C’est nouveau chez Nicole Houde cet appétit pour le
bonheur. Dans ses ouvrages précédents, les personnages sont presque toujours
écrasés par le poids de l’hérédité, la folie, la maladie ou la violence. Pour
une fois, l’espoir luit dans «Portraits d’anciennes jeunes filles». Tous refont
surface et peuvent espérer des jours meilleurs.
Madame Houde signe un
treizième ouvrage en trente ans. Une belle régularité pour cette écrivaine qui
n’a jamais choisi la facilité et qui démontre une constance admirable. Il faudrait
peut-être parler d’un exorcisme pour cette auteure qui cherche à éloigner les
démons pour se maintenir à la surface.
Ses héros confrontent des
forces qui les broient, les soulèvent et les emportent souvent dans des «vies» qu’ils
ne peuvent maîtriser.
Il reste la fuite, l’exil
pour mettre une distance entre eux et cette fatalité qui germe dans le milieu
familial et le village. C’est encore le cas dans «Portraits d’anciennes jeunes
filles».
Josée fuit Saint-Fulgence où
elle a été violée par un oncle. Sa sœur et son frère ont connu le même sort
sans que les parents réagissent. Peut-être qu’ils ont préféré fermer les yeux sur
ces horreurs.
«Pour l’instant, je
n’appartiens pas encore à Montréal, je suis arrivée ce matin. Avec une tête
d’automne, un sourire gris. Pendant deux mois, je vais être en visite, examiner
du nouveau. Peut-être chanter quelque part. J’ai une jolie voix, j’ai apporté
ma guitare. Peu de bagages, mais ma guitare, c’est un peu beaucoup mon cœur.
Quand des couleurs me viennent à l’idée, je les dépose sur une toile ou, du
bout des doigts, je pince les cordes de ma guitare.» (p.11)
La jeune fille fait la
connaissance d’un homme étrange en arrivant à Montréal. Il marche la ville dans
ses souliers pas lacés. Ses mèches de couleurs lui donnent une allure d’ancien
hippie. Elle apprendra qu’il fuit une douleur terrible qui a broyé son
existence.
Et Rose
Rose, une vieille dame, a
pris Julien, c’est son nom, sous son aile. Ils constituent rapidement un
improbable trio. Josée au début de la vingtaine, Julien dans la quarantaine et la
vieille femme qui sent que son avenir se recroqueville.
«Une autre, au visage
centenaire, s’approche de moi: «Vous êtes nouvelle dans le quartier?» Je lui
souris: je suis une nouveauté, mais le quartier ne devrait pas avoir de misère
à s’habituer à moi. Elle rit. Elle s’appelle Rose et réside dans le quartier
depuis une éternité, ce qui ne m’étonne pas, il y a tellement de plis sur son
visage.» (p.18)
Tous affrontent un ennemi
intérieur. La «centenaire» n’arrive plus à se reconnaître certains jours.
Julien est obsédé par la perte de sa fille, la scène où il l’a vu se faire renverser
par une auto. Josée tourne le dos à sa famille, au village, aux gestes qui
l’ont souillée, «défoncée».
«Depuis un peu plus d’un
mois, nous sommes très proches l’une de l’autre, en demeurant toutefois des
étrangères à bien des égards. Rose continue: «Ah! les souvenirs! Ce qui
m’inquiète le plus, c’est maintenant. Je suis en train de me perdre.
Dernièrement, Josée, c’est comme si on me découpait en morceaux. Je ne sens
parfois que mes bras, juste ce petit bout de moi, puis, une autre fois, je ne
sens que mes jambes, comme si le reste de mon corps n’existait plus. C’est
terrible, ma petite fille!» (p.81)
Dotée d’une sensibilité peu
commune, la jeune femme devine les êtres avec ses couleurs et ses pinceaux.
Elle deviendra une intime de Julien, de Rose qui inquiète tout le monde et qui craint
de ne plus être elle, d’être emportée par cette confusion qui l’habite.
L’amour, la tendresse,
l’amitié les empêchent de sombrer.
Magie
Un roman porté par une langue
à nulle autre pareille. L’écriture de Nicole Houde éclate comme les bourgeons
dans un printemps de pommiers. C’est bon cette paix de l’âme et du corps après
les atrocités.
Je me suis attardé dans les
dernières pages, ayant du mal à abandonner Josée, Alexa, l’épouse revenue de
Julien, Rose qui s’accroche à son amour de jeunesse. J’aurais voulu les
accompagner encore, leur tenir la main peut-être pour faire un bout de chemin
avec eux.
Un roman magique qui témoigne
de la vie présente où les familles se constituent sans les liens du sang et les
horreurs héréditaires. «Portraits d’anciennes jeunes filles» fait du bien.
C’est rare. Il faut le lire lentement pour en savourer tous les bonheurs.
«Portraits d’anciennes jeunes filles» de Nicole Houde
est paru aux Éditions de la Pleine lune.
Portraits d’anciennes jeunes filles
RépondreEffacerNicole Houde
Éditions de la Pleine Lune
3e trimestre 2012.
Le rendez-vous des êtres blessés. De ceux qui ont perdu leur enfant, de celle qui a fui son village de tueurs de marmottes et de corneilles – lire plus exactement violeurs - , de celle qu’une longue vie – lire centenaire – a sculpté et burinée. Mais, il y a aussi dans ces rendez-vous un apprivoisement de la douleur.
Ces êtres sensibles, aimants et aimés se créent une cellule non pas familiale, mais d’amitié. « Julien, est-ce que je peux vous faire une déclaration d’affection? Pas de passion, non simplement ça, j’ai de l’affection pour vous. », fait dire l’auteure à son personnage Josée. Cette Josée, jeune fille violée, qui adopte Rose à titre de grand-mère, qui m’a fait penser à madame Rosa de La Vie devant soi d’Émile Ajar, allias Romain Gary. Josée est aussi musicienne et une peintre qui redonne, sur ses toiles, vie à ceux qui l’ont perdue, soit réellement perdue ou qui ont laissé les aléas de l’existence l’estomper petit à petit. Et, tout ce monde, Josée, Rosa, Julien et Alexa, avec en plus ce Sébastien, qui tombe à point nommé, sans prévenir, comme un coup de foudre, évolue dans un paysage urbain de l’Est de Montréal, tout en douceur, qui s’organise autour du café bar-restaurant le Lézard, que j’ai eu le plaisir de fréquenter en compagnie de l’auteure.
Pour cette fois, chez Nicole Houde, il y a l’espoir. Une sorte de lumière tendre d’un soleil de bel après-midi de printemps, de celles qui vont redonner ses forces à un convalescent reprenant contact avec la vie après avoir failli la perdre. Pourtant, nous sommes en novembre et en décembre à Montréal dans ce roman, l’espoir n’a évidemment pas de saison. Ce soleil provient des amours naissances ou renaissantes, celles de Josée et de Sébastien, de Julien et Alexa ayant dépassé leur douleur, celles de Rose, à la fin de sa vie, qui a des nouvelles du bout du monde, d’un amour de jeunesse, jamais altéré par le poids des décennies qui de sont entassées.
Et, pour nous faire partager toutes ces beautés des êtres, il y a la beauté de l’écriture de Nicole Houde, une écriture poétique qui comble le lecteur que je suis, que ce soit pour donner vie à ses personnages, pour décrire les lieux, les tempêtes de neige, les oiseaux ou les arbres. De plus, Nicole sait donner ses lettres de noblesse à des expressions d’adolescent ou argotiques telles : full douceur ou le cœur de quelqu’un va de traviole.
Madame Rose, Josée, Julien, Alexa, Sébastien vont demeurer longtemps dans ma mémoire, éclipsant les tueurs de corneilles et de marmottes, dont j’ai déjà oublié l’existence. Et, c’est pour cela que « Portraits d’anciennes jeunes filles » est un roman résolument optimiste et tendre.
Gérard Pourcel