Nombre total de pages vues

lundi 21 novembre 2011

Découvrir le numérique avec Pascale Bourassa


C’est fait. Je viens de découvrir la tablette électronique. Pour me convaincre, il fallait la naissance de la maison d’édition «Le chat qui Louche», une entreprise entièrement numérique qui a son siège social à Chicoutimi. Ce n’est pas rien et l’événement mérite qu’on s’y attarde.
Lancement en grandes pompes le 13 octobre dernier. Huit titres. Des textes originaux et des rééditions. Des écrivains connus: Danielle Dussault, Dany Tremblay, l’éditrice, Alain Gagnon et Dominique Blondeau. Des écrivains d’ici et de France. Belle fête et plein de gens fascinés!
Fini les frontières! Ces textes voyagent dans l’espace-temps et peuvent être lus en Russie, en France, aux États-Unis, en Islande et même au Japon.
Le projet est séduisant…
Je suis un inconditionnel du papier pourtant. J’aime renifler les livres, palper les pages comme des êtres vivants. Laisser aussi des traces de ma lecture en soulignant certaines phrases avec un stylo ou un marqueur.
Je garde religieusement les romans que j’ai reçus au primaire. C’était la mode alors. Ils étaient considérés comme des objets précieux que l’on manipulait avec le plus grand des soins. J’en ai récolté quelques-uns à la petite école Numéro Neuf de La Doré.
Je possède encore le  premier roman que j’ai acheté. J’étudiais alors à l’école Pie XII de Saint-Félicien. Mon maître Jean-Joseph Tremblay s’appliquait à nous faire découvrir les merveilles de la littérature. C’était possible à l’époque. Je savais déjà que ma vie passerait par les livres.
J’avais trouvé «Les Misérables» de Victor Hugo dans une tabagie du boulevard Sacré-Coeur. Un livre de la collection Marabout géant, imprimé en Belgique, en 1962. Ce fut la première brique d’un monde que j’ai érigé au fil des ans. Maintenant, en regardant ma bibliothèque je retrouve les grandes étapes de ma vie.

Livre magique

Il fallait Dany Tremblay et cette petite flamme dans ses yeux quand elle parle des livres pour que je me laisse tenter. Et «Une couleur dans le noir» de Pascale Bourassa, une écrivaine native de Saint-Félicien comme par hasard. J’ai beaucoup aimé «Le puits» paru en 2009 aux «Éditions La grenouille bleue». Un roman fort, puissant qui est passé un peu inaperçu. Malheureusement.
J’ai tourné autour de l’objet en question pendant plusieurs jours. Une sorte de miroir terne. Froid. J’avais l’impression de trahir des amis. Il faut presser là, attendre, entrer dans la bibliothèque. «Please wait». En plus la machine me prend pour un Anglais. Enfin le texte remonte à la surface…
Dans le sens de la largeur. Je finis par comprendre qu’il faut retourner le miroir pour retrouver un texte… normal.
J’amorce ma lecture tout doucement, sur la pointe des yeux, comme si je m’avançais sur une glace mince. Un texte à plusieurs narrateurs. D’habitude, je lis en soulignant partout, je l’ai déjà dit. Je me sens privé du plaisir d’accompagner l’auteur.
Glisser le doigt de droite à gauche. La page tourne dans le mauvais sens. J’avance, je recule. Je me sens stupide. Une grande inspiration et je me concentre. Je m’attarde sur une phrase quand l'appareil consent à me laisser progresser dans le texte.
«Je suis une image. Je suis un moment sur du papier. Je me froisse, je me rature et je recommence. On me redéfinit toujours. Quand je sens que l’image est la bonne, je la garde jusqu’à ce que ça se froisse encore.» (p.9)

Texte

Des poupées gigognes que ces femmes qui s’interpellent sur deux générations. La mère et la fille. Une grossesse non-souhaitée, une vie sacrifiée à la moralité, à un mariage de convenance. Une histoire déchirante, difficile où la mort et la vie dansent les yeux dans les yeux.
«Ma mère, c’est une histoire que je me raconte, la nuit, les yeux ouverts dans le noir.» (p.48)
Pascale Bourassa réussit à me faire oublier la mécanique. Son texte incantatoire, douloureux comme le sont les chants les plus beaux, m’emporte. Je reste un moment à réfléchir à l’univers singulier de cette auteure. La maternité, il en était question dans son premier roman. Il y a de la suite, une démarche qui s’esquisse, une écrivaine qui pose ses balises.
Comment revenir au début du texte? Et le miroir qui ne veut plus s’éteindre.
Chose certaine, il faudra changer mes habitudes pour explorer le monde numérique. Peut-être lire avec un carnet pour prendre des notes et copier des passages. Mais il paraît qu’avec certains appareils il est possible de faire cela.

«Une couleur dans le noir» de Pascale Bourassa est paru aux Éditions Le chat qui Louche.

samedi 19 novembre 2011

André Pronovost marche pour se trouver

André Pronovost parcourait, il y a plusieurs années, le sentier des Appalaches. Une aventure qui lui a fait traverser treize états américains. Cinq mois de marche, mais peut-être aussi l’aventure d’une vie.
«À l’aube de 1978, mon vieux rêve de couvrir en entier les deux mille milles de l’Appalachian Trail était devenu envahissant. J’avais besoin de me retrouver, de passer à autre chose, et que le diable emporte le reste ! Je partirais en février. À la mi-février, et en cinglant du sud au nord, de la Géorgie au Maine. Avec le printemps, quoi.»  (pp.11-12)
Une véritable épreuve physique l’attend, des conditions souvent difficiles. Le marcheur doit combattre le froid, la neige et la grêle; le vent, la chaleur, la pluie et les moustiques. Tout ce que l’on peut imaginer quand on ose s’aventurer dans des régions isolées.
Tout cela pour oublier un amour impossible, une thèse sur la psychologie animale qui bat de l’aile.
Les longues journées, les montées, les descentes, les nuits glaciales dans des abris où les moufettes et les souris font la loi ont de quoi faire hésiter les plus courageux. L’écrivain en se confrontant aux éléments, apprivoise la solitude, jongle avec certaines questions existentielles qui pèsent parfois plus que son sac à dos. On ne peut s’empêcher de penser à Jack Kerouac, aux «Anges vagabonds» surtout.

Rencontres

L’aventure devient rapidement une marche à travers le temps et l’histoire de l’Amérique. Il croise des gens habités par des croyances qui leur permettent de vivre en paix ou qui cherchent un sens à leur existence.
«Je suivis la piste d’un ours entre le col de Spanish Oak et le sommet chauve et baigné de lumière de Snowbird Moutain, et à midi, après douze milles de marche allègre, me voilà en présence d’un type pas très vieux, pas très grand, à la figure rude et hâlée comme du poisson séché, aux yeux insondables, aux cheveux de jais, aux dents aussi blanches que celles de son chien. S’agissait-il de Lee Eagle, l’Amérindien winnebago qui pousse son mythe d’un pôle à l’autre de cette longue piste des Appalaches?»  (pp.81-82)
Ils partagent un repas, un abri et chacun repart en ayant comme but d’atteindre le prochain relais où la prochaine agglomération pour faire des provisions. Dans ces villages et ces petites villes, le marcheur fait la connaissance de gens qui l’aident sans rien demander en retour. Des êtres exceptionnels, des hommes et des femmes qui le bousculent. À son retour sur la piste il connaît de véritables moments d’euphorie et d’extase.
André Pronovost aura vécu une expérience humaine incomparable, une sorte de voyage initiatique qui lui permet d’aller au fond des choses et de découvrir l’âme des États-Unis d’Amérique.
L’écrivain a eu raison de rééditer ce récit échevelé, troublant et unique. Absolument fascinant.

«Appalaches» d’André Pronovost est paru chez XYZ Éditeur.

Jean Désy explorateur du monde et de la vie

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy regroupe des textes choisis par André Bresson, Yves Laroche et André Trottier. Des écrits qui tentent d’effleurer l’essentiel et de trouver un sens à la vie.  
«Toute l’œuvre de Jean Désy, pétrie d’un amour exigeant pour l’univers et l’humain, est un mouvement dialectique entre des forces moins contraires que complémentaires, un va-et-vient nécessaire, difficile, fécond, entre la science et la spiritualité, entre la solitude et le commerce des humains, entre la méditation et l’action, entre la ville et la nature, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, entre la lecture et l’écriture, entre vivre et créer», affirme Yves Laroche dans sa courte préface.
On ne saurait mieux présenter ce médecin, poète, romancier, essayiste, aventurier, enseignant et philosophe. En fait, Jean Désy est un humaniste qui jongle avec des questions qui hantent l’humanité depuis la nuit des temps.

Quête

Trouver une direction, un certain apaisement peut-être, effleurer une certitude que les poètes et les penseurs pourchassent en risquant le tout pour le tout.
«Je crois en la vie après la mort, mais avec la mort dans l’âme de n’avoir aucune explication logique ou cohérente à fournir, devant faire face au néant présenté par toute une pensée moderne, par tant de philosophes, par certains grands amis aussi, eux qui, au fond, vivent l’existentialisme agnostique de la manière la plus vraie, manière de vivre que je partage au quotidien, je le sais, mais que je rejette, au fond de moi, pour d’irrationnelles raisons.»  (p.25)
Désy s’attarde à certains écrivains, les poètes surtout, ces inventeurs de langage, ces illuminés que sont Saint-Denys Garneau ou Arthur Rimbaud. Des philosophes aussi qui tentent de voir loin, au-delà de la réalité qui nous cerne et nous étouffe souvent.
«J’ai à tout moment remis en question ma place dans le monde en tant qu’écrivain, sachant que par-delà les mots qui disent la beauté du monde, il y a la beauté elle-même et que les mots ne peuvent suffire. Les mots ne sont que les manifestants de la beauté du monde. Ils servent à transmettre l’idée, puis la réalité de la beauté du monde. Les mots et le langage ne sont pas premiers ; c’est l’amour et la vie amoureuse des êtres qui importent. Après, après seulement, la poésie peut prendre la place qui lui revient. J’ai cependant accepté de jouer le jeu de ma vie parce que ma parole peut voguer, à travers la parole des autres. C’est pourquoi j’écris.» (p.69)
Ses angoisses se calment quand il se retrouve dans le Nord où la nature force les êtres humains à échapper à leur médiocrité et à puiser au plus profond d’eux-mêmes.
Des textes importants qui heurtent et poussent le lecteur dans ses derniers retranchements. C’est pourquoi il est difficile de terminer la lecture de certains écrits de Jean Désy. Ils vous hantent. Le genre de livre qui vous suit toute une vie et vers lequel on revient quand on n’est plus sûr de ses pas et de la direction à prendre. Jean Désy est unique par ses questionnements et sa manière de secouer la vie. Un écrivain nécessaire, un cheminement exemplaire.

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

Robert Lalonde et la question de l'existence

Robert Lalonde revient à la manière de «Iotékha», au «Monde sur le flanc de la truite» et «Où vont mourir les sizerins flammés en été» avec «Le seul instant». Des lectures, des réflexions et des découvertes qui s’enchevêtrent d’une belle manière.
Du 15 mai au 15 septembre 2009, l’écrivain s’installe à Sainte-Cécile-de-Milton. Il pleut quasi à tous les jours. Un été de nuages avec un soleil timide. Il se rabat sur certaines lectures, l’écriture et quelques travaux. Et il y a ce ciel barbouillé qu’il tente de peindre.
«J’essaie encore, cette fois à la gouache. Il me faut parvenir à confisquer ce continuel ciel de pluie qui commence à me taper sur les nerfs. Bien sûr, c’est plus facile – à tout le moins pour partir. Je mélange les bleus, les gris, un soupçon de noir avec le blanc opalin et badigeonne ou plutôt, tamponne à l’éponge la feuille de ma mixture charbonneuse, labile, grossièrement orageuse. (p.41)
Il n’en fera qu’un gâchis, mais qu’importe!

Lecture

L’écrivain fréquente Teilhard de Chardin, Oscar Wilde, Enrique Vila-Matas et Wittgenstein. Les livres traînent partout et il y puise au hasard de ses occupations ou de ses préoccupations. Ils sont nombreux les compagnons qui le houspillent et le figent entre deux gestes.
«Je ferme les yeux et me récite à voix basse ces mots de Jacques Rivière, qui a lui aussi dix-sept ans et qui écrit à son ami Alain-Fournier  - je les ai lus hier et les ai appris par cœur, comme autrefois mes prières : « Le bonheur n’est que cette palpitation précaire de la main tendue vers son bien. Ce n’est que cela. Et rien ne permet d’appeler autre chose le bonheur, puisque nous ne connaissons que cela.» (p.15)
Des jours où il oscille entre les tentatives d’écriture, les tableaux, des randonnées, des moments magiques où il surprend les chevreuils dans un boisé ou la paruline, véritable éclat de lumière dans la grisaille du jour. L’étang l’attire, la lisière du bois, le lointain comme le proche. Il va en suivant le chien, le chat qui disparaît et revient. Il explore la forêt parce que «lire, c’est traduire». Une méditation devant le monde familier et toujours étonnant.

Quête

L’écriture est un outil qui permet de comprendre peut-être, d’espérer un peu de repos.
«Ça se passera un jour de pluie, et il y aura des chats impatients, des mouches agaçantes, une vilaine brumasse accrochée aux arbres. Il y aura du désespoir, de la désolation, un soleil absent depuis trop longtemps. Et il y aura un personnage – moi et pas moi- à qui je donnerai des yeux doux et un cœur triste, un cœur faible, mais fidèle.»  (p.79)
Un questionnement qui se retourne contre soi, une quête qui se modifie à tous les jours.
«Qui suis-je, au fond? Un guetteur, un pisteur, un espion et un mouchard : un écrivain. Pour le reste, je suis comme chacun, celui qui se met en file, obéit et espère ressortir vivant (et toujours capable de voir) des échauffourées quotidiennes.»  (p.68)
L’écrivain nous entraîne dans l’hésitation où la vie trouve son sens et sa plénitude. Il faut prendre le risque de suivre Robert Lalonde. Plonger dans l’un de ses carnets, c’est tout délaisser pour trouver un ami qui se confie et se livre sans retenue. Une expérience existentielle à chaque fois. Le récit présente aussi des pastels et des aquarelles de l’auteur. Une autre manière d’explorer son monde.

«Le seul instant» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/robert-lalonde-308.html

lundi 14 novembre 2011

Dominique Fortier est une conteuse formidable

Les familiers de Dominique Fortier peuvent croire que son dernier roman, «La porte du ciel», est moins complexe que «Les larmes de saint Laurent». Il ne faudrait pas se laisser duper cependant. Tout simplement l’écrivaine parvient peut-être mieux à dissimuler les coutures de son histoire. Elle travaille à la manière de ces femmes qui savaient camoufler des messages dans les motifs de leurs courtepointes en Louisiane et en Alabama. 

Elles guidaient ainsi les esclaves en fuite qui cherchaient à joindre l’armée du Nord. Ces travaux d’apparence neutre devenaient des fanions qui balisaient les chemins de la liberté. 
«On m’a dit qu’ils suspendaient à leur fenêtre des courtepointes. Ce sont les motifs qui servent de messages.» (p.203)
Madame Fortier m’a entraîné aux États-Unis, au moment où le territoire est ravagé par la guerre des Sécessions. Un pays aux frontières mouvantes, qui changent selon les avancées et les reculs des armées en présence.
Le Sud où une population blanche possédait tout et décidait de la vie et de la mort des Noirs. Ces derniers étaient traités comme du bétail que l’on vend et que l’on échange. Il faut lire l’admirable livre de Laurence Hill, «Aminata» pour comprendre l’horreur d’une époque où des hommes et des femmes étaient considérés comme des bêtes dont on se débarrassait quand ils vieillissaient et travaillaient un peu moins.

Deux femmes

Eleanor est fille de médecin et Ève une esclave que son père a acheté sur un coup de tête. Elles ont à peu près le même âge et se suivront dans la vie. Chacune consciente de sa place et de ses devoirs. Eleanor se marie à un jeune homme riche et Ève l’accompagne dans la plantation pour servir. Deux jeunes femmes que tout sépare et que tout unit.
«Nous avons été mariés le 15 mai 1864. Trois semaines après mon dix-huitième anniversaire, alors que les magnolias embaumaient l’air dans le salon de la maison où j’avais grandi et que je laisserais moins d’une heure plus tard. J’avais du chagrin à l’idée de quitter la seule demeure que j’avais jamais connue, mais on m’avait promis que je pourrais amener Ève avec moi, et que ma nouvelle maison serait plus grande et plus belle encore. Et puis, il me semblait qu’en passant le seuil ce jour-là, je  deviendrais enfin adulte et libre.» (p.125)
Eleanor trouve un monde dirigé au doigt et à l’oeil par sa belle-mère. Son mari peu loquace se perd dans des recherches et la routine. Et «le devoir conjugal» n’est pas assez pour illuminer la vie de cette jeune femme rêveuse et romantique. Son destin est lié aux travaux de broderie qui occupent son oisiveté.
Tout pourrait changer au retour du frère de son mari, un homme libre et orignal qui a fait la guerre. Relations troubles, sensualité, désirs, ambiance chaude et envoûtante, le roman de Dominique Fortier atteint des sommets.

Narration

En fait, le vrai narrateur de cette histoire est le pays qui voit des hommes et des femmes mourir, aimer, souffrir, rêver et tenter de faire les choses autrement.
La vie est un labyrinthe où il faut s’enfoncer pour affronter son Minotaure. Peut-on en revenir sain et sauf? Ève parviendra à retrouver son lieu d’origine. Eleanor mourra bêtement d’une morsure de serpent parce qu’elle a osé s’aventurer dans la nuit, ce qu’une femme de son milieu ne fait pas.
Bien sûr, le Sud ne peut plus être le même avec l’abolition de l’esclavage. Tout cela mènera à la naissance du Klux Klux Klan, une forme de barbarie raciste dans ce qu’elle a de plus abjecte. Ève échappera au viol de justesse.
Dominique Fortier est une formidable conteuse qui attire son lecteur comme l’araignée qui tisse sa toile Elle nous mène où elle veut sans que nous ayons une hésitation. Un roman fort complexe malgré les apparences. Tout est pensé et organisé, codé comme les fameuses courtepointes.
Un très beau roman qui nous montre les côtés les plus sombres des humains, une Amérique que nous n’aimons guère voir. Voilà une écrivaine de plus en plus certaine de ses moyens. Une véritable virtuose. Impressionnant.

«La porte du ciel» de Dominique Fortier est paru aux Éditions Alto.

lundi 7 novembre 2011

Les bonnes filles vivent leur malheur en silence

Les héroïnes de Claudia Larochelle, dans «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps», ont le goût de la mort sur les lèvres. Elles sont bouleversées par la perte d’un amoureux ou d’un amant, habitées par une forme de désarroi devant la vie qui va toujours trop vite et emporte tout. Des femmes qui doutent dans leur être sans parvenir à trouver une orientation ou un point d’ancrage. Elles hésitent entre l’espoir de tout recommencer et une forme de renoncement.
«Je peux redevenir une femme libre, danser n’importe comment devant des êtres inanimés et beiges qui veulent juste me baiser mal. Je le fais. J’obéis pour arracher de mon corps toute trace de toi. Un nettoyage épidermique. Le cœur se brouille pourtant, comme mon jeu de tarots dans lequel les cartes ne disent plus rien de vrai. Le pendu me ressemble. J’ai collé cette image dans le miroir de ma salle de bains à la place de ta photo.» (p.13)
Faire comme si, jouer le jeu. Être belle, séduisante, performante malgré les blessures à l’âme.

Bascule

La vie a tout saccagé autour de ces femmes, leur jeunesse aussi et leurs certitudes en l’avenir. Elles sont habitées par une grisaille, malgré les gestes qui permettent de sauver les apparences, d’espérer le moins pire peut-être… ou la fin.
Les personnages de Claudia Larochelle glissent sur un fil et peuvent basculer d’un moment à l’autre.
 «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps. Elle savent comment faire et trouvent le temps. Les bonnes filles n’appellent pas à l’aide en hurlant dans le combiné du téléphone. Elles se taisent en revêtent des vestes de laine de couleurs pastel achetées chez Simons. Elles lisent des ouvrages de psychologie populaire sur le deuil, marquent les pages avec un signet rose et se font des tisanes à la camomille pour trouver le sommeil.» (p.97)

La survie

Une veuve séduisante du drame qu’elle porte comme une oriflamme. Une jeune mère qui décide d’en finir et qui regarde son fils sourire en babillant, ignorant la menace et le drame.
«Anne Letendre s’engage sur la voie de service déserte. Si elle tendait l’oreille, elle pourrait percevoir l’agitation des flots, cette complainte hypnotique qui noie les chagrins. Il s’en était fallu de peu pour qu’elle n’aperçoive pas ce faisceau de lumière s’insinuer entre deux cumulus. Comme une fleur restée blanche à la surface d’une mare de sang, naît ce doute, un fragment d’espérance qui délie brusquement les doigts et fait tourner le regard vers le portable. Il faudrait demander à Stéphane de les attendre pour le souper.» (p.72)
Un rayon de soleil troue les nuages. C’est suffisant. Un moment de beauté retarde le geste fatidique.
Ces femmes vont, viennent dans l’encombrement des jours sans trouver le feu de l’amour qui irradie le corps et fait croire que la vie est bonheur. Textes durs, terribles de justesse et de désespérance.
«Mes cheveux tombent en lambeaux sur l’oreiller, ma peau s’effrite, ma bouche ne peut qu’accueillir son sperme, les aliments ne passent plus. J’ai l’impression de courir contre le temps, armée d’un bataillon de pilules de toutes les couleurs qui ne servent qu’à enrichir les compagnies pharmaceutiques, qu’à donner l’illusion à mon corps qu’il peut encore tenir jusqu’au lendemain. Ce sera quand le dernier lendemain?» (p.117)
 
Fardeau

L’écrivaine s’attarde au fardeau de vivre, de vieillir, de voir les élans de la passion s’éteindre. Le quotidien s’impose. Les gestes de la veille deviendront ceux du lendemain.
Et quelle écriture! Toute de finesse, de douceur pour masquer la tragédie et la douleur. Madame Larochelle montre un immense talent pour décrire la vie qui se flétrit doucement, l’espoir qui a du mal à survivre.
J’ai refermé «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» avec le motton dans la gorge. Une formidable réussite, l’art de décrire les drames et les secousses intérieures que nul ne devine dans les étourdissements du quotidien. Un mal être qui décrit bien la société de maintenant qui se montre particulièrement impitoyable pour les femmes.

«Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» de Claudia Larochelle est paru chez Leméac.