Si j’ai bien compris, le récit de Guy Lalancette a été «exhumé des oubliettes où… il espérait» depuis un certain temps. La directrice littéraire de VLB Éditeur, Marie-Pierre Barathon, serait à l’origine de cette résurrection.
«Le bruit que fait la mort en tombant», quel titre magnifique, s’attarde à un accident de la route qui a emporté la sœur de l’écrivain. C’était l’hiver, la nuit peut-être, un vendredi, après le repas qui met fin à une semaine étourdissante. Il y a eu une sonnerie du téléphone, un appel du bout du monde. Une nouvelle du genre fige et laisse sans paroles. Possiblement alors que la Terre hésite une petite éternité avant de reprendre sa rotation. Les mots ne savent plus être les mots.
«C’est à distance que le bruit est arrivé jusqu’à moi. Le bruit obsédant du téléphone, ce vendredi soir de janvier, à l’heure de la vaisselle.» (p.18)
La sœur, la complice des jeux d’enfance, celle qui a partagé ses secrets, ses lubies et ses mondes imaginaires vient de périr dans un accident imprévisible et inexplicable.
«Ta mort ne se raccommode pas. Je ne sais pas comment rapiécer ce manque que j’ai, cette absence bruyante qui tombe dans mes nuits surtout et réveille ton souvenir.» (p. 28)
Les souvenirs, les rires, les jours heureux, les peurs et les craintes reviennent dans un tourbillon. Tout le vécu se bouscule dans le présent.
«La mort, ça fait du bruit en tombant. C’est toujours un accident. Quand la mort tombe sur un plancher de bois, il y a tout l’écho que ça fait. Le bruit s’étend aux alentours, se heurte au lit des planches, s’incruste, marque et fend. L’éclat d’une cassure.» (p.17)
Cauchemar
Les frères et les sœurs se retrouvent autour du cercueil pour se rassurer, pour être certain de ne pas vivre une hallucination qui broie la mémoire.
«Elle est là, dans un grand cercueil rouge, verni, lustré, lumineux, habillé de coussins et de parements qui lui font un grand nuage ouvert sur une mort vive. On l’a couchée presque vivante dans sa blouse jaune à fleurs blanches, sa préférée, ses mains jointes sur le ventre d’un bonheur tranquille comme si l’on voulait la faire sourire encore un peu.» (p.16)
L’écrivain, le frère abandonné, prend conscience de ces drames qui font les manchettes des journaux et de la télévision. La banale tragédie ou le grand spectacle que sont devenus les guerres maintenant.
Une itinérante retrouvée gelée dans une ruelle de Montréal par un froid sibérien; une jeune fille qui s’est pendue dans le garage familial après une rupture; un homme qui tue sa femme et ses enfants avant de rater son suicide. Toutes ces morts traumatisent les proches et les témoins. Comme un écho à sa propre fin qui approchera un jour ou l’autre, sur la pointe des pieds ou dans une bourrasque.
«J’entends déjà le bourdonnement que fait ma propre mort comme un ventre habité. Une grossesse dévorante qui se nourrit aux murmures de chaque heure, de chaque journée, prenant aux battements du cœur tous les instants échappés.» (p.65)
La tragédie familiale s’amalgame à ces décès qui marquent les jours, témoignent des folies, de l’indifférence, de la haine qui aveugle partout, de l’absurdité de la vie d’une certaine manière.
Bouleversement
Un sujet difficile, une écriture rugueuse pour témoigner de ce grand bouleversement qui retourne l’être.
Le lecteur s’arrache à cette lecture en guettant ses gestes et ses mouvements. Sa propre respiration devient obsédante et douloureuse même. Il faut souvent cet arrachement pour vivre pleinement face au temps qui saccage tout.
Un pari audacieux que relève Guy Lalancette parce que nous n’aimons guère s’attarder à la mort dans nos sociétés, la refusant et la niant même. Le romancier ramène cette réalité que nous avons tous connue avec la perte d’un père, d’une mère, d’un frère ou d’une sœur. Un court récit senti et poignant.
«Le bruit que fait la mort en tombant» de Guy Lalancette est publié chez VLB Éditeur.
http://www.edvlb.com/guy-lalancette/auteur/lala1001
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