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dimanche 28 octobre 2012

Le coup de foudre littéraire existe vraiment


Kim Thuy

«Ils se sont rencontrés un soir, dans un hôtel de Monaco. Au petit déjeuner, ils se sont racontés. Et puis elle est repartie à Montréal, et il a regagné Ramallah.»

Le déclic se fait instantanément entre les deux écrivains. Un véritable coup de foudre littéraire. Est-il possible de tout dire pendant un petit déjeuner? Une vie ne se raconte pas en quelques heures. Il faut du temps, de l’espace, des silences aussi.
Kim Thuy et Pascal Janovjak poursuivent les échanges, s’écrivent à toutes les heures du jour et de la nuit. C’est possible maintenant avec les courriels qui abolissent l’espace.
On se souvient que Kim Thuy a fait un malheur en 2009 avec «Ru», un récit qui raconte le périple de cette jeune vietnamienne qui a dû quitter son pays suite à un conflit fratricide, son arrivée au Québec avec ses parents et l’adaptation à son nouveau milieu. L’écrivain Pascal Janovjak vit à Ramallah en Palestine. Oui, des écrivains vivent dans ce pays malgré une situation politique instable et la violence qui peut éclater à chaque coin de rue.

Contact

Les contacts, au retour d’un voyage, quand le quotidien s’impose, sont souvent difficiles à maintenir. Thuy et Janovjak, habités d’une belle frénésie, tentent de tout dire et de s’apprivoiser.


Pascal Janovjak
«Je t’ai écrit toute la nuit, dans un demi-sommeil. Tu connais cet entre-deux, où l’on a trop de mots pour dormir mais pas assez de conscience pour se lever, les coucher sur une feuille? Mais peut-être es-tu de celles qui ne laissent jamais durer les hésitations… Je t’imagine plutôt ainsi, ce matin, comme le matin de notre tête-à-tête. J’ai fini par me lever. Un anniversaire hier, dans un bar de Jérusalem… La musique était mauvaise, et nous n’avons pas dansé. Cela fait longtemps que je n’ai pas dansé, peut-être parce que la chaleur des soirs se prête davantage aux terrasses qu’aux pistes de danse.» (p.7)
Chacun retourne dans l’enfance pour mieux dire le présent. Pascal Janovjak est né en Suisse, d’un père slovaque et d’une mère française. Il a travaillé au Bengladesh, dans une société difficile à saisir pour un Occidental. L’écrivain est sur le point d’être père pour la première fois.
Kim Thuy raconte son retour au Vietnam au début de la vingtaine. Ce fut le choc. Combien de temps il faut pour devenir étranger à sa culture? Il y a aussi ses enfants dont l’un est autiste, ses déplacements. La vie littéraire la sollicite beaucoup.
Janovjak effleure le quotidien dans une ville où les soldats sont partout. La vie est là malgré les vérifications d’identité et les contrôles. Avec les amis, il peut faire la fête, écrire, partir à l’étranger même si les frontières sont de plus en plus hermétiques. Il fait preuve d’une retenue exemplaire même si on sent parfois sa colère.

Échanges

Les textes se croisent plusieurs fois par jour. Kim avec son humour particulier, Pascal avec une sorte de gravité émouvante.
Il y est question de lectures, de la maternité, de la paternité et de souvenirs. La découverte de l’autre se fait avec une franchise remarquable. Les deux sont capables de se moquer de leurs travers et de se livrer sans arrière-pensée.
Touchant, émouvant à l’occasion et d’une justesse remarquable.
À toi démontre que les moyens contemporains de communication peuvent servir à autre chose qu’à écrire son autobiographie sur Facebook, un récit qui s’égare souvent entre la brosse à dents et l’oreiller.

«À toi» de Kim Thuy et Pascal Janovjak est publié chez Libre Expression.

Pierre Laporte demeure un grand méconnu

Pierre Laporte est certainement l’homme politique, au Québec, qui a connu une fin que nul ne pouvait prévoir. Une bévue de l’histoire que nous avons encore du mal à aborder.


Après avoir connu une carrière journalistique remarquable, Pierre Laporte plonge dans une vie politique trépidante aux côtés de Jean Lesage pour vivre la Révolution tranquille. Sa mort en octobre 1970 aux mains des membres de la cellule Chénier du Front de libération du Québec, demeure un événement dont on ne parle pas volontiers. Peut-être, parce que, comme l’écrit Nathalie Petrowski: «La mort de Pierre Laporte est une tache dans notre album de famille.»
Jean-Charles Panneton a voulu suivre l’homme à la trace dans sa carrière publique. La tâche n’était pas facile parce que le journaliste a écrit des milliers d’articles et que le politicien était de tous les débats. Il a aussi siégé dans l’opposition avant de revenir aux premières loges après une course à la direction du Parti libéral du Québec où il s’est incliné devant Robert Bourassa.
«Le travail de recherche, qui a duré près de six ans, a été particulièrement ardu puisqu’aucun fonds d’archives n’a été constitué à ce jour par Pierre Laporte ou sa famille. Pour ce faire, j’ai dû consulter de nombreux fonds d’archives de personnages contemporains de Laporte. Ces recherches m’ont toutefois permis de faire plusieurs découvertes et ainsi d’offrir aux lecteurs des éléments inédits.» (p.28)

L’homme public

Panneton s’en tient au journaliste qui intervient dans les journaux d’abord, surtout dans Le Devoir, et au politicien qui prononce des discours à l’Assemblée nationale et dans les assemblées partisanes. La tâche n’était pas facile parce que Pierre Laporte était partout.

«Face à l’imposant volume d’articles et de textes produits par Laporte, soit plus de 3000, j’ai écarté d’emblée les compte-rendus sur l’actualité parlementaire, trop factuels, publiés dans les pages du Devoir.» (p.27)
Une tâche immense que de cerner la pensée de ce nationaliste qui a refusé de suivre René Lévesque quand il a quitté les libéraux pour fonder le Parti québécois.
Nationaliste, oui, autonomiste plutôt, refusant de rompre avec le Canada.
«J’opte pour un fédéralisme de conjoncture, c’est-à-dire s’adaptant périodiquement à la conjoncture économique et politique et conformément à l’évolution des rapports entre Ottawa et Québec. […] Le fédéralisme que je propose est un fédéralisme de concertation au même titre que la société que je propose, c’est-à-dire un fédéralisme où les mécanismes nécessaires à la discussion et l’ouverture d’esprit seront présents.» (p.372)
On connaît la fin tragique de l’homme. L’enlèvement alors qu’il jouait au ballon avec son neveu. Les policiers retrouveront son corps dans le coffre d’une auto abandonnée sur les terrains de l’aéroport Saint-Hubert, en banlieue de Montréal.

Personnage

Jean-Charles Panneton le présente comme un travailleur infatigable, un homme droit, fidèle et sincère. Le portrait est plutôt sympathique et René Lévesque, à ses côtés, paraît plutôt brouillon et impulsif.
Malheureusement, l’homme s’efface devant le personnage public. Rien sur sa vie familiale, ses amitiés, ses déceptions, ses hésitations, ses rancunes ou ses espoirs. C’est ce qui rend la lecture de cette biographie aride. L’accumulation des faits devient un peu indigeste. Tout un côté de Pierre Laporte reste dans l’ombre malgré le travail impressionnant de Jean-Charles Panneton. Dommage!

«Pierre Laporte» de Jean-Charles Panneton est paru aux Éditions Septentrion.
http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/Livre.asp?id=3496

Cécile Gagnon réussit à masquer son enfance

Cécile Gagnon, après avoir signé une centaine de livres pour les jeunes, accepte de parler de son enfance. L’auteure est connue. Un prix porte même son nom et signale le travail d’un écrivain pour la jeunesse qui se démarque à son premier roman. Elle est aussi illustratrice et traductrice. Un cheminement exemplaire.


Dans «Parcours d’une rebelle», elle revient sur ses premières années. On le sait, ces moments sont déterminants pour tout être humain. Madame Gagnon a vécu une enfance exceptionnelle. Elle est la fille d’Onésime Gagnon, un avocat qui a fait carrière politique aux côtés de Maurice Duplessis et en y jouant un rôle de premier plan.
Un milieu favorisé, des servantes, une grande maison près des Plaines d’Abraham à Québec. Un monde que nous connaissons mal. Nous avons plutôt l’habitude des milieux populaires où les hommes et les femmes font des miracles pour nourrir une famille nombreuse. Surtout avant la Révolution tranquille.
«Je ne me livre pas à un simple exercice de nostalgie. C’est plus sérieux. Activer sa mémoire peut prendre plusieurs chemins. Celui que j’ai choisi c’est celui qui me fera comprendre qui je suis aujourd’hui. C’est un chemin tortueux et rempli de détours qui éclairera peut-être - je dis bien : peut-être, car rien n’est sûr – mes goûts, mes dégoûts et les raisons de mes émois.» (p.15)
Une enfance dorée et des études pour la fillette turbulente même si, à l’époque, on n’insistait pas trop sur l’instruction, surtout pour les filles. Une enfance fabuleuse qui se démarque de son époque. Ce n’est pas rien de pouvoir dire que l’on a eu Jean-Paul Lemieux comme professeur de dessin.
 
Anecdotes

Ce qui aurait pu devenir une véritable fresque d’un Québec peu ou mal connu, se perd dans une accumulation d’anecdotes plus ou moins surannées. Madame Gagnon s’attarde aux pièces de la maison, aux décors, aux vêtements, aux jeux en évitant soigneusement de parler de son père et de sa mère, des visiteurs qui ne manquaient pas d’envahir la maison de ce personnage politique important.
Elle réussit à faire un récit banal d’une enfance qui ne l’est pas du tout malgré un début intéressant. Une forme d’exploit.
Et pour ce qui est de la rebelle, il faudra imaginer les frasques de la jeune Cécile qui a du mal à accepter l’autorité. Elle fait un peu l’école buissonnière, mais pour le reste… Un récit qui n’intéressera pas les enfants de maintenant à qui elle s’adresse et qui décevra les adultes qui aimeraient en savoir plus.
Quand on plonge dans son enfance, il faut accepter de tout dire sinon on bascule dans l’anecdotique et le convenu. Cécile Gagnon rate une belle occasion.

«Parcours d’une rebelle» de Cécile Gagnon est paru aux Éditions Les heures bleues.

http://www.heuresbleues.com/heures_bleues_auteurs.htm

lundi 22 octobre 2012

Guy Lalancette n’a pas réussi à m’accrocher


J’ai lu et relu «Les yeux du père», «Un amour empoulaillé» et «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette à plusieurs reprises. Des livres qui nous plongent dans une autre dimension tout en gardant un lien avec le réel. Comme les cerfs-volants qui donnent l’impression de flotter dans les nuages tout en étant fermement retenus au sol.

L’écrivain m’a un peu désarçonné avec «L’épivardé». Paris Dumauriac, frère de Lisbonne, enfant d’une mère marin et de père de passage, rêve de devenir un écrivain populaire. Il lui faut un gros livre pour envahir les librairies et prendre les médias d’assaut.
«Pour bien faire, ça prendrait 400 pages comme Mary Higgins Clark. Comme ses romans, je veux dire. Ou 400 pages au pays magique d’une chevalerie désuète, ou chez les fantômes, ou chez les loups-garous et les vampires à la mode. Le tout avec le moins de littérature possible. De l’efficace et de l’artifice, des romans, des vrais, avec des suites qui n’en finissent plus. Tout cela qui m’est interdit, une allergie que je n’ai souhaitée, une infirmité d’auteur qu’il me faudrait vaincre si je veux atteindre la gloire et la richesse.» (p.19)
Il croit qu’en ayant un passé sulfureux, il deviendra une vedette recherchée et courtisée. L’écrivain se moque des émissions où la vie de l’invité est plus croustillante que l’œuvre.
Avec l’aide de ses amis, il s’invente une biographie sulfureuse, un amour incestueux avec Lisbonne, un enfant vendu à une barmaid pour quelques cafés et des repas. Il suffit de lancer la légende urbaine pour que l’argent et la célébrité viennent se prosterner à vos pieds.

Complications

Guy Lalancette ne peut se satisfaire de cette trame. Une jeune femme frappe à la porte de Paris. Il est subjugué par cette étrangère qui jongle avec de drôles de questions pour un recensement. C’est le début d’une aventure parallèle. Paris se retrouve en prison pour séquestration, entrave à la justice et faux témoignage. Il se confesse à ses avocats et aux enquêteurs, raconte à plusieurs reprises ses amours de jeunesse avec Lily Godin. Un amour passionnel avec «L’amant de Lady Chatterly» en surimpression. Le livre dans le livre. Lalancette multiplie les confidences, les personnages, tant et si bien qu’on finit par manquer un peu d’oxygène.
«Deux autres policiers, que je ne connaissais pas, ont suivi. Pendant que le matricule 617 — un moustachu de glace sculpté à froid — me passait les menottes, l’agent Bonneau, en raison des indices convaincants récoltés le mercredi 20 octobre, m’a accusé de l’enlèvement de la dénommée Noëlla Janvier et menacé d’enregistrer mes paroles si je ne gardais pas le silence. Il m’a offert un avocat de la cour par la formule usuelle, au cas où je serais sans protection aucune, étant donné l’évidente indigence de ma condition. Quand on est dans la condition humaine jusqu'au cou, on a des droits de la personne.» (p.143)
Cette Noëlla Janvier prend plusieurs identités et finira par être simplement France, la fille abandonnée de Lily Godin et Paris.
Distance

Pour tout dire, je ne me suis jamais senti interpellé par «L’épivardé». L’impression de surveiller un contorsionniste du Cirque du Soleil qui multiplie les virevoltes ne m’a jamais quitté. Comme si Guy Lalancette s’amusait à faire du Guy Lalancette. Avec les enquêteurs, rien à voir avec le matricule 728, je me suis un peu égaré dans une histoire qui tourne en rond en régurgitant ses mots.
J’ai éprouvé un certain plaisir par moments, souriant devant des facéties, m’amusant devant des descriptions étonnantes. L’auteur n’a pas son pareil pour faire voir autrement les scènes d’amour et les jeux érotiques. Peut-être que je n’ai pas vraiment embarqué à cause du personnage. Paris est un cynique convaincu et détestable. Il manque à ce texte la gravité qui hante ses autres ouvrages. Le narrateur, avec toutes les entourloupettes, éloigne malgré une blessure d’enfance qui le fait claudiquer. Souvent, j’aurais préféré suivre Lisbonne, sa sœur qui reste dans l’ombre malheureusement.
J’ai flotté sur le roman de Guy Lancette. L’écrivain est un prestidigitateur habile qui en met plein la vue. Il aime les jeux de mots, les allitérations, les images fortes, les revirements et il ne se prive pas. Il exagère même. Le vase déborde à plusieurs reprises. C’est peut-être ce qui manque. Un ancrage qui permettait de croire aux personnages comme dans «La conscience d’Éliah» ou «Un amour empoulaillé». Malheureusement, avec «L’épivardé», je n’ai jamais pu adhérer à ce récit protéiforme.

«L’épivardé» de Guy Lalancette est paru aux Éditions de l’Hexagone.

lundi 15 octobre 2012

Marie-Paule Villeneuve étonne encore une fois


Marie-Paule Villeneuve ne cesse d’explorer le monde du travail et les grandes questions sociales qui secouent notre société. L’exploitation, les luttes syndicales, les grandes manœuvres des capitalistes sont au menu de cette écrivaine. Je signale en particulier «L’Enfant cigarier» et «Les demoiselles aux allumettes» qui plongent le lecteur dans des univers que peu d’écrivains osent visiter.

Avec «Salut mon oncle», madame Villeneuve surprend par son humour caustique et son regard sans complaisance sur le monde contemporain.
Edgar, célibataire par conviction, ancré dans ses habitudes et ses manies, vit au milieu des orchidées et se gave des cotes de la bourse et de biscuits au chocolat. Il spécule, contribue à faire dérailler le système économique, semble-t-il. Un parasite qui ne crée aucune richesse, mais gonfle son bas de laine.
L’arrivée de son neveu change tout. Le garçon a vécu une peine d’amour, sombré dans la drogue au Saguenay et veut refaire sa vie après une cure de désintoxication.

Ménage

Edgar doit faire le ménage de son appartement pour accueillir ce jeune indésirable et secouer sa vie et ses manies. Véritable capharnaüm, il n’y arrivera pas et l’ours décide de faire appel à des «techniciennes sanitaires». Ces femmes vivent d’aide sociale et arrondissent leur fin de mois en travaillant au noir.
«De simple, calme et facile, la vie d’Edgar était devenue compliquée, bousculée et préoccupante en l’espace de quelques heures. Il n’aurait pas dû, non, il n’aurait pas dû dire oui. Mais il fallait quand même le faire, le maudit ménage.» (p.21)
Tout se précipite. La vie à deux et la bourse qui semble prise de vertige. Notre spéculateur voit son magot fondre à vue d’oeil. Il se résout à travailler comme spécialiste en placements après avoir «arrangé un peu beaucoup» son curriculum vitae. Le neveu entre à l’Université de Montréal, travaille dans un restaurant, aime la cuisine et les hommes. Un neveu homosexuel et un irascible macho. Beau couple!
La vie quotidienne donne lieu à des scènes cocasses quand elles ne sont pas hilarantes.
«Le lendemain, le réveil fut brutal pour Nicolas, encore dopé au Seroquel, le médicament qui devait chasser l’effet du cystal meth. La tête lourde, il reprit ses esprits en laissant couleur longtemps sur lui une eau fraîche, libératrice. Il garda un silence de moine devant son oncle muet, qui attendait devant la porte de la salle de bain, visiblement contrarié par sa présence.
— Je croyais que c’était un voleur, marmonna Edgar, peu habitué à partager ses matins.» (p.24)
 Un début de socialisation pour le tripoteur de chiffres, un dépaysement pour le jeune garçon protégé par sa mère. J’ai rigolé à m’en décrocher les mâchoires quand Edgar décide de secouer son corps en faisant du jogging et qu’il affronte le propriétaire d’une BMW. À se tordre!
Quête

L’oncle s’adoucit et même s’il ne l’avouera jamais, apprécie la présence de Nicolas, ce jeune homme délicat et plein d’attention. Le fils peut-être qu’il n’a jamais eu. Le neveu apprivoise le loup en lui préparant des plats. Un grincheux au ventre plein est déjà beaucoup moins irritable.
Un roman plein de tendresse, de bonheur malgré le ton ironique et sarcastique de Marie-Paule Villeneuve. Oui, je me suis amusé et l’écrivaine n’a pas son pareil pour décrire les travers des hommes et des femmes, leurs obsessions, leurs manies et leurs frustrations. Leur appétit pour le bonheur aussi.
Un roman plein d’humour, de situations rocambolesques parfois, de personnages sympathiques qui ont du mal à se faire une place dans un monde contemporain où les gadgets pullulent, où chacun ne pense qu’à soi.
Edgar est un tendre qui adore les orchidées, la musique et la lecture. Il ne lui en faut pas plus pour être heureux. Si, des profits à la bourse et la présence d’une femme. Il se laisse prendre aux jeux de l’amour avec Margo sans que le hasard se manifeste. Quant à Nicolas, il réussira à s’inventer une nouvelle famille.
Un roman sain, plein de rebondissements. J’ai eu un plaisir fou à lire Marie-Paule Villeneuve qui traite de graves questions en s’amusant. Une belle manière de pointer la violence faite aux femmes, l’exploitation des travailleurs affectés au débroussaillage, les intrigues et les luttes de pouvoir dans un milieu de travail, l’itinérance et la discrimination. Une écriture drôlement efficace.

«Salut mon oncle» de Marie-Paule Villeneuve est paru aux Éditions Triptyque.

lundi 8 octobre 2012

Nicole Houde retrouve le goût du bonheur


C’est nouveau chez Nicole Houde cet appétit pour le bonheur. Dans ses ouvrages précédents, les personnages sont presque toujours écrasés par le poids de l’hérédité, la folie, la maladie ou la violence. Pour une fois, l’espoir luit dans «Portraits d’anciennes jeunes filles». Tous refont surface et peuvent espérer des jours meilleurs. 

Madame Houde signe un treizième ouvrage en trente ans. Une belle régularité pour cette écrivaine qui n’a jamais choisi la facilité et qui démontre une constance admirable. Il faudrait peut-être parler d’un exorcisme pour cette auteure qui cherche à éloigner les démons pour se maintenir à la surface.
Ses héros confrontent des forces qui les broient, les soulèvent et les emportent souvent dans des «vies» qu’ils ne peuvent maîtriser.
Il reste la fuite, l’exil pour mettre une distance entre eux et cette fatalité qui germe dans le milieu familial et le village. C’est encore le cas dans «Portraits d’anciennes jeunes filles».
Josée fuit Saint-Fulgence où elle a été violée par un oncle. Sa sœur et son frère ont connu le même sort sans que les parents réagissent. Peut-être qu’ils ont préféré fermer les yeux sur ces horreurs.
«Pour l’instant, je n’appartiens pas encore à Montréal, je suis arrivée ce matin. Avec une tête d’automne, un sourire gris. Pendant deux mois, je vais être en visite, examiner du nouveau. Peut-être chanter quelque part. J’ai une jolie voix, j’ai apporté ma guitare. Peu de bagages, mais ma guitare, c’est un peu beaucoup mon cœur. Quand des couleurs me viennent à l’idée, je les dépose sur une toile ou, du bout des doigts, je pince les cordes de ma guitare.» (p.11)
La jeune fille fait la connaissance d’un homme étrange en arrivant à Montréal. Il marche la ville dans ses souliers pas lacés. Ses mèches de couleurs lui donnent une allure d’ancien hippie. Elle apprendra qu’il fuit une douleur terrible qui a broyé son existence.

Et Rose

Rose, une vieille dame, a pris Julien, c’est son nom, sous son aile. Ils constituent rapidement un improbable trio. Josée au début de la vingtaine, Julien dans la quarantaine et la vieille femme qui sent que son avenir se recroqueville.
«Une autre, au visage centenaire, s’approche de moi: «Vous êtes nouvelle dans le quartier?» Je lui souris: je suis une nouveauté, mais le quartier ne devrait pas avoir de misère à s’habituer à moi. Elle rit. Elle s’appelle Rose et réside dans le quartier depuis une éternité, ce qui ne m’étonne pas, il y a tellement de plis sur son visage.» (p.18)
Tous affrontent un ennemi intérieur. La «centenaire» n’arrive plus à se reconnaître certains jours. Julien est obsédé par la perte de sa fille, la scène où il l’a vu se faire renverser par une auto. Josée tourne le dos à sa famille, au village, aux gestes qui l’ont souillée, «défoncée».
«Depuis un peu plus d’un mois, nous sommes très proches l’une de l’autre, en demeurant toutefois des étrangères à bien des égards. Rose continue: «Ah! les souvenirs! Ce qui m’inquiète le plus, c’est maintenant. Je suis en train de me perdre. Dernièrement, Josée, c’est comme si on me découpait en morceaux. Je ne sens parfois que mes bras, juste ce petit bout de moi, puis, une autre fois, je ne sens que mes jambes, comme si le reste de mon corps n’existait plus. C’est terrible, ma petite fille!» (p.81)
Dotée d’une sensibilité peu commune, la jeune femme devine les êtres avec ses couleurs et ses pinceaux. Elle deviendra une intime de Julien, de Rose qui inquiète tout le monde et qui craint de ne plus être elle, d’être emportée par cette confusion qui l’habite.
L’amour, la tendresse, l’amitié les empêchent de sombrer.

Magie

Un roman porté par une langue à nulle autre pareille. L’écriture de Nicole Houde éclate comme les bourgeons dans un printemps de pommiers. C’est bon cette paix de l’âme et du corps après les atrocités.
Je me suis attardé dans les dernières pages, ayant du mal à abandonner Josée, Alexa, l’épouse revenue de Julien, Rose qui s’accroche à son amour de jeunesse. J’aurais voulu les accompagner encore, leur tenir la main peut-être pour faire un bout de chemin avec eux.
Un roman magique qui témoigne de la vie présente où les familles se constituent sans les liens du sang et les horreurs héréditaires. «Portraits d’anciennes jeunes filles» fait du bien. C’est rare. Il faut le lire lentement pour en savourer tous les bonheurs.

«Portraits d’anciennes jeunes filles» de Nicole Houde est paru aux Éditions de la Pleine lune.