monde voyage dans ce roman. Les tantes Anni et Couni, après une vie à Montréal, ne cessent de migrer entre le chalet du lac Vert et La Tuque. Rosie oscille entre ses deux foyers, connaît certaines expériences plus ou moins difficiles. Babal étonne un peu tout le monde avec sa propension à réciter des versions plutôt épicées de La Belle au bois dormant à la garderieSon prince ne se contente pas d’un chaste baiser pour réveiller sa dulcinée.
Bien des pirouettes, des fausses pistes avant d’arriver à cerner le personnage de Franie, de s’arrêter au drame qui a brisé sa vie. Elle est particulièrement marquée par sa mère. Heureusement, Victor est solide comme le roc. Rosie devient une complice et tout le monde l’aime même s’il y a une faille dans sa vie. Et peut-être qu’une thérapie va lui permettre d’éloigner la dépression qui lui tombe dessus avec l’automne.
Pour Francine Brunet la vie est une suite de récits qu’il faut écouter, réécouter comme le font les camionneurs quand ils s’isolent dans leur habitacle et qu’ils se laissent bercer par la voix enchanteresse de leur lectrice mystérieuse. Parce que c’est par elle que tout arrive et par elle que tout va. Cette voix qui aura des effets particuliers sur son bébé.
Il y a une effervescence dans les récits de madame Brunet qui peut créer la dépendance. C’est frais, souriant, pétillant malgré les drames terribles que chacun transporte. Un véritable bonheur que de se laisser emporter sur les routes de l’Amérique avec la voix de cette écrivaine que j’imagine riante et pleine de soleil. Un livre qui nous permet de plonger dans les secrets de ses personnages, comme on le fait quand on s’abandonne à une intrigue qui permet le plus beau des départs. Une écriture simple, quasi invisible qui cède toute la place à des personnages séduisants. Une plongée dans la littérature et la vie qui sont la source de toutes les histoires, bonnes ou mauvaises. Je me suis bien amusé malgré la gravité qui reste toujours présente dans les écrits de madame Brunet.

PROCHAINE CHRONIQUE : L’INTERROGATOIRE DE SALIM BELFAKIR d’Alain Beaulieu publié chez Druide.

Le Géant de FRANCINE BRUNET est paru chez Stanké, 224 pages, 24,95 $.

mercredi 10 septembre 2014

Une formidable façon d’entrer en littérature

Le frère Marie-Victorin affirmait : « On ne possède pas un territoire qu’on n’a pas nommé. On ne connaît pas un territoire dont on ne connaît pas le nom ». Le Québec demeure un espace à dire par le roman, la poésie, l’essai ou le carnet. La Tuque est l’un de ces territoires où la littérature se fait discrète. Bien sûr, Félix Leclerc nous a présenté son pays et Louis Caron a sillonné le secteur de la Mauricie dans plusieurs romans. Quel auteur vit dans cette ville ? J’ai cherché. Francine Brunet, dans Le nain, nous entraîne dans cette agglomération située au cœur de la forêt, l’un des plus beaux lieux du Québec.

Il ne faut pas s’attendre à une description détaillée de la ville. Le secteur est évoqué, le moulin qui veille sur la ville de 15 000 habitants, recouvre tout de sa fumée et de son odeur. C’est une papetière après tout. Un espace, des personnages qui fascinent. Francine Brunet m’a accroché par son monde et son écriture. Il a suffi de quelques phrases et je savais que j’irais jusqu’au bout.

Edmond n’avait pas atterri dans le bon corps. En plus, on avait oublié de l’envoyer à l’école. Une chance qu’il avait conçu tout seul un code qu’il inscrivait dans un cahier à trois trous avec une couverture jaune. Ses notations étaient numérotées de 1 à 9, les seuls chiffres qu’il avait jugé nécessaire de connaître. (p.9)

Un ton, une galerie de personnages gravite autour d’Edmond que tous nomment le nain. Tante Nini se traîne par terre, ses jambes ne la portent plus à cause de la polio. Ti-Bi son cousin, un déficient léger est passionné par la musique, tante Marion se perd dans la fumée de ses cigarettes. Elle fume, fait des lavages et repasse des vêtements toute la journée. Que dire de Towing et Trois Gallons, la belle policière qui fait tourner les têtes et de Fernande Pouliot, cette infirmière qui sait tout… Il y a aussi Éva la mère d’Edmond avec son œil malade. Une sorte de pirate.
La Tuque, je disais, un pays de forêt, de montagnes. La rivière Saint-Maurice, l’une des plus belles du Québec.

L’air était froid maintenant. L’automne régnait et les couleurs des feuillus explosaient entre les conifères. Une saison parallèle s’édifiait à même cette nature : la chasse à l’orignal. Alice avait aperçu ses premiers panaches couronner le toit ou le capot des véhicules. Elle avait assisté à différentes parades de véhicules tout-terrain, ce qu’on appelait des VTT, et avait vu s’ériger la tente du Festival du Bûcheron. Les magasins de la rue Commerciale avaient déguisé leur devanture en forêt de contreplaqués. L’ambiance était festive, joyeuse. (p.62)

Et nous voilà dans une histoire étrange. Edmond collectionne tout ce qu’il trouve, surtout des clous. Il pratique le troc. Autrement dit, il échange des objets pour d’autres. Sa passion pour les trains miniatures l’obsède et il ne cesse de se procurer de nouveaux wagons pour allonger son réseau ferroviaire qui va finir par envahir toute la maison. Une façon de partir, de s’évader du quotidien peut-être.
Il faut autre chose pourtant pour faire un roman. Je n’avais pas prévu ça. J’étais en plein roman policier. Trop tard pour reculer, j’étais accroché. Je ne fréquente pas tellement le genre voyez vous, mais je ne pouvais plus abandonner le nain que Trois Gallons surveillait en imaginant les pires sévices. Les fausses pistes se multiplient. J’étais devenu un chien fou qui va partout en tentant de savoir ce qui était vraiment arrivé. J’en ai un peu honte maintenant.

Monde ordinaire

La population de La Tuque vaque à ses occupations. Les policiers patrouillent, la belle Alice, la jeune médecin légiste, arrivée pour un stage, cause un certain remous sur son passage. Même Edmond n’est pas indifférent. Pas de quoi impressionner Fernande Pouliot, l’infirmière qui pourrait en remontrer aux plus grands spécialistes.
Un accident de la route, un véritable carnage, la découverte d’une certaine quantité de drogues dans l’auto de Gérard Doucet, un citoyen au-dessus de tout soupçon. La Sûreté du Québec mène une opération partout en province pour démanteler un réseau de trafiquants. Nous avons l’habitude depuis quelques années. Trois Gallons, le frère du policier Harold Michaud est la victime toute désignée. Il rêvait de porter la veste de cuir des motards et a découvert très tôt qu’il aimait faire souffrir les gens. L’enquête traîne, le verglas fige tout le pays et peut-être aussi les cerveaux. On s’en souvient. Une étrange anémie frappe plusieurs jeunes. Qu’est-ce qui se passe ?
Des moments très beaux, tendres même, une poésie toute simple m’a retenu. On dirait ces relais le long de la route où nous pouvons nous arrêter pour respirer, regarder, être bien dans tout son corps.

Edmond éteignit la télé et se rendit à la fenêtre. La neige avait cessé d’imiter les lignes d’un cahier. Elle tombait debout en chancelant. Il supposa que la vie comme la neige ne passait pas en ligne droite. Elle ne venait pas de l’arrière et n’allait pas de l’avant. La vie descendait, même en tournant en rond, et disparaissait. Il se décolla de la vitre, fit sa ronde de pompier et se coucha. (p.93)

Tante Nini en a assez de vivre sur le plancher. On peut parler de suicide assisté. Ti-Bi déménage et délaisse son cousin. Il n’en a plus que pour son nouveau piano. Edmond est retrouvé mort dans le bain, vêtu d’un gros manteau de fourrure. Qui a tué le nain ? Trois Gallons ? Il est le coupable désigné. Et que racontent ces fameux cahiers à trois trous que l’on a trouvés chez le nain ? Des messages codés, une liste de transactions douteuses. Nous voilà à chercher partout, dans des histoires d’amour, des vengeances, des dépendances, des obsessions qui sont le lot de tout le monde.

Souffle

J’ai lu ce roman d’un souffle, me perdant volontiers dans les méandres d’une histoire qui semble tourner en rond et que l’écrivaine prend plaisir à pousser dans toutes les directions. Je suis redevenu un adolescent qui découvre des personnages et s’enfarge dans une intrigue qui ne cesse de s’embrouiller. C’est un art que de raconter une histoire, de faire vivre des marginaux qui restent crédibles. Francine Brunet réussit de manière étonnante. Une fin qui vous surprend et que l’on aurait pu deviner. Les indices sont là, dissimulés un peu partout comme les traces d’un orignal dans la forêt. J’aurais fait un bien mauvais enquêteur. Le coupable n’est pas le coupable. Un peut tout le monde est peut-être responsable de cette mort étrange. Une belle manière de parler de La Tuque et de la faire entrer en littérature. Que demander de plus ? Une histoire solide, des personnages fascinants, une écriture tout près de l’oralité, particulièrement efficace et qui trouve des accents poétiques qui sont de véritables petits bonheurs.

Le nain de Francine Brunet est paru aux Éditions Stanké. 
http://www.editions-stanke.com/francine-brunet/auteur/brun1101

dimanche 9 août 2009

Janik Tremblay cherche le bonheur

Un bloc appartement, rue Fabre à Montréal, tout près du monde tant de fois décrit par Michel Tremblay. Tout débute le 6 décembre 1988 avec le drame de Polytechnique. Vincent y étudie avec son ami Émile. La vie est pleine d’espérances et il y a l’arrivée de ce tireur fou.
«Il repensait souvent à cette douloureuse année. Toutes les soirées pendant lesquelles, avec Vincent et les autres, ils s’étaient remémoré les événements du fatidique 6 décembre. Combien de nuits blanches? Les bouteilles de bières vides, les mégots débordant des cendriers. Une odeur de taverne régnait dans l’appartement d’Émile. Pourquoi n’avaient-ils rien fait? Les filles à gauche, les garçons à droite. Trop peu de temps pour apprivoiser une arme si monstrueuse. À peine quelques secondes pour affronter un regard plein de haine et de colère. Un regard si menaçant. Pourquoi avaient-ils silencieusement obéi quand le tueur leur avait ordonné de quitter la classe?» (p.13)
Vincent se sent coupable et lâche. Pourquoi n’est-il pas intervenu pour tenter d’empêcher le massacre? Il se suicide le 6 décembre 1992, quatre ans plus tard, n’arrivant plus à trouver une direction à son existence.

La vie

Si certains des six locataires de l’édifice de la rue Fabre semblent doués pour le bonheur, d’autres se heurtent à des murs. Comment continuer à respirer quand le pire frappe autour de soi? 
«Le mieux, c’est de ne rien dire, mais d’être là, assura Philippe. Les mots ne réconfortent jamais, ce ne sont que des bruits. Le silence est plus efficace. » Ils regardèrent Philippe. L’image de Vincent s’infiltra entre eux. Aucun commentaire ne fut émis. Le taxi de Rodolphe s’immobilisa devant le dépanneur. Rodolphe sortit rapidement de sa voiture et revint s’asseoir. «Elle m’émeut, cette petite, toujours des ressources pour affronter les pires malheurs.» Ébahi, Jean-Charles regarda Béa: «Tu crois vraiment que l’amour est la solution à tout?» «On prête trop de bonnes intentions à l’amour», dit Roxanne. «L’amour, ce n’est jamais suffisant», affirma Philippe.» (p.165)
Marie quitte Pierre qui sombre dans l’alcool. Jeanne emménage avec l’amour tout neuf de Nicolas. Étienne se remet mal du suicide de son ami Vincent. Lola travaille avec Médecins sans frontières pour ne pas affronter directement peut-être la perte de son frère. Et Madame Edouard retrouve, cinquante ans plus tard, son premier amoureux. La vie est pleine de ressources, têtue comme du chiendent, poussant tout le monde en avant.
«La fatalité nous surprend sans que nous y soyons préparés. Arriver au dépanneur à seize heures. Pourquoi pas à quinze heures? Des bougies reliées à la fatalité. La vie quelle ordure», ruminait Lola.» (p.155)
Comme chez Paul Auster, le hasard multiplie les coups fourrés. Il suffit d’une minute et pour que tout bascule.
Hymne à la vie

Janik Tremblay suit des personnages plus attachants les uns que les autres, des vivants et des battants. Malgré les embûches de l’existence, ils finissent par triompher des plus terribles épreuves. Solidaires, les locataires de l’édifice à logements forment une famille qui partage tout dans le bonheur comme dans les pires épreuves. C’est vivant, touffu, émouvant par moments.
Janik Tremblay, comme dans ses romans précédents, est attentive aux gestes du quotidien, aux émotions qui font les grands et les petits bonheurs. Le lecteur en sort remué, plus confiant, accompagné par une musique qui marque les ouvrages de cette écrivaine. Un bel hymne à la vie qui prend plaisir à éprouver ceux qu’elle aime.

«Le bonheur est assis sur un banc et il attend» de Janik Tremblay est paru aux Éditions Stanké.

mardi 8 novembre 2005

Marie-Christine Bernard fait son entrée en littérature

Premier envol pour Marie-Christine Bernard, écrivaine d’Alma. «Monsieur Julot» est là, depuis quelques semaines, avec ses pages serrées, ses personnages, une trame qui nous pousse au bord de l’abîme.
Il est rare en littérature de glisser dans le quotidien de quelqu’un qui se coltaille avec le cancer. Marie-Christine Bernard a empoigné le tueur à deux reprises. Deux fois elle a dû livrer ce combat qui mobilise toutes les ressources physique et psychique. Mère d’un enfant de quatre ans, elle nous fait vivre cette guérilla sans merci qui ravage le corps et fait vaciller l’esprit.
«Le cancer se vit comme une pourriture qui aurait poussé à l’intérieur de soi: on a l’impression de vivre dans un corps sale, moisi, de s’être fait jouer un très vilain tour par un Propriétaire véreux.» (p.20)
Radiothérapie, chimiothérapie provoquent des «retombées nucléaires». Après ces séances, elle reste des jours prostrée et ravagée.
L’écrivaine décrit ce combat avec une énergie étonnante. Sans compter les humeurs, les colères intempestives qui blessent ceux qui démontrent de la sympathie et de la compassion. Un combat qui désarçonne son compagnon et perturbe l’enfant qui a du mal à comprendre le flirt de sa mère avec la mort.
«J’ai tellement de colère, je la déverse sur les gens: quand ils me parlent de ma «santé», c’est comme s’ils rendaient la maladie plus réelle et donc, plus inacceptable. Alors, quand ils me parlent de ma «santé», ça me met en colère.» (p.54)

Lettres

La narratrice, lors de ses nombreux séjours à l’hôpital, se lie avec une vieille femme qui n’a plus que quelques jours à elle. Marie-Louise, seule comme Dieu avant la Création, rumine de terribles regrets. Ella a dû s’occuper du fils de sa sœur fauchée par le cancer. Elle a détesté cet enfant, le fils de l’homme qu’elle aimait, un peintre que sa sœur Thérèse, drapée de toutes les séductions, lui a volé.
S’amorce alors une étrange correspondance avec cet homme mal-aimé. La narratrice décrit ses peurs et ses colères, tente de réconcilier Marie-Louise et Monsieur Julot qui a toutes les raisons de haïr cette tante irascible. Les lettres se transforment en journal intime, en tricot où la vie de Monsieur Julot et la lutte de Mme Bernard s’enchevêtrent. Comme si Monsieur Julot pouvait être le fils de la narratrice dans une autre époque. Même drame possible, en deux temps.
Narration vivante, pleine d’humeur, d’humour pour masquer la peur et l’angoisse. Marie-Christine Bernard a un ton, un style près de l’oralité, des effets qu’elle aurait eu avantage à brider un peu, une exubérance étonnante. Un texte contagieux, comme les cellules qui prolifèrent et qu’il faut écraser. Un roman senti, un récit émouvant, un témoignage percutant. Des repères, des espoirs et des désespoirs qui plongent le lecteur dans un monde souvent ignoré.
Chose certaine, je ne peux aller à Chicoutimi sans penser à Marie-Christine Bernard maintenant. Depuis la lecture de «Monsieur Julot», j’oublie souvent l’autoroute pour plonger dans la côte Saint-Jean-Eudes et m’émerveiller devant le Saguenay.
«Chaque jour donc, pour moi, en privé, le Saguenay organise un spectacle à grand déploiement que je ne voudrais manquer pour rien au monde. Ainsi, j’allonge un peu mon trajet, pour le plaisir tout simple de saluer au passage la beauté du monde.» (p.105)
Marie-Christine Bernard fait aimer la vie, rend attentif et vibrant. Une musique qui accompagne longtemps.

«Monsieur Julot» de Marie-Christine Bernard a été publié par les Éditions Stanké.