mercredi 1 octobre 2014

Mélissa Verreault cherche un point d’équilibre

Notre époque est caractérisée par la frénésie, les voyages et les rencontres éphémères. Sommes-nous juste capables de tout gâcher avec notre précipitation, notre besoin insatiable de nouveautés et de sensations fortes ? Les jeux sexuels deviennent plus des assauts où les corps se heurtent entre deux poursuites. Emmanuelle est à bout de souffle depuis sa naissance. Ses rencontres avec les hommes sont éphémères, frustrantes et toujours à recommencer. En a-t-il toujours été ainsi ? Y a-t-il eu des époques où l’on prenait le temps de s’apprivoiser, de se désirer, de se choisir avant de s’engager pour une vie ? Cette question sous-tend l’ouvrage de Mélissa Verreault, L’angoisse du poisson rouge. Est-il encore possible de trouver un point d’équilibre dans cette bousculade qui nous ramène toujours vers soi ?

Le projet le plus ambitieux de cette écrivaine. Un texte qui va dans plusieurs directions et des boucles qui déroutent. Parce qu’il faut de la patience, une sorte d’entêtement pour traverser les aventures croisées de Manue et Fabio, Sergio et Louisa.
L’année 1946 d’abord. Sergio est au sanatorium. Il a attrapé une tuberculose pendant la campagne de Russie. Louisa attend celui qui a vécu la terrible guerre à l’âge où l’on rêve l’avenir. Des lettres pour se confier, raconter la dureté du quotidien, l’amour peut-être que l’on effleure. Juste ce qu’il faut, jamais de débordements.
Et voilà Nicole qui accouche dans un autocar. Mélissa Verreault nous a habitués aux situations souvent étranges. La jeune femme accouche de jumelles sans son Yvon, parti en voyage. Emmanuelle survivra et Gabrielle mourra quelques jours après, à l’hôpital. Nicole n’en parlera à personne. Il y a des zones d’ombre comme ça dans tous les individus, des bouts de passé qui peuvent expliquer certains comportements, des humeurs ou des angoisses.
Et nous voilà sur les trottoirs de Montréal. Emmanuelle est devenue une femme qui bouscule la vie. Graphiste, elle va d’aventure en aventure, n’en fait qu’à sa tête. Une rencontre avec un cycliste, une fellation et Hector, le poisson rouge, disparaît.

Ça n’avait beau être qu’un poisson rouge, Hector était le seul être vivant à qui elle faisait confiance. C’était grave, elle le savait. N’avoir pour seul ami sincère qu’un animal nageant en rond dans un bocal à longueur de journée, ce n’était probablement pas ce qu’on pouvait appeler une vie sociale saine. Qu’y pouvait-elle ? Ce n’était pas sa faute si elle avait été si souvent blessée par les autres, qu’elle avait préféré cesser d’entretenir tout type de relation interpersonnelle engageante avec qui que ce soit. (p.49)

Où est passé Hector ? Un poisson rouge peut-il faire une fugue, partir sans laisser de traces ? Manue s’affole, pose des affiches et croise Fabio, un bel Italien. Un voyage à Québec, une réconciliation peut-être avec sa mère. Fabio est sympathique, un peu perdu dans ce Montréal où il pensait refaire sa vie.

Bascule

Et nous voici au cœur de la Deuxième Guerre mondiale, quelque part en Russie. Les Italiens se sont enfoncés très loin dans le pays des Soviets et la situation est catastrophique. Tous sont faits prisonniers et doivent marcher dans la neige et le froid, le ventre vide. Une situation atroce, inhumaine, épouvantable. Qu’est-ce que cette histoire vient faire ici ?
L’impression de me retrouver dans les romans de Curzio Malaparte qui racontent les horreurs de la guerre avec une précision qui fait frémir. Une scène reste dans ma mémoire même si ça fait quarante ans que j’ai lu Kaputt. Des soldats traversent un lac avec des chevaux, tard dans la saison. Le froid tombe brusquement et la glace emprisonne les bêtes.

Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés, on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. [1]

Sergio vit un véritable calvaire. Voilà le lien ! C’est le Sergio de l’échange épistolaire. Il va survivre, il y a de l’espoir.
Ils marchent, se battent comme des bêtes pour un morceau de pain, en arrivent à dévorer leurs camarades. L’arrivée au camp de travail n’améliorera guère les conditions de ces humains traités comme des animaux.

Liens

Sergio vient de mourir à 93 ans. Fabio est son petit-fils et doit retourner en Italie, retrouver sa grand-mère Louisa, le monde qu’il a quitté. Il aimait ce grand-père silencieux, cet homme attentif aux autres qui se passionnait pour les pigeons.
 
Avant qu’il ne trépasse, ma mère reprochait à Sergio d’être plus aimable envers les étrangers qu’envers les membres de sa propre famille. Il lui semblait qu’il passait davantage de temps à aider des inconnus ou de simples partenaires de bridge qu’à s’occuper de sa femme et de ses enfants. Elle le traitait d’indifférent. Je crois plutôt qu’il était plus facile pour lui de donner à des gens auprès de qui il n’était pas impliqué émotionnellement. (p.358)

Retour sur l’enfance de ce migrant, ses espoirs et ses déceptions. Il rentre au Québec avec une boîte de lettres, un long récit de son grand-père. Fabio retrouve Manue et des jours meilleurs se préparent, un film peut-être pour raconter l’histoire de Sergio, une belle histoire d’amour vécue dans la discrétion et le respect.
Bien des lecteurs auront décroché avant de se rendre jusqu’au bout de cette saga. C’est sympathique pourtant, même si on se perd souvent dans les détails. L’écriture de Mélissa Verreault va d’un récit hachuré, frénétique à une histoire lente et répétitive. Le roman devient celui de Fabio. Que de fausses pistes !
Ce qui importe, peut-être, c’est d’échapper à la frénésie, de pratiquer l’art de l’attente pour en arriver à l’amour, le véritable, celui qui dure une vie. C’est ce qu’ont vécu Louisa et Sergio, c’est ce qu’apprendront Manue et Fabio. L’amour naît rarement dans l’agitation et la bousculade. Il faut du temps, de l’espace, des silences et de longs apprivoisements.

L’angoisse du poisson rouge de Mélissa Verreault est paru aux Éditions de La Peuplade.


[1] Malaparte Curzio, Kaputt, Livre de poche, p.64.

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