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jeudi 1 novembre 2007

Christian Mistral : l’écrivain avant tout

Dans «Léon, Coco et Mulligan» de Christian Mistral, j’ai retrouvé l’écriture qui m’a accroché dans «Vamp» et «Vautour». Cette fois, Mistral nous attire dans le carré Saint-Louis, un lieu connu des artistes et de la bohème montréalaise. Dans les années 70, avant que la rue Prince-Arthur ne devienne un lieu touristique fréquenté et une très belle chanson de Pierre Flynn, on pouvait y croiser tout le milieu littéraire.
Léon affirme être romancier, mais il est incapable d’écrire l’œuvre qui le sortirait de l’anonymat. Il a sillonné une partie de l’Amérique avec son ami Coco qui vit dans sa bulle et déclame les poèmes d’un certain Mulligan. Un schizophrène qui tente d’écrire, mais n’arrive qu’à répéter les poèmes de son idole.
Une étrange amitié lit ces êtres dissemblables. Un duo qui n’est pas sans rappeler George et Lennie, les inséparables compagnons inventés par John Steinbeck dans «Des souris et des hommes».
«Les origines de leur association demeuraient mystérieuses pour la plupart des gens. Rares étaient ceux qui savaient d’où ces deux-là sortaient, depuis quand ils se connaissaient, pourquoi ils restaient ensemble. Non pas qu’on pût les accuser de délibérément nourrir l’énigme, mais ils n’en parlaient jamais. Seulement, quiconque les observait quelques jours s’ébahissait de leur parenté d’esprit hors du commun, de l’affection mêlée de dépit les unissant, et de la rude tendresse qui sous-tendait leurs simulacres de querelles, comme une paire de jumeaux qui se sautent à la gorge lorsqu’ils sont ensemble et ne trouvent pas le sommeil dès qu’on les sépare; comme un couple de vieux mariés qui se disent leur amour à grandes tapes sur la gueule.» (p.59)
Coco et Léon sont liés par un amour inconditionnel qui se traduit par des gestes tendres et une générosité qui n’exige rien en retour. Une fraternité qui intrigue et fascine.

Le rêve

Les deux rentrent à Montréal après un long exil, dénichent un appartement qu’ils partagent avec un chauffeur de taxi. Ils survivent grâce à de mystérieux chèques que reçoit Coco à tous les mois. Léon s’attaque à la grande œuvre, sillonne le carré Saint-Louis, s’attarde auprès de John, un chanteur de rue plutôt arrogant, se lie d’amitié avec les prostituées. Incapable d’écrire une page qui trouve grâce à ses yeux, il songe à porter son rêve dans une autre ville. Coco pour une fois en décidera autrement. Le lecteur finit par comprendre que Mistral a inventé une fable autour du poète Émile Nelligan, l’imaginant dans notre époque, vivant de ses droits d’auteur, partageant la rue et les parcs avec les éclopés qui poursuivent des songes inaccessibles.
Plus que tout, Montréal est mis en scène, le secteur du carré Saint-Louis. Il en fait un personnage qui respire, vibre et séduit. Comme si la ville accueillait les éclopés et les protégeait à sa façon. C’est ce qui rend ce court roman fort attachant.
«Un tapis d’herbe bleue, jaune et verte bordait le trottoir, et quelques pissenlits pointaient çà et là vers le ciel obscurci de nuages irritables et ronds comme des femmes enceintes. Hormis ces pousses rares, rien ne venait troubler la plate unité du sol, par un brin de gazon plus court que ses voisins, pas une plaque dissemblable; qu’une vaste étendue de pelouse municipale, soigneusement entretenue par la voirie, débarrassée des reliefs de la fête qui, aux jeunes heures du matin, lui mettaient un peu de rose aux joues. Car la terre a un visage, des pores qui respirent, des oreilles qui entendent et une voix qui murmure.» (p.99)
Il faut plonger dans les livres de Mistral pour découvrir un écrivain formidable, Surtout, il faut oublier toutes les rumeurs qui collent au personnage.

«Léon, Coco et Mulligan» de Christian Mistral est publié chez Boréal Éditeur.