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jeudi 14 avril 2005

Une belle surprise que ce collectif

Les causes humanitaires, si nobles soient elles, ne sont que rarement une aventure littéraire. «Tant d’histoire autour des seins» est un collectif et le résultat d’un concours lancé par la Table communautaire d’information en santé des femmes et le groupe Relais-femmes. Je m’attendais au pire. Je craignais le désastre et surtout les bonnes intentions. Qu’est-ce que Planète rebelle venait faire dans cette histoire avec un CD, que je me demandais avant d’aller voir de quoi il retournait.
Il y a de tout dans ce recueil, des trouvailles, des inventions, des petits bonheurs d’écriture mais aussi des textes un peu ennuyants. Signalons «Mammaire» de Micheline  Beaudry, un texte fait de regards et de non-dits, «La nounou russe» de Renée Robitaille qui s’avère un véritable plaisir. Monique Juteau pour sa part nous entraîne dans une réalité dure et cruelle.
«Elle dessine des femmes avec des seins énormes gonflés à bloc. Elles tiennent par le cou des chatons jaunes aux corps mous, longs et flasques, comme si l’on venait de les noyer. Elle aimerait que les poils des chats soient encore plus détaillés, plus jaunes, plus mouillés, plus collés à la peau. Elle s’acharne ainsi sur le réel depuis qu’elle a perdu un sein, le gauche, dans un champ de fraises bio, en ramassant par mégarde une petite tumeur, devenant ainsi un être encore plus flou, plus fictif qu’avant.» (p.86)
Une lecture fort agréable que cette course à relais. Le CD apporte une dimension autre et constitue une œuvre en soi.

«Tant d’histoires autour des seins» de Relais-femmes est paru aux éditions Planète rebelle.

mardi 8 février 2005

L’insoutenable tâche de devoir vivre sa vie

La semaine de prévention du suicide se termine. L’occasion est bonne de s'attarder à la première publication de Marie-Chantale Gariépy, une écrivaine de trente ans à peine. Quel livre dérangeant et questionnant! «Sparadrap» bascule dans l'univers de Fugue Malrot qui cherche à en finir avec la vie depuis son premier cri. Hasard ou chance? Elle n'arrive jamais à ses fins même si le goût de la mort lui colle aux lèvres.
Récit, lit-on en page couverture. Pourtant, le mot «roman» apparaît à l’intérieur. Étrange... Le poids du texte n’est pas le même quand nous prenons la piste du récit ou de la fiction. Jetons un regard attentif.
Fugue Malrot, jeune femme trouvée dans les draps d'un pénitencier à sa naissance, va de tentative en tentative de suicide. Sa mère était incarcérée. Après un ultime essai, nous la retrouvons à l'hôpital et dams une institution psychiatrique.
Des chapitres tranchés au couteau décrivent cette descente aux enfers, jusqu'au coma, à la lisière de la mort, quand elle refuse tout aliment. Dans un second mouvement, le compte à rebours s’amorce. Nous suivons aussi un psychiatre pendant l’internement.

Un combat

«Je suis un coin, un «vous ne pouvez pas aller plus loin», une impasse en quelque sorte. J'élève mes propres murs sans m'en apercevoir, je le fais dès que j'ai le dos tourné. Mon silence est devenu un insupportable vacarme. À la campagne ou au bloc ambulatoire, je n'envisage jamais qu'une seule option. Qu'on me laisse faire, qu'est-ce que ça peut bien changer pour eux? Je n'ai rien. Rien. C'est pour ça qu'il me faut combler le vide avec la mort.» (p.53)
Le lecteur bute à chaque phrase, se débat avec la logique de la narratrice. Peut-on nier la vie, piétiner tout espoir? Difficile de croire que l'on imagine la paix ou le bonheur dans la mort.

Retour

Une voix arrive au cerveau de Fugue. Une femme raconte l’histoire que la jeune femme a toujours voulu entendre. Sa mère se transforme. Enfin de la tendresse, de l’amour et de la chaleur humaine.
«Je prends la décision de ressurgir. Ce sera bien la première fois, voilà que je me sauve moi-même. Cruelle ironie. Je veux voir cette voix.» (p.113)
La voix la ramène à la vie comme un pêcheur le fait avec sa prise. Pourra-t-elle aimer ou être aimée?
Le Dr. Cournachond, ou Cornichon comme le nomme Fugue, ne l'entend pas ainsi. Il repousse la fiction de l’infirmière Janson. Il ne croit qu’à la logique même quand elle est tordue. Les fables ou les histoires, peut-être la littérature en fait, ne sauront jamais guérir.
Marie-Chantale Gariépy défait les noeuds, fracasse toutes les certitudes et à la fin, au dernier mot, dans un dernier souffle, elle abandonne son lecteur. Un texte qui broie le coeur et l'esprit. Un renversement comme un coup de massue.
Dans de très courts chapitres, elle parvient à nous ramener l'enfance de Fugue, à esquisser l’institution et le personnel où elle enferme le lecteur. Peut-être pour découvrir le malaise d’une génération.
Marie-Chantale Gariépy s'en tient à une écriture simple et efficace. C’est fort heureux! L’histoire parle d’elle-même et n’a besoin d’aucun artifice.
«Mourir ne s'apprend pas, c'est un savoir qui vous est donné à la naissance, un départ depuis toujours amorcé.» (p.106)

«Sparadrap» de Marie-Chantale Gariépy est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

jeudi 3 février 2005

Michel Marc Bouchard livre une oeuvre puissante

«Le peintre des madones» de Michel Marc Bouchard a connu une carrière un peu singulière. «C'est à Florence, en Italie, dans la ville aux mille madones, que j'ai jeté sur papier ce conte en m'inspirant très librement des événements entourant la création de la fresque qui orne encore aujourd'hui la nef de l'église de Saint-Coeur-de-Marie», écrit le dramaturge dans sa courte préface.
L'oeuvre fut d'abord présentée en Italie, au «teatro della limonaia de Sesto» de Florence dans une version italienne. Elle a connu un grand succès à Montréal dans la mise en scène de Serge Denoncourt.
Un texte fascinant par son propos et sa facture que j'ai lu à deux reprises, pour m'imbiber de ce langage envoûtant. Parce que c'est  aussi un délice de lecture que «ces pigments écarlates, du vin sacré et de l'hémoglobine, c'est tout ce rouge qui coule en nous, de nos sexes à nos âmes. C'est la collision des extases, ce sont des mensonges déguisés en conte.» Les mots sont de Michel Marc Bouchard.
Ce texte nous entraîne à Saint-Coeur-de-Marie, en 1918, fin de la première guerre. La grippe espagnole ravage les campagnes, ce pourrait tout aussi bien être le sida. Les hommes sont partis à la guerre ou bien ils fuient comme des ombres dans la forêt pour échapper aux militaires.

Une boucle

Cette oeuvre théâtrale s'ouvre et se termine de la même façon. «Un triptyque. Ce sera un triptyque», lance l'ange annonciateur en prologue. Dans l'épilogue le même personnage répète: «Et c'est ainsi que dans ce village, de génération en génération, on réinventa, de chuchotements en chuchotements, l'histoire de ce triptyque qui ornait le choeur de l'église. Les personnages parlaient une langue biblique. Tous ces mots empreints de sang, de guerres séculaires, d'inventions et de miracles.»
Le ton est lancé. La tragédie est devenue oeuvre d'art. Un monde sublimé qui échappe à toutes contraintes. Michel Marc Bouchard invente un univers où tout est poussé à la limite. Un ange présentateur qui tente de nouer la narration et des personnages qui gravitent autour du peintre, qui dansent comme des atomes autour du noyau. Un questionnement sur l'art, la création et des personnages hantés par des forces qui les jettent hors d'eux-mêmes.
Des êtres inquiétants. Un docteur qui souhaite découvrir l'âme humaine en charcutant ses patients, une jeune femme qui accompagne les morts et les délivre de leurs secrets inavouables.
L'oeuvre d'art devient un viol ou un rapt du modèle. Comme les anges dans la Bible ravissent les vierges. Le geste du prédateur qui dévore son sujet.
Un cri, un langage qui déborde des normes habituelles et qui tient de la prière et de l'incantation.
«Quand il pose ses yeux sur moi, quand il me fixe de son regard, il me vient toutes sortes de pensées. Le sol s'ouvre en dessous de moi et tous les croquis inachevés, toutes ces femmes sans visage, m'invitent à me blottir dans leurs bras... Et je le regarde encore et encore et je m'envole encore et encore, toujours plus haut.» (p.64)
 Le spectateur ou le lecteur s'imbibe de ce monde marqué par la religion, de cet univers où tout est tourment, déchirements et hallucinations. Surtout une folle histoire d'amour qui retourne l'être et le consume pour ne laisser que des cendres. Tout simplement fascinant et j'ai terriblement hâte de voir ces personnages bouger sur scène et devenir humain. Ils deviendront l'impossible, tout ce qui peut arriver quand les instincts de vie et de mort sont poussés à leur paroxysme. Michel Marc Bouchard a écrit ici une oeuvre puissante.

«Le peintre des madones» de Michel Marc Bouchard est paru aux Éditions Leméac.

lundi 20 décembre 2004

Stanley Péan ou la vie dans un taxi

Stanley Péan vient de publier une suite de courts récits qui ont la particularité de nous «mener en taxi».
Cet écrivain est un cas. Imaginez! Il n'a jamais éprouvé le besoin de domestiquer l’invention du siècle dernier. Pour la plupart des hommes, c’est une question de virilité et d’affirmation. Peut-être qu’il était trop tourmenté par les choses de l'esprit et la littérature.
«Dans mon cas, cette idée reçue est plutôt incongrue et vous me permettrez d'en expliquer la raison par une confession, à peine concevable en cette ère où la virilité d'un homme semble parfois liée au modèle de son automobile: je n'ai pas de permis de conduire, je n'ai même jamais appris à conduire. Je ne pourrais même pas expliquer pourquoi je ne m'en suis jamais donné la peine. C'est comme ça, tout simplement.» (p.12)

Voyage

«Taximan» regroupe des textes qui vont de l'époque du cégep de Jonquière à sa dernière participation au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l'automne dernier. Plusieurs années quoi!
Des rencontres, des personnages qui vivent au volant et qui hantent les rues, autant à Québec qu'à Montréal. Dans la région aussi il y a des maniaques du volant très particuliers. Parce que Stanley Péan voyage souvent, fait mille choses et se déplace beaucoup. Et avec son handicap, il est toujours dans un taxi à écouter et à discuter. Un livre qui lui a coûté pas mal d’argent, j’imagine!
Les mêmes conducteurs apparaissent et ils finissent par devenir des familiers et des intimes.
«D'où l'idée de ce bouquin, qui s'inspire de propos entendus et d'anecdotes vécues sur la banquette arrière de ces véhicules. Je l'ai conçu comme une suite de petits flashes, un florilège d'esquisses croquées sur le vif, d'amorces de réflexion jamais plus longues que la course en taxi qui les a provoquées.» (p.13)
Bien sûr, entre les arrivées et les départs, le lecteur se familiarise avec des gens qui connaissent la ville comme le fond de leur cendrier. Des courses qui nous plongent, surtout à Montréal, dans la communauté haïtienne.
«Originaire de Port-au-Prince, j'ai passé toute ma jeunesse à Jonquière, où mes parents se sont installés l'année même de ma naissance. Québécois, certes, mais avec des racines dans un pays que j'ai appris à connaître à travers la mémoire d'autrui: Haïtien par le sang, mais élevé dans un milieu radicalement différent de la terre de mes aïeux. Québécois et Haïtien, donc, à la fois l'un et l'autre et pourtant ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre.» (p.23)
Un mélange qui fait de Stanley Péan un étranger pour ces frères qui le traitent de Blanc parfois. Oui! Ils le confondent aussi avec Danny Laferrière.

Surprises

Stanley Péan, dans «Taximan», révèle un écrivain attentif, humain, capable de tendre l'oreille et d'échanger avec des gens qui sillonnent Montréal tout en donnant l’impression de vivre à Haïti, branchés qu’ils sont sur une radio qui diffuse des propos et des musiques de leur pays. Recroquevillés, comme toutes les communautés qui s'installent à l’étranger. Radio nostalgie.
Péan écoute, décrit et se confie, livre de grands pans de son enfance et de sa vie. Il s’en dégage toujours un portrait juste et émouvant. Les surprises ne manquent pas. Un plaisir!
Oui, avec Stanley Péan, l'aventure débute sur un trottoir. Il suffit d’arrêter une voiture pour basculer dans une autre réalité.

«Taximan» de Stanley Péan est publié aux Éditions Mémoire d'encrier.

Gérard Bouchard retrouve des grandes figures

Qu’est-ce qui unit des intellectuels comme Arthur Buies, Edmond de Nevers, Édouard Montpetit, Lionel Groulx et Jean-Charles Harvey? C’est la question que l’on peut se poser à la lecture du dernier ouvrage de Gérard Bouchard.
«Tous ont un même idéal pour leur peuple. Ils évoquent la mission des francophones en Amérique et en même temps ils ont des propos très durs envers les Canadiens français. Lionel Groulx parle de «lâches», de «mous», de «peureux». Les quatre aussi prônent le relèvement de leur société. La Conquête a été une blessure qui a laissé le pays à la dérive. Il faut se relever et s’affirmer», explique Gérard Bouchard en entrevue.
Les cinq affirment ou à peu près que la Constitution de 1867 a en quelque sorte réglé le problème et qu’il ne reste plus qu’à prendre sa place. Jean-Charles Harvey effleure l’idée de la souveraineté mais il se reprend très vite. Tous voient le Québec dans la Confédération et même temps ils voient bien que les francophones sont menacés. «Les solutions sont différentes mais tous se retournent vers l’agriculture ou l’occupation du sol. Tous prônaient l’industrialisation, l’éducation même s’ils refusaient un ministère de l’Éducation. Jean-Charles Harvey a défendu cette idée. C’étaient les valeurs qui ont fait la Révolution tranquille quand on y pense», reprend Gérard Bouchard.
Tous voulaient sortir du carcan de la vallée du Saint-Laurent. «Edmond de Nevers prônait l’union avec les États-Unis et même avec le Mexique. Des états francophones ici et là qui correspondaient plus ou moins à la Nouvelle-France. Arthur Buies flirtait aussi avec l’idée de s’annexer aux Américains. De Nevers a prôné le contraire aussi. S’il y avait eu des décisions de prises, le Québec aurait pu s’affirmer comme il l’a fait à la Révolution tranquille mais beaucoup plus tôt. On peu le présumer», renchérit le chercheur.

Conditions de vie

Gérard Bouchard reste très sensible aux conditions de vie du peuple francophone au début du siècle dernier. La mortalité infantile dans les villes et dans les campagnes. «Une des plus élevée du monde», dit-il. Les conditions sanitaires étaient quasi inexistantes. L’eau, les égouts en ville, c’était primaire. On vivait comme au Moyen Age dans certains quartiers de Montréal. Il y avait aussi l’analphabétisme. On parle de 70 pour cent et plus d’analphabètes alors. Un sacré problème mais on ne voulait pas imposer la scolarité», explique-t-il.
Chose certaine la lecture de cet ouvrage permet de mieux comprendre le Québec d’avant et aussi le Québec de maintenant.
«Après le référendum de 1980, certains éléments de cette pensée équivoque ont refait surface mais pas d’une manière systématique», conclut Gérard Bouchard. Un essai fouillé qui permet de mieux comprendre certains comportements et de voir d’un autre œil certains discours qui reviennent au jour le jour dans les tribunes publiques.

«La pensée impuissante» de Gérard Bouchard est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gerard-bouchard-758.html

mercredi 15 décembre 2004

Toujours la recherche d’équilibre et de sens


Joël Pourbaix oscille entre le poème et un récit qui ballote le lecteur entre l’enfance et la vie présente. Encore une fois! Un monde fait d’avancés et de reculs qui expliquent peut-être le titre un peu étrange de ce recueil. «Labyrinthe », rues, passages, ruelles qui vont dans toutes les directions et qui n’ont à peu près jamais d’issues. Certains carrefours s’ouvrent selon les rencontres, les visages qui surgissent, les événements qui s’imposent en marquant le corps et l’esprit.
La solitude encore, l’isolement si lourd à porter malgré le visage des femmes qui vont sur les trottoirs comme des brûlures et des invitations. La plus terrible des solitudes? L’exil et le déracinement.
«Début septembre, la chaleur a pris possession des rues. Dans la foule je croise quelques femmes qu’on ne peut prier que des yeux. S’arrêter, faire demi-tour, quoi de plus simple, quoi de plus impossible.» (p.11)
Peu à peu Pourbaix livre des fragments de sa vie comme s’il déplaçait les morceaux d’un puzzle. Il multiplie les points de vue, surveille la rue, une voisine un peu étrange, un arbre que l’on abat et qui laisse un trou terrible dans le monde. Et un pays de sable et d’espace s’esquisse au détour d’un mot. L’enfance soufflée par la violence et souillée par la mort surgit.
«J’entends des pas et des voix. Hommes, femmes, chevaux, bêtes de somme à longs poils. Et des enfants.
Ils m’ouvrent leurs bras.»  (p.147)

Équilibre

Plusieurs poèmes sonnent comme des aphorismes, retournent des expressions connues et inventent un autre équilibre. C’est souvent un vers, une phrase qui fige le lecteur tel un point d’ancrage. Des perles tout au long de ce recueil, des fragments comme des oasis que l’on ne veut plus quitter. Le mot se dresse comme ces «êtres de pierre» qui font face au temps et narguent l’espace.
Arriver à colmater les manques de la vie, les faux pas, calmer les douleurs avec des images pour revenir «parmi les hommes», voilà ce que tente Joël Pourbaix dans son entreprise poétique. «Un combat contre le vide et l’absence par un peu plus de vide et d’absence.»
Un recueil fascinant même si le poète a tendance parfois à se recroqueviller dans un hermétisme qu’il est difficile à percer. Mais autant se laisser porter par le rythme, le phrasé où les poèmes esquissent des sculptures que le temps ne réussit pas à courber.

«Labyrinthe 5» de Joël Pourbaix est paru aux Éditions du Noroît.