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dimanche 27 février 2011

Gilles Archambault et le blues de la vie

La constance de Gilles Archambault a quelque chose d’admirable. Quand on sait que «À voix basse» a été  publié en 1963, il faut parler d’un véritable engagement. L’écriture est certainement existentielle chez lui. Il a toute mon admiration pour cette longue carrière qui le propulse rarement à l’avant-scène.
«Un promeneur en novembre» regroupe dix-sept nouvelles d’une dizaine de pages. Un titre évocateur parce que les héros d’Archambault sont souvent des flâneurs qui ne s’attardent guère aux êtres et aux choses même s’ils demeurent conscients et attentifs. Un peu distants aussi, mais en éveil, avec une petite agitation intérieure qu’ils n’arrivent jamais à apaiser.
La manière de l’écrivain est là, inimitable. Il est question de solitude, du vieillissement, sans basculer dans la nostalgie ou cette colère qui habite souvent ceux et celles qui avancent en âge. Ses personnages sont au-delà de la frénésie et des grandes agitations amoureuses. Des solitaires qui tournent dans leurs habitudes, oubliant un peu leurs amis et la famille. Ils sont des témoins qui vont sans vraiment juger, sans jamais se culpabiliser, sans pouvoir se livrer non plus.
«Comment lui dire que c’est plutôt le silence de ma fille qui me pose problème ? Je ne vois Cléa qu’une fois par an à peu près. A chaque occasion, elle me paraît distante. Je l’invite au restaurant. Nous parlons peu. À peu près jamais de choses que j’ai à cœur.» (p. 11)

Constance

Des personnages qui ont de la difficulté à communiquer même s’ils écrivent. Peut-être que tous les mots ont été dits, que tout verbiage est futile. Ils se croisent, se rencontrent par habitude, par obligation presque.
«Depuis la mort de Claire, je ne reçois personne. Il arrive même que la présence de mon fils m’incommode. Quant à ma fille, il y a bien sept ans que nous sommes l’un pour l’autre de parfaits inconnus. Le regrette-t-elle ? Je l’ignore. Moi je ne sais plus.» (p.48)
Parce qu’avec le temps, les liens se défont. Il ne reste qu’un appartement, des tournées qui ressemblent à celles que les trappeurs exécutaient machinalement dans la forêt. Une manière de vivre où les attentes se diluent, les désirs se taisent. Reste l’empathie envers les proches, une générosité même. Ils peuvent aider un voisin, une connaissance sans pour autant se compromettre.
«Une fragile immortalité, c’était notre état, après tout. Toute bringuebalante qu’elle était, notre espérance valait bien la fausse sérénité qui était maintenant la nôtre. J’ai déjà eu vingt ans. Tout aussi malheureux que je le suis à soixante, je tenais au moins pour éloignée la présence de la mort. La perspective du néant se dessinait à peine.» (p. 53)
Les personnages d’Archambault ne changent guère en avançant dans la vie. Ils ont toujours été mal à l’aise en société, sans jamais pousser de cris, malgré une inquiétude toujours présente. Ils sont de la couleur des jours de novembre qui jettent l’ancre quand toutes les extravagances de l’automne ne sont que souvenirs. Ils vont, saluent un passant, empruntent une direction qui n’a pas d’importance et pratiquent une suprême discrétion. Des solitaires que la vie a en quelque sorte un peu anesthésié. Ils continuent avec ce petit tremblement qui secoue la morosité des jours.
Que dire quand la mort se profile et que la maladie vous malmène...
«Quand je suis monté dans le taxi tout à l’heure, j’ai pensé une fois de plus à ce que Janine était pour moi. À l’heure présente, Claude est peut-être mort. Un vieillard penché sur sa canne me dit que nous connaissons un automne exceptionnel. Je ne le démens pas. Encore une fois refaire mon parcours, puis j’entrerai à l’hôpital.» (p.231)
La vie est un lent dépouillement, une promenade qui finit toujours par un arrêt. Les nouvelles de Gilles Archambault s’installent comme une petite musique qui ne vous lâche pas. C’est là toute la magie de cet écrivain. Ses textes sont une confidence, un murmure qui vous suit à quelques pas derrière, dans une inquiétante discrétion.

« Un promeneur en novembre » de Gilles Archambault est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gilles-archambault-148.html

dimanche 13 février 2011

Hélène Vachon: la tendresse et l’empathie

Autant le dire, j’ai failli refermer «Attraction terrestre» d’Hélène Vachon dès la première phrase. L’ouverture a de quoi affoler.
«Toute joie est révolution. Sans l’effet du contentement, la face de l’Homo sapiens commun se transforme. Jusque-là paisibles, les peauciers se réveillent, petit et grand zygomatiques se tendent, l’orbiculaire des lèvres se contracte, tandis que le risorius de Santorini retrousse les commissures, tissus contractiles par excellence. Cela s’appelle sourire et c’est très fatigant.» (p.9)
Heureusement, je suis un lecteur persévérant. Il est rare que j’abandonne un livre, n’en déplaise à Monsieur Pennac et les diktats du lecteur. Il faut donner une chance à l’écrivain de se faire entendre. Et comment juger à partir de quelques lignes?
Quelques pages plus loin, Madame Vachon répondait en quelque sorte à mes hésitations.
«Entamer un livre est toujours une étape et les débuts, c’est difficile. Il est donc recommandé de le faire dans un hôpital… …Les trente premières pages sont les pires. De quoi me parle-t-on? Où l’action se déroule-t-elle et à quelle époque? Grands dieux, que se passe-t-il? Après, vous abandonnez ou ça va tout seul.» (p.20)
Il  est rare qu’un écrivain vous guide. Ils prennent plutôt un malin plaisir à brouiller les pistes.

Histoire

Hermann est thanatopracteur ou embaumeur. Un métier plutôt inquiétant pour la plupart des vivants. Il habite un bloc appartement, côtoie ses futurs clients, des clientes surtout.
«En haut de chez moi vit la très vieille et insonore Mme Le Chevalier. Je l’aime énormément. Elle a un je ne sais quoi qui vous fait haïr le neuf. Elle est tellement plissée et toute en muscles mous que c’est à se demander pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt. Elle sait ce que je fais et me prend comme je suis, nos rapports sont cordiaux.» (p.13)
Tous sont de sa famille en quelque sorte. «Douze femmes pour un homme, c’est le ratio.»
Il vit une relation amoureuse avec Clotilde sans éprouver la grande passion, cherche même à rompre, se pâme devant Zita, une stagiaire, sans oser s’épancher.
«Zita dans sa combinaison multipoche, Zita éminemment élastique, avec ses muscles qui doivent se remettre en place tous seuls quand on les déplace. Je ne sais pas, je ne les ai jamais déplacés. Zita a deux épaules, un cou, les yeux et les cheveux noirs, des muscles longs, des tissus très vivants et des creux poplités du tonnerre. En plus, elle ests anergique, ce qui est très pratique dans le métier.» (p.105)
Voilà la façon d’Hélène Vachon et sa manière de décrire des personnages et son univers. On se laisse rapidement prendre.

Drame

L’une de ses connaissances est pianiste. Il apprend qu’il est le fils d’un résidant de son immeuble, un homme un peu étrange qui lui a confié un manuscrit qu’il a égaré.
Le musicien ne contrôle plus ses mains. Il a toujours été trop grand, trop gros pour son père qui se passionne pour les miniatures. Tout se déglingue dans son corps et la mort se profile. L’artiste tente de s’accrocher et sa lutte devient pathétique. Un être seul qui ne sait comment communiquer malgré son don pour la musique. Si la vie est douce pour plusieurs, elle est impitoyable pour lui. Hermann fera tout pour l’aider à vivre, sans parvenir à juguler sa détresse et sa terrible solitude.
Voilà tout le roman. L’empathie, la tendresse qui pousse à agir et à aider ses semblables. Tous, nous avons besoin d’un peu d’attention et d’amour avant de confronter l’inévitable.
Le vieillissement, la maladie, la création, l’amour, l’amitié sont abordés dans «Attraction terrestre» avec finesse et délicatesse. Un microcosme où la vie s’exprime avec ses heurts et ses contradictions.
Un roman terriblement attachant et émouvant. Un baume qui donne l’envie de vivre en étant plus attentif à ses proches et ceux qui habitent nos jours.
L’écriture pleine d’humour rend le tout particulièrement sympathique et vibrant. Plus qu’une lecture, c’est une rencontre, un moment de vie qu’il est difficile d’oublier. Une formidable réussite!

«Attraction terrestre» d’Hélène Vachon est publié aux Éditions Alto. 
http://www.editionsalto.com/catalogue/attraction/

mardi 8 février 2011

Yann Martel se montre fort audacieux

«Béatrice et Virgile» de Yann Martel a reçu un accueil mitigé dans les médias. Bien sûr, tous attendaient un roman qui évoquerait d’une manière ou d’une autre «L’Histoire de Pi». Vendre plus de sept millions d’exemplaires, des traductions en plusieurs langues, ne peut que créer des attentes chez les lecteurs.
Son nouveau roman déboussole un peu. Oui, certains éléments font penser à l’auteur. Henry, le narrateur, un romancier, a connu un succès international avec un livre où les animaux interviennent. Il entend publier à la fois une fiction et un essai cette fois en s’attardant à l’Holocauste. Son projet est refusé par ses éditeurs londoniens.
«Il faut qu’il y ait une cohérence plus rigoureuse à la fois dans le roman et dans l’essai. Ce livre que vous avez écrit est formidablement puissant, une réussite remarquable, nous sommes tous d’accord là-dessus, mais dans sa forme actuelle, le roman manque de dynamisme et l’essai manque d’unité.» (p.22)
L’écrivain reçoit des lettres de ses lecteurs et tente d’y répondre. Un autre Henry, taxidermiste de profession, a écrit une pièce de théâtre. Il le contacte et demande son aide en joignant un extrait à sa lettre de «Béatrice et Virgile». Assez pour fasciner le romancier qui accepte de rencontrer cet homme étrange qui sait tout de la taxidermie et se sent bien en présence de ces animaux qu’il protège de la disparition d’une certaine manière. Il livre sa pièce de théâtre par fragments tout en expliquant à son visiteur les secrets de son art. Le drame met en scène un âne et un singe hurleur qui tentent de trouver une direction à leur vie. Une histoire étrange qui pousse le lecteur vers l’horreur.

Sujet

La trame de la pièce se précise au cours des rencontres. «Béatrice et Virgile» raconte la disparition de certaines espèces animales tout en faisant allusion à l’Holocauste. L’auteur questionne la responsabilité, la culpabilité et la folie humaine. Est-il possible d’expliquer la violence et la haine?
«C’est en se rappelant cette adresse et ses capsules temporelles désespérées que Henry sut de manière certaine ce que faisait le taxidermiste. C’était là la preuve irréfutable qu’il utilisait l’Holocauste pour parler de l’extermination de la vie animale. Des créatures condamnées qui ne peuvent pas parler pour se défendre recevaient la voix d’un peuple qui s’exprime particulièrement bien, lequel avait été lui aussi condamné d’une manière similaire. Il voyait le sort tragique des animaux à travers le sort tragique des Juifs. L’Holocauste en tant qu’allégorie.» (p.179)
L’écrivain se retrouve devant une œuvre qui prend racine sur le texte qui a été rejeté par les éditeurs. Pas étonnant qu’il soit subjugué par cet homme bourru qui ne s’entend avec personne. La fin est effroyable. Comment peut-il en être autrement?

Regard

Yann Martel livre ici une histoire pleine de surprises. Il faut de l’audace pour déjouer les lecteurs et risquer de les perdre en chemin après avoir connu le succès que l’on connaît.
Cette quête bouleverse et on s’attache à Béatrice et Virgile qui racontent à leur manière un drame qui heurte la pensée et l’intelligence.
«Tout ce qui restait, maintenant, c’était leur histoire, cette histoire incomplète d’attente et de peur et d’espérance et de bavardage. Une histoire d’amour, conclut Henry. Racontée par un fou dont il n’avait jamais compris l’esprit, mais une histoire d’amour quand même.» (p.198)
Le lecteur réchappe de ce roman avec des questions qui ne peuvent engendrer de réponses claires. Le racisme et la haine laissent souvent sans voix. Comme si les mots étaient impuissants devant ces pulsions qui veulent rayer une ethnie ou une espèce animale de la création.
Yann Martel démontre encore une fois son immense talent et son don pour les oeuvres déconcertantes. «Nous sommes des bêtes d’histoires», écrit-il au début de son roman. Les pires comme les plus merveilleuses. «Béatrice et Virgile» étonne et fascine. Une œuvre forte qui habite le lecteur.

«Béatrice et Virgile» de Yann Martel est publié chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/16.html

dimanche 30 janvier 2011

Marité Villeneuve sculpte sa vie

L’art, on le sait, prend souvent la forme d’une quête. On n’effleure pas les mots, le pinceau ou encore l’argile, sans bousculer l’autre qui se cache en soi. Autrement dit, des désirs et des blessures, que nous dissimulons dans nos contacts quotidiens, surgissent dans nos créations.

Certains thérapeutes passent par les dessins ou l’écriture pour faire découvrir à leurs patients un certain refoulé.
Marité Villeneuve, psychologue de formation et écrivaine, connaît la force des mots et de l’expression artistique. Dans «Des pas sur la page, l’écriture comme chemin», elle s’attardait au rôle de l’écrit dans une démarche de réflexion sur soi.
Dans «Sculpter sa vie», le titre est fort révélateur, Madame Villeneuve entreprend une réflexion à partir de petites sculptures qu’elle a réalisées au cours des années.
«Le jour où je me suis assise devant l’argile, une multitude de femmes ont surgi sous mes doigts. Ces personnages, je les ai appelés les Pleurantes. Non pas « pleureuses » mais « pleurantes », un mot qui pleure et qui chante, un mot qui contient à la fois la détresse et le chant.» (p.13)
Des femmes repliées sur soi, bouche ouverte sur une douleur qui vient du plus profond de l’être.
«J’avais repoussé jusqu’au dernier moment l’angoisse de mon confronter à l’argile. Mais il arriva ce premier matin de la création, ce premier tête-à-tête avec la motte, sans autre consigne que de faire ce que je voulais. Vite, je me raccrochai à cette pensée, ce désir : me créer, d’abord, me créer, ensuite je verrai.» (p.20)
Au cours des ans, il est né une petite famille de cette activité. Et voilà qu’après une décennie, elles s’imposent et demandent la parole d’une certaine manière.

Témoignage

En sculptant, écrivant ou peignant, des mondes surgissent avec force. Peut-être parce qu’ils sont bâillonnés depuis toujours. L’inconscient prend sa revanche alors et donne des œuvres qui étonnent.
«Ainsi sont les Pleurantes. Nées de gestes rassembleurs : sentir, caresser, pétrir, écraser, malaxer, pétrir encore. Issues d’une mouvance intérieure, dans des alternances de silence et de bercement, de violence et de tendresse. Jusqu’à surgissement d’une forme, tirée du néant, du chaos. Nées de là, de ce chaos.» (p.39)
Denise Desautels a emprunté une démarche similaire en écrivant «autour» des installations de Michel Goulet.
«S’il est un mot que le travail dans l’argile m’a appris, c’est celui de consentir. En modelant la terre, on apprend à s’abandonner à ce qui émerge, à accepter l’imprévisible. Non pas se soumettre ni obéir aveuglément, mais sentir avec. En accord avec la terre. Sentir que cette forme, même en dehors de ma volonté propre, m’indique peut-être un chemin. Sentir : savoir de l’intérieur, connaître par les fibres sensibles, reconnaître en soi. Consentir, c’est aussi déposer son fardeau.» (p.113)
Une belle manière de cerner ces pulsions qui poussent vers le geste créateur et libérateur. Une façon de réfléchir à sa vie, à ce qui se cache en soi et qui ne demande qu’à s’exprimer. Parce que toute création est un appel, un cri qui tente de rejoindre l’autre.

Démarche

Un livre d’émotions qui emprunte la démarche de l’aveugle qui cherche sa route. Parce que créer, c’est peut-être apprivoiser ces obstacles (en nous comme hors de nous) qui empêchent de trouver la paix et de bondir dans la plus grande des libertés.
Marité Villeneuve continue ici une réflexion qui cherche à mieux se connaître et à apprivoiser l’humain qui se livre dans la création. Un essai qui nous confronte. Il est difficile de ne pas revenir aux photos des figurines et de réfléchir à ce qu’elles nous disent. Madame Villeneuve devient un guide, une confidente dans cette démarche essentielle qui exige beaucoup de franchise. Parce que les pleurantes bousculent et interpellent. Une lecture qui se retourne vers soi tel un miroir.  

«Sculpter sa vie» de Marité Villeneuve est publié aux Éditions Fides.

dimanche 23 janvier 2011

Guy Lalancette aborde un sujet très difficile

Si j’ai bien compris, le récit de Guy Lalancette a été «exhumé des oubliettes où… il espérait» depuis un certain temps. La directrice littéraire de VLB Éditeur, Marie-Pierre Barathon, serait à l’origine de cette résurrection.
«Le bruit que fait la mort en tombant», quel titre magnifique, s’attarde à un accident de la route qui a emporté la sœur de l’écrivain. C’était l’hiver, la nuit peut-être, un vendredi, après le repas qui met fin à une semaine étourdissante. Il y a eu une sonnerie du téléphone, un appel du bout du monde. Une nouvelle du genre fige et laisse sans paroles. Possiblement alors que la Terre hésite une petite éternité avant de reprendre sa rotation. Les mots ne savent plus être les mots.
«C’est à distance que le  bruit est arrivé jusqu’à moi. Le bruit obsédant du téléphone, ce vendredi soir de janvier, à l’heure de la vaisselle.» (p.18)
La sœur, la complice des jeux d’enfance, celle qui a partagé ses secrets, ses lubies et ses mondes imaginaires vient de périr dans un accident imprévisible et inexplicable.
«Ta mort ne se raccommode pas. Je ne sais pas comment rapiécer ce manque que j’ai, cette absence bruyante qui tombe dans mes nuits surtout et réveille ton souvenir.» (p. 28)
Les souvenirs, les rires, les jours heureux, les peurs et les craintes reviennent dans un tourbillon. Tout le vécu se bouscule dans le présent.
«La mort, ça fait du bruit en tombant. C’est toujours un accident. Quand la mort tombe sur un plancher de bois, il y a tout l’écho que ça fait. Le bruit s’étend aux alentours, se heurte au lit des planches, s’incruste, marque et fend. L’éclat d’une cassure.» (p.17)

Cauchemar

Les frères et les sœurs se retrouvent autour du cercueil pour se rassurer, pour être certain de ne pas vivre une hallucination qui broie la mémoire.
«Elle est là, dans un grand cercueil rouge, verni, lustré, lumineux, habillé de coussins et de parements qui lui font un grand nuage ouvert sur une mort vive. On l’a couchée presque vivante dans sa blouse jaune à fleurs blanches, sa préférée, ses mains jointes sur le ventre d’un bonheur tranquille comme si l’on voulait la faire sourire encore un peu.» (p.16)
L’écrivain, le frère abandonné, prend conscience de ces drames qui font les manchettes des journaux et de la télévision. La banale tragédie ou le grand spectacle que sont devenus les guerres maintenant.
Une itinérante retrouvée gelée dans une ruelle de Montréal par un froid sibérien; une jeune fille qui s’est pendue dans le garage familial après une rupture; un homme qui tue sa femme et ses enfants avant de rater son suicide. Toutes ces morts traumatisent les proches et les témoins. Comme un écho à sa propre fin qui approchera un jour ou l’autre, sur la pointe des pieds ou dans une bourrasque.
«J’entends déjà le bourdonnement que fait ma propre mort comme un ventre habité. Une grossesse dévorante qui se nourrit aux murmures de chaque heure, de chaque journée, prenant aux battements du cœur tous les instants échappés.» (p.65)
La tragédie familiale s’amalgame à ces décès qui marquent les jours, témoignent des folies, de l’indifférence, de la haine qui aveugle partout, de l’absurdité de la vie d’une certaine manière.

Bouleversement

Un sujet difficile, une écriture rugueuse pour témoigner de ce grand bouleversement qui retourne l’être.
Le lecteur s’arrache à cette lecture en guettant ses gestes et ses mouvements. Sa propre respiration devient obsédante et douloureuse même. Il faut souvent cet arrachement pour vivre pleinement face au temps qui saccage tout.
Un pari audacieux que relève Guy Lalancette parce que nous n’aimons guère s’attarder à la mort dans nos sociétés, la refusant et la niant même. Le romancier ramène cette réalité que nous avons tous connue avec la perte d’un père, d’une mère, d’un frère ou d’une sœur. Un court récit senti et poignant.

«Le bruit que fait la mort en tombant» de Guy Lalancette est publié chez VLB Éditeur. 
http://www.edvlb.com/guy-lalancette/auteur/lala1001

Robert Lalonde fait de sa vie une aventure

Robert Lalonde revient à la manière de «Iotékha», au «Monde sur le flanc de la truite» et «Où vont mourir les sizerins flammés en été» dans «Le seul instant». Des lectures, des réflexions et des découvertes qui s’enchevêtrent d’une façon unique.
Le récit présente aussi des pastels et des aquarelles de l’auteur. Une autre manière d’explorer l’univers qui l’entoure et le fascine. Une belle surprise aussi ! J’ignorais que Lalonde usait de la couleur.
Du 15 mai au 15 septembre 2009, l’écrivain s’installe à Sainte-Cécile-de-Milton. Il pleut quasi à tous les jours. Un été de nuages et d’ondées avec un soleil peureux. Il se rabat sur certaines lectures, l’écriture et quelques travaux. Et il y a ce ciel barbouillé qu’il tente de peindre.
«J’essaie encore, cette fois à la gouache. Il me faut parvenir à confisquer ce continuel ciel de pluie qui commence à me taper sur les nerfs. Bien sûr, c’est plus facile – à tout le moins pour partir. Je mélange les bleus, les gris, un soupçon de noir avec le blanc opalin et badigeonne ou plutôt, tamponne à l’éponge la feuille de ma mixture charbonneuse, labile, grossièrement orageuse.» (p.41)
Il n’en fera qu’un gâchis, mais ce n’est pas ce qui importe !

Lecteur

Robert Lalonde passe de Teilhard de Chardin à Oscar Wilde, d’Enrique Vila-Matas à Wittgenstein. Les livres traînent partout et il y puise au hasard de ses occupations ou de ses préoccupations. Ils sont nombreux les compagnons qui le houspillent et le figent entre deux gestes.
«Je ferme les yeux et me récite à voix basse ces mots de Jacques Rivière, qui a lui aussi dix-sept ans et qui écrit à son ami Alain-Fournier  - je les ai lus hier et les ai appris par cœur, comme autrefois mes prières : «Le bonheur n’est que cette palpitation précaire de la main tendue vers son bien. Ce n’est que cela. Et rien ne permet d’appeler autre chose le bonheur, puisque nous ne connaissons que cela.» (p.15)
Des jours où il oscille entre les tentatives d’écriture, les tableaux, des randonnées, des instants magiques où il surprend des chevreuils dans un boisé ou une paruline qui fait un éclat de lumière dans la grisaille du jour. L’étang l’attire, la lisière du bois, le ciel qui distille les nuages. Il va avec le chien, son compagnon de promenades, le chat qui disparaît et revient. Il explore la forêt environnante parce que «lire, c’est traduire», bousculer le monde familier et souvent étonnant.
L’écriture tente de cerner tout cela et de comprendre peut-être.
«Ça se passera un jour de pluie, et il y aura des chats impatients, des mouches agaçantes, une vilaine brumasse accrochée aux arbres. Il y aura du désespoir, de la désolation, un soleil absent depuis trop longtemps. Et il y aura un personnage – moi et pas moi- à qui je donnerai des yeux doux et un cœur triste, un cœur faible, mais fidèle.» (p.79)
Des occupations qui poussent vers l’essentiel, les questions qui ne trouvent que rarement de réponses.
«Qui suis-je, au fond ? Un guetteur, un pisteur, un espion et un mouchard : un écrivain. Pour le reste, je suis comme chacun, celui qui se met en file, obéit et espère ressortir vivant (et toujours capable de voir) des échauffourées quotidiennes.» (p.68)
L’écrivain, par le biais de ses récits, nous entraîne dans l’hésitation, la rupture du temps où la vie prend son sens et trouve sa plénitude. Le grand tourmenté ne s’arrête jamais de battre la campagne et de secouer l’univers des mots. Il faut prendre le risque de suivre Robert Lalonde. Plonger dans l’un de ses carnets, c’est tout délaisser quand un ami se présente, se confie et se livre sans aucune retenue. Une expérience existentielle à chaque fois.

«Le seul instant» de Robert Lalonde est publié chez Boréal Éditeur.