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dimanche 14 avril 2002

La vie se niche dans le détail et l'extravagance

Nous avons un peu de mal à suivre Geneviève Robitaille dans les premières pages de ce récit. Une femme raconte sa vie, ses espoirs et ses déceptions. Elle éprouve des problèmes, se déplace avec difficultés. Et puis nous sentons, nous devinons. Elle risque de devenir aveugle. La vie alors prend un autre sens. Chaque heure est lestée d'un poids peu commun. La narratrice se fige devant des moments anodins, évoque des rencontres, des plaisirs simples, trie ses espoirs et ses déceptions aussi. Nous l'accompagnons tout doucement, comme si nous lui tenions la main. Et il y a des surprises. Nous nous retrouvons devant un grand Robert Lalonde qui se remet mal du grand massacre du verglas.
«Je n'ai pas pu insuffler une vie nouvelle à ses arbres, ni les panser. Je n'ai pas pu consoler Robert Lalonde, je n'ai pu que lui dire qu'avec les années je l'avais lu et que chaque fois il m'avait enracinée. Ses mots étaient ma consolation. Ses mots, ceux contre lesquels il se rebellait depuis ce deuil, ces mots-là étaient la vie: la sienne, la nôtre et celle de ses arbres. C'est tout ce que je lui ai dit. Au Salon du livre, monsieur Lalonde riait, il n'avait plus de peine. Ses arbres reprenaient vie; et moi, je lui souriais.» (p.31)
Elle ne semble pas mordue par le regret cette femme même si, quand elle était adolescente, elle rêvait de devenir comédienne, tragédienne et s'amusait à se glisser dans des personnages. Il y a eu Phèdre et Pierrette Guérin. Il y a eu la mort d'un ami très proche, incapable de chevaucher sa vie. Maintenant, elle déguste ses heures, compte les rencontres, les sourires avec une générosité qui plaît. Elle ne demande qu'à vivre cette femme flouée par un corps, des yeux qui se referment comme certaines fleurs au couchant. Elle vit si peu, elle vit tant. Nous envions sa façon de profiter de chaque instant. Nous nous demandons si elle n'a pas «gagné» en devenant celle qui s'entête à ne «pas devenir aveugle».

Théâtre

Un texte qui s'enracine dans le monde du théâtre, quelques oeuvres qui ont marqué la vie de Geneviève Robitaille. Un récit d'amitié, de présence à l'autre, d'espoir même si Geneviève Robitaille se demande s'il y aura encore de la lumière en ouvrant les yeux avec le matin. Chaque jour se colore devant une petite fille qui s'approche avec toute l'innocence du monde.
Un journal intime, une écriture bien menée, toujours vraie, sensible et retenue. Des moments de bonheur comme cette fin de millénaire que l'auteure vit dans le jardin, en pleine nuit, le visage tourné vers ces étoiles fragiles que plus personne ne regarde. Geneviève Robitaille nous dit encore une fois que l'extraordinaire se cache dans les petites choses et que le merveilleux, l'incroyable, la grandeur se dissimule dans son jardin, à l'ombre d'un arbre qui s'habille de toutes les feuilles de l'été et qui s'enivre du chant des oiseaux.

«Mes jours sont vos heures» de Geneviève Robitaille est paru aux Éditions Triptyque.

vendredi 12 avril 2002

Il en est des lieux comme des êtres humains

Julie Stanton revient, après «La passante de Jérusalem», avec «Là-bas, l'isle aux Grues», une suite de poèmes ancrée au milieu du Saint-Laurent. Une île pour ratisser l'imaginaire et se courber sur la vie; un espace dans un continent d'eau qui file, une terre échouée dans la mouvance du temps. L'île, vissée au milieu du fleuve, pousse sur le temps et, peut-être aussi, nous protège des mirages du continent.
Julie Stanton enfonce ses pieds dans cette terre de battures, tend les bras vers le large et «le silence dans le silence» se fait. Elle creuse un peu l'espace. Est-ce possible de respirer à largeur d'horizon et d'abolir «la tentation de l'ailleurs»? Comme si Julie Stanton s'agenouillait dans ce «monastère à ciel ouvert», là où la vie n'a qu'à être la vie.
Pourtant sur le continent, la trépidation bouscule les humains, la mort frappe sur la route près de Bellechasse. Faut-il jeter l'ancre, aimer et se laisser vivre simplement?
Julie Stanton arpente la grande île, l'archipel, hante les saisons qui viennent et vont dans les marées folles, toise les vents du grand large qui se font durs ou enjôleurs selon les équinoxes. L'île respire, enchante, laisse filer des chapelets de sarcelles. Et toujours ce vent lancinant qui porte des voix anciennes, des voix perdues dans les replis du rivage. Meliana et Juliana étaient là, toute attente, il y a si longtemps. C'était hier et aujourd'hui. Elles espéraient la voile, un regard, une main, un corps qui ferait frémir le jour.
«Leur quarantaine s'effiloche à la pointe de l'île. Voici maintenant qu'à l'âge se greffe le manque horizontal et musqué de l'homme.
Elles seraient seules et ensemble.» (p.31)
Des visages effacés, des voix comme un soupir dans les aspérités du jour, un départ et des hommes qui ne rentrent plus, égarés «dans l'éternité des eaux passagères». Mais surtout, un regard sur soi, sur la vie qui devient si rauque dans la mouvance.

«Le temps est un corridor étroit si tu ne t'y engouffres en défiant tes fragilités. A chaque jour qui se lève tu prends tous les risques à bras-le-corps.» (p.55)
Julie Stanton n'oublie pas malgré «l'arrogante beauté de ce qui perdure». Elle reste consciente. Là-bas, dans le monde, le sang coule. À Sao Paulo, ailleurs à New York.
Mais comment résister aux jours lisses, aux froissements de l'herbe sur les battures, aux oiseaux qui s'envolent dans leurs cris, aux livres ouverts comme les larges fenêtres qui font des signes à la lumière sur le fleuve. Et des dates précises, comme pour un journal, pour se rappeler, pour ne jamais perdre pied.
Des poèmes et des phrases aussi surgissent comme autant d'îles. Gaston Miron, Marie Uguay, Marguerite Duras, Rimbaud et quelques autres emboîtent son pas. Une île, c'est l'échappée. Il suffit d'un peu d'attention et tout remonte à la surface avec l'eau sur la glace quand s'installe le printemps.
Une poésie charnelle, des envols qui reviennent vers soi toutes ailes tendues. Une réflexion, une méditation et surtout un regard tendre sur un bout de terre qui fait germer la poésie. Julie Stanton donne envie de la suivre vers l'église au toit rouge, un livre à la main tout en se laissant imbiber par les odeurs du fleuve et la poussée des saisons.
Les quinze photographies de Régis Mathieu sont autant de morceaux dérobés aux humeurs de l'isle aux Grues. Ces images nous poussent vers le large ou dans les hautes herbes. Comme si le photographe avait suivi l'écrivaine dans ses méditations et ses rondes. Un livre? Bien plus. Un refuge dans un monde de cris et de folies sanglantes.

«Là-bas, l'isle aux Grues» de Julie Stanton est paru aux Éditions Les heures bleues.

Régis Roy demeure bien de son époque

Mariel O'Neill-Karch et Pierre Karch ont effectué un travail admirable de patience et de fidélité en se penchant sur les contes et les nouvelles d'un écrivain oublié. Fonctionnaire, nouvelliste, dramaturge, romancier, historien, Régis Roy a vécu toute sa vie à Ottawa entre 1864 et 1944. Cette belle collection des Éditions David nous convie à retrouver des voix qui ont permis à la littérature d'expression française de s'imposer dans ce territoire qu'est l'Amérique.
Quelques textes font sourire par la facture ou par la thématique mais tous n'en demeurent pas moins signifiants. Lire Régis Roy, c'est découvrir ou redécouvrir les fondements qui sous-tendent notre littérature, celle du Québec comme celle des écrivains d'expression française qui vivent hors des frontières de la Belle province. Il se heurte à la question de l'identité canadienne, à la langue, à la place des femmes dans un monde qui bouge, au rôle de l'écriture et à la survivance des francophones. Ces idées, que la poussée du nationalisme québécois, à partir des années 1970, allaient exacerber, nous les retrouvons à l'état d'ébauches ou encore bien ancrées dans les écrits de cet auteur qui a effleuré tous les genres.
«Son oncle à lui, Jérôme Lebrun, avait épousé une Anglaise qui ne parlait qu'un peu le français. Or, qu'advint-il ? Ses enfants parlaient tous l'anglais plutôt que la langue du père, mais quand ils se servaient de celle-ci, c'était pénible de les entendre écorcher le français. Charles, froissé de ce spectacle, s'était bien juré de n'épouser qu'une fille de sa race, mais parfois le coeur est difficile à contrôler.» (p.176)
Bien sûr, le temps fait son oeuvre. Certains jugements font sourire ou hausser les épaules. Régis Roy s'y montre misogyne, xénophobe et raciste. Il reflète bien son époque mais ces vues demeurent. Qu'on se souvienne de la crise d'Oka ou encore des grands débats effleurés lors de la tenue des deux référendums au Québec.
Les textes de Régis Roy ont plus qu'une valeur historique ou ethnographique. Il a su écrire de très bonnes nouvelles qui gardent leur saveur et qui retiennent le lecteur. Je pense particulièrement à «Un crime caché» ou «L'émigré». Un plaisir de lecture.
Une littérature ne se constitue pas uniquement des parutions qui font l'actualité des médias. Elle doit redécouvrir les précurseurs oubliés ou méconnus. Nous devons beaucoup à ces écrivains des commencements où écrire demeurait un exploit.
Le travail précis, soigné de Mariel O'Neill-Karch et Pierre Karch comble un vide. Un livre nécessaire qui met en perspective nos grands idéaux contemporains. Il faut en être reconnaissant à ces chercheurs et aux Éditions David.

«Choix de nouvelles et de contes» de Régis Roy, édition préparée par Mariel O'Neill-Karch et Pierre Karch, est paru aux Éditions David.

mardi 14 août 2001

Le retour du «je» de Claude Péloquin

Claude Péloquin reprend dans «Une plongée dans mon essentiel» un texte paru en 1985 chez Guernica. Les Éditions Varia ont cru bon rééditer l'ouvrage et d'y ajouter quelques inédits. Péloquin tentait dans ce récit autobiographique de cerner ce qui le faisait courir un peu partout en ameutant les foules. Il livrait son art poétique ou sa vision de l'écriture.
Péloquin a choisi un cheminement proche de celui de Kérouac ou de Burroughs. Ces excessifs cherchaient la «sagesse» en se livrant à tous les excès et à tous les dérèglements. Péloquin a bu, couru, baisé tout ce qui portait jupon. Du moins c'est ce qu'il affirme avec une insistance un peu suspecte. Mégalomane, provocateur, ridicule ou flirtant avec la sainteté, il tire sur tout ce qui bouge, gifle et harangue ses contemporains.
Kérouac transformé en loque humaine à peine capable de balbutier devant les caméras décédait très jeune. Serge Gainsbourg a donné aussi cette représentation lamentable dans les dernières années de sa vie. Péloquin a eu la sagesse de se retirer à Eleuthera, une île des Bahamas, pour se refaire une santé. Parce que, peu importe les facéties du «pourfendeur de la mort», la vie demeure fragile et tributaire du temps. On n'abuse pas d'elle sans en payer le prix.
Son écriture témoigne aussi de ces excès parce que Péloquin emprunte toutes les directions, donne un texte qui tient à la fois de la réflexion philosophique, de l'autobiographie, du témoignage, du questionnement ontologique et de la méditation mystique. Pourtant la réflexion tourne souvent aux formules, aux bravades et aux images qui sonnent comme des slogans publicitaires. Jouant les grands initiés, il effleure la réflexion et n'affronte jamais la pensée.

Angoisse

Péloquin livre surtout son angoisse de vivant confronté à la mort. Il y a bien ici et là des éclats qui vous arrêtent mais peut-il en être autrement quand on écrit comme un Rambo qui fonce dans un centre commercial en visant tout ce qui bouge.
«Au Canada français depuis 1963- on a tenté de saboter mon oeuvre en disant que j'étais farfelu / fou / drogué et anti-national. J'ai donc conclu que j'étais effectivement international et visionnaire. Quelques rares esprits ont cependant vu clair - je les en remercie. C'est cette belle certitude que nous nous en allons tous allègrement dans la tombe qui m'a fait consacrer toute ma vie à ouvrir le possible par l'écriture.» (p.69)
Ces textes révèlent surtout un ego démesuré. Le «je» de Péloquin, capable d'avaler la terre, hante toutes les phrases et n'arrête jamais de chanter sa propre gloire. Passons sur les outrances, le sexisme et les mastications mystiques; oublions ce ton suffisant et prétentieux. Péloquin restera un provocateur qui a su particulièrement bien utiliser les médias. Ses textes touffus, bâclés, deviennent vite redondants. Et même s'il a cru bon s'entourer de commentateurs qui font sa louange, «l'essentiel» de Péloquin demeure un texte mineur après quinze ans.

«Une plongée dans mon essentiel» suivi de «Les décavernés» de Claude Péloquin est paru aux Éditions Varia.

Pauline Michel écrit à une vitesse folle

Pauline Michel a cru bon de demander un texte de présentation à Marie-Claire Blais pour «Le papillon de Vénus». Un procédé qui demeure périlleux parce que l'auteure se met beaucoup de poids sur les épaules. Le lecteur s'attend à s'aventurer dans un texte exceptionnel.
Pauline Michel possède le sens de l'image mais il en faut plus pour partir sur les traces d'«Alice au pays des merveilles». Si les débuts sont prometteurs, j’ai déchanté rapidement, hélas. Emma adulte perd de sa magie et devient une enfant un peu égarée que le monde écrase.
Le hic vient surtout du rythme donné au récit. Pauline Michel nous entraîne à une vitesse foudroyante dans le temps, ne nous permettant jamais de nous arrimer au personnage pour le sentir, le voir, le respirer et y croire. Emma reste une sorte d'image qui permet à l'auteure de jouer avec les phrases sans jamais s'attarder au dur labeur de construire un monde et de l'étoffer. Emma a cinq ans au début du récit et il faut à peine dix pages pour la retrouver à l'âge adulte, blessée par un grand amour et une déception qui ne la quittera plus.
«Emma passe quinze ans à vivre ainsi, sans autre présent que la contemplation de la nature et sans illusion sur l'avenir. Elle range sa vie dans la pénombre. Chaque chose à sa place et une place pour chaque chose. Des heures pour le travail. D'autres pour la danse. D'autres pour le chant. D'autres pour les rencontres. Le monde perd toujours plus de son pouvoir de beauté.»(p.25)
Le merveilleux ne gonfle pas et nous restons à la surface des choses. Le papillon qui mute nous fait songer aux voyages de Dorothy au pays du «Magicien d'Oz» ou à «Alice au pays des merveilles», mais rien de plus. Les chaussures sont grandes pour Emma qui n'a pas la force, la consistance qu'il faudrait pour suivre ces illustres fillettes qui se sont confrontées à des mondes magiques et toujours en mouvance. Bien sûr, il y aura la lumière, la connaissance peut-être, l'amour et la paix mais cela reste conceptuel et virtuel. «Le petit Prince» n'a pas à s'inquiéter, Emma ne viendra pas bouleverser sa planète. La fable tourne court et s'enlise dans des images un peu plaquées.
Il manque un fluide, une chaleur, une magie à ce texte, une folie peut-être qui va au-delà des phrases joliment sculptées.

«Le papillon de Vénus» de Pauline Michel est paru aux Éditions Vents d'Ouest.

dimanche 12 août 2001

Comment trouver un sens à la vie dans ce monde?

Les nouvelles de Stanley Péan, regroupées sous le titre de «La nuit démasque», ont toutes été publiées dans des revues du Québec. L'éditeur ne signale pas si elles ont été reprises dans l'ordre de parution ou si un autre choix a présidé. Un peu dommage parce qu'elles témoignent du cheminement et des préoccupations de l'auteur au cours des dernières années.
Bien sûr, on reconnaît la «manière Péan», sa propension à flirter avec le fantastique et l'irrationnel, sa façon de démontrer que la réalité est autre. Il suffit d'être attentif, de ne pas se laisser distraire et une autre dimension s'impose. Cette autre «mesure du réel» est souvent brutale, aveugle et mortelle. Nous pénétrons dans des lieux où les pulsions dominent, où des forces implacables broient les êtres et les choses. Péan bouleverse, heurte et parfois fait sourire. Ses personnages ne sont jamais simples même si ce sont souvent des hommes ou des femmes qui vont comme des perdus dans la vie. Des êtres aiguillonnés par la vengeance ou plus simplement bousculés par les événements. Ils ont eu la malchance d'être là au mauvais moment. Parce que chez Péan, l'espace est parsemé de trous ou de «passages». Il suffit d'ouvrir une porte par distraction ou volontairement, et le personnage est happé, poussé dans une réalité où il ne contrôle plus rien.
«De son oeil unique, elle ne voit plus très bien ce qu'elle est devenue. En ce pays trop aveugle pour discerner sa grandeur, elle fait figure de reine : une souveraine pas mal triste, sans réelle souveraineté. Montréal ne dort que d'un oeil. L'autre paupière ne se referme jamais entièrement et cette plaie purulente, sexe moite de pute sur le retour d'âge, enfante les spectres affamés de ses insomnies hallucinées...» (p.73)
L'expérience restera inoubliable, initiatique et fera douter de la réalité et de l'existence. Le témoin est marqué, foudroyé par une «vérité» qui dépasse l'entendement humain. Et il y a toujours la bascule, ce doigt qui se retourne vers le lecteur. Cela pourrait nous arriver à nous aussi, imprudent lecteur.
«Pourtant il a existé. Nous le savons tous. Nous nous souvenons de ce qu'il représentait et des raisons de sa mort : étranger en terre étrangère, bouc émissaire idéal sacrifié au nom de notre bigoterie et de notre bonne conscience.» (p.37)
La manière de Péan tient à la fois de la légende, du conte, ou de la nouvelle traditionnelle. Tous les genres sont enchevêtrés et régurgités. Cette manière donne souvent des pages intolérables. Une violence décrite cliniquement, insupportable dans «Brasiers». Parce que la violence chez Péan est tout autant physique que verbale. Il bouscule le langage, comme si à chaque fois le texte était expérience langagière pour soupeser les limites du racisme, de l'horreur ou de l'ostracisme.
L’écrivain nous apprend à nous méfier des conversations anodines, des blagues sexistes et racistes. Ces plaisanteries, quand elles s'incarnent, deviennent des abominations. «Monsieur Toulemonde», «Brasiers» sont des textes dont il faudrait lire des extraits dans les émissions d'humour où l'on vole au ras des parquets.
«En faisant bien attention de ne pas toucher aux vomissures, Ti-Coune et Louis soulèvent le sale nègre par le collet, pour mieux lui administrer les derniers soins. Georges a saisi un bout de planche cloutée avec lequel il frappe frappe frappe l'hostie-de-chien-à-marde-de-sale nègre à la tête encore encore encore.» (p.82)
Péan dévoile ce que l'on cache, ce non-dit que l'on n'ose jamais effleurer et que tous évitent dans les conversations. Autant demeurer sur nos gardes avec lui, se méfier de la nostalgie ou des «blues». Les retours sentimentaux dans «Revoir Limoilou» ou encore «Remonter le fleuve», se retournent pour broyer l'antagoniste. Le passé est une porte qu'il ne faut jamais ouvrir. D'autres occupent l'espace et vous y êtes un étranger.
Des pages très denses et dérangeantes. Péan ne fait jamais dans la dentelle et il prend un malin plaisir à nous étourdir, à nous déséquilibrer. Nous refermons «La nuit démasque» en ne regardant plus le monde de la même façon. N'est-ce pas le propre de la littérature?

«La nuit démasque» de Stanley Péan est paru aux Éditions Planète rebelle.